Avec ce billet, j’inaugure une nouvelle rubrique de ce blog (des esprits chagrins feront remarquer qu’il y a beaucoup de n°1 et de nouvelles rubriques, mais pas beaucoup de suivi ; je n’ai rien à dire pour ma défense, hormis ce modeste souhait : que les esprits chagrins aillent se farcir le fion de grenades à fragmentation). De petites idées simples et pratiques que j’ai expérimentées, de petits conseils qui ont changé, même légèrement, ma façon de jouer, et dans l’ensemble, des astuces qui vous serviront peut-être.
La première de la série concerne un problème que tous les MJ connaissent bien…
Comment pousser les joueurs à accepter la mission ?
Il y a peu de temps, j’ai commencé à lire le « remake » de Ravenloft pour D&D Next, Curse of Strahd, qui semble très réussi (j’ai eu aussitôt envie de le faire jouer, ce qui n’est que très rarement le cas pour les scénarios du commerce). Cette mini-campagne très classique propose à la fois des mécanismes originaux (sauf si on connaît déjà le Ravenloft d’origine) et des idées classiques mais bien menées. Au passage, il s’agit pour moi du dosage idéal entre fulgurances inédites et recettes éprouvées : beaucoup des secondes, saupoudrées de quelques-unes des premières. À l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore encore si les auteurs ont tenu la distance, mais Curse of Strahd propose indéniablement une accroche fascinante, simple et efficace sans être superficielle.
D’emblée, les auteurs proposent plusieurs possibilités permettant d’entraîner les PJ dans l’aventure. En lisant cette entrée en matière, je me suis posé la même question que chaque fois que je suis confronté à ce genre de texte : et si un des joueurs ne joue pas le jeu ? S’il refuse la mission qu’on lui propose ? S’il s’ingénie à s’éloigner, par tous les moyens, de la trame prévue ?
Et j’ai trouvé une solution à ce problème. Peut-être qu’elle existe déjà, sous une autre forme, autre part, mais sur le coup, j’étais plutôt fier de moi. Histoire de vous expliquer comment elle fonctionne, et surtout d’où elle vient, je vais bien vous détailler tous les trucs chiants avant de vous la révéler.
Vous êtes dans une auberge…
… ou sur une route de forêt, ou dans le hall d’un château, ou sur la piste d’envol de la Rébellion…
C’est comme ça que beaucoup de MJ commencent leurs scénarios, en plantant le décor. « Vous êtes ici », « Vous êtes dans ce machin », « Vous êtes avec votre ami trucmuche, quand… » Bref, ces MJ décident arbitrairement de l’endroit où se trouvent les PJ, et/ou de l’activité à laquelle ils s’y livrent, d’accord ? C’est bien rare que les joueurs, avant la partie, viennent demander au MJ : « tu crois qu’on pourrait commencer dans une auberge, en train de boire un coup ? » Bref, c’est le MJ qui choisit.
Et ensuite (arrêtez-moi si vous la connaissez), se produit un événement qui vient donner aux joueurs les infos nécessaires pour s’impliquer dans le scénario prévu.
Je détaille bien pour que tout le monde suive (même ceux qui dorment à moitié, au fond) : le MJ part sur une situation totalement arbitraire, puis il donne aux joueurs un faux choix, qui se résume peu ou prou à : « bon, l’aventure vient frapper à votre porte, vous lui ouvrez, ou pas ? »
Parce que nous savons tous ce qui se passe si les joueurs refusent l’appel de l’aventure : rien du tout. Ou plutôt si : le MJ essaie par tous les moyens de les « remettre sur les rails ».
Ce qui est complètement con, parce que c’est lui qui les y a placés, puis les en a sortis en leur donnant l’illusion qu’ils avaient le choix de partir à l’aventure ou non.
Arrêtons de prendre les joueurs pour des cons
Remarquez que cette méthode, que nous avons tous utilisée un jour ou l’autre (et que j’utilise encore fréquemment) est complètement absurde. À partir du moment où les joueurs sont venus à votre table, c’est qu’ils ont envie de vivre une aventure, pas de simuler la vie de cinq gus qui se bourrent la gueule à l’auberge. Bref, quand vous leur posez la question « vous avez envie de partir à l’aventure ou non ? », celle-ci est complètement superflue, parce que, par leur simple présence, les joueurs ont déjà répondu.
Alors, pourquoi, quand vous posez cette question (métaphoriquement, en leur disant : « un gus vous propose une mission » ou « vous apprenez que la princesse Trucmucha a été enlevée et que le roi offre une grosse récompense »), y en a-t-il parfois un ou plusieurs pour tout faire foirer en refusant de s’impliquer ? Pourquoi y a-t-il des joueurs qui refusent la mission et partent faire totalement autre chose (provoquer une bagarre de taverne, pisser sur l’aubergiste, tenter d’occire celui qui leur propose la mission, etc.) ?
Tout simplement parce qu’ils ont compris que vous les preniez pour des cons.
En leur posant cette fameuse question (« vous y allez ou pas ? ») à laquelle ils ont déjà répondu tacitement, en leur donnant un choix factice, en leur proposant un tour de magie tout pourri, dont ils connaissent le truc, et auquel ils acceptent de se soumettre par simple politesse, ou pour gagner un peu de temps et entrer dans le vif du sujet.
Et justement, si vous y entriez sans passer par la case « auberge » ?
In medias res
Bien sûr, il existe des scénarios un peu plus pêchus, qui vous proposent de mettre les joueurs dans une situation conflictuelle d’entrée de jeu. La mayonnaise prend généralement aussitôt : ils n’ont pas le temps de se poser de question.
Eh bien la solution est là, ou du moins une partie de la solution. Sautez tout simplement le passage « vous êtes à l’auberge », et commencez votre aventure par : « Vous avez accepté de sauver la fille du roi », « Vous avez décidé de vous emparer du trésor de Machinchose », etc.
C’est tout bête, hein ?
Oui. En fait, c’est un peu trop bête. Un peu trop arbitraire. Mais, eh, vous vous souvenez ? Quand vous posez les PJ dans l’auberge, ça revient exactement au même : vous décidez à leur place. Sauf que vous décidez de les placer dans une situation peu enthousiasmante et très convenue. Si vous optez pour cette méthode, au moins, vous les lancez dans l’aventure.
Mais ça n’empêche : ce n’est quand même pas très folichon pour les joueurs.
Voilà comment ajouter un petit élément narratif, et surtout comment stresser un peu les joueurs, histoire de les réveiller.
Au lieu de vous contenter de « Vous avez accepté d’affronter le sorcier Bidulchouette », ajoutez « pourquoi ? » à la fin de votre entrée en matière.
« Vous avez accepté de voler le trésor du dragon Enfoirax. Pourquoi, au fait ? »
« Vous vous êtes lancés à la poursuite de la troupe des Voleurs de Salopior. Pourquoi ? Vous auraient-ils dérobé quelque chose ? »
Remarquez deux petits détails.
Premièrement, vous commencez au passé : la décision a été prise, il n’est pas question d’y revenir. Les PJ sont déjà en train de faire quelque chose.
Deuxièmement : cette méthode devient d’autant plus savoureuse que les motifs potentiels des PJ sont improbables. Si le but de l’aventure consiste à voler un trésor, ils n’auront aucun mal à se trouver une motivation. Mais s’il s’agit d’un scénario plus original, ils devront eux aussi faire preuve d’originalité. Exemples :
« Vous avez décidé de retrouver l’Amulette de Padbol, qui afflige son propriétaire d’une malchance phénoménale. Pourquoi ? »
« Vous avez accepté d’enlever le fils du bon roi Gentillos et de le remettre à l’affreuse sorcière Malveilla. Pourquoi ? »
« Vous avez accepté de vous substituer aux victimes du sacrifice annuel au dragon Enfoirax. Pourquoi ? »
Concluture
Comme cette méthode nécessite un peu d’imagination de la part des joueurs (qui n’en ont pas tous forcément), laissez-leur du temps. Non seulement ils vont résoudre pour vous votre problème, mais ils vont vous indiquer ce qu’ils attendent du scénario en répondant à votre question. S’ils sont vraiment à court, soufflez-leur une idée, ou concertez-vous directement avec eux.
Dans tous les cas de figure, vous ne risquez pas que l’un d’entre eux fasse foirer votre scénario. La méthode ne nécessite aucun savoir-faire particulier, et elle marche à tous les coups. Vous pouvez évidemment vous en servir dans d’autres contextes, chaque fois qu’un joueur vous demande quelque chose que vous n’avez pas prévu.
« Pourquoi le roi fait-il appel à nous plutôt qu’à ses propres hommes ?
— À vous de me le dire. »
« Pourquoi le dragon nous a-t-il épargnés lors du premier combat ?
— Bonne question. À ton avis ? »
Cette méthode est fréquemment utilisée par les MJ qui improvisent ou qui ont un petit côté narrativiste. À vous de voir comment elle peut vous dépanner dans votre façon de jouer. Enjoy !
Je ne dormais pas totalement… =D
Merci pour cet article de plus Sandy-san, je vais maintenant aller me farcir le fion de grenades à fragmentation, parce que j’aime bien embêter mon monde.
Et à bientôt pour de nouveaux échanges !
Tu n’es pas un esprit chagrin : tu n’as donc pas droit aux grenades. Petit canaillou.
J’avais déjà fait un passage sur ton blog via le forum edge. Je repasse par hasard et la zou deuxième post qui m’interpelle. Franchement ça donne envie de tenter. Et vu que cette pratique est complètement nouvelle pour moi, celle de laisser un peu le volant aux PJ, ben ça commence à me titiller ( ou ai-je mis cette satané grenade déjà… ).
Prochaine partie : scènario de la boîte d’initiation de l’ere de la rébellion. Très directif sur la première moitié mais cela se comprend, c’est fait pour apprendre.
Je peux peut être tenter le “vous êtes sur Onderon dans la boue et les moustiques jusqu’au cou pour prendre le contrôle d’une base secrète impériale à 4 et en toute discrétion. (rires… ). Pourquoi avez vous accepté cette mission ? ”
A tenter. Je te raconterai.
Bref merci, je repasserai.
Merci d’avoir laissé un mot ! Et bon courage pour le scénar de base de l’Ere de la Rébellion (il est plus vaste que celui de “Aux Confins…” et devient plus ouvert par la suite, ce qui fait qu’à mon avis, il plaira aussi à des joueurs un peu “expérimentés”. L’avantage des scénars des boîtes d’initiation, c’est qu’on y trouve des motivations précises pour tous les PJ.