Je ne vais pas me livrer à l’exercice de la critique cinéma, mais j’ai envie d’exprimer ce que j’ai ressenti en voyant récemment ce que je qualifierais de tout premier vrai film lovecraftien.

Je lis très souvent “ce bouquin est lovecraftien”, “ce film pourrait être tiré du mythe”, généralement parce qu’on trouve dans les oeuvres désignées de la sorte une allusion aux “Grands Anciens” et autres machins de tonton Lovecraft. Généralement, je suis déçu (excepté par l’excellent “Les Furies de Boras” d’Anders Fager), en particulier par les représentations cinématographiques de ce genre : c’est à croire, paradoxalement, que les mots sont davantage capables d’exprimer l’indicible que les images… Va comprendre, Howard Philip…

Le film qui vient naturellement à l’esprit est “L’Antre de la folie” de Carpenter avec l’excellent Sam Neil. Une quasi réussite à laquelle il manquait pourtant quelque chose. Je viens de voir “Le rituel” sur Netflix, et il s’agira désormais du film lovecraftien par excellence à mes yeux. Attention, ça risque de spoiler, vous êtes préviendus. Mieux vaut visionner le film sans rien savoir, car Le Rituel est un film très particulier.

On a du mal à le définir, d’ailleurs : des petits airs de survival, d’horreur, de thriller, de thriller psychologique et même de “found footage”…

Au fil de la mésaventure de ce groupe de copains, le malaise s’installe efficacement, de façon insidieuse, puis vertigineuse. Le scénario utilise tous les poncifs du genre : les bois, l’obscurité, l’absence de repères, le glissement vers un univers inconnu et effrayant…

On est titillé par des évocations d’horreurs indicibles puis de plus en plus secoué, jusqu’au final incroyablement sombre (le personnage principal subit un “voyage du héros” effroyable, d’où il sort amoindri plutôt que grandi).

L’Antre de la folie jouait avec le spectateur en le poussant à s’interroger sur la notion de réalité, la porosité entre la fiction et le réel, bref… des questions d’artiste, tout ça… Le Rituel ne se préoccupe pas de psychologie (ou plutôt s’en sert comme d’un leurre).

Rejeton de Loki

Le Rituel ne triche jamais avec le spectateur : lorsque les personnages hallucinent, nous en sommes parfaitement conscients ; jamais nous ne partageons leurs visions démentes. La première partie du film, très lente, nous permet de nous poser en observateurs vis à vis d’un quatuor, puisque le cinquième personnage connaît au début du film une mort gratuite et d’autant plus bouleversante qu’elle se déroule dans un contexte tout à fait ordinaire et réaliste. Le film n’abusera à aucun moment des effets gore, mais en procédant de façon insidieuse, en nous “épargnant” les visions d’horreur, le réalisateur nous prive également de catharsis. A aucun moment on ne s’habitue à l’horreur : les visions effrayantes sont fugaces, et on se demande souvent ce que l’on a vraiment vu. En craignant ce qu’on risque de voir.

Et lentement, le malaise glisse depuis l’écran vers notre cerveau. Ce n’est plus au sort des quatre protagonistes, fort peu attachants du reste, que nous nous intéressons, mais plutôt au nôtre : après toute cette retenue, qu’allons-nous subir au bout du compte ? Le surnaturel est bien présent ici, plus présent même que dans de nombreux films “lovecraftiens”. La créature se dévoile sans artifice : pas de plan gratuit sur son aspect hideux, mais quelques images suffisent à nous rappeler l’idole trouvée dans le premier refuge par les protagonistes, son aspect stupéfiant…

Syndrome de Stockholm

La mise en scène est sobre, presque austère : le réalisateur a refusé autant l’aspect spectaculaire des films d’action que la prétention réaliste des found footage et autres fauxcumentaires “caméra au poing”. Presque comme s’il nous tenait à l’écart de l’écran, à la distance idéale pour que nous soyons émerveillés par l’horreur sans jamais comprendre le truc du tour de magie. Chaque irruption du surnaturel en devient frappante, comme le premier rêve dans la supérette, où le sol demeure celui de la forêt.

Un bref échange entre le principal protagoniste et une jeune femme étrange nous apporte un embryon de réponse… mais nous comprenons que la définition que ce personnage fait du “dieu” (“un des Jotunn, un rejeton de Loki”) n’est que le masque du mythe posé sur une réalité trop horrible pour être réellement appréhendée.

La découverte des cadavres semi-animés dans la demeure de la “secte” reste elle aussi terrifiante. Il faut là aussi en tirer nos propres conclusions, très vite, parce que l’action se précipite. Le film ne tourne pas pour autant au film d’action : pas d’opposition héroïque ni même désespérée entre un survivant et les membres d’une secte maléfique. Au contraire, les adorateurs du “monstre des bois” apparaissent eux aussi comme des créatures pathétiques, prisonniers de l’obscurité et de leur divinité obscure. Victimes du syndrome de Stockholm ?

Lovecraftien

J’ai adoré Le Rituel malgré ses personnages antipathiques, son austérité et son nihilisme, au point que je vais aller chiner le roman dont le film est tiré, pour en savoir un peu plus. Il s’agit pour moi du premier film réellement lovecraftien, dans la mesure où l’horreur lovecraftienne n’est pas magique. Elle n’est surnaturelle que dans la mesure où son fonctionnement est plus qu’incompréhensible : inconnaissable.

Il ne s’agit pas de s’aventurer dans un improbable “autre monde”, mais plutôt de dévoiler les dessous effrayants du nôtre, dans toute sa noirceur. Un monde où le sentimentalisme n’a pas sa place et s’avère au bout du compte n’être qu’un leurre, où la seule façon d’échapper à la malfaisance consiste soit à lui prêter serment d’allégeance, soit à la fuir en l’abandonnant dans son domaine. Lorsque le personnage principal échappe au “Jotunn”, il aperçoit au loin une voiture, marque de la civilisation. La civilisation qui l’a pourtant trahi auparavant. Il lui a fallu insister pour faire fonctionner le fusil, arme providentielle dont il a trouvé tout un stock dans la demeure de la secte (les précédents propriétaires de ces armes n’ont manifestement pas eu autant de chance que lui… à moins qu’ils n’aient plié le genou devant la bête), et encore, l’arme ne lui a permis que d’abattre un humain puis d’obtenir un bref répit, le temps de fuir.

Le dernier plan nous montre le personnage principal (dont j’ai déjà oublié le nom…) à mi-chemin entre les horreurs du passé (le monstre prisonnier de son domaine des bois) et l’avenir (la civilisation, la route, la voiture). Et il est bel et bien ancré dans le présent : s’il a évolué dans sa façon d’appréhender les situations de danger (il a quand même survécu à tout ça !), il a trahi jusqu’à ses derniers idéaux. L’autel dressé au défunt avait déjà subi les assauts du mauvais temps, mais tous les idéaux qu’il représente ont été oubliés. Le personnage principal a de nouveau laissé mourir ses amis afin de survivre. Tout le long du film, il aura fait cavalier seul. Et c’est ainsi qu’il le termine : vivant mais isolé, sans guère d’humanité. Sa seule victoire aura consisté à ne pas s’acoquiner avec le diable (qui lui promettait pourtant une vie prolongée…).

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film, que j’ai trouvé glaçant, au point d’être très mal à l’aise à la fin (surtout à la mort du dernier ami, ce type pénible qui ne suscite de la sympathie que par sa réelle souffrance). J’ai beaucoup aimé, en particulier pour sa représentation du “monstre”, très bien amené et à l’aspect surprenant. Ce ne sera certainement pas un film culte (les personnages sont beaucoup trop plats, les dialogues n’ont rien de bien folichon…) mais il s’agira désormais de mon mètre étalon en matière d’horreur lovecraftienne bien représentée à l’écran.