Un ami chargé de faire des démos du jeu Night Witches m’a demandé si j’avais des astuces pour lui permettre de souligner les aspects importants du jeu. Je lui ai fait un petit topo, et je me suis dit qu’il pouvait être intéressant, pour ceux d’entre vous qui hésitent à tenter ce genre de système (les fameux jeux PBTA, c’est à dire “Powered by the Apocalypse”), de comprendre comment fonctionne ce système et en quoi il se démarque des autres jeux de rôle.

Attention, je vais ratisser large, et je risque donc de schématiser pas mal. Si la colère vous vient parce que je n’ai pas mentionné la petite spécificité de votre jeu PBTA préféré, et que vous avez envie de vous plaindre bruyamment, le mieux reste quand même d’aller vous faire foutre.

Attention 2 : j’ai la flemme d’aller chercher des images, donc ce sera un post sans.

Narrativimse. Un flime sur le narrativimse.

Allez, on commence par les trucs bateau : narrativisme et Cie. Les jeux PBTA ne sont pas différents des JDR que je qualifierais de “classiques”, ceux qui se jouent avec un meneur de jeu (MJ), des personnages joueurs (PJ), des fiches de perso, des dés… On demeure dans un fonctionnement assez classique : le MJ décrit une situation, puis les joueurs expliquent comment ils y réagissent. Lorsqu’une incertitude apparaît, on lance les dés pour trancher.

Les joueurs ne vont donc pas “prendre le contrôle narratif de la partie” (encore que rien ne les en empêche), et la dynamique habituelle n’est pas bouleversée : le MJ “raconte”, les PJ “réagissent”.

Chaque personnage est décrit par un ensemble de “caractéristiques” qui varient selon les jeux, mais qui sont systématiquement associées à des bonus (ou malus) variant en gros de -2 à +2. Quant aux jets de dés, il utilisent toujours deux dés à six faces, et il s’agit d’obtenir le résultat le plus élevé possible en ajoutant la caractéristique pertinente.

Note : dans Night Witches, il y a quand même une alternance des MJ, mais elle n’a lieu que d’une “affectation” à l’autre. En gros, quand les joueurs ont fait toutes les missions associées à une des bases militaires, leurs personnages sont affectés à la suivante, et un des joueurs devient MJ tandis que le MJ prend un personnage joueur. Cela dit, finir une “affectation” peut prendre un bon nombre de parties.

Si c’est pour jouer pareil, pas la peine de jouer autrement

Jusque là, rien de transcendant. Sauf que chaque action soumise à un jet de dés est appelée un “move”, c’est à dire une “manoeuvre” ou une “action” ou un “cornichon” selon le niveau de compétence du traducteur.

Chaque manoeuvre a ses propres règles, mais toutes sont calquées sur un modèle à peu près identique. On lance les dés, on ajoute une caractéristique particulière et on regarde le résultat.

  • Plus de 10 : c’est une réussite. Le personnage obtient exactement ce qu’il avait prévu, ou il peut choisir un nombre considérable d’options dans une liste.
  • De 7 à 9 : c’est aussi une réussite, mais mitigée. Elle a un prix, ou bien le joueur doit choisir un nombre restreint d’options dans une liste.
  • 6 ou moins : c’est raté et bien raté. Nombre de manoeuvres associent des effets bien spécifiques à un ratage (par exemple des dégâts dans le cas d’une action de combat).

Les différences marquantes

1re clef : les actions sont définitives. J’explique avec du 100% concret.

Quand un joueur fait un jet pour la manoeuvre “Réparer”, pour réparer son avion, par exemple, dans le jeu Night Witches, il lance les dés. S’il fait 10 ou plus, c’est réparé, point barre. Pas de truc de MJ du style : c’est réparé mais ça va péter pendant le vol, si ça se trouve. C’est REPARE parce que la réussite est définitive.

S’il fait 7-9 c’est réparé MAIS il faut choisir 2 options dans cette liste, c’est ce que nous indiquent précisément les règles du jeu :
* Tu attires une attention malvenue.
* Tu subis 1 point de dégât par manque de sommeil.
* Tu obtiens des pièces de mauvaise qualité.
* Tu contractes une dette.

Allez, je vous fais le joueur : “Je choisis pièces de mauvaise qualité et une dette.”

En tant que MJ, désormais, vous savez deux choses : la réparation pourra foirer (s’il arrive un accident grâce aux dés, vous pouvez dire : “c’est la faute des pièces défectueuses”, s’il ne se passe rien, vous pouvez dire, après la mission aérienne : “Une fois que l’avion se pose, la pièce casse. Ta réparation a tenu le coup, mais juste une fois”) et le perso a contracté une dette (là, vous faites rapidos un PNJ qui a prêté un outil, une pièce, du temps, et il reviendra exiger le paiement de la dette plus tard).

Si le résultat est inférieur à 7, c’est raté. Raté raté : il n’y a AUCUN moyen de revenir sur cet échec. L’avion que le PJ voulait réparer partira au combat endommagé (je remercie au passage Benjamin Kouppi et “Jay Dujardin” : à l’origine, j’avais écrit que l’avion ne décollait pas, ce qui est inexact) : le scénario n’est pas interrompu, mais la catastrophe pend au nez de celles qui embarqueront à bord…

Dans un scénar ordinaire, on peut vous dire un truc du style : “Les PJ doivent trouver le moyen de réparer l’avion de Natasha avant le début de la mission. Laissez-les trouver des pièces, contracter des dettes s’il le faut, jusqu’à ce qu’ils y arrivent.” OK. Ca signifie que quoi qu’il advienne, c’est écrit, l’avion sera réparé. Au pire, des PNJ s’en chargeront. Ca peut être tout à fait sympa dans un JDR ordinaire où certaines actions sont “scriptées”.

Pas dans NW. Dans NW, quand un avion est en panne, PERSONNE ne sait s’il redécollera, ou s’il ne tombera pas en piqué au moment décisif. Il existe là une VRAIE incertitude : pas question de se dire “il FAUT qu’ils y arrivent sinon le scénar est fichu”. Le MJ peut penser : “ce serait bien qu’ils y arrivent, mais si l’avion n’est pas réparé, le bombardement échouera.” Toute la différence est là : dans NW, tout peut arriver, et l’échec ne conditionne pas la réussite du scénario. Un échec n’est ni plus ni moins qu’une péripétie. Dans NW et les PBTA en général, il n’y a pas de “il faut que”. Dans le cas de notre avion, la situation est claire : la réparation a échoué. Ceci aura donc des conséquences : la panne n’est pas réparée, donc elle créera des complications qui généreront du suspense, du récit…

Vous mettez en place une situation de base, et les jets de dés vous permettent de savoir ce qui se passe ensuite. Ils “racontent” l’histoire, vous, vous les interprétez. Vous verrez qu’un simple jet de dé déclenche souvent un enchaînement de choses : quand vous vous ratez, par exemple, vous subissez une “marque” qui vous force à faire quelque chose de narratif. N’oubliez pas : le MJ ne jette jamais les dés.

Note : bien sûr, certains scénarios, dans le cas de l’avion à réparer, vous précisent ce qui se passe si on ne le répare pas. Tous les scénarios ne sont pas écrits de façon scriptée et linéaire. Mais il y a toujours des événements qui en conditionnent d’autres, des “passages obligés”, etc. Dans les jeux PBTA, ces passages obligés sont rares, voire inexistants : on n’est jamais bloqué par une possibilité, puisqu’en réalité, le jeu consiste précisément à “voir ce qui se passe”. Quand quelque chose merdouille, le scénario ne s’interrompt jamais : on continue et on “voit ce qui se passe”.

Ce que ça veut dire ? C’est vaste, en fait. Mais en gros :

  • aucune option n’est interdite ;
  • rien n’est gravé dans le marbre ;
  • aucun PNJ n’est immortel ;
  • lorsqu’un accident se produit, l’aventure continue ;
  • des accidents vont se produire, et souvent ;
  • c’est chouette, les accidents ;
  • on n’a jamais besoin de tricher sur un jet de dés : ça n’a plus aucun sens ;
  • on ne lance pas les dés pour rien ;
  • etc.

La difficile gestion des dégâts

On lit souvent, dans les règles des PBTA, “appliquez les dégâts annoncés”. Parce qu’on ne fait pas de jets de dégâts.

2e clef : les dégâts. Ce sont les joueurs qui lancent les dés. Toujours. Du coup, comment on leur fait tomber un truc sur la gueule ? Ca se fait en deux temps.

Le MJ fait ce que le système de jeu appelle une manoeuvre bénigne (ou un truc du genre) : on ANNONCE les emmerdes à venir. Si les joueurs ne font rien pour les éviter, elles leur tombent dessus et ils subissent les dégâts prévus.

Sandy, mon garçon, tout ça ne veut RIEN dire. Alors qu’avec un exemple…

Exemple : “Pendant votre vol d’essai, vous essuyez une terrible tempête de grêle. Les grêlons sont si gros qu’ils risquent d’endommager vos appareils.”

Dans sa tête, le MJ fixe les dégâts : la grêle va infliger 1 dégât à tout le monde. (C’est arbitraire, mais pas plus que de dire : je vais leur faire tomber 5 gobelins par tête de pipe sur le coin de la figure.)
Si les PJ ne réagissent pas (et croyez-moi, ça arrive !), ils prennent 1 dégât, point barre (1 ou 2 dégâts, c’est déjà pas mal). Quand le dégât est là, impossible de faire quoi que ce soit pour l’éviter : une fois qu’il est subi, il est subi.

Exemple :

PJ : “On continue à voler.”

MJ : “OK ; vous prenez toutes 1 dégât. Naviguer au travers de la grêle vous épuise et vos appareils encaissent difficilement.”

S’ils réagissent (“On essaie de voler en vitesse maximale pour s’éloigner du front de grêle”), l’issue de leur jet de dé détermine ce qu’il adviendra. Généralement, dans les cas de ce genre, ils “Tentent le sort” dans Night Witches. Manoeuvre “Tenter le sort” :

* sur 10+, le péril est évité (pas de dégât).

* sur 7-9, la réussite a un coût : c’est là que vous, MJ, devez agir. Voici ce que vous pouvez dire : “Natasha, tu as fait 8, tu peux éviter ton dégât en atterrissant immédiatement ou en rentrant à la base, ou tu peux voler dangereusement, mais c’est une de tes coéquipières qui prend le dégât à ta place (à vous de choisir laquelle, les joueurs), ou tu peux subir le dégât et rien de particulier en plus”.

* Sur 6 ou moins : le dégât est subi ET le PJ est “marqué”. Sur chaque fiche de PJ de Night Witches, il y a une liste de marques, c’est à dire d’effets possible quand on est marqué. Ce sont des effets supplémentaires que le PJ doit jouer. Exemple “Raconter une histoire du pays”. Ok, mettons que mon joueur a fait 3 aux dés. Il subit 1 dégât et il est marqué. Il choisit de cocher la marque “raconter une histoire du pays.” Le joueur déclare : “Cette grêle, ça me rappelle le jour où je me suis perdu dans les bois avec mon frère. On était partis chercher des champignons et on a été surpris par l’orage. Il a été blessé à l’oeil par un grêlon gros comme le poing. C’est à cause de ça qu’ils l’ont refusé, dans l’armée.” Pof, c’est réglé et le récit prend un aspect émotionnel (les marques sont très sympa).

C’est important de comprendre ça : on annonce toujours un truc périlleux à l’avance, et ce sont les actions (et les jets de dés) des joueurs qui permettent de savoir ce qui se passe. Le plus important, c’est de connaître les Manoeuvres et leur issue.

Note : dans le cas de certaines manoeuvres, les dégâts sont indiqués, tout simplement.

Comment se déroule une scène d’action, par exemple ?

Dans Night Witches, les scènes d’action aériennes ont lieu la nuit. C’est là que le système de jeu brille : ses mécanismes débouchent sur de la narration. Voici comment un bombardement se déroule. Tout d’abord, la navigatrice de l’escadron effectue une manoeuvre Se repérer.

Voici la règle de la manoeuvre Se repérer :

Lancez dés+compétence. Sur 10+, vous réussissez et accomplissez une approche parfaite. Sur 7-9, vous réussissez et
choisissez une des conséquences suivantes :

  • Votre avion subit une panne mécanique mineure (l’avion est endommagé).
  • Ils vous attendent (déclenche des Tirs ennemis).
  • Vous êtes stressée ou malmenée (répartissez 2-dégâts entre votre pilote et vous de la manière dont vous le souhaitez).

Voilà, c’est donc très simple : chaque mission va commencer par ce jet de navigation. Et vous allez voir que concrètement, ce tout petit jet de dés va entraîner des tas de choses mécaniques et narratives. Exemple.

Allez, votre joueur fait 8. Il réussit donc à se repérer. Il doit choisir une des 3 conséquences (en cas d’échec les TROIS s’appliquaient). Il choisit “Tirs ennemis”. Cela signifie que les Allemands attendaient l’escadron et que l’avion du PJ est touché !

Vous décrivez ce qui se passe (normal, c’est votre rôle de MJ, d’interpréter les résultats dans le récit). Puisque les tirs ennemis sont déclenchés… eh bien la navigatrice de l’avion doit faire un jet de Tirs ennemis. (C’est ce que signifie “déclenche des Tirs ennemis”). Tirs ennemis est une autre manoeuvre, dont voici la description :

LORSQUE VOTRE PO-2 EST TOUCHÉ PAR DES BALLES OU DES TIRS
DE DCA, lancez dés+chance. Sur 10+, l’avion est intact et vous vous en sortez indemne. Sur 7-9, l’avion tient le choc et vous
choisissez deux conséquences parmi les suivantes :

  • Votre pilote et vous êtes Marquées.
  • Blessés à bord. (Répartissez 5 dégâts entre vous de la manière dont vous le souhaitez ; cette option déclenche
    également la Manoeuvre Atterrissage forcé.)
  • Votre avion est déchiqueté (l’avion est endommagé ; cette option déclenche également la Manoeuvre Atterrissage
    forcé, qui aura lieu plus tard).
  • Un autre avion de votre section est abattu (le MJ décide lequel).

Mettons que le joueur fasse 7. Il choisit 2 conséquences : un autre avion est abattu (au MJ de décider lequel) et lui et sa pilote sont marqués.
Les deux joueurs consultent leur fiche de perso et choisissent chacun une marque. L’un d’entre eux choisit “raconter une histoire du pays” : il doit raconter une anecdote en rapport avec la situation. L’autre choisit…

Etc. Notez que s’ils avaient choisi “Blessés à bord”, on enchaînait avec la manoeuvre Atterrissage forcé, et d’autres effets mécaniques ET narratifs.

Bref, vous avez compris : TOUT s’enchaîne. Les jets de dés entraînent des conséquences mécaniques (il y a des avions allemands, vous êtes touchés, votre avion est intact mais ça vous rappelle une anecdote) et les joueurs et le MJ interprètent ce qui se passe.

Dès que l’on utilise des manoeuvres, le système vous prend en main et vous pousse à raconter des choses.