22/11/63 – Le Stephen King que j’avais laissé de côté
J’ai enfin terminé 22/11/63, à force de le lire à dose homéopathique les soirs (je m’endormais souvent au bout de 4 ou 5 pages même si c’était formidable, et du coup, j’ai beaucoup lu le matin avant que ne sonne le réveil, en fait).
Bon, alors déjà le pas bien. La traduction est bonne et pas bonne, c’est la traduction de Schrödinger. Elle a été critiquée pour l’emploi de termes un peu pas terribles (par exemple, un mec qui dit “Hé, copain” pour “Hey buddy”, oui c’est super chelou pour les générations actuelles mais… mais je vous cache pas que ça se disait il y a longtemps, dans les cours de récré, et qu’un personnage qui aurait conservé ce tic a , du coup, un cachet particulier : bref, ça, ça ne m’a pas gêné), la substitution de termes de culture française pour des termes américains (genre des noms commerciaux, je n’ai pas noté lesquels), mais surtout, un truc qui m’a freiné dans ma lecture : le mélange constant du passé composé et du passé simple. Je ne comprends pas pourquoi, dans un même paragraphe, ça passe de l’un à l’autre, et ça a été extrêmement perturbant au début. On a aussi un personnage qui balance des “J’ai pas fait”, “Je pensais pas que”, etc. alors qu’il est prof de langue natale (anglais, donc transposé en français) et qu’on est dans le registre de l’écrit. Ca fait vraiment bizarre et voilà, ça m’a un peu interloqué au début. Je me suis dit qu’il s’agissait de choix (parce que la trad reste quand même fluide et lisible, et que si tu es habitué.e à lire plutôt en français, ça ne va pas te retourner le cerveau), mais je ne comprends pas d’où ils viennent, ces choix. Est-ce que le texte est vraiment un peu foireux, est-ce que c’est moi qui le critique trop, et à quoi ressemble la VO ?

Je ne peux pas vous le dire, parce qu’une fois embarqué dans cette lecture, je n’ai pas pu décrocher.
J’y allais à reculons, mais au bout d’une vingtaine de pages, il était hors de question de perdre du temps à prendre le bouquin en VO plutôt qu’à suivre l’intrigue).
Une intrigue qui est TRES loin de ce que semble vendre le bouquin, en fait. On va vous raconter un peu partout que c’est le portrait de l’Amérique, blablabla, et patati histoire politique par-ci, et patata angle intéressant sur un événement et sa possible portée par le prisme de la fiction par-là… Vous aurez un peu l’impression que ce bouquin parle beaucoup de Lee Harvey Oswald et de Kennedy.
Selon moi, rien n’est plus faux.
Parce que je n’en ai strictement rien à battre d’Oswald et de Kennedy, comme de toutes les grandes figures historiques. C’est un point de vue que je pourrais développer ailleurs, mais je ne pense pas du tout que l’histoire repose sur les actes d’UNE personne comme le sous-entend une bonne partie de la fiction des zétazinis.
King n’est pas de cet avis, et ce bouquin est en réalité un bouquin sur le thème de la responsabilité personnelle et du contrôle de notre vie (et par ricochet de celles d’autrui) par nos actes. Il y a effectivement un passage consacré à Oswald : il arrive à un point marquant du récit, et on y voit King dégobiller une synthèse de dizaines d’ouvrages consacrés à cette page de l’histoire, de façon un poil artificielle selon moi (c’était le passage le moins intéressant), mais nécessaire malgré tout pour brosser le portrait DU meurtrier emblématique des US et poser la légitimité et la solidité de son intrigue. Je me suis un petit peu fait chier durant ce passage, mais c’était un mal nécessaire.
Tout le reste du bouquin est l’histoire personnelle et poignante d’un mec qui n’a plus grand chose à perdre, qui décide d’accomplir un acte extraordinaire et qui se rend compte que sa vie ne fonctionne pas à la même échelle que l’univers, que les rouages qu’il bidouille sont bien plus compliqués et pervers que prévu.
Oui, c’est l’histoire de l’effet papillon, mais c’est beaucoup plus futé que ça. Le papillon de l’histoire, c’est celui que Jake Epping a dans le ventre comme on dit en zétazinien, mais je ne veux pas vous spoiler tout ça parce que ça arrive d’une façon très intéressante.
C’est du King, bien sûr, mais le meilleur du King. Déjà parce qu’en début de roman il pose les règles du voyage dans le temps et définit une base solide sur laquelle le reste du récit va s’appuyer… ou pas (King reste King).
Ensuite, c’est une intrigue extraordinairement resserrée : ça pourrait facilement tenir dans un film genre “C’était demain” (le love cosmique sur ce film), et le réal changerait sans doute la fin par rapport au roman, et il aurait tort, poutrin, tort tort tort parce qu’il s’agit tout simplement d’une des fins les plus fortes de King, je l’ai beaucoup aimé même si je lui aurais bien mis une grosse calotte de cow-boy pour m’avoir fait ça.
Bref, j’ai adoré, et clairement, 22/11/63 se place à côté du Fléau et de Ca, qui sont mes King favoris. Peut-être même que c’est son meilleur, je ne sais pas (il y en a beaucoup que je n’ai pas lus).
Tout ce que je peux vous conseiller, c’est de le lire (en VO si vous pouvez, mais je vous promets que mes pinaillages sur la VF ne sont que des pinaillages : la SF des années 60 a survécu à beaucoup de trads parfois plus hasardeuses que celle-ci) et de vous attendre à ce genre d’expérience que j’apprécie le plus chez King : vous allez côtoyer des personnages extraordinaires, et curieusement, Oswald et Kennedy ne sont que des troisièmes ou quatrièmes rôles sans la moindre importance (ou presque). Un grand, un TRES grand roman que j’ai lu après avoir potassé le bouquin de Yannick Chazareng sur le King, un guide de lecture parfait.
MULTIVERSE Role-playing game, le JDR des superhéros Marvel
Je viens de recevoir le livret de playtest du dernier jeu de rôle consacré à l’univers des superhéros Marvel… ou plutôt au Multivers des superhéros Marvel : la formule consacrée par les derniers films Spider-Man et la tendance du MCU à multiplier les univers est à la mode, et ce JDR s’engouffre dans l’ouverture. Note : le format de ce billet est bordélique parce que je l’ai fait super vite et que je ne suis pas le frère de la Sorcière Rouge.

Le jidéhaire du multivaire
Multiverse Role-Playing Game, de Matt Forbeck, est le dernier né des jeux consacrés à l’univers des superhéros Marvel. Disponible sous la forme d’un livret de playtest (payant… ce qui est assez moisi, même si le livret en question est complet et richement illustré), il sortira en 2023 en version complète, sous forme d’un manuel cartonné dont on nous promet des merveilles tout au long du texte de ce livret starter.

Le système D616
Baptisé d’après la Terre 616 (la Terre « standard » des superhéros Marvel au sein d’un multivers qui en comprend sans doute une infinité), le système de base de MRPG semble assez prometteur. Déjà, il n’exploite que des D6, et de deux couleurs seulement. Pas besoin de racheter du matos pour s’en servir : trois dés dont un de couleur différente des autres suffisent. Ensuite, il est simple mais astucieux.
On lance les trois dés à six faces, dont on fait le total, le but consistant à dépasser un seuil de difficulté (TN pour target number). Le dé spécial a une fonction particulière : s’il donne un 1, on le compte en réalité comme un « 6 amélioré ». Non seulement le résultat compte comme un six, mais c’est une réussite particulière. Si on a obtenu deux 6 aux autres (donc une combo de 616), non seulement ce total compte comme 18, mais c’est une réussite fantastique, qui produit des effets extraordinaires. Si vous obtenez un 1 au dé Marvel mais que le total des dés donne moins que le TN, vous avez raté, mais un effet spécial bénéfique intervient.
C’est futé, ça rappelle un peu le principe du dé fantôme de Ghostbusters, et ça reste plutôt facile à mettre en œuvre pour un résultat nuancé.
Des chiffres partout
C’est ensuite que ça se complique. Au résultat des dés, vous ajoutez un bonus issu d’une carac (des caracs aux noms comme Might, Agility… etc., dont les initiales forment – oh là là c’est trop cooooool – le mot MARVEL : je peux pas m’empêcher de penser que Stan Lee aurait kiffé, même si en réalité c’est juste un peu tarte).
En fonction de la situation, vous pouvez avoir des bonus ou des malus qui se manifestent sous forme d’une relance de dé dans les deux cas : soit vous pouvez choisir de relancer un de vos dés, soit l’opposition vous force à en relancer un. Ces bonus et malus peuvent se cumuler : plusieurs d’entre eux peuvent affecter un même test.
Ca devient déjà un poil plus compliqué de lancer les dés, mais on est encore dans la moyenne.
Création de perso
La création de personnage vous permet de développer votre propre héros, même si le jeu en propose déjà quelques-uns. Et là… le système devient beaucoup moins élégant et accuse son héritage donjon-et-dragonesque. Tous les héros ont un rang (un niveau, en gros), qui est en outre plafonné (on ne peut pas dépasser un certain niveau, et un perso comme Spider-Man ne pourra donc jamais atteindre le niveau d’un perso comme Thor, d’un rang bien plus élevé).
Le rang conditionne un certain nombre de facteurs, et en particulier le nombre de pouvoirs dont vous disposez, mais aussi le plafond de vos caractéristiques.
A la création de perso, vous choisissez un archétype (Striker, Protector, Polymath, etc.) qui détermine un premier bonus à chacune des caracs. A vous ensuite, selon votre rang, d’ajouter des points dans toutes ces caracs pour obtenir un modificateur final. L’archétype détermine aussi, automatiquement, vos dégâts et quelques autres facteurs présentés sur une table euh… ben une table très eighties, hein…
Créer un personnage consiste à cumuler des points et choisir une origine et un job qui vont vous donner des traits. Ces traits sont des avantages et/ou défauts qui constituent chacun une petite règle supplémentaire : tel trait vous donne un avantage dans une situation ou un handicap dans une autre, etc. A la création de perso, vous cumulez déjà cinq ou six traits…
Les pouvoirs
Mais le plus important, ce sont vos pouvoirs. Ils sont répartis en « power sets » : chaque power set représente un type de pouvoir comme « projection d’énergie » ou « pouvoirs d’araignée » (il y a une catégorie spéciale rien que pour les spider-heroes, comme s’ils n’entraient en réalité dans aucune case). Votre rang détermine le nombre de power sets dont vous disposez et le nombre de pouvoirs que vous pouvez choisir à l’intérieur.


En effet, chaque power set comprend une grosse quinzaine de pouvoirs distincts que vous pouvez choisir (votre rang limitant encore une fois ce que vous pouvez prendre). Chaque pouvoir représente une mini-règle en soi : Camouflage vous donne un avantage aux tests d’Agilité et donne un désavantage aux ennemis qui tentent un test de Vigilance contre vous. OK. Les pouvoirs fonctionnent en gros comme les sorts de D&D : ils peuvent avoir des effets très variés.
C’est là que ça commence à déconner. Prenons Miles Moralès. Rang 10, donc un héros déjà assez costaud, mais loin d’égaler des pointures comme Captain America (rang 15). Il cumule 10 traits et 12 pouvoirs (presque tous dans le même power set). 22 mini-règles, donc. Pour gérer tout ça, il faut bien connaître les pouvoirs et leur application.
Les règles
Le livre comprend presque exclusivement des règles de combat. Très détaillées. Si vous n’êtes pas de la même taille que votre adversaire, vous avez sans doute un malus ou bonus au TN et aux dégâts. Les objets sont définis par trois valeurs : leur taille (qui détermine leur nombre de points de vie mais aussi le bonus aux dégâts qu’ils occasionnent), leur robustesse et leur nombre de points de vie. Pour lancer un objet (de votre taille), vous pouvez le projeter à 3 m + 60 cm pour chaque point de Might que vous possédez. On fait un test d’Agilité contre la défense d’Agilité de la cible, et en cas de succès, on inflige les dégâts à distance de l’assaillant plus son Agilité ou son Might (le plus élevé des deux). En cas de réussite fantastique, la cible est à terre. C’ay compliquay. Enfin, c’est facile à comprendre, mais à appliquer dans un combat, ça va vite être chaud et les bastons vont durer huit heures
Ca c’est l’exemple des objets. C’est UNE règle. Et il y en a beaucoup d’autres comme ça, très logiques et intelligentes, mais qu’on a du mal à réunir en un tout cohérent. Ce qui signifie que chaque action, au début de votre carrière dans ce jeu, va nécessiter la consultation du livre de règles et sans doute un peu de calculs (il y a aussi des calculs de moitié arrondie à l’entier supérieur, etc.).
Et je vais vous dire un truc : mon sens d’Araignée me dit que ça risque d’être un poil lourd à l’usage. Chaque action de combat (où les distances sont mesurées précisément pour chaque type de déplacement, et en trois dimensions bicoze ça vole, ces bêtes-là) va nécessiter des calculs d’apothicaire. Ou du moins ce qui passe aujourd’hui pour des calculs d’apothicaire…

Les autres règles
Il n’y en a pas.

Sérieux ?
Sérieux.

Un système de superhéros à l’ancienne
MRPG est un système solide à l’ancienne, avec tables d’évolution selon les niveaux, bonus et malus à appliquer dans tous les sens, et une règle spécifique pour chaque pouvoir. Quand il s’agit d’expliquer comment les héros évoluent, on vous explique « en gros, ils gagnent un rang par gros scénario ».

Mais que va-t-il se passer pendant ces scénarios ? Techniquement, de la baston. On a un système superhéroïque 100% baston ou presque. Vous allez clairement pouvoir déterminer qui, de Hulk ou de Thor, se fait ratiboiser le premier sur un champ de bataille. Vous aurez sans doute beaucoup de mal à jouer des persos de rangs différents, un peu comme il est difficile de jouer des persos de niveaux très différents à D&D. Parce que MRPG est D&D pour Marvel.

Habillage un peu différent (le D616), quelques astuces bien vues (les points de karma qui vous permettent d’obtenir des bonus, les points de focus qui servent pour les pouvoirs ou d’autres trucs), mais c’est un système de combat, et absolument rien de plus.
Et c’est un système de combat lourd. Regardez un peu les règles concernant les objets, plus haut. C’est très clair, c’est très solide, c’est très logique. Franchement, je les trouve vraiment robustes. Mais il va falloir y recourir CHAQUE FOIS qu’un perso lance un lampadaire ou prend une voiture à travers la tronche. Au bout d’un certain nombre de parties, ce sera moins laborieux. Mais chaque fois que Hulk va lancer un gros truc, ça demandera d’abord un certain nombre de calculs sur les tables des objets. J’ai beaucoup de mal à m’imaginer un combat dynamique en moins d’une heure, voire deux, avec ce système, a fortiori avec un bon groupe de quatre ou cinq joueurs aux pouvoirs conséquents…
Le gros souci
Certains traits de MRPG évoquent l’évolution récente des comics Marvel : Green Door, par exemple, est un trait qui ne peut être associé qu’aux individus transformés par les rayons gamma et leur permet en gros de revenir de la mort. C’est un détail issu de l’excellentissime run « Immortal Hulk » (si vous ne devez lire qu’un comics Marvel récent, c’est celui-là).

Mais tout ce qui fait le charme des comics les plus récents (et notamment ces story-arcs bien développés et novateurs où les personnages ne se contentent pas de se taper dessus) est escamoté. Rien pour développer des intrigues personnelles (les fameux subplots de DC Heroes), rien pour gérer le quotidien des superhéros ou leur rapport avec leurs pouvoirs et leur environnement, juste un système brut qui vous dit qu’il faut moins de dégâts pour tuer Tante May que pour égratigner le Juggernaut.
Concluture
MRPG est, en l’état, un jeu à l’ancienne. Ce n’est pas forcément un mal. Les jeux OSR prouvent qu’un système de ce genre peut tout à fait être propice au développement de tout un tas d’autres choses, et qu’un système qui gère le concret n’empêche pas les subtilités.
Mais on ne peut pas s’empêcher, après avoir vu beaucoup d’autres jeux s’intéresser à ce qui fait réellement les superhéros, de le trouver bien creux. De ce point de vue, DC Heroes (mon grand chouchou, dans les années 1990), est bien plus en avance sur son temps : il bénéficiait d’un système cohérent où tout n’avait pas besoin d’être géré par une mini-règle, il tenait compte de tout ce qui fait l’univers méta des superhéros (en comptabilisant l’expérience d’une façon absolument géniale, qui tenait compte des sous-intrigues) et il proposait une expérience de jeu plus dynamique à mon avis.
Maintenant, je peux complètement me gourer, mais si le système de base me paraît pertinent, je ne vois pas comment ça pourrait être fluide lors des premières parties tant le jeu paraît lourd et criblé de mini-règles ultraprécises. Les adeptes de Mutants & Masterminds apprécieront peut-être (ça leur paraîtra plus simple…), mais après avoir vu des choses comme Masks, Marvel Heroic Roleplaying ou Hexagon, on a du mal à comprendre le gros pas en arrière que représente ce système.
Cela dit, je ne juge pas immédiatement : un, je n’y ai pas joué, deux, c’est une béta (payante, certes.. grrr). Beaucoup de choses peuvent changer (et devenir plus fluides, j’espère) d’ici 2023. Ce que je trouverais TRES judicieux, ce serait un paquet de cartes représentant pouvoirs et traits : sans ça, au début, le bruit des manuels qu’on feuillette va couvrir les conversations de la partie.
Si vous aimez le côté simulation, les bastons aux déplacements millimétrés, les barres de PV au-dessus de 150 avec des dégâts à coups de Xd6, le côté tactique et les systèmes à l’ancienne, ça pourrait tout à fait vous parler. Sinon, ben c’est pas gagné gagné…
EDIT : après avoir rédigé cet article, je me suis demandé si je n’étais pas un peu dur avec le jeu. Certaines reviews le trouvent réussi, mais d’autres vont exactement dans le même sens que moi (https://gizmodo.com/marvel-multiverse-role-playing-game-review-too-much-fa-1848818387), ce qui me conforte dans ma première opinion. A vous de vous faire la vôtre !
Tous les extraits du jeu appartiennent à Marvel, éditeur du jeu, et sont utilisés à titre d’illustration.
Un logiciel coule
Une fois n’est pas coutume : je vais recommander un instrument de capitaliste traître à la Mère Patrie.
Ces temps-ci, je lis des documents en PDF (des manuels et des scénarios de jeu de rôle) et je les annote. J’avais déjà commencé à souligner, sur Kindle (l’appareil du Grand Satan Amazon), les passages marquants des romans que je lis, en me disant que ce sera pratique de les retrouver par la suite (c’est le cas). Avec l’annotation des PDF, je suis passé à la vitesse supérieure : j’ai acquis il y a peu un Apple Pencil (prononcer apeulpènsseullllll), et pour griffonner un PDF sur iPad, c’est le top du top (c’est aussi le top pour dessiner sur l’app Procreate, qui coûte moins de 15 euros, et qui est tout simplement exceptionnelle avec cet accessoire).
J’ai annoté un document d’une centaine de pages avec plein de petits soulignements, gribouillis, etc., et ça m’a permis de me faire une fiche de lecture synthétique qui m’a beaucoup servi pour la rédaction d’un projet (dont j’aurai peut-être l’occasion de parler, mais c’est encore prématuré. Je n’aurais pas cru, mais ça m’a énormément aidé à organiser mes idées.
Et puis je suis tombé sur une pub ciblée concernant une app très intéressante, disponible aussi bien pour PC que pour Mac et pour iPad. Ça s’appelle Liquid Text et c’est l’exemple parfait de l’outil simple dont on ne peut plus se passer.
Le principe est ridiculement simple : vous ouvrez un document PDF, et vous pouvez l’annoter à l’écran. Jusqu’ici, rien de révolutionnaire : vous pouvez surligner le texte et ajouter des annotations manuscrites ou au clavier.
À côté de (ou sous) votre document, vous disposez d’une zone de travail (qui s’étend au fur et à mesure que vous la remplissez). Vous pouvez d’un simple geste (du doigt ou du stylet) faire glisser un texte souligné depuis votre document jusqu’à la zone en question. Vous pouvez également sélectionner une zone du document et la faire glisser sous forme d’image dans la zone.

Ca, c’est déjà TRES pratique pour extraire l’essentiel d’un document. Mais en plus, votre zone de travail est dynamique : une pression sur un des extraits rassemblés, et l’app vous renvoie à sa page d’origine. Ensuite (dans la version pro qui coûte 32 €, et qui les vaut très largement si vous l’exploitez comme moi), vous pouvez relier plusieurs notes les unes aux autres (toujours avec la possibilité d’appuyer sur une des flèches de liaison pour accéder rapidement à l’élément-cible, leur affecter des tags…). Vous pouvez en outre travailler sur plusieurs documents à la fois (le logiciel se limitant toutefois à exploiter les PDF et les sites internet : pratique pour aller piocher dans wikipédia par exemple ; pour les autres formats, il faudra les convertir en PDF au préalable), dans le cadre d’une synthèse pas exemple.
Une fois votre document annoté, vous pouvez exporter vos annotations sous forme de DOCX word (s’il ne s’agit que de texte) ou de PDF (si vous avez annoté au stylet, importé des images, etc).
POURQUOIIIIIII ?
Et vous allez me dire : je ne suis ni notaire ni secrétaire, à quoi ça va me servir, tout ça ?
À lire des manuels et des scénarios de jeu de rôle.
On dirait que l’app a été conçue pour ça. Quand vous épluchez pour la première fois un manuel de JDR, il vous arrive peut-être de prendre des notes pour vous faire un petit « digest du meneur de jeu », ou un petit écran de MJ maison, voire un « résumé des règles pour les joueurs » (ou pour vous). Quand vous créez un personnage dans un système de jeu un peu touffu, vous avez parfois envie de regrouper les règles spécifiques qui le concernent dans un petit dossier, pour éviter de vous taper tout le manuel à la recherche de LA règle importante. Exemple : les sorts de votre lanceur de sorts dans Dungeons & Dragons.
Avec Liquid Text, extraire du manuel de base les infos pertinentes et en faire un petit fichier pratique prend quelques minutes à peine.
Pour le MJ, c’est tout simplement génial. En tant que MJ, j’ai un problème récurrent : les foutues règles de dégâts et de guérison. Dans tous les manuels, elles sont éparpillées : les dégâts se trouvent à une extrémité du chapitre de combat, et les règles de guérison à l’autre bout, quand elles ne sont pas dispersées dans plusieurs sections ou chapitres (un petit morceau dans le combat, un autre dans la compétence Médecine, et un dernier dans les règles générales). Ici, il vous suffit de vous faire un petit topo « règles de guérison » en copiant tous ces passages, et si jamais une info vous manque, il vous suffit de cliquer sur un des passages en question pour retourner à la section dont il est issu.
Pour les scénarios, vous imaginez bien que c’est tout aussi performant : quelques notes sur un PNJ important vous permettront de retrouver instantanément toutes les sections qui le concernent. Des liens bien créés vous permettent de lier des descriptions à des zones sur un plan, et si ces descriptions sont associées à des PNJ, vous pouvez les relier ensemble.
Concluture
L’outil est simplissime à prendre en main, mais il est parfaitement conçu (dans sa sobriété, il me rappelle Procreate : pas besoin de menus à rallonge pour avoir une appli efficace). En outre, il est pourvu d’un petit didacticiel vidéo qui vous montre en images TOUTES ses fonctions : c’est efficace et visuel, parfait pour une prise en main rapide.
Étant donné que j’ai passé en revue ses qualités, autant que je vous parle de ses défauts.
Le prix : 32 euros, c’est quand même cher pour une app (il y a des tarifs étudiant, cela dit). Mais ce n’est pas non plus prohibitif, et en ce qui me concerne, ce sera clairement rentabilisé (bon sang, je regrette de ne pas avoir eu ça pour la lecture du livre de base de Mutant Year Zero !).
Le matériel requis : l’idéal, pour moi, c’est de l’utiliser sur tablette (c’est là que je lis mes manuels), mais si ça se trouve, c’est aussi bien sur un écran d’ordi. Personnellement, j’ai vraiment commencé à m’habituer à l’utilisation de l’iPad + Apple Pencil, qui sont devenus des outils de travail que j’utilise en permanence.
La nécessite d’avoir les jeux en PDF : là, c’est le vrai point noir. Si vous n’avez pas le fichier PDF de votre jeu/scénario, ça ne va pas vous servir à grand-chose. Certains PDF sont peu onéreux, tandis que d’autres coûtent encore cher. Clairement, l’app ne vous servira que si vous avez des documents à ce format.
Pour moi, Liquid Text est une découverte presque révolutionnaire, qui va me faire gagner énormément de temps en tant que MJ et que joueur, et je compte l’utiliser régulièrement !
Grands Anciens mon c*l – Chapitre 3 – Rosie fait le mur
Grands Anciens mon c*l ! est un grand feuilleton dans la veine des oeuvres d’Alexandre Dumas, avec une petite touche naturaliste façon Zola qui… Non, je déconne, c’est juste un petit roman de divertissement pour passer le temps pendant le confinement. Bonne lecture !
Que faire quand un Grand Ancien géant attaque la ville et que vous êtes coincé dans un immeuble que vous ne connaissez pas ? De nombreuses idées pour occuper vos journées :
* combattre des cafards géants (ça, c’est fait) ;
* rencontrer une petite amie quantique ;
* confectionner des armes de fortune avec le contenu de vos placards ;
* refuser les avances des adeptes des Dieux d’Outre-Espace tout en restant courtois et civil ;
* chercher à comprendre le sens de la vie et surtout à conserver cette dernière…
… et bien d’autres idées qui vous permettront d’occuper le temps avant l’apocalypse !
*********
Si vous êtes déjà entré.e dans l’appartement d’une vieille dame, vous avez une idée assez précise de ce à quoi ressemble celui de notre voisine : c’est exactement le contraire.
Remplacez l’impression de calme stagnant par une sorte d’effervescence mécanique et électronique, les tableaux soigneusement accrochés aux murs par des affiches punaisées, aussi variées qu’insolites (une illustration des Bandits de Tomi Ungerer, plusieurs posters de groupes complètement inconnus comme “Jamie Bone et les Equarrisseurs”, des listings de ce que j’identifie comme du code informatique, plusieurs bouddhas aux diverses couleurs), les assiettes et bibelots en porcelaine par des circuits et pièces informatiques divers, la bibliothèque impeccable contenant de vieux ouvrages reliés par des étagères (mal) faites main où des piles de bouquins de poche ressemblent à des tribus de lemmings sur le point de faire le grand saut…
Une odeur curieusement accueillante de vieux cuir imprégnée de vieilles fragrances de tabac s’y mêle à d’acides relents de plastique et de soudure chaude, atténués dans leur agressivité par un parfum floral qui émane de toute évidence d’une splendide théière japonaise verte posée sur une table basse et voisinant avec ce qui ressemble à un drone rescapé d’une opération suicide.
— Faites pas attention au bordel, dit Rosie (“je préfère Rosie à Mme Tannenbaum, c’est trop protocolaire, ça, c’est bien pour les prout-prout” nous a-t-elle dit en nous faisant signe d’entrer chez elle tout en jetant quelques petits coups d’oeil mi-inquiets mi-amusés dans le hall, et en particulier vers la porte de l’autre énergumène, qui s’est vaguement entrouverte une fraction de seconde pendant notre repli stratégique). C’est rien que des vieux rebuts, alors mettez-vous à l’aise, je vais vous refaire du thé, les garçons.
Nous, on n’a rien demandé, mais Rosie, apitoyée après nous avoir vus nous escrimer deux minutes sur la porte, nous a proposé de nous offrir l’asile le temps de réfléchir un peu.
En deux minutes, nous avons eu le temps d’essayer de nombreuses solutions pour rentrer chez nous :
– hurler sur Romy, qui n’y est pour rien, mais qui est sorti le dernier, et constitue donc le coupable idéal ;
– secouer brutalement la porte au cas où elle se rendrait à l’argument de la violence, sait-on jamais (oui, c’est Singu qui a tenté le coup) ;
– passer une feuille de papier sous la porte (dans ce cas, un dépliant que nous ont laissé Shoub et Gourath dans la boîte aux lettres : faites-moi penser de vous parler de ces deux gars-là, je suis pas sûr que ça ne me sorte pas de l’esprit d’ici quelques secondes) et insérer un bitonio métallique dans le trou de serrure dans l’espoir de récupérer la clef et se rendre compte qu’avec une porte bien isolée et au ras du sol, la clef reste bien peinarde de l’autre côté quand elle tombe ;
– nous engueuler à mi-voix en poussant des hurlements chuchotés et en devenant tout rouges, avec de petits coups d’oeil en direction de Rosie, qui a miséricordieusement épargné notre dignité en se retenant de rigoler ;
– essayer d’ouvrir la porte normalement, au cas où (ça marche au cinéma quand les protagonistes sont très très cons, et on se dit qu’on réunit les conditions sur ce coup-là) ;
– renoncer et engueuler Singu parce qu’il est sorti dans une tenue pas présentable du tout, et parce que l’engueulade est un bon moyen d’évacuer le stress selon nous (des protagonistes très très cons, je vous dis).
Bilan des opérations : nous n’étions pas plus avancés, Singu rasait les murs et Romy faisait la gueule. On s’est donc rabibochés en faisant ce qu’on fait particulièrement bien : laisser tomber et compter sur la bonté de notre prochain, ou de notre prochaine en l’occurrence.
Rosie disparaît dans une cuisine minuscule, ou plutôt une cuisine de taille raisonnable mais encombrée par une quantité invraisemblable d’appareils culinaires entassés. En revenant, elle prend Singu par le bras et l’entraîne dans une autre pièce. On entend farfouiller un moment, puis les échos sourds d’une conversation inintelligible.
Steph s’assied sur le canapé.
— On n’est pas dans la merde, souffle-t-il.
— Tu sais, un peu plus un peu moins, fait Romy en se laissant tomber à côté de lui.
— En attendant, il y a un cafard crevé qui moisit dans notre salon et qui va emboucaner tout l’étage, à force, dis-je.
— On va bien trouver un moyen d’entrer, insiste Romy, toujours optimiste. Au pire on force la porte.
Steph le regarde, incrédule.
— Et avec quel bélier ?
Il soupire de nouveau, puis consulte sa montre, l’air inquiet. Il se lève du canapé et se faufile entre deux vieux aspirateurs pour se poster à l’autre bout de la pièce en nous tournant le dos.
Le carnet n’est plus dans sa poche.
Je n’ai pas trop le temps de m’interroger à ce sujet : je me sens brusquement nauséeux, comme tous les matins à la même heure. C’est comme si une vague gerbatoire nous tombait dessus, à heure fixe, juste après les blattes de l’espace. En face de moi, je vois Romy déglutir en faisant la grimace. Juste un mauvais moment à passer.
Rosie sort de sa chambre, avec Singu à sa suite.
Singu, qui a échangé son sweat-shirt noué à la ceinture contre un paréo au motif floral. Il porte en outre une sorte de chemise ample dans laquelle Rosie ressemblerait sans doute à un paquet de piquets de tente jetés un peu au hasard, mais qui moule son torse et ses bras musclés.
— C’est pas très viril, mais faudra vous contenter de ça.
Singu nous regarde, entre vexation et hilarité.
— La dame avait pas de pantalon à ma taille, explique-t-il.
— J’ai vu pire, fait Romy, qui retient un éclat de rire quand même.
— Hé, répond Singu en se drapant dans sa dignité et son tissu à fleurs, c’est l’homme qui fait la jupe.
— Ben vous faites une jupe plutôt ridicule, dit Rosie, mais entre ça et vous balader les fesses à l’air, y a pas photo, non ?
Un sifflement nous parvient de la cuisine.
— Je vais chercher l’eau.
Singu vient s’asseoir, avec un certain nombre de contorsions pour ne pas craquer sa chemise et sa jupette, à côté de Romy. Steph approche une chaise de la table basse, et je le vois ranger son carnet. Après un petit silence, Romy pose la question qu’on se pose tous :
— Ca lui fait aussi, à la dame ?
— La nausée ? répond Singu. Ouais. Et les cerises aigres aussi.
Au moins, on n’est pas fous. Enfin, pas plus que Rosie.
D’accord, c’est pas rassurant, en fait.
Elle sert le thé, et pendant ce temps là, j’avise le motif du mur du fond de son salon : curieux bidules : des centaines de plaques noires de tailles et de formes légèrement différ…
Hé, mais attendez, c’est pas des plaques, mais de vieux téléphones portables. Je ne peux pas m’empêcher de me lever pour aller regarder de plus près.
— Ca te plaît, la déco ? fait-elle en se marrant dans mon dos.
En me retournant, je la vois qui s’est approchée tout près de moi, et je vois dans ses yeux une étincelle de malice qui la rajeunit d’une bonne dizaine d’années. Davantage, même ! Ces yeux-là, ce sont des yeux d’étudiante, de lycéenne.
— Tu veux voir un truc marrant ? demande-t-elle en s’approchant d’un interrupteur au mur.
Sans attendre ma réponse, elle le fait basculer.
Le plafonnier s’éteint, et je réalise que tous les stores sont fermés depuis le début quand les petits écrans s’allument. Et je me rends compte qu’ils n’occupent pas qu’un mur, mais toutes les parois de l’appartement : on ne les distingue pas forcément d’emblée dans tout ce chaos, mais une fois qu’ils s’illuminent, l’effet est frappant.
Tous forment une seule et unique image qui s’affiche tout autour de nous, un paysage stupéfiant, filmé à 360° : c’est une vue aérienne, qui cède la place à une forêt de cerisiers en fleur au bout d’une trentaine de secondes, puis à l’intérieur d’un aquarium, ou peut-être une vue sous-marine.
On reste bouche bée, tous, à l’exception de Singu, qui boit son thé et demande d’un air de connaisseur :
— Ce serait pas du tibétain ?
— Ben si c’est du tibétain, c’est le tibétain de chez Carrefour, répond Rosie, tout sourire, sans cesser de profiter de nos mines ébahies.
— C’est vous qu’avez fait tout ça ? je demande.
— Oh non, fait-elle, avec une modestie évidemment fausse, puisqu’elle marque un temps avant de lâcher : les vidéos, je les prends sur un site internet. Mais l’installation, oui.
Je lui jette un coup d’oeil et je la vois qui boit une gorgée de thé, satisfaite de son petit effet.
— Mais le mur, je veux dire les écrans, comment, enfin je veux dire, enfin…
— Ah, ça ? De la récup. Comme tout ce que j’ai ici. Vous imaginez pas tout ce que les gens balancent aux ordures sans se soucier de ce qu’ils pourraient en faire s’ils se sortaient un peu les doigts du cul…
On se retourne tous les quatre, toujours pas habitués au franc-parler de cette mamie technophile…
— Enfin, s’ils s’en donnaient un peu la peine, quoi, corrige-t-elle. Le plus compliqué, c’est de coordonner les images.
De temps en temps, un des écrans clignote un peu, mais l’ensemble reste suffisamment bien orchestré pour produire un spectacle saisissant. Au milieu de ce petit appartement encombré de rebuts, on vient de vivre une sorte de moment de flottement.
Je bois une gorgée de thé – je déteste ça d’habitude – et je le trouve carrément bon.
— J’ai bossé chez Microsoft et Apple quand j’étais jeune, explique Rosie. Une grosse partie du code des tout premiers Windows, avant même le 3, c’est moi qui l’ai géré.
— Windows… trois ? fait Steph, incrédule. Ca date pas de…
— De la première moitié des années 1990, mon grand.
— Balèze, hein ? fait Singu, qui a manifestement eu la primeur de l’information pendant qu’il jouait les poupées à habiller. Mais pourquoi vous avez arrêté, au fait ? demande-t-il.
— Ben… je me faisais bigrement chier au milieu de tous ces types très doués mais incapables d’écouter quand je leur proposais d’optimiser leur système. Oh, ils étaient gentils, hein…
Elle fait un petit geste évasif, les yeux dans le vide.
— Mais je crois qu’ils avaient envie d’autre chose que ce que je voulais, moi. Et puis…
Son regard pétille de nouveau.
— … c’était trop facile, à force. Je me suis tourné vers des choses plus compliquées.
Romy est suspendu à ses lèvres, fasciné, et je dois bien dire que je suis estomaqué. On voit bien qu’elle n’est pas trop habituée à être l’objet de ce genre d’attention. Au bout d’un petit moment, gênée, elle pose sa tasse et remet en ordre des objets au hasard (et qui n’en ont pas besoin, ou plutôt qui auraient plutôt besoin d’un effort genre “Changeons ton intérieur avec un tractopelle” pour que tout ça ait l’air vaguement ordonné).
— Mais je fais pas tout, hein, j’ai bidouillé un Linux pour trafiquer tout ça, c’est pas si compliqué, en fait.
Ce qui m’amène à me poser une question.
— Alors… c’est vraiment vous qu’avez fait sauter les plombs ?
Elle éclate de rire.
— Y a même pas de quoi faire sauter ta facture d’électricité devant toi, dit-elle. Tout ça, ça ne consomme pas grand-chose et surtout, j’ai mes bidules sur le toit.
Pas le temps de lui demander ce qu’elle entend par là : on vient de sonner, et chez Rosie, la sonnette est très particulière, comme tout le reste.
Déjà, c’est le thème de Yoda qui résonne dans la pièce plutôt qu’un bête ding-dong, et ensuite, le mur d’image change d’affichage pour nous montrer le visiteur, ou plutôt les deux visiteuses qui sonnent à la porte : deux petites nanas collées l’une contre l’autre, et qui regardent d’un air anxieux l’objectif en agitant les lèvres sans qu’on entende autre chose que la musique de John Williams.
— Ben merde, fait Rosie, y a le son qui déconne encore.
Elle hausse les épaules, puis se dirige vers l’entrée.
Romy, Steph et moi, on se lève les premiers pour aller voir ce qui se passe, et Singu nous suit. La perspective de passer pour un clown devant des filles qu’il ne connaît pas le stresse certainement un peu, mais connaissant l’animal, ça lui passera assez rapidement.
Rosie ouvre la porte, et les deux nanas la poussent pour entrer.
— Oui, je sais, les plombs ont sauté, dit Rosie pendant que l’une des arrivantes, un petit machin énervé dont la queue de cheval châtain clair semble battre la mesure d’une mélodie frénétique, ferme brutalement la porte.
L’autre, un peu plus grande et du genre costaud, se cale devant Rosie, plus posée mais apparemment aussi stressée que sa copine.
— C’est pas les plombs, Rosie, déclare-t-elle. Y a des gens en bas.
— En bas où ? Intervient Steph, qui manifeste un intérêt que je trouve un peu trop appuyé pour être complètement honnête.
Attendez voir… Je reluque les deux inconnues.
La première a dû se hausser sur la pointe des pieds pour coller l’oeil contre le judas de la porte de Rosie. Elle porte une salopette en jean et un tee shirt qui a sans doute été blanc dans une vie antérieure, le tout couvert de taches de peinture et de…
Non, c’est pas de la peinture ! C’est de la bouillasse de cancrelat, ça !
La grande costaude, elle, porte une robe bleue à bretelles qui souligne des épaules carrément musclées et tient un marteau énorme, sur lequel j’aperçois un petit morceau de chitine collé.
— On n’est donc pas les seuls à avoir un problème de nuisibles, me chuchote Romy en douce.
Moi, je me pose surtout une question : est-ce qu’une de ces nanas serait la mystérieuse copine de Steph ?
— A votre avis ? En bas de l’immeuble, évidemment !
Ca, c’est Petite Nerveuse En Salopette. Vu qu’on pourrait reboucher le Grand Canyon avec la quantité de mépris qui suinte de cette réplique, j’en déduis que non, ce n’est pas la copine de Steph, mais alors pas du tout du tout.
Et comme il vient de passer devant Grande Costaude sans lui accorder l’ombre d’un regard, je me dis qu’il ne s’agit pas d’elle non plus. Il file direction la porte, qu’il tente d’ouvrir. Mais Petite Nerveuse la tient. D’une poigne solide.
— Faut que je sorte, dit Steph.
— Ben d’accord, mais on referme derrière vous alors, rétorque-t-elle, farouche.
— Mais qu’est-ce qu’il y a, en bas ?
Pendant ce temps-là, Grande Costaude nous a entendu arriver, et elle se tourne vers nous. Alignés comme ça, on doit ressembler aux Dalton : Romy, qui a toujours sa tasse de thé à la main, puis moi dans mon jogging bien crasseux, et finalement Singu dans sa tenue euh… singulière (c’est un mot qui a été inventé pour lui).
Elle ouvre la bouche pour dire un truc, mais la referme aussitôt.
Je la comprends.
Steph est sorti sur le pallier, Rosie sur les talons. D’ici, je vois mon pote qui se penche du côté de l’escalier pour distinguer ce qui se passe en bas.
Romy, Singu et moi, on passe devant les nanas, qui reculent un peu dans le couloir. Quand Petite Nerveuse voit passer Singu, je l’entends presque ranger mentalement le spectacle dans un dossier “les trucs vraiment cons que font les mecs pour se rendre intéressants”, mais je suis trop curieux pour m’attarder.
— Alors ? je lance à Steph.
— Ben c’est Shoub et Gourath, répond-il, rassuré.
Ouais, je vous avais dit que je vous parlerais de ces deux olibrius. Bah, ça attendra le chapitre suivant !

Sandy Julien
Traducteur indépendant
Works in Progress
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