Si vous êtes rôliste, vous avez déjà été confronté.e aux problèmes que pose la création de personnage. Et si vous avez de la bouteille, si vous êtes un vieux machin blasé qui a joué des tas de campagnes avec de nombreux camarades d’aventure, vous savez également qu’il est parfois difficile de créer un groupe dynamique.

Le problème, c’est que lors des premières parties de JDR, il suffit de dire “vous êtes un groupe d’aventuriers” pour que tout le monde se fasse sa petite idée de la façon dont le groupe fonctionne, mais qu’au fil du temps, ces idées individuelles divergent : certains joueurs voient plutôt leur groupe comme les investigateurs de Scooby-Doo (on est tous amis, c’est la fête, mangeons des sandwiches), d’autres comme les frères Winchester (tu es mon frère, je t’aime au point de te sacrifier ma vie, mais on va s’engueuler comme du poisson pourri jusqu’à la fin de l’épisode), et d’autres encore comme des personnages du Trône de Fer (nous allons nous trahir, nous entretuer, nous faire tendrement l’amour entre les fesses – (c) Nioutaik.org – jusqu’à ce que tout le monde ait un peu oublié l’intrigue principale).

Un peu de concertation permet généralement d’arrondir les angles, et de permettre à chacun de mieux entrevoir le rôle qu’il va jouer, non seulement dans la campagne, mais au sein des personnages joueurs. Car à moins de jouer avec un maître et un joueur (c’est possible, naturellement), il convient de gérer les interactions entre personnages joueurs.

Je ne vais pas vous faire un topo sur la gestion des conflits entre PJ (ou entre joueurs), ce n’est pas le but. Je vais plutôt vous donner une astuce toute bête pour faire monter un peu la mayonnaise en définissant des rapports au sein du groupe. Vous la connaissez peut-être déjà, sous cette forme ou sous une autre, mais j’appellerais ça la méthode FMK.

Fuck, Marry, Kill

Il existe un petit jeu manifestement en vogue chez les zanglosaquesons, et qui consiste à prendre trois personnalités, puis à les classer selon un système rigolo : Fuck, Marry, Kill. Il s’agit de dire avec laquelle on coucherait (Fuck), laquelle on épouserait (Marry) et laquelle on tuerait sans trop de remords (Kill). N’essayez pas de faire ça avec des personnalités politiques si vous ne voulez pas faire de cauchemars, vous êtes prévenus.

En gros, ça consiste à établir un rapport fantasmé avec ces personnalités. Dire : “et si…”

Bref, c’est du jeu de rôle.

Eh bien, il est possible de définir une dynamique de base au sein d’un groupe de quatre PJ avec cette méthode. Il suffit de dire à chaque joueur : “allez, tu nous fais un petit Fuck, Marry, Kill avec les trois autres perso.”

Naturellement, la méthode ne fonctionne qu’à quatre, et elle risque d’introduire des tensions au sein du groupe (surtout entre les gens qui ont envie de se trucider, mais pour les autres rapports, ça peut être problématique aussi…).

Un peu de nuances (mais pas de gris)

Bien sûr, il s’agit simplement de la base de la méthode FMK. Déjà parce que vous n’avez peut-être pas forcément envie d’aborder des thèmes adultes dans le JDR. Ensuite parce qu’introduire des inimitiés profondes (au point de susciter des envies de meurtre) va probablement déséquilibrer le groupe, ce qui n’est pas souhaitable.

Les hacks du jeu Apocalypse World se servent régulièrement du système de relations entre les personnages, en établissant par exemple une intensité de relation entre perso (on attribue des valeurs chiffrées à une relation entre son propre PJ et chacun des autres), ou en définissant ces relations de façon élémentaire (“désigne un perso que tu méprises, un autre que tu aimes, et un autre auquel tu voudrais ressembler”). Ces systèmes de règles exploitent même les relations entre perso, en les faisant intervenir sous forme de bonus/malus dans certaines situations.

Vous pouvez introduire ce système dans votre campagne en affectant des valeurs de relations entre les personnages : c’est un début. Vous pouvez également définir les relations comme indiqué ci-dessus. Et si vous voulez y accorder un peu de temps, il existe une autre méthode très ludique pour les joueurs.

Les relations en questions

Non, c’est pas une faute de grammaire. La méthode ludique que j’évoque consiste à établir les relations entre joueurs à l’aide de questions. Elle nécessite un minimum de préparation de la part du MJ, mais elle donne toujours une certaine dynamique à la partie. Elle présente toutefois un inconvénient : elle va forcément faire sortir un peu les joueurs de leur zone de confort. Il ne s’agit donc pas d’être rigide et de l’appliquer à la lettre, mais plutôt d’en comprendre le sens et le fonctionnement.

Lors de la création de personnages et de groupe, le MJ fournit à chaque joueur un nombre de questions correspondant au nombre d’autres joueurs dans la partie (3 questions dans une partie à 4, 4 dans une partie à 5, etc.). Ces questions sont formulées comme suit :

– Tu as volé quelque chose à un autre personnage et il l’ignore. De quoi s’agit-il ?

– Tu éprouves des sentiments cachés pour un autre personnage. Quels sont-ils ?

– Un autre personnage t’a sauvé la vie sans le savoir. Comment ?

– Tu as maudit un autre personnage. Pourquoi ? (c) Jérôme Larré.

Les questions à poser sont simples : elles établissent un lien entre deux personnages et elles donnent une piste narrative au MJ (l’objet volé pourra revêtir une importance particulière, le sentiment caché peut être aussi bien de l’amour que de la crainte ou du respect, le sauvetage évoqué permet de définir un péril qui resurgira peut-être lors de la campagne, la malédiction peut enrichir le personnage qui en est victime).

En écrivant ces questions, j’ai naturellement privilégié le secret pour introduire des “mystères” dans la création de perso, mais ce n’est pas obligatoire. L’essentiel consiste à donner à chaque joueur la possibilité de définir les relations de son personnage avec chaque autre PJ sous forme de question : on fournit donc une accroche aux joueurs qui manquent un peu d’imagination, tout en leur donnant un objectif amusant (trouver la réponse la plus originale/incongrue/satisfaisante aux questions, et répartir lesdites questions entre les personnages).

Je rappelle l’inconvénient de la méthode : certaines questions peuvent faire sortir certains joueurs de leur zone de confort, et il faut donc procéder avec subtilité. Evitez peut-être “tu as couché avec un autre PJ, pourquoi ?” si les thèmes adultes ne font pas partie de votre campagne. Ou “tu as tué les parents d’un autre PJ à son insu” si vous voulez éviter les conflits.

Un dernier conseil : il ne s’agit pas de définir des “mystères” pour chaque joueur, des choses que chacun peut cacher aux autres. Pour cette raison, je conseille à chacun de répondre aux questions en public, afin que chacun connaisse le fond de l’histoire. Il faut bien séparer ce que savent les personnages de ce que savent les joueurs.

Un exemple concret : “Tu as volé un objet précieux à un autre personnage. Pourquoi ?”

Imaginons que le joueur A déclare : “J’ai volé au personnage de B le médaillon qui contenait le portrait de sa défunte mère.” Le joueur B sait que son personnage a perdu l’objet : il va pouvoir jouer sa tristesse inconsolable, et ses tentatives pour le retrouver. Mais attention, ce n’est pas l’identité du personnage privé de son bien qui répond à la question, mais la raison du vol. Le joueur A peut ajouter : “Je connais cette femme, c’est elle qui m’a tout enseigné. D’ailleurs, elle l’a fait à une date ultérieure à celle de sa mort présumée. Je chéris sa mémoire, car elle était également une mère pour moi, et j’ai hâte de la retrouver puisque nous avions convenu de nous revoir à la ville de X d’ici deux lunes.” Et hop, intrigue, enrichissement de l’histoire, etc. C’est très bien que B soit désormais au courant que son personnage croit à tort être orphelin, car il va pouvoir s’orienter dans cette direction.

Pas la peine d’en dire beaucoup plus : tentez la méthode. En bonus, quelques questions rigolotes. Je vous suggère, si vous vous sentez pleins d’imagination, de poster vos propres idées de questions dans les commentaires !

Tu as déjà été agressé par le sosie d’un personnage. Que t’a-t-il dérobé ?

Tu as énormément de mal à supporter une manie d’un personnage, mais tu n’oses jamais lui dire. De quoi s’agit-il ?

Tu aimerais ressembler à un personnage, à cause d’une qualité qui t’impressionne. Laquelle ?

Tu rivalises secrètement avec un autre personnage. En quoi et pourquoi ?

Tu as fait une très mauvaise réputation à un personnage en racontant un mensonge à son sujet. Lequel ?

Tu prends un personnage pour quelqu’un d’autre, et tu crois dur comme fer qu’ils ne font qu’un. Avec qui le confonds-tu ?