De Robert Sullivan

On ne peut pas lire que des romans et des p’tits Mickeys… Ce livre est le récit des observations de Robert Sullivan sur les rats de New-York. Si je m’y suis intéressé, c’est grâce à l’éloge qu’en faisaient les auteurs de « La Lignée », que j’avais lu récemment. Le bouquin est un best-seller, et on comprend pourquoi : il s’attaque à un sujet peu ragoûtant, mais qui concerne une bonne partie de la population New-Yorkaise, voire de la population urbaine des États-Unis.

Pour autant, je dois bien avouer qu’il m’a un peu déçu. L’auteur présente avec beaucoup de sincérité sa démarche : il éprouve à l’égard des rats sauvages une fascination mêlée de répulsion (alors qu’il insiste énormément sur le peu d’intérêt qu’il témoigne à leurs congénères domestiques), et cette relation d’attirance/répulsion colore l’ensemble de l’ouvrage. Sullivan narre donc les longues nuits passées à guetter les bestioles en question, et une partie de ses entretiens avec nombre de professionnels de la dératisation. Il dresse plusieurs portraits de personnages hauts en couleurs, et après s’être intéressé à l’écologie du rat, narre plusieurs événements liés à sa présence dans la ville, mais aussi l’ensemble du pays. Il évoque naturellement la peste, appuyé par divers avis d’experts, et les chapitres qui y sont consacrés donnent envie de se pencher sur l’histoire de cette maladie (ce qui me donne furieusement envie de me pencher sur certain roman de la collection Trash, et sur le Journal de l’année de la peste de Daniel Defoe). Nombre de chapitres mettent en corrélation l’occupation humaine et les infestations de rats, et on en retire énormément d’informations utiles (et de quoi inventer de bien sinistres scénarios dans un jeu de rôle, par exemple…).

Mais malgré cette authenticité, l’auteur se perd souvent dans des digressions qui n’ont parfois plus le moindre rapport avec son sujet. L’un des derniers chapitres, consacré à la lutte entre les marins anglais et les Liberty Boys avant la guerre d’Indépendance, n’a quasiment plus rien à voir avec les rats, hormis le rapport complètement artificiel que Sullivan établit entre le « roi des rats » (une figure symbolique, qu’il associe à un énorme rat aperçu à de nombreuses reprises et qu’il a fini par identifier) et un personnage historique influent de l’époque. Les glissements de ce genre sont nombreux, alors que dans de nombreuses situations, on a l’impression que le sujet est à peine effleuré, et que Sullivan n’a pas voulu aller au fond des choses, parfois par crainte de son sujet, tout simplement. Fasciné par l’immense trou dont émergent les rongeurs, il ne s’en approchera d’ailleurs qu’au bout de très longtemps (ce que je peux comprendre vu la description qu’il fait des rats, énormes) : l’ensemble du bouquin donne la même impression, celle de tourner autour du pot sans vraiment approfondir.

Je n’éprouve pas une passion immodérée pour les rats, tant s’en faut, mais l’ensemble de ce livre les pose systématiquement en concurrents et parasites de l’être humain. Leur aspect sauvage n’est abordé que sous l’angle du danger : ces animaux sont « différents des rats domestiques » (aussi différents dans leur culture que les Américains le sont des Européens, c’est l’auteur qui le dit !), des créatures dangereuses et répugnantes. D’ailleurs, à aucun moment Sullivan ne passera ce cap du dégoût pour s’intéresser aux bestioles de façon un peu plus « positive ». On éprouve le sentiment que ce recueil de gros articles a fait office pour lui de catharsis, à la fois pour sa peur des rats, et aussi pour un sentiment de terreur plus profond, évoqué (naturellement) lors des chapitres où plane l’ombre des attentats du 11 septembre.

S’ajoute à cela un style vraiment décousu, pour ne pas dire bordélique, et l’absence d’esprit de synthèse… Lorsqu’on assiste à l’entretien de Sullivan avec un dératiseur, il faut se fader la discussion de celui-ci avec une cliente au téléphone, discussion qui ne présente strictement aucun intérêt (« oui madame machin, on arrive… »). Quant aux anecdotes, elles tombent assez souvent à plat et sont curieusement amenées (rencontre de personnages qui ont un vague rapport avec les figures historiques que Sullivan raccroche parfois tant bien que mal à son propos…).

Les auteurs de La Lignée m’ont bien eu, les salopards ! À vrai dire, on peut sans trop s’avancer affirmer qu’ils ne se sont servis que des infos mentionnées dans les deux premiers chapitres de l’ouvrage (données qu’ils ont judicieusement exploitées dans leur récit). Il y a beaucoup d’infos pertinentes dans « Rats – Une autre histoire de New York », mais il faut aller les chercher, et dans certains passages, eh bien… Honnêtement, je me suis un petit peu fait chier, et j’attendais quelque chose de plus solide, de plus construit, qui ne ressemble pas à un carnet de notes balancées à l’arrache. Ca n’empêche, certains passages restent passionnants, et il n’existe pas tant d’ouvrages sur le sujet. Par ailleurs, celui-ci est suffisamment mal exploité dans la fiction pour que cette lecture ouvre des perspectives intéressantes à ceux qui veulent utiliser les rats d’une façon un peu originale.

À lire si…

– Vous aimez bien les bestioles un peu glauques… et même si vous avez un peu peur des rats (parce que c’est le cas de l’auteur et que ça pourrait bien vous rassurer…).

– Vous vous passionnez pour les histoires de vermines, de nuisibles et de parasites.

– Vous aimez voir l’histoire par le petit bout de la lorgnette.

À éviter si…

– Vous détestez l’histoire américaine.

– Vous aimez les livres de référence cohérents et bien structurés.

– Vous n’en avez strictement rien à cirer des rats (en même temps, vu le titre…)