En guise de préambule, je souhaite rappeler que cette petite série d’articles (dont les premiers se trouvent ici et là) a pour but de présenter les jeux de rôle à ceux qui ne les connaissent pas. Mon objectif est donc pédagogique et non encyclopédique. Je laisse volontairement de côté les jeux à narration partagée, par exemple, pour me concentrer sur la forme élémentaire de jeu de rôle, la plus courante. Je parle par exemple de Dungeons & Dragons, le plus ancien des JDR, et sans doute le plus pratiqué au monde. Si vous connaissez bien les jeux de rôle, vous n’apprendrez vraisemblablement pas grand-chose : faites plutôt lire cet article à votre tata Josette, qui a très envie de savoir ce que c’est que ces « jeux drôles » où vous passez tout l’argent qu’elle vous donne pour vos anniversaires.
Création de perso
Voilà, le MJ a bien mâché le boulot à tout le monde, il a fait semblant de lire les quatre-cents pages du livre de règles (en fait il a lu l’intro, les règles de combat et les pages où y avait des dessins de nénette en bikini), vous avez acheté des chips (c’est tout ce que ça vous fait quand je vous dis qu’on va manger des chips ?), du soda, des crayons et du papier, vous êtes chauds bouillants pour commencer la partie, ça y est, vous êtes prêts, ça va commencer…
Sauf qu’en fait non.
La première session de jeu (c’est-à-dire la première fois où tout le monde se réunit autour d’une table pour commencer à jouer ensemble, une fois que le maître de jeu a préparé l’essentiel de son côté) commence presque toujours par la création de personnages. Les autres joueurs, qui croyaient se la couler douce, ont quand même un peu de travail de préparation à effectuer. L’avantage, c’est qu’en ce qui les concerne, ils seront guidés par le MJ, qui est donc censé bien connaître l’ensemble des règles (et qui feuillette en ce moment même le chapitre judicieusement intitulé « Création de personnages »).
Musculation cérébrale : on prend les haltères, et go !
Chaque joueur en dehors du MJ doit définir un « personnage joueur », c’est-à-dire un « héros » qu’il interprétera pendant la partie. Pas la peine de se plonger dans les manuels consacrés à la Méthode de l’actors studio, ni de prendre des cours d’art dramatique. Quand vous étiez petits, vous avez déjà joué dans une cour de récré à « on dirait que je serais un policier », « on dirait que je serais un chevalier Jedi », ou « on dirait que je serais l’inspecteur Derrick » (dans certains cas extrêmement rares probablement liés à des facteurs socioculturels frisant l’inexplicable au point qu’il a une coupe afro, l’inexplicable).
Mais je m’égare : vous avez déjà joué à « faire semblant » ? Bon. Ben alors, ça ne devrait pas vous poser de problème. Pendant la partie, vous allez « faire semblant d’être quelqu’un d’autre ». Durant toute la partie, il s’agira de la même personne, vous ne pourrez pas changer en cours de route (sauf si votre personnage disparaît ou meurt : ça arrive, ce n’est pas grave et ça peut même se révéler très sympa ; j’y reviendrai).
La création de personnage consiste à définir cet alter ego de façon précise : son histoire, son apparence et ce qu’il est capable de faire. Vous reporterez les informations relatives à votre personnage sur une feuille de papier (voire plusieurs) que l’on appelle « la fiche de personnage ». Cette fiche est essentielle : c’est la carte d’identité de votre alter ego, à laquelle vous vous reporterez fréquemment en cours de partie, et qui possède le pouvoir magique d’attirer les liquides issus des verres renversés, les flammes de bougie et en général tout ce qui peut l’abîmer de façon irréversible. Certains joueurs habiles arrivent à conserver des années durant de splendides fiches de personnage belles comme au premier jour, alors qu’en ce qui me concerne, elles ressemblent à des torchons environ huit minutes après que j’ai écrit le dernier chiffre tout en bas.
Oui, parce qu’il y a des chiffres.
Les chiffres, rien à fiche !
Créer votre personnage consiste à vous inventer un alter ego imaginaire. Celui-ci doit obéir à certaines règles.
Tout d’abord, il s’agit des règles de l’univers de jeu (ou background) : si vous jouez dans un univers médiéval, vous n’utiliserez pas d’armes à feu ni de véhicules à moteur, et vous n’aurez pas le droit de jouer un astronaute ou un cow-boy (en fait, si, dans certains univers, mais arrêtez un peu de m’interrompre : je parle de la majorité des jeux).
Ensuite, votre personnage devra se plier aux règles « mécaniques » du jeu auquel vous jouez. Chaque jeu possède des règles distinctes, mais dans la plupart, votre personnage est défini par une série de nombres. Ceux-ci représentent ses capacités innées (sa force physique, son apparence ou son agilité, par exemple) et ses compétences acquises (son habileté au combat ou au pilotage d’engins spatiaux, ses connaissances scientifiques, etc.). Dans le livre de votre jeu de rôle, on vous expliquera comment remplir votre fiche de personnage. Généralement, le MJ est là pour vous y aider. Certains jeux vous proposent même des personnages déjà complets, que l’on appelle des « prétirés ».
La première fois, tout cela paraît un peu compliqué, et ce, pour une raison que les vétérans rôlistes ont parfois du mal à appréhender. C’est donc aussi à eux que je m’adresse dans le paragraphe qui suit. Et qui parle de cheese-cake.
Le mystère du cheese-cake
Un jour, j’ai entrepris de faire un cheese-cake. Parce que c’était vachement à la mode, les cheese-cakes, et parce qu’il y a un épisode vraiment rigolo de Friends consacré aux cheese-cakes, et j’en ai un souvenir bien émouvant, et ça a l’air super bon.
Cela dit, je n’avais absolument aucune idée du goût que pouvait avoir un cheese-cake. Or, dans la recette que j’avais choisie, on me disait : « quand le cheese-cake a la consistance voulue… gnagnagni gnagnagna ». Mais moi, la consistance voulue, je voyais pas trop ce que c’était. Vachement mou ? Genre, comme une crème chantilly ? Ou plutôt proche du pain de nain chez Terry Pratchett ? (de quoi péter une dalle de béton en tombant dessus, donc). Mystère.
Et déjà que je ne suis vraiment pas doué pour la cuisine, je me suis trouvé tout con. Ben ouais, mince, c’est quoi, la consistance voulue ?
J’ai donc obtenu un cheese-cake mou du cheese et même un peu du cake, et franchement pas terrible. J’en ai conçu une grande déception à l’endroit des cheese-cakes et j’ai brandi en direction du ciel un poing vengeur en hurlant mon désarroi.
Et puis un jour, ma femme et moi sommes passés devant un chouette café qui vendait des cheese-cakes et j’en ai mangé un « fait comme y faut » (je vous rappelle que j’habite dans la Nièvre où je tape cet article sur un tam-tam et où nous espérons l’eau courante fin du millénaire, donc c’était une sorte de miracle). Non seulement il était délicieux, mais il est devenu le cheese-cake de référence. Quand je referai un cheese-cake, je saurai ce que c’est que « la consistance voulue ».
Fin de parenthèse cheesecakienne.
La méthode Croitoriu © ™ ®
Le problème de quelqu’un qui n’a jamais joué à un jeu de rôle, c’est qu’on lui demande de faire un cheese-cake (créer son perso) sans savoir quelle consistance ça a (sans avoir joué). Le résultat, c’est parfois un personnage tout mou et franchement pas terrible. Par exemple, un joueur débutant peut avoir envie de se créer un personnage vraiment super doué en investigation… et se rendre compte que dans le scénario que propose le MJ, il n’y a que de la baston. À moins qu’il ne s’agisse d’une mauvaise interprétation des chiffres : un joueur peut être super content d’avoir 20 en Force et se prendre pour un costaud… jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il a loupé une explication du MJ et qu’en fait, c’est noté sur 100.
Bref. Y a des ratés.
Et si le MJ est débutant lui aussi, il ne saura pas forcément conseiller de façon efficace les joueurs. Pour ça, mon pote Michael Croitoriu a une excellente méthode, qu’il utilise même avec les joueurs vétérans.
À la fin de la première partie (que nous aborderons sous peu), il propose aux joueurs de modifier s’ils le désirent leur feuille de personnage. Notre personnage enquêteur réduit un peu ses capacités d’enquête pour se donner quelques points dans des compétences de combat. Notre colosse qui a 20% en force fait passer cette valeur à 80 % (en rognant sur d’autres valeurs moins utiles). À vrai dire, Mike laisse les joueurs modifier leur fiche pendant deux ou trois parties. C’est une méthode vraiment très utile pour des joueurs débutants : parfois, l’idée de votre personnage vous plaît, mais vous vous rendez compte qu’elle ne fonctionne pas très bien en cours de partie. Dans ce cas, je conseille au MJ de vous laisser modifier votre personnage (sans pour autant enfreindre les règles de création de perso : si vous ajoutez 1 point ici, il faudra en enlever 1 là, et ainsi de suite…).
Sortir de l’ordinaire
Le MJ peut aussi décider de créer des personnages pour tout le monde, ou donner des directives en fonction du scénario qu’il envisage de jouer : « C’est un scénario où il y a beaucoup d’action : je vous recommande donc de prendre au moins une compétence de combat efficace. » (par exemple)
Il peut également restreindre les choix des joueurs en matière de personnages : « C’est un scénario qui se passe dans une tribu d’elfes. Vous devez donc tous créer un personnage d’elfe. »
Comme dans beaucoup d’entreprises créatives, poser des limites n’est pas forcément une restriction. Parfois, c’est même un tremplin à créativité : « Quel genre d’elfe vais-je pouvoir créer pour qu’il sorte de l’ordinaire ? »
Car c’est la clef d’un personnage intéressant : il doit sortir de l’ordinaire. Par un détail simple (il est très habile au tir à l’arc, c’est un cuisinier formidable, etc.), mystérieux (il a un 3e œil au milieu du front, il dort le jour et vit la nuit, il refuse de manger autre chose que ce qui pousse sous la terre) ou carrément incongru (il a peur des barbes, il construit une machine à remonter le temps, il écrit un blog sur les jeux de rôle). Dans le chapitre de création de personnage de votre jeu de rôle, vous trouverez toutes sortes de conseils : donnez-lui une voix particulière, trouvez une photo d’acteur qui le représente ou dessinez-le, faites la liste des trois choses qu’il déteste, etc. Mais au bout du compte, il s’agit simplement d’inventer une personne imaginaire que vous aurez plaisir à interpréter.
On est prêts !
Cette fois-ci, tout le monde est prêt et l’aventure peut commencer ! Vous allez pouvoir découvrir les joies du jeu de rôle ! Nous parlerons de tout ça dans notre prochain épisode palpitant : Quand le MJ se jette à l’eau, les persos nagent.
Hé, partez pas comme ça ! Non, je déconne, je peux trouver un autre titre ! Restez, quoi, on a presque terminé !
Trackbacks/Pingbacks