Le roman Kenobi de John Jackson Miller (traduit par bibi) vient de sortir ce mois-ci dans toutes les bonnes crèmeries et j’en conçois une satisfaction qui frôle l’extase.

Si on m’avait dit dans les années 80 qu’une trentaine d’années plus tard je travaillerais sur l’adaptation d’un roman consacré à mon personnage préféré de ce qui s’appelait encore La Guerre des Étoiles, je serais sans doute tombé dans les pommes, émotif que j’étais. Je me rappelle des moments de grande émotion où, après avoir lu le roman tiré du film (j’ai en effet lu les novélisations des deux premiers films bien avant de les voir, et mon premier Star Wars au ciné était Le Retour du Jedi, vu au défunt Palace à Nevers), je m’asseyais en tailleur au milieu du jardin, les yeux fermés, concentré sur les remous de la Force, en essayant de localiser les poules qui se déplaçaient dans mon rayon de perception mystique (mon père n’élevant malheureusement aucun stormtrooper ou Tusken à l’époque, il fallait faire avec les moyens du bord). À mon grand regret, mes pouvoirs de la Force se révélèrent on ne peut plus limités, voire carrément décevants, ce qui ne m’empêcha pas de vivre immergé dans Star Wars toute ma jeunesse.

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Un solide effort d’imagination permet parfois de… Ouais, en fait, non.

Je vois que vous ne saisissez pas vraiment l’exploit que ça représente.

« Vivre immergé dans Star Wars », au fin fond de la Nièvre, dans les années 80, nécessitait un potentiel de dévotion qu’on ne retrouve plus guère aujourd’hui que chez quelques ascètes hindous. Déjà, pas d’internet, évidemment. Pas énormément d’argent non plus : j’ai vécu une enfance heureuse, mais nous ne roulions pas sur l’or, tant s’en faut, et chaque figurine, chaque paquet de vignettes Panini (nous échangions religieusement nos doubles avec mes amis Hélène et Héja, ce dernier ayant été tacitement sacré grand prêtre du culte de Star Wars en 1983, date de sortie du Retour) devenait une précieuse relique. Pour se procurer ces objets sacrés, il fallait parfois profiter de la munificence d’un parent qui effectuait quelque improbable pèlerinage à Nevers (30 kilomètres de distance de chez moi, et donc l’équivalent de Coruscant), voire à Paris (pensez « Bordure Extérieure »). De modestes autels à la gloire de la saga ne s’en dressaient pas moins çà et là, même à La Machine : si la Force pouvait pousser jusqu’à Tatooine, il lui suffisait d’un petit effort pour arriver jusque chez nous.

Star Wars est un des piliers solides de ma culture personnelle et j’y ai maintes fois puisé une formidable quantité d’énergie créative. J’ai décroché pendant un temps (après la prélogie), mais il a suffi d’un jeu de rôle hors du commun (Aux Confins de l’Empire) et d’une série d’excellents bouquins (les Making Of  de Rinzler, que je vous recommande chaudement) pour retrouver le droit chemin. J’ai eu l’immense joie de participer à la traduction du jeu de rôle en question, et une chose en entraînant une autre…

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Le fleuron de ma collection, le “grand” Boba Fett… Que je ne possède plus aujourd’hui, mais quel jouet incroyable !

… voilà que je traduis des articles dans l’excellent Star Wars Insider, et des romans Star Wars chez Pocket (et je remercie Farid Ben Salem, David Camus, Aurélien Vives et Stéphane Désa sans qui je n’en serais pas là)…

Le premier roman en question est le splendide Kenobi de John Jackson Miller, à qui l’on doit essentiellement des scénarios de comics, mais qui signe là un récit bien ficelé, prenant et surtout, compréhensible sans avoir à chiner sur wikipédia le nom des protagonistes.

L’accueil réservé à Kenobi sur les forums de fans français s’est révélé plutôt tiède, et pour une raison absolument légitime : tout comme eux, en entamant le roman pour une première lecture, je me figurais qu’il allait traiter de tout le parcours de ce bon vieil Obi-Wan, de la fin de la prélogie au début de la trilogie. Tel n’est pas le cas.

Kenobi devrait être intitulé « une aventure d’Obi-Wan Kenobi ». Mais ça ne suffirait pas. « Comment Obi-Wan est devenu le Vieux Ben » semble un peu plus proche de la réalité, mais… ce n’est pas encore ça. S’il fallait le sous-titrer, je crois qu’on pourrait s’en tenir à « un Western dans l’univers de Star Wars », quitte à frôler la redondance. L’intrigue reprend en effet les bons vieux thèmes des pionniers face aux « Indiens », ici représentés par les Tuskens. Tuskens qui sont, en réalité, la grande révélation du roman pour moi, puisque l’auteur explique leur mode de vie et leur philosophie au moyen de la légende des deux soleils de Tatooine, habilement exploités dès le début. Le personnage d’A’Yark est sans doute le plus intéressant du roman, et éclipse tous les autres, Obi-Wan y compris.

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Kenobi or not Kenobi ? Zat ize zeu kouèstcheune

Ce dernier n’est toutefois pas aussi absent que certains fans ont pu le croire : s’il paraît moins présent dans ce roman qu’on ne le voudrait, c’est tout simplement parce qu’il y est amoindri. Psychologiquement, d’abord : il encaisse difficilement les derniers événements, et en particulier la mort d’Anakin. Ses « méditations » n’auront pour but que de se réconcilier avec lui-même et d’accepter un rôle bien différent de celui qu’il menait jusqu’alors : l’ordre jedi est décimé et la République vacille, même si pour les péquenauds de Tatooine, tout ça, c’est de la politique et ça ne change pas grand-chose… C’est dans ce genre de détails que l’auteur excelle, en dévoilant le fonctionnement de la galaxie lointaine par le petit bout de la lorgnette. Obi-Wan se fait donc discret, jouant plutôt un rôle de “super-héros” qui n’intervient qu’en tout dernier recours.

En effet, pas d’immenses affrontements opposants des centaines de vaisseaux, dans Kenobi, et pas d’enjeux démesurés… L’intrigue se limite à une région très réduite, avec un casting mesuré lui aussi, mais elle reste proche des thèmes essentiels des films Star Wars : la famille, le récit initiatique, la corruption par le pouvoir…

Finalement, en tant que rôliste, j’ai également parcouru Kenobi comme une sorte de « Guide des Colons et des Tuskens de Tatooine » : il y a là tout ce qui est nécessaire pour comprendre les enjeux de la vie sur cette planète, une bonne partie de son écosystème, et les enjeux politiques que l’on peut y mettre en scène. Mais le rôliste est plutôt bon public (malgré sa réputation effroyable – et justifiée – de chieur)…

Vous l’aurez compris, j’ai d’abord apprécié Kenobi en tant que lecteur, et j’espère lui avoir rendu justice. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à le découvrir !