Pour introduire cet article, juste un grand merci posthume Ă  George Romero, pour des raisons Ă©videntes.

La Fin du Monde (El Fin del Mundo, puisqu’il s’agit, Ă  l’origine, d’un jeu espagnol d’Alvaron Loman) est un jeu de rĂ´le publiĂ© chez Edge en Espagne, repris chez FFG dans une version remaniĂ©e et amĂ©ricanisĂ©e, puis traduite (Ă  partir de la version anglaise) dans la langue de Michel Drucker par Edge France, sous la houlette de votre serviteur. Et non, je ne montrerai pas de photo de ma houlette, non mais des fois…

Vous allez sans doute trouver ça bizarre, mais lorsque je traduis un jeu, ou que j’en supervise la traduction, je n’ai pas forcĂ©ment le temps ni la possibilitĂ© d’y jouer. Ni avant, ni après. On croirait le traducteur passionnĂ© de JDR toujours plongĂ© dans des jeux, Ă  les lire et Ă  les pratiquer, mais après avoir passĂ© huit heures par jour sur un livre de jeu, parfois, on n’a qu’une envie : se vautrer devant une sĂ©rie tĂ©lĂ©, lire un roman ou une bayday, faire une partie d’Horizon – Zero Dawn (c’est bien, mangez-en, surtout si vous ĂŞtes fans de Degenesis) ou tout simplement bouffer des chamallows.

Spécificités des zombies espagnols

Avoir envie de tester un jeu au point de concrĂ©tiser cette envie après l’avoir lu, relu et retournĂ© dans tous les sens n’est par consĂ©quent pas si courant. Il faut vraiment qu’un jeu vous parle, vous propose quelque chose d’inĂ©dit, pas forcĂ©ment dans sa forme, dans ses règles ou dans son background, mais dans la promesse de ce qui va se passer Ă  la table de jeu. Tout ce prĂ©ambule pour expliquer Ă  quel point La Fin du Monde m’intriguait : il n’a pas fallu me pousser beaucoup pour que j’en joue une partie. C’est donc l’occasion d’un nouvel Ă©pisode de Play After Reading un peu particulier, dans la mesure oĂą j’ai lu le jeu pour le boulot, alors que je ne me serais pas forcĂ©ment penchĂ© dessus (surtout en raison de son prix, qui peut rebuter, mais on y reviendra). Car La Fin du Monde est un jeu sans rĂ©elle personnalitĂ© apparente, qui ne va dĂ©ployer son vrai potentiel qu’Ă  la table. Bref, c’est un jeu, pas un livre.

Pour les ceusses qui ne connaĂ®traient pas le principe, voici comment fonctionnent mes critiques de “Play After Reading” : je fais une critique de jeu Ă  la lecture, puis je la confronte Ă  la rĂ©alitĂ© de la partie. Du coup, ne vous attendez pas Ă  ce que je vous parle de trucs super rĂ©cents dans les prochains articles, si tant est qu’ils voient le jour : il faut du temps pour lire, pour jouer, pour analyser ce qu’on a fait (mĂŞme si mon analyse reste très superficielle).

Le Before : Dernières barres de rire avant la Fin du Monde

Si vous avez dĂ©jĂ  vu au moins un film de zombie (ou simplement un film d’horreur), il y a de grandes chances que vous ayez hurlĂ© au protagoniste sur le point de se sĂ©parer du groupe/d’ouvrir la porte d’un machin chelou/d’aller voir ce qui passe derrière le buisson qui fait “grouu grouuu”/de pĂ©ter bruyamment au milieu des zombies (rayer la mention inutile) : “Mais non ! Ne fais pas ça !”

Parce qu’a priori, vous ĂŞtes un peu plus futĂ© (quoique, si vous lisez ce blog, je me demande…) que le protagoniste de film d’horreur moyen et que vous connaissez les trucs pour Ă©viter les zombies, en bon geek que vous ĂŞtes. Et s’il y a bien un type de film d’horreur qui se prĂŞte Ă  l’exercice de “si c’Ă©tait moi j’aurais…”, c’est le film de zombies : les personnages sont frĂ©quemment des gens ordinaires, dans un environnement familier, voire banal, et qui font des choix abominablement crĂ©tins parce qu’ils ne comprennent pas suffisamment vite ce qui se passe.

Le meilleur film de zombies de tous les temps

Le film de zombie est un baume pour geek, parce qu’il prĂ©sente un contexte obĂ©issant Ă  des règles presque immuables (il faut leur tirer dans la tĂŞte, la contagion se fait par morsure, etc.), oĂą le geek en question devient un “survivaliste” par la seule vertu de sa connaissance des stĂ©rĂ©otypes du genre. Les zombies reprĂ©sentent tout simplement la foule des connards que l’on croise tous les jours, reprĂ©sentĂ©s par des cadavres grisâtres et dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s qui veulent vous bouffer la tĂŞte pour vous convertir au club de la connerie universelle et faire de vous un consommateur aveugle et stupide. Mais vous, et surtout toi, ami geek, tu n’ĂŞtes pas un connards (et fuck la grammaire) : on ne te la vous fait pas, tu savez comment te dĂ©brouiller.

Comme le post-apo, le film de zombie rĂ©alise ce fantasme geek entre tous : imaginons que la civilisation se barre brutalement en sucette et qu’il ne reste que des gens intĂ©ressants en vie, et voyons ce qui se passe. Je simplifie, et c’est une interprĂ©tation personnelle, mais en gros on peut la rĂ©sumer Ă  ceci : l’apocalypse zombie c’est cool, parce qu’on sait comment ça marche, contrairement Ă  Robert, le voisin qui fait chier. En renversant les codes rigides de la sociĂ©tĂ© et en instaurant un chaos libĂ©rateur, l’invasion zombie rĂ©tablit Ă©galement l’Ă©galitĂ© sociale, les macchabĂ©es ambulants ne faisant pas la diffĂ©rence entre SDF et PDG quand il s’agit de casser la croĂ»te (ou plutĂ´t la calotte crânienne).

Le contexte de l’apocalypse zombie se prĂŞte donc de façon particulièrement jouissive Ă  cette question de geek : que ferait-on si… ?, puisqu’il donne aux introvertis l’occasion de prendre les choses en main.

Système atypique

Les JDR de zombies existent, mĂŞme si le genre n’est pas aussi prolifique (Ă  ma connaissance) que dans d’autres mĂ©dias (en particulier le cinĂ©ma) ces dernières annĂ©es. D’ailleurs, comme ça, de tĂŞte, je me souviens de ce truc dont le supplĂ©ment s’appelait Fais des Râles (ha ha ha… oui, j’aime les jeux de mots moisis), et de cet autre truc qui s’appelait euh… Bon, ben en fait je me rappelle pas et j’ai la flemme (dĂ©chaĂ®nez-vous dans les commentaires pour Ă©taler votre connaissance encyclopĂ©dique des jidĂ©haires de zombies). Ouais, ils existent, mais aucun ne m’a particulièrement marquĂ©.

Pourquoi El Fin Del Mundo m’a-t-il tapĂ© dans l’oeil ?

Le jeu allie deux qualitĂ©s qui m’attirent actuellement (Ă  45 ans, après une trentaine d’annĂ©es de JDR Ă  lire des pavasses grosses comme l’annuaire) : il est simple et il est synthĂ©tique.

Il prĂ©sente en outre un gimmick vraiment sympa : les règles de base sont conçues pour que vous jouiez votre propre rĂ´le : oui, vous, le petit rĂ´liste tout maigre, c’est vous qui allez vivre l’apocalypse zombie. Et cette crĂ©ation de perso est très bien fichue, avec un système de cooptation fluide et sympa, que je vous laisse dĂ©couvrir si vous essayez le jeu. Cela dit, il est tout Ă  fait possible de crĂ©er des persos diffĂ©rents (c’est d’ailleurs ce que j’ai fait pendant ma partie test).

Zombie TĂ©fu

Le système de La Fin du Monde est extrĂŞmement simple. La fiche de perso comprend trois catĂ©gories (Physique, Mental et Social), dĂ©bouchant sur trois couples de caractĂ©ristiques (DextĂ©ritĂ©, VitalitĂ©, Logique, etc.) notĂ©es sur 5. Lorsqu’on veut rĂ©ussir une action, on lance un dĂ© (Ă  six faces), et il s’agit d’obtenir un rĂ©sultat infĂ©rieur ou Ă©gal Ă  la caractĂ©ristique utilisĂ©e. PlutĂ´t simple.

Chaque personnage dispose toutefois de traits positifs ou nĂ©gatifs (en gros, un positif et un nĂ©gatif par catĂ©gorie) : pro du bidouillage, athlète, petite nature, a quittĂ© l’Ă©cole trop tĂ´t, calculateur humain, etc. Si, lors d’une action, un trait positif intervient, il vous octroie un dĂ© supplĂ©mentaire. L’utilisation d’un Ă©quipement adaptĂ© Ă  la tâche (une corde pour escalader par exemple) vous donne Ă©galement un dĂ©. Le MJ peut vous faire bĂ©nĂ©ficier d’autres dĂ©s bonus selon les circonstances. Chaque rĂ©sultat infĂ©rieur Ă  la carac utilisĂ©e donne une rĂ©ussite, donc plus on a de dĂ©s, plus on a de chances de rĂ©ussir mĂŞme si on dispose d’une carac minable.

Le système vous donne Ă©galement des malus, sous forme de dĂ©s de malus : un trait nĂ©gatif produit un “dĂ© noir” (par exemple, “petite nature” vous donne un dĂ© noir pour rĂ©sister Ă  des conditions environnementales difficiles), et le MJ peut vous en donner d’autres en fonction de la situation. Si un dĂ© noir produit un rĂ©sultat identique Ă  celui d’un dĂ© normal, tous deux s’annulent. Et s’il reste des dĂ©s noirs dans votre pool de dĂ©s en fin de jet de dĂ©, ils vous font subir du stress.

Lorsque vous subissez des blessures ou des chocs mentaux ou sociaux (ceux-ci sont un peu particulier : c’est ce que vous ressentez par exemple en vous retrouvant isolĂ© socialement, quand on vous rejette, etc.), vous recevez du stress. C’est lĂ  oĂą le système est vraiment très bien fichu et prĂ©sente une occasion de gestion de ressource intĂ©ressante. Si votre stress dĂ©passe un certain seuil, vous mourez (ou vous devenez un lĂ©gume, ou fou), et ce seuil n’est pas très Ă©levĂ© (il suffit de subir 9 points de stress, ce qui correspond par exemple Ă  deux blessures par arme Ă  feu, en gros). Mais il y a une astuce.

Une fiche claire et simple.

Vous disposez d’une jauge de stress pour chaque catĂ©gorie de caracs. La jauge comprend trois niveaux. Lorsqu’un niveau est rempli, il vous donne une rĂ©sistance pour les prochains gains de stress. Plus vous avez subi de grosses blessures, plus vous tenez le coup… mais au risque de trop tirer sur la corde et de succomber. Vous avez la possibilitĂ© d’Ă©vacuer d’un coup TOUT votre stress dans une catĂ©gorie, mais pour cela, vous subissez un “trauma”, qui va se manifester par un trait nĂ©gatif et qui mettra un certain temps Ă  disparaĂ®tre. Il faut donc maintenir l’Ă©quilibre : soit vous conservez le stress, qui vous confère une certaine rĂ©sistance mais vous rapproche de la mort, soit vous vous en dĂ©barrassez pour mieux respirer, mais vous subissez alors un trauma handicapant et vous ne bĂ©nĂ©ficiez plus de l’effet rĂ©sistance.

C’est le trait de gĂ©nie du système : dès que le stress commence Ă  arriver, on marche sur la corde raide, et il s’agit de gĂ©rer la prise de risque efficacement. Système efficace, donc : simple et fonctionnel.

Bon ben… c’est une apocalypse zombie, dĂ©merdez-vous

Pas de chichis dans la prĂ©sentation du background, ou plutĂ´t des backgrounds, car le livre prĂ©sente cinq versions de l’apocalypse, et les dĂ©taille mĂŞme en version “avant” et “après” : on peut jouer pendant les premiers jours de l’invasion zombie, puis une fois qu’elle est installĂ©e et qu’un ordre (ou dĂ©sordre) nouveau est apparu. Pour chacun de ces contextes, on a 5 pages de texte environ, pas plus (un peu moins pour les versions “après”, et les versions “avant” comportent en outre une chronologie).

Le bonheur, d’autant que tout ça est très synthĂ©tique et organisĂ© sous des titres bien clairs et concrets : “que peuvent faire les PJ ?”, “Que sont-ils ?” (les zombies), “Comment les tuer ?” Chaque fois, un paragraphe clair et concis, sans blabla inutile.

Chaque prĂ©sentation est suivie d’une description de plusieurs lieux (elle aussi succincte, avec une petite illu), chacun Ă©tant accompagnĂ© d’une liste d’Ă©vĂ©nements et de rencontres possibles (une ligne chacun). En fin de chapitre, 4 ou 5 profils de zombies et d’autres personnages (civils, miliciens, membres de gangs).

Je ne vous cache pas que tout ça m’a Ă©normĂ©ment plu. C’est comme si, en un peu plus de 90 pages (les règles n’occupant que 46 pages des 140 que compte l’ouvrage), l’auteur avait dĂ©cortiquĂ© l’essentiel des mĂ©dias consacrĂ©s aux zombies pour n’en laisser que les Ă©lĂ©ments de base, en dĂ©graissant tout le superflu. On trouve en effet lĂ  une quantitĂ© Ă©norme de matos exploitable, chaque Ă©lĂ©ment Ă©tant rĂ©duit Ă  sa plus simple expression (un profil super bref, une ligne de description pour une accroche d’intrigue).

Il y avait lĂ  de quoi faire un bac Ă  sable formidable.

L’after de l’après du post

Il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir de recevoir un sympathique MJ qui m’avait initiĂ© au jeu WĂĽrm (très sympa, mĂŞme si je me vois mal y jouer sur le très long terme), et je me retrouve Ă  mon tour MJ avec deux joueurs (le MJ en question et une joueuse), et la perspective de mener une partie en one-shot. Je me concerte avec ma joueuse pour savoir quel univers lui plairait, et suite Ă  sa requĂŞte de simplicitĂ©, je propose La Fin du Monde. Ca tombe très bien, car la joueuse en question adore les univers de zombies.

Il ne reste plus qu’Ă  surmonter un petit moment de stress, car cela fait plus d’un an que je n’ai plus maĂ®trisĂ© en impro. Vite vite vite, rĂ©flĂ©chir. Autant que je vous raconte comment ça s’est passĂ©, et comment le jeu m’a servi de boĂ®te Ă  outils, jouant parfaitement son rĂ´le.

Trop clair ! Trop clair !

Premier truc : je me doute que l’idĂ©e d’interprĂ©ter leurs propres rĂ´les ne va pas forcĂ©ment plaire Ă  mes joueurs. La joueuse m’a dĂ©jĂ  dit qu’en cas d’apocalypse, elle n’aurait pas une chance, et le pote MJ est actuellement en fauteuil roulant : ce serait indĂ©licat de ma part de proposer de jouer “by the book”. Du coup, je pars sur l’idĂ©e de jouer dans une atmosphère “sĂ©rie B amĂ©ricaine”, avec petite ville de cambrousse et invasion de zombies rurale. OK.

C’est un one-shot, il me faut quelques idĂ©es marrantes. Je n’aurai que deux joueurs : je dĂ©cide donc de trouver une vulnĂ©rabilitĂ© très simple pour mes zombies. Je ne vais pas utiliser ceux du bouquin : je piocherai dedans selon l’Ă©volution de l’intrigue, et on verra bien ce qui se passe. Mais je dĂ©finis dĂ©jĂ , mentalement, un Ă©lĂ©ment essentiel : ils sont attirĂ©s par la lumière. Ils seront inactifs dans le noir (merci, Last train to Busan !) sauf s’ils voient des phares ou une ampoule. Ils rĂ©agiront quand mĂŞme au bruit, mais l’essentiel, ce sera la lumière. Du coup, les joueurs pourront dĂ©velopper des stratĂ©gies autour de cet aspect. Bon.

Je ne sais pas trop oĂą je vais, mais j’ai envie que les zombie soient issus d’expĂ©riences gĂ©nĂ©tiques, et je me dis que ça pourrait passer par des animaux. Allez, on va utiliser un ranch dont les Ă©leveurs utilisent des substances chimiques pour booster leurs bĂŞtes (chevaux et bovins). Ca merdouille, les bestioles mordent quelques Ă©leveurs, et l’Ă©pidĂ©mie se rĂ©pand (le ranch Ă©tant Ă©loignĂ© de la ville, ça laissera un peu de temps aux PJ pour rĂ©agir et se sauver).

Aucun plan ne survit aux PJ

Je vois bien tout ça comme une course-poursuite, et je consulte rapidement des lieux dĂ©crits dans le bouquin : la ferme, le grand magasin… Je me dis que ce qui pourrait ĂŞtre drĂ´le, c’est que les PJ essaient d’entrer dans un grand magasin transformĂ© en forteresse par un mec, et que celui-ci les accueille Ă  bras ouverts au lieu de les farcir de plomb. Mais au bout d’un moment, ils se rendent compte que le type est super pĂ©nible, et qu’il veut les tenir prisonniers avec lui dans son “paradis”. Du coup, le but du scĂ©nario serait d’Ă©chapper, non pas aux zombies, mais au connard. Je tiens un truc, lĂ  !

Mes joueurs crĂ©ent leurs personnages. Ma joueuse choisit de jouer la femme shĂ©rif du petit bled, et comme trait nĂ©gatif social, elle se met “syndrome du bon samaritain”. Elle va donc se sentir forcĂ©e de sauver tout le monde.

Merde.

Ca veut dire, pas question d’envisager un scĂ©nario oĂą les joueurs cherchent Ă  Ă©chapper Ă  la horde de zombies. Au lieu de ça, ma joueuse va probablement tenter de protĂ©ger tout le monde. Donc on parle plus d’un huis clos que d’une course Ă©chevelĂ©e. VoilĂ  qui renverse complètement ma conception et mon Ă©bauche d’impro.

L’autre joueur choisit de jouer un biker qui joue les passeurs entre les Etats Unis et la frontière canadienne. Et Ă©videmment, il a dĂ©jĂ  eu maille Ă  partir avec la shĂ©rif. En fait, ils s’inventent un passĂ© commun : une connaissance de la shĂ©rif est morte pendant un incendie, durant lequel le biker a failli mourir. La shĂ©rif le tient pour responsable du truc et voudrait tirer ça au clair, mais jusqu’ici, elle ne l’a pas revu. Or, il vient de passer dans la ville.

Bon, ils viennent de foutre en l’air mon idĂ©e de course, mais ils me donnent une intro in medias res toute cuite.

Quand le scĂ©nar commence, notre biker se rĂ©veille en cellule. La shĂ©rif l’a coffrĂ© la veille. En effet, un indic lui a transmis le profil et l’immatriculation du biker en question, et lui a dit qu’il transportait des choses pas bien catholiques. En fait (cela sera rĂ©vĂ©lĂ© par la suite), ce sont des agents gouvernementaux qui ont averti la shĂ©rif : ils savent que des tueurs Ă  gage de la pègre en ont après le biker et projettent de l’assassiner lors de son passage en ville. Or, le FBI serait ravi de lui mettre le grappin dessus avant eux pour l’interroger. Et comme on est dans une sĂ©rie B, ils ne mettent pas la shĂ©rif dans la confidence, prĂ©parant le terrain pour un beau bordel.

Tout ça, ce sont des prĂ©textes, Ă©videmment. L’intĂ©rĂŞt, c’est que mon biker va se retrouver en taule, en butte Ă  la mĂ©fiance de la shĂ©rif, et qu’une fois que ce sera bien le bordel en ville, il devra Ă©galement combattre des tueurs engagĂ©s pour le tuer.

Retomber sur ses pattes

Le dĂ©but du scĂ©nar a parfaitement fonctionnĂ©. Mon biker Ă©tait dans la mĂŞme cellule qu’une des premières victimes de l’Ă©pidĂ©mie de zombies, et les scènes du bureau du shĂ©rif ont Ă©tĂ© impeccables, dignes d’un de ces films que j’affectionne, genre Assaut de Carpenter.

Ensuite, c’Ă©tait l’invasion, avec des animaux zombies partout (dont une belle horde de chevaux, quelques chiens sanguinaires, et mĂŞme des bovins bien Ă©nervĂ©s). J’ai eu l’occasion de placer quelques scènes difficiles, moralement, avec des dilemmes insolubles (le gosse qui se fait mordre par un zombie et qu’on ne peut pas sauver, un grand classique).

Finalement, mes joueurs ont rĂ©ussi Ă  organiser la rĂ©sistance, Ă  limiter la propagation de l’Ă©pidĂ©mie, et mĂŞme Ă  collaborer avec l’armĂ©e pour attirer les zombies dans un stade (avec les lumières !) et limiter les dĂ©gâts. Fin de scĂ©nario stratĂ©gique, avec la gestion des forces de la ville, et d’une population qui partait de plus en plus en roue libre malgrĂ© des efforts mĂ©ritoires.

Et tout ça a bien fini, grâce Ă  des joueurs ultra-motivĂ©s, qui n’ont rien lâchĂ© d’un bout Ă  l’autre et qui ont sans cesse Ă©laborĂ© des tactiques inventives pour s’en sortir (malgrĂ© des PNJ gĂ©nĂ©ralement pĂ©nibles : je voulais montrer que c’Ă©taient bien les PJ les hĂ©ros, et qu’il fallait qu’ils assument leurs rĂ´les de leaders). RĂ©demption pour le biker, qui a jouĂ© son rĂ´le d’anti-hĂ©ros avec brio, et succès pour la shĂ©rif, qui n’a jamais baissĂ© les bras et qui a sauvĂ© un max de ses ouailles.

Bon, alors, ça marche ou pas ?

Oh que oui. Le système de jeu Ă©tait un bonheur Ă  utiliser. Les joueurs n’ont pas arrĂŞtĂ© de chercher les dĂ©s de bonus en justifiant efficacement leur obtention, et je leur en ai donc rĂ©gulièrement accordĂ© d’autres.

Exemple : dans son bureau, la shĂ©rif reçoit une conseillère municipale très Ă©nervĂ©e, qui tente de lui marcher sur les pieds. Ma joueuse ne se dĂ©monte pas, et rĂ©ussit un très beau jet de charisme après une belle interprĂ©tation. Je lui annonce donc que dĂ©sormais, quand elle fera un jet de charisme face Ă  un des occupants du commissariat (qui regroupe une bonne partie des PNJ), elle bĂ©nĂ©ficiera d’un dĂ© de bonus, car elle a montrĂ© que c’Ă©tait elle qui commandait.

On retrouve ici le mĂŞme genre de fonctionnement que dans des systèmes comme Fate, voire comme Unknown Armies. D’ailleurs, je me suis servi de ce que j’avais lu dans UA pour expliquer comment utiliser les traits positifs, car il s’agit d’une des meilleures explications que j’aie lues. En fait, quand on veut effectuer l’action A avec le trait positif X, pour savoir si le trait s’applique, il suffit de dire : “bien sĂ»r, que je peux faire A, puisque je suis/j’ai le trait X”. Si ça paraĂ®t cohĂ©rent, le trait s’applique. Nous n’avons jamais eu de souci pour appliquer les traits, et les joueurs sont allĂ©s chercher les solutions les plus inventives pour les appliquer de façon cohĂ©rente.

Le système de rĂ©solution des actions a parfaitement bien fonctionnĂ© : il engendrait suffisamment de tension, les joueurs savaient immĂ©diatement si une action Ă©tait “difficile”, “improbable”, “presque impossible”, et ils n’ont jamais fait d’erreur de jugement due Ă  une incomprĂ©hension du système (ce qui arrive parfois avec des systèmes un peu opaques). LĂ , tout Ă©tait limpide.

Les dĂ©s noirs ont jouĂ© leur rĂ´le, et le stress a montĂ© pendant la partie, mĂŞme s’il n’a jamais dĂ©passĂ© un certain seuil, les joueurs s’Ă©tant montrĂ©s prudents et perspicaces dans leurs choix. De mon cĂ´tĂ©, je n’ai pas Ă©tĂ© bien mĂ©chant, mais je leur ai fait quelques crasses, et ils ont donc eu du mĂ©rite de s’en sortir indemnes (malgrĂ© un bras bien amochĂ© et des blessures morales).

Et en ce qui concerne le stress, le système, quoique très simple, a bien fonctionnĂ©. Les persos n’ont pas Ă©tĂ© confrontĂ©s qu’Ă  des blessures physiques, et la tension ne venait donc pas que de lĂ  : une simple confrontation pouvait dĂ©boucher sur du stress, et instaurait donc une tension, des enjeux.

Conclusage

J’avais une grosse apprĂ©hension. Tout d’abord, je craignais de me vautrer en impro, sachant que faire un one-shot improvisĂ© n’est pas aussi facile que lancer une campagne d’impro : il faut que le scĂ©nar ait une fin dĂ©finitive, que les intrigues soient bouclĂ©es, les secrets rĂ©vĂ©lĂ©s, les histoires achevĂ©es. De ce cĂ´tĂ©-lĂ , c’Ă©tait une rĂ©ussite. Les joueurs se sont amusĂ©s, et tout ceci a bien fonctionnĂ©.

La question la plus importante reste la suivante : le jeu tient-il ses promesses ?

La rĂ©ponse est oui. Un Ă©norme oui, mĂŞme. Le système est parfaitement adaptĂ© Ă  des dĂ©butants ou Ă  des joueurs qui veulent jouer “rapide et simple”, tout en mĂ©nageant une gestion du stress et des traumas bien plus intelligente et dĂ©licate qu’il n’y paraĂ®t. Au point que je me dis que le système se prĂŞte Ă  n’importe quel scĂ©nario d’action et d’horreur… Pourquoi d’horreur ? Parce que sans ça, la jauge de stress mental ne sert pas Ă  grand-chose, ou plutĂ´t elle est Ă©clipsĂ©e par la jauge physique.

Et finalement (j’avais dit que j’y reviendrais), le jeu me paraĂ®t valoir son prix. 40 euros pour un bouquin de 140 pages, je trouvais ça un peu raide. C’Ă©tait sans compter la richesse du bouquin. Il va en effet Ă  l’essentiel, et propose bien plus de contenu, au bout du compte, que certains ouvrages au background boursouflĂ© et Ă©tirĂ© en longueur (mĂŞme mon chouchou, Star Wars, n’y Ă©chappe pas : j’ai dit Ă  plusieurs reprises que les livres de la gamme pourraient facilement ĂŞtre dĂ©graissĂ©s d’un tiers de leur contenu tant les redites y abondent… et pourtant, ils sont excellents, techniquement ! Simplement : qu’on abatte sommairement les gens qui Ă©crivent les “nouvelles d’atmosphère”, car elles sont tout simplement mĂ©diocres et inutiles).

Les profils de PNJ et de crĂ©atures du bouquin sont variĂ©s, avec beaucoup d’originalitĂ©s (ce sont eux qui m’ont poussĂ© Ă  faire des animaux-zombies). Les accroches proposĂ©es sont certes vues et revues, mais le bouquin les prĂ©sente de façon synthĂ©tique : en une ou deux phrases, vous avez une idĂ©e de mini-scĂ©nario. Et si vous savez un tant soit peu improviser, vous n’avez pas besoin de grand-chose. Exemple : dans le dĂ©cor “l’autoroute”, une des idĂ©es est : “les personnages tombent sur un camping-car plein de provisions, et apparemment abandonnĂ©”. Vous le voyez, le mot “apparemment” ? J’ai besoin de vous faire un dessin ? Et Ă  partir de cette accroche, ce n’est pas bien compliquĂ© de dĂ©velopper une scène complète : une attaque de zombies bien cachĂ©s, un survivant planquĂ©, etc.

Alors oui, on utilise de grosses ficelles. Evidemment. Mais selon mon expĂ©rience, peu importe que vous utilisez des astuces Ă©videntes. Peu importe qu’on voie un peu vos mains derrière les marionnettes. Dès que vous donnez aux joueurs l’occasion de briller, ça fonctionne.

Du coup, La Fin du Monde – Apocalypse zombie vous en donne pour votre argent. Que du concret. Rarement manuel de JDR aura consacrĂ© autant de pages aux idĂ©es de scĂ©narios. Certes, ce sont des scĂ©narios Ă©lĂ©mentaires, mais je suis persuadĂ© que quand on veut jouer une Apocalypse zombie, ce sont ceux qu’on a envie de jouer. Et par consĂ©quent, Ă  40 euros, je dirais qu’on en a pour son argent. Le seul souci, c’est qu’il va falloir repasser Ă  la caisse pour les bouquins suivants, et que comme dans la gamme Star Wars, on vous revend le système de jeu (qui ne change pas d’un poil) en mĂŞme temps que le background. A vous de voir si ça en vaut la peine. Dans la mesure oĂą je ne paie pas ces bouquins (Ă  part Ă  la sueur de mon front, car donner des coups de fouet aux traducteurs, ça fatigue), je ne peux pas ĂŞtre complètement objectif. Une chose est sĂ»re : je n’aurais pas hĂ©sitĂ© Ă  acheter La Fin du Monde après l’avoir feuilletĂ©, tant le format me plaĂ®t. Je ne peux le rapprocher que d’un autre excellent jeu, Barbarians of Lemuria, tout aussi condensĂ©, simple et brillant (si vous ĂŞtes fan de Conan et si vous cherchez un bon système clefs en main pour 30 euros, avec lequel vous pourrez jouer demain soir parce qu’il est lu en quelques heures, allez l’acheter, c’est un must… et les illus sont Ă  tomber).

Tout ça pour dire qu’il s’agit lĂ  d’un bel et bon jeu, qui est sans doute passĂ© sous les radars de beaucoup de rĂ´listes par manque de personnalitĂ©. Et c’est sur cet aspect que je vais concluter. Mon problème, avec beaucoup de JDR, c’est qu’ils ont une personnalitĂ© Ă©crasante. Leurs univers, certes très beaux, sont tellement dĂ©taillĂ©s et prĂ©cis qu’ils ferment plus de portes aux joueurs qu’ils n’en ouvrent. La Fin du Monde n’a pour ainsi dire pas de personnalitĂ©. C’est un jeu de survie gĂ©nĂ©rique non pas dans ses règles, mais dans son concept mĂŞme : en fait, c’est LE jeu de survie dans une apocalypse zombie. Sa personnalitĂ© se limite très prĂ©cisĂ©ment Ă  cela.

Du coup, c’est de ce que vous y apporterez, en terme de contenu, que naĂ®tra le plaisir de jeu. Et pour moi, il s’agit d’une des dĂ©finitions de ce qu’est le jeu de rĂ´le en gĂ©nĂ©ral.

 

Ajouture

Une fois n’est pas coutume, je laisse la parole Ă  quelqu’un d’autre, pour Ă©voquer un aspect que je n’ai pas pu tester concernant le jeu : la possibilitĂ© de se jouer soi-mĂŞme. Du reste, il ne s’agit pas tant d’une possibilitĂ© que du postulat de base du jeu. Je vous livre les impressions de StĂ©phane Fauvet, qui a eu la gentillesse de partager cette expĂ©rience ! Un grand merci Ă  toi, StĂ©phane ! 

Notre MJ de La Fin du Monde : Apocalypse Zombie, un vieux briscard du jeu de rôle habitué à l’improvisation, nous a laissé trois possibilités : nous jouer nous-mêmes, nous jouer nous-mêmes mais en version améliorée par rapport à la réalité ou jouer des persos totalement imaginaires. Étant tous des vieux de la vieille, habitués à jouer des héros, nous avons choisi à l’unanimité de nous jouer nous-mêmes, tels que nous sommes, « pour voir comment ça se passerait réellement si ça arrivait… ».

La création des persos a été rapide. Nous nous sommes auto-estimés (« Je me mets 3 en Dextérité mais 2 en Logique » etc.) et nous nous sommes attribués des atouts et handicaps. Il faut évidemment pour cela faire preuve d’un peu d’objectivité et de bonne foi. Le tout a ensuite été validé par les autres joueurs (nous jouons ensemble depuis longtemps et nous nous connaissons tous assez bien) et la partie a pu commencer rapidement dans la foulée.

Le scénario a démarré tel que nous étions dans la réalité : en train de faire une partie de jeu de rôle, à mon domicile, tous ensemble (4 joueurs + le MJ). Sauf que, là, c’était moi qui masterisais  (Earthdawn) et que notre MJ était joueur.

Alors que nous étions en pleine partie (d’Earthdawn, il faut suivre), l’apocalypse zombie a commencé. L’un de nous a entendu un énorme bruit sourd provenant de la rue. Le joueur s’est levé (irl) et s’est dirigé vers la fenêtre. Lorsque le MJ lui a décrit le type ensanglanté chancelant qu’il distinguait dans la rue, le joueur a naturellement rétorqué « He, les gars, regardez le type en bas ! Il se croit à la zombie walk ? »

Quand on a vu que d’autres zombies commençaient à s’amasser dans la rue, et quand un voisin s’est faire mordre à son tour, on a vite compris. Instinctivement, on a joué comme si la situation était réelle, sans nous soucier de notre rôle. Et c’est là l’un des plaisirs de se jouer soi-même : on n’a pas à se demander comment réagirait notre perso, on parle et on agit plus naturellement. Nous avons cherché de quoi nous défendre dans l’appartement (« L’arbre à chat, ça peut faire une bonne massue ! », « Eh, j’ai le livre « Guide de survie en territoire zombie » de Max Brooks, ça peut servir ! »). C’est vrai que l’arbre à chat, je n’y aurais pas pensé s’il n’avait pas été à côté de moi irl, de même que le livre si on n’avait pas regardé dans la bibliothèque… Et comme nous l’avions réellement en main, le MJ nous l’a accordé dans le jeu !

Puis nous avons essayé de sortir de l’appartement et avons naturellement pensé à aller faire le plein de bouffe au supermarché d’à côté. Là encore, nul besoin de plan, nous nous représentions très facilement la sortie de l’immeuble, le quartier, le supermarché, ce qui améliorait encore l’immersion. Précisons au passage que je me suis fait griffer par le chat de  la voisine, devenu lui aussi zombie…

Je ne raconterai pas en détail la suite du scénar (prise en charge par l’armée, évacuation…) mais j’ai beaucoup apprécié de me jouer moi-même, qui plus est dans un environnement familier. Comme je l’ai dit, l’immersion n’en est que plus aisée, à tel point que je pense qu’on a tendance à réagir comme on réagirait réellement si la situation se présentait. Et puis ça fait froid dans le dos d’imaginer que tout cela pourrait réellement arriver et de voir comment les choses se dérouleraient… On a l’habitude de jouer des héros. Même dans des jeux non héroïques comme l’Appel de Cthulhu, je ne suis pas sûr que je ferais tout ce que font mes persos pour sauver le monde. Alors plutôt que de – encore – jouer un héros face, cette fois, à une apocalypse zombie, j’ai voulu voir ce qui m’arriverait si la situation m’arrivait à moi et à mes proches. Et j’ai adoré bien que, encore une fois, ça fasse aussi froid dans le dos puisqu’on n’a pas la distanciation Joueur-PJ habituelle dans les jeux de rôle.

Dernier détail, notre MJ a également fait jouer le début de l’apocalypse zombie à un autre groupe de joueurs, dans les mêmes conditions. Il y a eu un mort chez eux (aucun chez nous pour l’instant, mais je rappelle que j’ai été griffé par le chat-zombie de ma voisine…). Notre MJ continuera la campagne sur les deux tables et lorsqu’il y aura eu suffisamment de morts, il réunira les survivants en une seule table. Vivement la suite donc, en espérant survire le plus longtemps possible…

Enfin, j’aimerais bien aussi tester les autres jeux Fin du Monde, dans les mêmes conditions, toujours « pour voir combien de temps on survivra si ça devait arriver… »