Hier j’ai poursuivi avec quelques joyeux compagnons une campagne de jeu de rôle telle que je n’en avais plus menée depuis des décennies. Vraiment. Tout ça grâce au Black Sword Hack, dispo ici chez les Merry Mushmen, et que je vous recommande vivement. 110 pages pour le jeu le plus dense et le plus complet que j’aie jamais vu et pratiqué.

Pour tout dire, le BSH (et zyva qu’on part dans les acronymes, ah bah ça commence bien !) est un des meilleurs jeux au monde à mes yeux, et il est au médfan (tendance sword and sorcery) ce qu’Unknown Armies est au jeu d’horreur : un gros pavé d’originalité (même si le livre est tout pitit) dans une mare classique.

Le BSH, c’est de l’OSR, c’est à dire une base de Dungeons & Dragons avec ses caracs habituelles et ses d20, associée à des mécanismes éprouvés dans d’autres jeux (le fameux avantage de D&D 5 par exemple) et à des choses réellement originales, dont le Doom Die en particulier : ce dé sert à la fois de bonus, de compteur d’énergie magique et de compas moral ou mystique, tout ça en un seul mécanisme d’une simplicité élémentaire.

Tout est rédigé clairement, de la manière la plus concise qui soit, et rien, absolument RIEN ne dépasse. Ces 110 pages sont 110 pages de jeu, des idées excellentes, des pistes, et jamais de destination précise (exception faite de deux scénarios complets qui dérogent à la règle traditionnelle qui veut que le scénario d’initiation inclus dans le livre de base soit toujours moisi : pas de bol, ceux-là sont très bons).

Le BSH comprend un système de combat ultra dynamique et excellent, plusieurs magies géniales, un bestiaire particulièrement bien foutu, des systèmes pour créer votre monde, votre ville, votre campagne. Tout est là.

Mais surtout, le BSH réussit à faire quelque chose que de nombreux jeux essaient constamment et ratent : vous donner de la liberté sans pour autant faire preuve de laxisme.

Je lis très souvent des jeux “pour game designer”. J’aime bien ça : le jeu vous donne une idée de ce qu’il peut être, vous ouvre des perspectives, vous propose un mécanisme… et puis là, au moment où vous arrivez par exemple à la liste des sortilèges ou des compétences, vous avez une petite phrase façon coïtus interruptus qui vous dit : “voici UN exemple de sort, à vous de créer les vôtres…”

Ce qui est bel et bon si tu as envie de dresser une liste de sorts, mais beaucoup moins sympa quand tu as envie de jouer ce soir, ou dans dix minutes, sans pour autant créer un corpus de sortilèges cohérents et intéressants. Même chose pour les compétences, je comprends et approuve vigoureusement les systèmes qui disent : “inventez vos compétences”, mais malheureusement, les idées de compétences vraiment fun ne viennent pas forcément TOUT DE SUITE, là, alors que vous êtes en train de créer votre perso et que vous avez envie de jouer, pas forcément de faire une “session zéro” (encore un concept que j’aime mais qui peut se révéler bien foireux) où rien ne se passe et où on se câline simplement entre joueuses en se disant :”regardez comment on va bien s’amuser la prochaine fois !”

Moi, je suis rôlistateur précoce, l’envie de jeu, ça part tout de suite, je veux jouer maintenant. Je veux. Jouer. Maintenant. Le BSH offre précisément ça. Les sortilèges, ils sont là. Les capacités spéciales aussi. Tout le squelette du jeu est là, à toi de l’enrober.

Et voilà la force du jeu selon moi : pas besoin d’ajouter des pattes à ce serpent-là, il est COMPLET. Tu peux ajouter des choses, et on te dit même comment faire, mais on te donne le paquetage de base. Tu fais ton PJ en dix minutes, et même s’il te semble encore un peu nu, il est déjà costaud, charnu, avec des accroches originales. Ca fonctionne.

Ton univers, ce sera à toi de le développer, mais tu peux déterminer l’essentiel : qui c’est les adversaires, la Loi ou le Chaos ? Check. Tire un D6 et on voit qui est le salaud qui dirige les forces du mal. Tire un autre dé 6 et tu sais à quoi ressemblent ses troupes (et c’est déjà original). Un D10, un D12 et tu sais aussi quel conflit agite le monde et comment il se manifeste.

Ensuite, à toi de jouer. Rajoute rien au système, il est là pour te faciliter la tâche. Toi, tu t’occupes du récit, du gras de l’histoire.

Les illus sont absolument somptueuses, et complètement raccord avec le thème d’un monde déchiré entre la Loi et le Chaos.

Si tu veux un peu de “flavour”, tu as une liste de noms typiques, ou même des citations formidables issues des ouvrages de Moorcock, Leiber, Howard…

Chaque fois, la règle ou le conseil prend une page, deux au plus, et tout est là. Tu n’as qu’une envie, mettre ça en pratique. Et c’est bien ce que j’ai fait.

Hier, on a terminé la “saison 1” de notre campagne BSH

Laborieusement, je me suis remis à maîtriser “sérieusement”. En mettant en pratique un tas de trucs, en expérimentant, et en essayant de faire le maximum pour qu’on s’amuse. Pour ça, le BSH a été le meilleur outil ever : un système complexe et dense sans être lourd, appris en cinq minutes, et qui permets de mobiliser les ressources mentales et créatives ailleurs.

On a donc joué d’abord en impro presque totale (avec un pitch vraiment tout con que j’aime bien : “vous êtes rejetés sur une plage, à côté de vous, un village d’adorateurs d’un monstre marin qui ont fait s’échouer votre bateau et qui sont déjà en train de boulotter ses occupants, qu’est-ce que vous faites ?”

Et à partir de là, impro. On ajoute au fur et à mesure les éléments définis dans la création de monde (le grand méchant, son armée). On voit ce qui se passe. Les PJ se développent. On prend des notes. Les joueurs ont régulièrement des fulgurances créatives et l’univers de jeu se bâtit. Et au bout d’un moment, on a un story-arc bien défini, avec une fin de cycle, et la perspective d’une campagne plus longue, qui mènera plus loin.

Hier, nous avons terminé ce premier cycle en ouvrant (j’espère !) des perspectives sympa, avec de gros beaux moments de roleplay et de jeu super fun, le tout s’achevant sur des images de héros fatigués mais qui entrevoient des choses qui n’existaient pas au début (et pour cause : totale impro). La carte du monde se dessine aussi peu à peu, par petites touches, et tout ça avance de façon vraiment satisfaisante.

J’ai tout de même été obligé de raccourcir un peu hier pour arriver à la fin, parce que comme j’en ai fait part à mes joueurs, je pourrais me contenter de les suivre et de regarder ce qu’ils font, ce qu’ils cherchent, ce qu’ils inventent pendant très longtemps : mais là, je voulais réellement aboutir a une manière de conclusion pour une toute première phase de la campagne. Et ça s’est terminé comme une saison de série télé, avec une belle scène de héros qui reprennent leur souffle, des promesses d’aventures que je vais évidemment m’efforcer de tenir (une ville inconnue ! une civilisation qui exploite les morts ! un anneau désignant l’héritier d’une dynastie prestigieuse ! un col de montagne à franchir !).

C’était une vraie immense satisfaction de conclure tout ceci, en particulier avec un scénario où nous avons fait un et un seul jet de dés.

La formidable souplesse du BSH me donne envie de continuer et d’aller jusqu’au bout de l’idée de récit qui s’est dégagée au fil des parties, et d’exploiter à fond toutes les possibilités du truc et de ce que nous avons bâti ensemble. Et surtout de savoir comment vont finir ces personnages joueurs auquel je me suis attaché comme rarement.

Bref, je vous recommande la Black Sword Hack : y a pas photo, il s’agit pour moi du meilleur système OSR, sachant qu’il n’est toutefois pas conçu pour de la “high fantasy”. Le trio de base, c’est Conan, Cugel (voire Fafhrd et le Souricier Gris) et Elric. Si ce genre de personnage vous botte, vous avez moyen de faire des choses formidables avec un jeu à trente balles (et n’oubliez pas de vous prendre le Chaos Scrier avec : 28 pages de scénars et d’idées bien plus intéressantes que ce qu’on trouve souvent dans des vieilles pavasses de 300 pages bien indigestes).

Et pour conclure, un gros coup de chapeau à Kobayashi, qui a réalisé là ce que je n’hésite pas à qualifier de chef-d’oeuvre : un des rares jeux que je considère comme parfaits. Merci !