“Nan mais déjà j’ai craqué mon jean et l’autre me troue le bide ! Oh poutrin chuis vénère !”

Je vous préviens, je vais spoiler un peu, donc si vous ne voulez pas savoir des trucs, ne lisez pas. Ne lisez rien. Jamais. Crevez-vous les yeux, d’ailleurs.

Les couvertures de la série Immortal Hulk sont dessinées par Alex Ross.

Voilà.

Merci d’avoir lu cette chronique et je vous dis à d…

Quoi, vous êtes pas déjà en train de lire Immortal Hulk ? Il vous faut QUOI comme argument ? Vous êtes des monstres ou quoi ?

Hulk fait partie de mes superhéros favoris (là, vous allez me dire : oui, avec tous les autres, et vous n’aurez pas entièrement tort, mais quand même), tout simplement parce qu’il disposait d’une grande visibilité quand j’étais gamin grâce à la série télévisée où le duo Bill Bixby/Lou Ferrigno rendait (presque) crédible l’histoire de ce monstre vert qui fait rien qu’à craquer le pantalon de jean du docteur Banner. Et honnêtement, cette série était furieusement bien foutue pour l’époque ; j’en garde un souvenir bien émouvant, même si je m’abstiendrai pieusement de me désillusionner en la visionnant de nouveau aujourd’hui. Le Hulk télévisuel des origines était tout à fait conforme à celui que l’on retrouve aujourd’hui dans les films du MCU : puissant et colérique, mais avec un bon fond à faire pâlir d’envie une armée de bisounours et une sensibilité à l’innocence qu’on ne trouve décidément que chez les monstres de cinéma et les freaks en général, contrairement aux policiers français qui n’hésitent pas à bastonner des pompiers pendant les manifs (oooops, désolé, ça doit être l’actualité qui me marque, et faut croire que ces salauds de red blocks l’avaient bien mérité, à faire chier à porter secours aux gens, comme ça).

Où j’en étais ? Ah oui : l’équilibre entre pulsions meurtrières et compassion

Argument n°2 : cette couv du n°4 me rappelle le jeu Hulk sur Gamecube, qui était un jeu absolument formidable où on pouvait boxer des trucs en se faisant des gants avec des voitures broyées. Excelsior dans ta gueule !

envers les petits lapins tout doux chez les monstres verts de trois mètres en jean violet. Au cas où vous ne sauriez pas, le Hulk des comics d’origine était bien différent. Et la différence en question ne se limitait pas à sa couleur, même si à peu près tout le monde sait que le premier épisode le présentait en gris et non en vert, une couleur qu’il adopta dès le second parce que le coloriste Stan Goldberg (qui l’aurait préféré orange s’il n’avait pas déjà existé un personnage célèbre de cette couleur, la Chose des Quatre Fantastiques) avait eu de petits soucis avec la teinte neutre qui virait parfois au vert sur certaines cases. Oui, à l’époque, la couleur et l’impression, c’était compliqué. La différence essentielle, c’est que Hulk apparaissait non pas lors des périodes de colère de Banner, mais à la nuit tombée.

Immortal Hulk est une sorte de reboot : comme presque toujours, il est arrivé un truc vraiment pas cool à Hulk (qui a la fâcheuse manie de détruire des villes et d’écrabouiller des gens), et le Dr Banner se retrouve en exil, paria voyageant au fin fond des Etats-Unis pour retrouver, sinon la sérénité, au moins une forme de solitude. Et évidemment, à tous les coups, il tombe sur de sérieux connards, pète un câble et massacre un petit peu tout le monde dans la joie et la bonne humeur. Lors du premier épisode, on sent vraiment arriver ce genre de truc, et puis…

Bruce Banner prend une balle dans la tête et il meurt (juste après avoir été témoin d’un crime sordide, le meurtre d’une petite fille lors du braquage d’une épicerie). Le récit est superbement mené et mis en cases, avec un splendide sens du rythme, et on sent monter progressivement une tension dont on sait qu’elle ne peut se libérer que sous une forme : l’apparition du Hulk (oui, en rosbifglais, on dit plutôt “le Hulk”, c’est plus cool). Le comics reprend donc efficacement tous les codes habituels, mais en leur imposant un petit twist : c’est le signe (à mes yeux) d’un reboot réussi.

Nous découvrons que Hulk/Banner est tout simplement immortel (ah merde, c’était le titre ! ce spoiler de ouf !). Quand tombe la nuit, le Hulk, tel le phénix (un phénix bâti comme un catcheur en slip violet) renaît de ses cendres (presque littéralement dans un épisode suivant, d’ailleurs…). Le Hulk nocturne fait donc ici son grand retour, mais c’est aussi un Hulk effrayant, à l’expression souvent proche de la folie. Bien sûr, les dialogues à double sens soulignent les thèmes du récit : le scénariste nous offre là un bon fauteuil bien confortable où nous installer, tout en nous expliquant qu’il va y avoir du changement, mais qu’on n’est pas non plus dans un autre univers que celui auquel on est habitués. Et ça, c’est très fort. Un scénariste capable de vous mettre en confiance tout en vous promettant de l’inédit est un scénariste qui connaît bien son boulot. “Je t’ai fait ton plat préféré, exactement comme tu aimes, mais tu vas voir, j’ai rajouté un petit truc, tu me diras si tu le sens.”

Ce Hulk-là n’est pas le gentil Hulk de l’excellent Mark Ruffalo…

Le Hulk a changé. Il redevient une force nocturne au caractère imprévisible. Comme il le souligne à plusieurs reprises, il flaire les mensonges, et en particulier ceux dont ses interlocuteurs se bercent pour se persuader de ne pas avoir perdu leur humanité. Il redevient un monstre réellement monstrueux, effrayant, retournant même un des traits caractéristiques d’un des monstres les plus célèbres, le vampire, en apparaissant dans les miroirs. Il abandonne les intrigues cosmiques pour revenir au coeur de l’humain à travers son voyage dans l’Amérique profonde. Mais il n’oublie pas au passage de boxer de gros trucs, et en particulier un monstre canadien velu…

Al Ewing ne se prive pas de quelques traits d’humour (une référence marrante aux fameux jeans violets…) et réinvente la mythologie du Hulk avec efficacité. Les enjeux montent et le récit passe (lors de son second story-arc) par les portails obligés : combat contre les Avengers, retour d’ennemis classiques, le tout servi par des dessins efficaces (mêlant parfois plusieurs dessinateurs avec plus ou moins de bonheur, mais sans jamais gâcher le scénario, et toujours en servant la logique du récit). Au troisième story-arc, Hulk in Hell, le Hulk se retrouve…

Ouais, vous avez compris. Et c’est une étape obligatoire, une sorte de séquence-purgatoire, où l’essentiel des problèmes métaphysiques du Hulk doit se résoudre en plongeant dans sa petite enfance. À partir de cet instant, c’est un peu “been there done that” : le héros qui va se balader en enfer et se trouve confronté à ceux qu’il a fait souffrir et cherche à se comprendre lui-même, ça n’a rien de bien inédit ni de très folichon (et il commence à y avoir beaucoup de similitudes entre tout ça et le run d’Alan Moore sur Swamp Thing, ou alors c’est la couleur verte qui m’aura trompé…), mais encore une fois, le scénariste nous fait le coup du petit twist qui va bien, et poursuit imperturbablement son exploration de l’univers du Hulk en balançant tranquillou de jolis hommages par-ci par-là.

Un bel hommage à Marie Severin, décédée en 2018. Je masque le dialogue qui révèle un point important de l’intrigue.

Seule réserve : le Hulk se calme un peu trop et perd de son caractère effrayant dès lors qu’il est confronté à des menaces à sa mesure. La tension qui règne dans le premier story-arc se dilue peu à peu lorsque l’on passe de l’univers “ordinaire” au monde “habituel” du Hulk, où les monstres surpuissants sont la norme. Paradoxalement, plus les adversaires du Hulk sont énormes et dangereux, plus on perd en réelle intensité : les vrais moments forts ne surgissent que dans des périodes de calme, par des révélations (notamment sur la nécessité de l’existence du Hulk pour Banner) ou par des contrastes (une séquence d’action saisissante après un moment de tranquillité).

Quoi qu’il en soit, Al Ewing a bel et bien revitalisé une franchise qui commençait à partir en sucette (et surtout qui devenait incompréhensible pour moi, avec des Hulks de toutes les couleurs et une intrigue étalée sur trouzmillions de publications : pas bon signe pour un lecteur comme moi, ça…) , et son Hulk est un vrai bon comics d’horreur, contrastant radicalement avec la version plutôt marrante mais pas aussi savoureuse dessinée par Frank Cho. Je vais donc suivre la suite du run d’Ewing sur le titre avec plaisir, en espérant qu’il revienne toutefois à des intrigues plus intimistes. J’ai pris énormément de plaisir à lire ce Hulk, tout à fait accessible même si vous ne connaissez pas trop tout le mythe qui l’entoure (l’intervention de personnages comme Walter Langkowski est toujours expliquée clairement pour les nouveaux venus). Encore une excellente série conseillée par le Raton Laveur Galactique !

Si tout va bien, je vous parlerai demain d’une dernière série de comics excellente, et je vous fausserai compagnie pendant une semaine, car je suis en vacances (pour mes amis pigistes, auteurs, autrices, traducteurs, traductrices, traductiers, trouductistes et autres : cherchez ce mot dans le dictionnaire, c’est un concept assez insolite mais que j’ai hâte de mettre à l’épreuve de la réalité) pour une semaine, pendant laquelle je me consacrerai à d’autres activités créatives comme manger des escalopes à la crème et jouer à des jeux vidéo idiots.