J’ai peu lu et peu écrit récemment, incapable de gérer un emploi du temps qui craquait aux entournures. Trop de projets simultanés, trop d’imprévus et pas assez de temps. Ni d’énergie, à force. Deux semaines de « vacances » ne suffisent pas à refaire le plein et à affronter tant de choses à la fois. Les bonnes résolutions du début de l’année n’ont pas supporté l’assaut du quotidien et de ses innombrables contrariétés. L’heure que je consacrais quotidiennement à la lecture, rongée par trop d’impondérables, s’est réduite en peau de chagrin jusqu’à disparaître.
Dans ces périodes de lassitude et de trop-plein d’activité, j’ai tendance à me replier sur des distractions plus faciles, plus immédiates, les jeux vidéo et les séries télé, par exemple. Mais je remets peu à peu en question ces passe-temps. Les jeux vidéo me procurent de moins en moins de plaisir, ou plus précisément, ce plaisir s’émousse trop rapidement, au point que je les finis désormais rarement. Même de petits chefs d’œuvre comme Ni No Kuni me paraissent vains, dans la mesure où il faut passer tant de temps à effectuer des tâches répétitives. Le jeu devient une corvée dont la progression de l’histoire est la seule récompense, et je considère la majorité des récits vidéoludiques comme extrêmement pauvres. J’ai tenté Persona 4 Golden, mais le ratio liberté/corvées s’émousse au fil de l’aventure et ce qui devait être un loisir devient un simple passe-temps : les heures s’écoulent ponctuées de rares satisfactions, d’originalités scénaristiques qui ne peuvent passer pour des audaces que dans un média très en retard en matière de contenu mûr. Les implications psychanalytiques du récit, si intéressantes soient-elles, ne surviennent qu’après d’interminables longueurs. L’immédiateté du récit écrit ou filmé me manque rapidement, et je décroche très vite.
J’ai l’impression d’avoir définitivement passé le cap du RPG japonais traditionnel. Ni no Kuni, de son côté, a beau m’enchanter (les graphismes et la musique sont splendides), le levelling nécessaire pour franchir certains caps obligatoires me rebute. J’ai passé deux heures à essayer de battre ce fichu génie de la marmite en étant de niveau 19, et ensuite, vaincu à de nombreuses reprises, j’ai constaté sur internet qu’il était « conseillé de ne pas l’affronter avant d’être de niveau 23 au moins ». Après trois heures à grimper en niveau, j’ai tenté le coup au niveau 21 et c’est passé, mais tout juste. Trois heures à affronter des monstres lambda, à simplement thésauriser l’expérience pour simplement faire avancer le scénario, c’est beaucoup trop.
Quant aux séries télé, elles représentent aussi un investissement en temps considérable. Je suis ravi d’avoir découvert Broadchurch et Forbrydelsen, deux exemples de narration hors du commun et de renouveau du policier, mais tant d’autres me déçoivent rapidement… Le premier épisode de la 4e saison de Suits (une série que j’adore) m’a paru simplement lamentable, dépourvu d’enjeux réels. On ne retrouve aucun personnage, toutes les anciennes dynamiques sont résolues ou gommées, et aucune nouvelle n’apparaît (le fadasse nouveau personnage est une vraie purge, lisse et complètement invisible). Pour sortir une phrase passe-partout : j’ai eu l’impression qu’il ne s’y « passait rien », d’autant que l’intrigue était peu claire et mon personnage préféré, Louis Litt, réduit à une simple caricature. Je tenterai la suite, mais sans conviction. Suits may be jumping the shark right now…
Du coup, repli sur le loisir que je considère comme le plus riche, la lecture. Et après ce gros passage à plat, redécouvrir la librairie du Cyprès à Nevers a été un vrai coup de foudre. Les libraires ont opté pour une technique géniale (que l’on pratique peut-être ailleurs, je l’ignore) : ils/elles posent sur les livres mis en valeur des post-it où elles ont écrit une brève critique de leurs coups de cœur. Les papiers colorés attirent immédiatement l’attention et donnent une idée personnalisée des bouquins, même si on passe en coup de vent ou si on ne désire pas pour autant engager la conversation.
J’ai donc fait provision de bouquins que j’espère avoir le temps de lire. Voici en bref ceux que j’ai quand même lus ces derniers mois.
Doctor Sleep de Stephen King : la « suite » de Shining s’en démarque complètement. À l’environnement claustrophobe du célèbre hôtel, King préfère ici un récit plein de déplacements, de voyages, mettant en scène beaucoup de personnages bien pensés, dont une clique de « vampires psychiques » effrayants. Un excellent King, que j’ai fini d’une traite.
L’art des séries télé (ou comment surpasser les Américains) de Vincent Colonna : une étude de la structure des séries télé en général, et une comparaison entre les piètres séries françaises et les énormes séries-blockbusters américaines. L’auteur a choisi son camp, mais ça tombe bien, c’est le même que le mien. Défaut du bouquin : des digressions sur le récit qui s’éloignent énormément du sujet (même si elles prouvent l’immense culture de l’auteur et le sérieux de sa recherche) et oublient pendant des dizaines de pages de se référer au matériau de base, la série télé. Mais quand il va à l’essentiel, Colonna dégage des idées intéressantes, surtout lorsqu’il se préoccupe de comparer les séries au cinéma. Par exemple, cette idée que la série est en réalité un média où le dialogue et le son prédominent, non l’image. En effet, au cinéma, l’immersion est totale, et l’image est censée tout raconter. On regarde les séries dans un contexte différent, où d’innombrables facteurs peuvent distraire de l’image : l’activité pratiquée (qui n’a pas fait la vaisselle ou cuisiné devant la télé), les stimuli inattendus (le téléphone qui sonne, les enfants qui font du bruit), etc. Le récit passe donc essentiellement par le dialogue et la répétition, ce que j’ai pu constater en m’assoupissant devant un épisode de Forbrydelsen : même les yeux fermés, on ne rate rien… Le bouquin contient toutes sortes de pistes très intéressants pour la narration, même en dehors du contexte des séries. Bref, un livre un peu ardu, mais qui devient formidablement intéressant chaque fois que l’auteur illustre son propos d’exemples tirés de séries.
Minitel & Fulguropoing de Davy Mourier : une heure pour lire ce petit bidule qui fonctionne sur la nostalgie des quadras et nous rappelle l’époque du rembobinage de cassettes, des tubes de l’été pourris et des dessins animés larmoyants. Ça se lit comme un magazine, ça s’oublie de la même façon. C’est un bon moment passé en Nostalgie, avec un guide marrant (Davy Mourier sait de quoi il parle et on passe un bon moment avec lui) mais sans génie. Je ne regrette pas pour autant, et le livre est paru en poche à 6 euros, on peut dire que j’en ai eu pour mon argent, ni plus ni moins.
Regarde les lumières mon amour d’Annie Ernaux : précisément le genre de titre qui me fait instantanément chier, mais heureusement, le bouquin est tombé de son présentoir pendant que j’en regardais un autre et j’ai lu la 4e de couv par hasard. Ce tout petit livre (70 pages) est le récit des passages de l’auteur dans un supermarché Auchan. Annie Ernaux décortique sans concession le microcosme du supermarché, qu’elle décrit comme la véritable place publique, réunissant toutes les classes et tous les milieux. Avec une sincérité touchante, elle relate les événements les plus anodins et examine les causes les plus profondes. « Voir pour écrire, c’est voir autrement », c’est ce que dit la 4e de couverture, et c’est exactement ça.
Les ch’tis hommes libres de Terry Pratchett : mes romans préférés du cycle du Disque Monde sont ceux consacrés aux sorcières. Après avoir usé jusqu’à la corde le trio Mémé Ciredutemps/Nounou Ogg et Magrat Goussedail, Pratchett crée un nouveau personnage, Tiphaine Patraque, jeune sorcière qui découvre le métier et fraternise avec les pires créatures « magiques » au monde : les Nac Mac Feegle, ces « pictsies » hauts comme trois pommes qui jurent comme des charretiers, passent leurs temps à boire et à se bagarrer, mais se montrent finalement d’une loyauté à toute épreuve. Un excellent Pratchett qui m’a souvent fait rire (rire vraiment, hein, pas sourire dans le genre « hu hu hu » en lisant : aucun autre auteur ne me fait cet effet). Quelques longueurs sur la fin (comme toujours chez Pratchett) et une intrigue qui a des airs de déjà-vu (la reine des fées rappelle évidemment les saloperies d’elfes de Nobliaux et Sorcières et la sœur de Mémé Ciredutemps), mais les Nac Mac Feegle rachètent tout à mes yeux.
La série de comics 52 : oui, la première, celle qui a déjà… sept ans, je crois. À l’époque, c’était vachement à la mode dans le milieu des comics, un truc transcendant et tout et tout. Je m’attendais à quelque chose de vraiment cool. Oui, c’est de la BD, c’est de la triche, mais hé, je fais ce que je veux ! Alors voilà : grosse déception. Certes, les histoires des personnages s’entrecroisent, il y a de beaux moments, des idées excellentes… mais putain ce que c’est long. Et à la fin, la montagne accouche d’une souris. Nombre de personnages nouveaux disparaissent, et on retourne plus ou moins au statu quo d’origine. Le personnage le plus intéressant du lot (parce qu’il trouve la rédemption par l’amour et l’innocence, alors que lui-même est un être brutal et sans compassion) se retrouve mis au ban de la société, et « émasculé » par ses homologues américains habituels (Black Adam est égyptien et règne sur un pays moyen-oriental fictif ; à la fin, on lui ôte ses pouvoirs et il devient un vagabond errant en quête du mot qui lui permettrait de les retrouver). Je ne conteste pas l’aspect doux-amer du récit, c’est un choix, mais il me semble bancal et franchement frustrant. Le côté grim’n’gritty assumé va souvent trop loin : au milieu de l’univers coloré de DC, cette succession d’étripages surprend, comme si le label Vertigo faisait irruption dans le monde superhéroïque, la subtilité en moins. Je n’ai jamais été fan des crossovers, mais là, on atteint la limite : ce casting multiple devient parfois incompréhensible, au point qu’aucun climax des intrigues n’a la résonnance voulue, car forcément noyé dans les autres sans réelle cohérence. Je suis sans doute passé à côté de quelque chose, mais j’avoue que si je ne me suis pas (trop) fait chier, je ne relirai pas ce 52, et je ne tenterai sans doute pas les autres séries semblables.
Bon, j’ai lu d’autres petits machins, mais ça fait déjà long, tout ça !
Dans le prochain article : une inspi inestimable pour les années 20 !
Je comprends parfaitement ton désintérêt progressif pour les jeux vidéo, que j’ai abandonnés depuis des années même si je suis toujours leur actualité (oui, je nourris encore l’espoir fou d’y jouer un jour prochain, même si en cinq ans j’ai dû accumuler tous compris 5 heures de jeu).
La lecture est un plaisir véritable, mais qui nécessite une énergie et un calme ambiant que je réunis rarement (deux à trois semaines par an). Raison pour laquelle je me suis rabattu sur les séries TV, une vraie activité de feignasse du canapé et du cerveau passif que j’assume parfaitement 😉
En fait je suis d’accord avec toi. C’est juste que devoir se replier sur les séries télé me frustre et me rouille un peu l’imagination, à force. Mais ça reste un plaisir bien supérieur à celui des jeux vidéo désormais, surtout quand on tombe sur une série qui nous interpelle, Alicia et moi (comme Broadchurch et Forbrydelsen, mais aussi, curieusement, The 100, dont on n’attendait absolument rien et qui nous a fait passer d’excellents moments).
Tiens, c’est marrant Sandy, mais du levelling dans Ni No Kuni j’en ai fait qu’une seule fois vers le niveau 15. J’ai trouvé que le reste s’enchaînait super naturellement. : )