Des fois, les titres “jeux de mot”, c’est un win, et des fois c’est celui-là.

Bref, j’ai terminé le visionnage de la série Andor, sortie l’année dernière (et dont la prochaine saison devrait arriver en août 2024, mais après les bouleversements récents, on ne peut jurer de rien).

J’avais regardé le début quand elle était sortie, et je n’avais pas poussé jusqu’au bout même si je lui trouvais déjà d’énormes qualités :

  • une intrigue qui se concentre sur des personnages inédits à 100% (exception faite de Mon Mothma, mais vu le peu que l’on découvre d’elle ailleurs, on peut considérer que c’est ici que son personnage se dévoile pour la première fois ; et évidemment de Cassian Andor, un des protagonistes principaux de Rogue One ; d’autres interviennent par la suite) ;
  • pas d’utilisation de Volume, et donc pas de plan complètement artificiel (même si les scènes de rue me semblent encore un poil… artificielles, justement : difficile de les voir autrement que comme des décors) ;
  • une écriture maîtrisée, qui met l’accent sur le phénomène de résistance à l’Empire, tout en soulignant l’aspect malsain de ce dernier.

Je m’étais arrêté à l’épisode intitulé “La hache oublie” (une réplique formidable, prononcée par un personnage creusé, et dont on se souvient ensuite). J’imaginais que l’intrigue consisterait ensuite à suivre l’opération menée par Andor et ses complices contre l’Empire : les précédentes séries Star Wars m’avaient habitué à une intrigue étalée sur une saison, parfois à outrance (Kenobi et Boba Fett, oui, c’est de vous deux que je parle). Je n’avais plus de temps à consacrer à la série, mais je m’étais bien promis de la terminer quand j’en aurais l’occasion.

Récemment réconcilié avec les séries Star Wars grâce à Ahsoka, j’ai finalement pu regarder les six épisodes qui me manquaient. Ce sont les meilleurs, avec notamment un arc narratif carcéral que je ne peux qualifier que de magistral : tout le fonctionnement de l’Empire tient dans ces deux épisodes (ou trois ?) menés notamment par un Andy Serkis impeccable, parfaitement réalisés et conduisant à une conclusion extraordinaire.

J’ai adoré, et je me suis ensuite demandé pourquoi ça me plaisait tant.

Parce que je vais vous dire : Andor, ce n’est pas le Star Wars que j’aime. Mais alors pas du tout. Je trouve de belles qualités à Rogue One, dont il émane presque directement, mais c’est loin d’être mon film préféré dans cet univers : comme La Menace Fantôme (la comparaison fera sans doute grincer des dents mais je m’y tiens), j’aime en revoir des passages particuliers, mais j’ai du mal à mater le film entier d’un seul coup… Il y a dans les deux énormément de choses intéressantes par elles-mêmes, mais le mélange ne m’a jamais paru harmonieux ni réellement pertinent : tous ces aspects, une fois développés et examinés de près, sont fascinants (par exemple dans le roman Soulèvement rebelle, que j’ai traduit), mais on a l’impression qu’ils sont brassés au petit bonheur la chance et n’entrent jamais vraiment en synergie comme pouvaient le faire tous les éléments déconcertants (pour l’époque) du premier Star Wars.

Ce qui est amusant, c’est que ces deux films ont redéfini pas mal de choses et ont beaucoup apporté à la mythologie Star Wars, alors que ce qui leur manque à mes yeux, c’est justement l’aspect mythique. Expliquer la Force par la présence de midichloriens anéantit tout le mysticisme des Jedi, et éplucher la chronologie de l’obtention des plans de l’Etoile de la Mort (puisqu’il faut l’appeler ainsi désormais) n’était pas particulièrement nécessaire, si ce n’est pour rendre hommage à des personnages de l’ombre comme le commando dont Jyn Erso fait partie. Manque de bol, le film échoue (selon moi) à donner de l’épaisseur à ces personnages. C’est d’ailleurs dans ce domaine que la série Andor réussit beaucoup mieux.

On pourrait arguer du fait que sa durée (12 épisodes dont la durée varie d’une trentaine à une quarantaine de minutes si l’on retire le générique et les récaps) s’y prête davantage, et ce n’est sans doute pas faux. Des personnages comme Mon Mothma ou Vel nécessitent effectivement du temps pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Et c’est encore plus vrai pour Cassian Andor lui-même, personnage souvent quasi mutique, presque antipathique en début de série, et qui joue les antihéros d’un bout à l’autre. N’empêche, il est parfaitement campé par Diego Luna, et c’est par son regard de survivant forcené qu’on découvre tous les autres. Il semble parfois être le seul individu lucide au milieu de cette galerie de personnages que la situation rend fous d’une manière ou d’une autre, qu’il s’agisse de partir en roue libre porté par l’ambition, de se sacrifier entièrement pour une cause manifestement vouée à l’échec ou au contraire de la trahir par opportunisme ou par désespoir.

Et quel casting !

Chaque personnage est indispensable au déroulement du récit, mais aussi à l’une des thématiques de la série : la présentation des exactions de l’Empire, de son fonctionnement interne et de la façon pernicieuse dont il attire des individus persuadés d’être mus par une profonde fibre morale, au point de ne plus arriver à percevoir le caractère inhumain de leurs mobiles réels. De ce côté là, c’est impeccable de bout en bout.

La série brille aussi par son utilisation de l’univers Star Wars. Plutôt que de chercher à exploiter des motifs déjà présents dans d’autres récits de cet univers et à les expliciter (je pense à Kenobi qui semble n’avoir pour seul but que d’expliquer ce que dit le vieux Ben à Luke en lui affirmant que son père a été tué par Vador), elle saupoudre l’intrigue de quelques éléments connus (y compris dans son ultime scène post-générique) sans jouer la carte du fan-service à fond, et lorsqu’elle déploie des pans inédits de cet univers (la jeunesse d’Andor, ou un détail glaçant comme la méthode de torture de l’Empire), c’est sans s’y attarder lourdement, sans en faire son unique propos. Tout n’est qu’un décor pour le drame humain qu’est Andor : il pourrait aussi bien exister dans un autre univers, même s’il ressort particulièrement bien sur le fond qu’est celui de Star Wars.

Les dialogues sont exceptionnels (a fortiori pour un Star Wars, dont cet aspect n’est pas souvent le point fort), et lorsqu’un personnage prononce un discours, on peut s’attendre à du très très lourd, ou à des répliques qu’on n’oubliera jamais (“Everything !”, “one way out”). Pas de clin d’oeil toutefois (ou très peu), pas de longue randonnée sur des chemins maintes fois parcourus, juste un récit qui dérive souvent davantage vers la hard SF que vers le space opéra.

Bref, une série absolument indispensable… même si on n’aime pas Star Wars.

Elle m’a permis d’arriver à deux conclusions rigolotes, que je partage ici avec vous.

Tout d’abord, l’univers Star Wars est arrivé à maturité. Non pas parce qu’on peut y développer des intrigues “adultes” (même si Andor est celle qui aborde les thèmes les plus mûrs possibles), mais parce qu’il existe en soi, en tant que décor, au même titre, par exemple, qu’une véritable période historique. Par conséquent, on peut aussi bien s’en servir pour des récits d’aventures épiques (Ahsoka) que pour du western galactique (Le Mandalorien) ou des vieilles daubasses moisies du fion (Boba Fett… sorry, mec, mais ta série est toute pourrie, vraiment). Cela dit, ça fait un moment que ça dure (cf. les séries animées Droids ou Ewoks), mais j’ai l’impression qu’on arrive au point où il y a, vraiment, un univers Star Wars qui se prête à presque toutes les intrigues, à condition d’en prendre un peu soin (c’est le cas d’Ahsoka et d’Andor).

Deuxièmement… pour qu’un tel univers perdure, il faut que les récits qui s’y déroulent cessent de s’auto-cannibaliser. A force de développer des intrigues qui se composent de suites de références, de réponses à des questions que se posaient les auteurs et autrices durant leur adolescence au sujet des films, et de caméos… eh bien tout ce qui pourrait être nouveau et inédit finit noyé dans le fan-service et dans l’autosatisfaction. Ahsoka m’a énormément plu, mais combien de temps une telle série peut-être demeurer viable en ne tournant qu’autour d’intrigues déjà posées auparavant ? On ne peut pas non plus raconter cent fois la naissance de la Rébellion, ou alors il faut s’intéresser à UN moment précis et en extraire une démonstration efficace (c’est ce que fait Andor), pas rassembler sans cesse les mêmes références périmées pour tenter de faire du neuf avec.

Andor pose la question : “pourquoi résister à l’Empire quand on est un citoyen lambda de la galaxie ?” et la série y répond complètement, en passant en revue tout ce qui en fait un gouvernement effroyable à tous égards, et sans pour autant se contenter de scènes de violence physique. Toute la violence d’Andor réside dans la tension qui ne cesse de croître d’un bout à l’autre de la série, et sans se servir de phénomènes d’échelle (“si on détruisait une planète entière pour bien montrer que c’est des salauds ?”). J’y reviens encore, mais la méthode de torture employée dans la série est tout simplement incroyable : elle dit tout ce qu’il y a à dire de l’Empire, et ce, sans jamais rien montrer (et fuck le “show don’t tell” : la série procède aussi par ellipses, ce qui n’est pas le moindre de ses atouts).

Bref, voilà ce qui me passe par la tête quatre heures après avoir vu le dernier épisode, au terme duquel on a envie d’immédiatement prendre les armes contre l’Empire. Pour terminer, Andor fait dans la critique sociale (et rejoint en cela les tendances anti-autoritaires de Lucas dans Star Wars) et expose, au travers de deux discours, la nécessité de s’opposer à la tyrannie le plus tôt possible. La série ne se prive pas de recourir au thème du terrorisme, notamment en passant par le personnage de Saw Gerrera (qui brille ici, contrairement à son passage peu inspiré dans Rogue One, et manifeste toute sa folie). Tous ces thèmes se combinent avec brio dans les deux derniers épisodes, qui terminent un récit plein d’amertume mais où perce l’espoir. Et je ne vous cache pas que j’ai été particulièrement ému lors de ces deux épisodes, davantage que je ne l’ai jamais été dans aucun Star Wars.

Je ne vais pas attendre la saison 2 avec impatience : je sais quel risque on court si les décideurs se penchent un peu plus sur la série et décident d’en faire leur chose. D’après ce que l’on ma dit, Andor a été développée sans trop d’interventions de leur part, parce qu’ils n’y croyaient pas du tout. Je crains donc que la suite de la série ne souffre de cet auto-cannibalisme qui gâte une bonne partie des productions Star Wars, y compris les meilleures (les incessants caméo dans Le Mandalorien par exemple). En attendant, on a eu Andor, et ce petit bijou se suffit à lui seul. Et si la suite est du même tonneau, eh bien tant mieux !