Après avoir eu un vague aperçu de ce qu’était le jeu de rôle (ou JDR pour les intimes), intéressons-nous à la tâche du maître de jeu (ou MJ).

C’est le MJ qui se tape tout le boulot

Je sens d’ici les innombrables « c’est n’importe quoi… », « les joueurs aussi s’investissent… », « tou   t le monde participe… », et je répondrai donc tout simplement : mon œil.

Un joueur en particulier doit assurer une certaine cohésion à la table de jeu : c’est le maître de jeu (MJ). C’est lui qui va en quelque sorte « diriger les débats ». Il joue le rôle d’hôte (c’est lui qui « prépare le repas »), de maître de cérémonie (c’est lui qui explique chaque étape du processus de jeu) et d’arbitre (en cas de différend en cours de partie, c’est à lui qu’il appartient de trancher, d’interpréter les règles, de trouver des solutions). Il a donc une grande responsabilité.

RYUTAMA

Le MJ doit connaître des règles bizarroïdes et mystérieuses (ici, celles du voyage dans Ryuutama).

Ça ne signifie pas que les joueurs vont se la couler douce, non ! Mais en pratique… ils en ont la possibilité. Et c’est très bien comme ça ! En réalité, les joueurs qui incarnent des PJ (les « personnages joueurs) n’ont pas besoin d’énormément s’investir : il leur suffit de connaître quelques règles de base, quelques aspects de l’univers de jeu ou background (nous y reviendrons), et de savoir « jouer un rôle ». Bref, d’avoir suffisamment d’imagination pour « faire comme si on était des chevaliers ». Si vous vous rappelez comment ça se passait dans une cour de récré, vous connaissez les bases, ce n’est guère plus compliqué que ça.

Si en plus les autres joueurs s’investissent, aident le MJ à se rappeler certaines règles obscures (voire à les déchiffrer quand elles sont écrites en jargon…), jouent leur rôle de façon amusante pour tout le monde, aident les débutants et participent à la bonne ambiance de la partie… eh bien c’est tout bénef pour tout le monde ! Ça, c’est la situation idéale ! Mais il arrive que des joueurs soient plus « discrets », un peu mal à l’aise (c’est parfois le cas des débutants à une table de « vétérans ») ou qu’ils n’accrochent tout simplement pas au principe du jeu de rôle… Il est donc plutôt raisonnable que la responsabilité de la partie repose plus sur le MJ (qui lui, est censé s’investir à fond et avoir envie de jouer, d’autant que généralement, c’est lui qui a acheté le jeu !) que sur les autres joueurs.

Le MJ est au cœur du JDR (même s’il existe des jeux « sans MJ », ils ne forment qu’une minorité, ou plutôt un sous-genre). Voilà comment les choses vont se dérouler de son côté.

De la lecture en perspective

Le MJ est bien souvent celui qui achète le JDR, ou qui se le procure d’une manière ou d’une autre (prêt, téléchargement). Pour tout dire, c’est lui qui a très envie de jouer, alors ça ne le dérange pas trop de faire un gros effort. C’est son enthousiasme qui va lui permettre d’entraîner les copains à pratiquer ce hobby peu ordinaire.

Le MJ lit les règles du jeu, ce qui n’est pas une mince affaire s’il n’a jamais pratiqué le jeu en question. S’il a déjà eu l’occasion de jouer (en tant que PJ), ça passera beaucoup mieux et il connaîtra déjà les bases.

Cela dit, s’il part de zéro avec des joueurs débutants, il ne prend pas énormément de risques : s’il se trompe un peu dans les règles en cours de partie, les autres n’y verront généralement que du feu. C’était mon cas : lors de ma première partie de JDR, je n’avais encore jamais pratiqué ce loisir. J’ai immédiatement fait n’importe quoi, n’importe comment : mes deux joueurs et moi avons adoré et nous avons immédiatement été accro ; 25 ans plus tard, je joue encore. C’est comme tous les loisirs : si on les pratique pour le fun, il n’y a pas moyen de se tromper (à l’exception notable de la roulette russe).

Ça se passe…

Mais le MJ n’a pas que les règles à lire : il lui faut aussi lire le contexte du jeu, généralement désigné sous son nom anglais, le background. Les règles expliquent comment résoudre des situations (« comment savoir si un joueur réussit à franchir un fossé en sautant ? » « comment savoir, quand les personnages se battent contre des ennemis, s’ils sont vainqueurs ? »), mais le background, lui, décrit l’univers où ils évoluent. En gros, il s’agit d’une sorte de « guide du monde » qui explique ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas pour les personnages du récit.

Le background, c’est tout ce qu’il y a après « ça se passe »… Pas clair ? Un exemple :

anima

Et le MJ va devoir vous expliquer à quoi servent tous ces fichus nombres ! (Anima, le jeu de rôle pour expert-comptable)

« Ça se passe au temps des chevaliers du roi Arthur, dans un royaume imaginaire, avec de la magie, des fées et des sorciers, mais aussi des dragons, de terribles périls… »

« Ça se passe au Far-West, mais dans une atmosphère de film d’horreur, avec des monstres qui rôdent, des Indiens qui pratiquent une magie étrange et des territoires dangereux et inexplorés. »

« Ça se passe à notre époque, mais les vampires et les loups-garous existent. »

« Ça se passe dans l’univers de Star Wars. »

Bien sûr, le background ne se limite pas à une ou deux phrases. Par exemple, dans le cas d’un jeu « contemporain » qui fait intervenir les vampires, il faut savoir certaines choses : à quoi les vampires sont-ils vulnérables ? Combien de temps peuvent-ils rester sans boire de sang ? L’humanité est-elle au courant de leur existence ? Sont-ils nombreux ?

Plus l’univers est original, plus le MJ va devoir s’investir dans la lecture du background. Certains univers sont moins « exigeants » que d’autre, ce qui ne signifie pas qu’ils soient forcément moins riches. Par exemple, le dernier que j’ai évoqué : « Ça se passe dans l’univers de Star Wars. » Il s’agit d’un univers riche et dense, mais tout le monde ou presque en connaît les bases : les Jedi, la Force, l’Empire, la Rébellion, etc.

Pour des débutants, il est toujours plus facile de commencer avec un jeu qui se déroule dans un univers qu’ils connaissent bien : un jeu tiré d’une œuvre qu’ils apprécient, ou qui se déroule à une période que tous connaissent… ou bien au contraire, un jeu dont le décor est inconnu de tous les joueurs : ainsi, ils auront ensemble le plaisir de la découverte et c’est eux qui définiront les détails de ce décor. L’essentiel, c’est qu’il existe une sorte de consensus à la table et que tout le monde ait envie de « vivre une aventure » dans l’univers choisi.

Le MJ est censé bien connaître le background : en cas de différend, c’est encore lui qui devra trancher en cours de partie, voire inventer des détails qui n’existent pas dans le contexte tel qu’il est décrit. Par exemple :

            PJ 1 : nous cherchons une planète proche de Hoth pour nous poser et effectuer des réparations. Il y en a une ?

            MJ (improvisant sur le tas) : pas de planète mais… disons qu’il existe une petite station spatiale où vous pourrez faire quelques réparations d’urgence. Elle s’appelle euh… la station d’Improvisia.

            PJ 1 : sérieux, mec, faut que tu te fasses une liste de noms pour ce genre de situation…

Eh oui, parfois, le MJ est censé improviser. Avec plus ou moins de succès, d’ailleurs ! Mais peu importe : comme l’expliquent presque tous les livres de règles de JDR, « l’important, c’est de s’amuser ! » Et même si les joueurs le remarquent, ce n’est pas grave.

Note importante : le background, comme me l’a patiemment expliqué Jérôme Larré, c’est aussi des règles. Si je dis par exemple que dans l’univers de jeu, les elfes ont des oreilles pointues, c’est une sorte de règle, une convention commune que les joueurs vont respecter. Si un joueur crée un personnage elfe, il devra l’imaginer comme ayant des oreilles pointues. Si les joueurs entrent dans une auberge et disent « on essaie de voir s’il y a des elfes » et que le MJ leur répond « comment ? », il leur suffira de répondre : « on regarde qui a des oreilles pointues ». En gros, chaque élément du background établit un ensemble de réactions logiques en cours de partie : il s’agit donc de « règles » de narration. Même si elles ne sont pas chiffrées, elles permettent de résoudre certaines situations de façon automatique, sans avoir à improviser ou à inventer. « Il a des oreilles pointues = c’est un elfe. » (Je simplifie à mort et Jérôme explique ça vachement bien : si vous le croisez en convention ou sur un forum, jetez-vous sur lui en criant « yaaaaaaa ! », plaquez-le à terre et hurlez-lui dans l’oreille : « explique-moi le coup du background qu’est une règle, espèce de salaud ! » Il vous donnera immédiatement toutes les informations nécessaires, au comble du ravissement.)

Une fois qu’il connaîtra les éléments essentiels du background, le MJ va s’atteler à la tâche ultime : préparer un scénario. Généralement, il lit celui qui est fourni avec le jeu (presque tous les jeux contiennent un scénario d’initiation qui permet de démarrer en douceur).

Le scénario, c’est une bouée

Le scénario, c’est un peu une bouée de sauvetage : le truc qu’il faut avoir sur soi avant de se jeter à l’eau. Il s’agit d’une description d’un récit, mais d’une description à trous. J’explique, vous énervez pas.

Quand vous lisez un roman, celui-ci commence généralement par une explication de la situation : vous découvrez le personnage principal, on vous donne quelques informations sur son identité et sa vie, et boum, il se retrouve plongé dans une suite d’événements qui vont se poursuivre jusqu’à la fin du bouquin (voire dans les douze tomes suivants si vous lisez de la fantasy).

ECRAN

Derrière son écran (ou paravent), le MJ dispose d’un résumé des règles les plus importantes, une sorte d’antisèche. Et si le paravent est solide, il lui permettra aussi d’éviter les jets de dés mortels ! Ha !

Imaginez que l’auteur ne vous explique que ça : qui est le personnage principal, et dans quelle situation il s’est fourré. Et qu’à la page onze de votre roman, qui en compte 400, il n’y ait plus que du blanc. 390 pages vides. Et là, l’auteur se pointe chez vous et vous dit : « Hé, dis voir, tu saurais pas comment ça va se poursuivre, cette histoire ? À ton avis, que va faire le personnage principal ? Et t’aurais pas dix euros ? » (Les auteurs de fantasy sont notoirement fauchés.)

Eh bien, un scénario, ça ressemble un peu à ça. Sauf qu’au lieu de 390 pages blanches, toutes les 50 ou 60 pages, on aurait une page de texte du genre : « Après avoir surmonté les épreuves précédentes, le héros se retrouve dans une mystérieuse forêt. Des bandits l’attaquent ! Et voilà comment il réagit… » Et là, hop, pages blanches.

En fait, sur vos 390 pages restantes, vous n’en auriez plus qu’une petite dizaine de remplies, indiquant les jalons importants de l’histoire, et peut-être une fin potentielle.

En gros, un scénario de JDR ressemble à cela. Il comprend une situation de départ, puis des jalons dans l’évolution potentielle du récit, et une ou plusieurs fins hypothétiques (je simplifie un maximum, les puristes me pardonneront). Le MJ doit lire le scénario et connaître à peu près ces jalons pour savoir ce qui se produit « si les PJ réussissent à identifier le meurtrier », « si les PJ survivent à l’assaut contre la forteresse », « si les PJ échouent à protéger les brigands contre la princesse » (oui, les scénarios un peu originaux, c’est rigolo aussi).

En gros, le MJ a un tas de « notes » dont il va devoir se servir pour décrire l’histoire. Il existe aussi des scénarios « bac à sable » : au lieu de présenter des jalons du récit dans l’ordre chronologique, ils décrivent tout simplement une situation de façon très précise… et c’est ensuite au MJ d’y lancer ses joueurs « et de voir ce qui se passe ».

Ça va prendre du temps

 

Ca représente beaucoup de travail, en réalité. Le MJ va devoir non seulement connaître les règles du jeu, le background, mais aussi une histoire « à trous »…

DIRTY

Le MJ va chercher les pires saloperies à infliger à ses joueurs, en prétextant que “c’est pour leur bien”. Et en lisant des méthodes d’enfoirés comme celle-là. (Dirty MJ de John Wick, traduit par votre serviteur.)

Certains jeux nécessitent énormément de lecture et de réflexion de la part du MJ (et parfois des joueurs). On ne peut pas « mettre le JDR dans la console et suivre le tutoriel ». Prévoyez quelques heures pour comprendre les bases d’un jeu « simple » (c’est le cas de Aux Confins de l’Empire avec le kit d’initiation, mon chouchou pour les joueurs et surtout les MJ débutants), mais certains gros morceaux (L’Appel de Cthulhu, D&D et ses clones, et même des choses apparemment simples comme FATE) nécessiteront une bonne semaine de lecture préparatoire, voire plus.

Le plus simple est toujours de jouer avant de « maîtriser » (c’est le verbe qu’on utilise pour exprimer le fait que le maître de jeu « dirige » la partie), mais ce n’est pas toujours possible, surtout si vous habitez dans le trou du cul du monde, loin de toute association de JDR. Le MJ qui n’a jamais joué doit un peu réinventer la roue.

Vous voulez que je vous dise ? Ce n’est pas facile. Ca ne veut pas dire que c’est impossible, bien au contraire. En particulier parce que dans un JDR, si on se trompe, ce n’est pas grave du tout. Lorsque j’ai mené mon premier scénario (La Forêt sans retour pour le jeu L’œil Noir, je m’en souviens encore), j’ai tout simplement oublié de lire une partie de la description du méchant que les joueurs devaient affronter à la fin. Du coup… on a fait n’importe quoi et finalement, ça s’est révélé beaucoup plus rigolo que ce qui était prévu (et il a pris drôlement cher, sans ses sorts de protection, le mage des ténèbres).

Et surtout, jouer sans avoir été initié par d’autres, c’est passionnant quand même ! Toutes les attentes que vous avez vis-à-vis du jeu de rôle, vous allez pouvoir les exprimer et les matérialiser sans que quelqu’un vous dise : « c’est pas comme ça qu’on fait. » Parce qu’il existe beaucoup de façons de jouer aux JDR. Si vous vous jetez à l’eau, vous découvrirez la vôtre.

Bref : le maître de jeu, en tant que maître de cérémonie, a énormément de travail avant et pendant la partie. Alors si vous êtes joueur et si vous vous êtes éclatés pendant un scénario, n’oubliez pas de le lui faire savoir !

Rendez-vous au prochain épisode de notre saga « Le JDR pour les nuls » avec la 3e partie : Les joueurs, ces adorables grosses feignasses.