Berazachussetts, de Leandro Ávalos Blacha
Pour entamer à belles dents 2014, au lieu de prendre de bonnes résolutions, j’ai acheté un bouquin. Pas très épais, pour être sûr de le finir, contrairement à celui que j’avais commencé l’année dernière en me disant : celui-là, c’est bon, c’est reparti.
Parce que ça fait un bout de temps que je ne lis plus.
Pouf, pouf… Parce que ça fait un bout de temps que je ne lis plus de romans. Mon taf de relecteur de JDR et de traducteur m’amène à lire énormément, mais rarement « juste pour le fun ». Au point que j’en suis venu à bouquiner des tas de choses, mais en perdant peu à peu le plaisir de la lecture. Ainsi, il faut le dire, que ma capacité à me concentrer longtemps sur le même récit. À force d’ingurgiter articles de blogs, comics lus à l’arrache, petites nouvelles, bouquins techniques et règles du jeu, j’ai perdu cette capacité qui a pourtant sauvé mon cerveau de l’asservissement télévisuel quand j’étais gamin.
N’allez pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : la télé m’a appris autant que l’école, et reste un formidable divertissement. Au même titre, par exemple, que les jeux vidéo. Mais la lecture (et son extension le jeu de rôle, mais j’y reviendrai sans doute un de ces jours) est un loisir intellectuel à la fois complètement reposant et furieusement actif. Il n’y a rien de moins passif qu’un lecteur. Il est amené à déchiffrer la pensée d’un autre et à retranscrire tout un paysage mémoriel dont il crée le souvenir sans jamais l’avoir vécu. Guidé par le langage uniquement, il bâtit dans les limites de son crâne un édifice dont un autre a le plan, et ce, sans jamais pouvoir savoir si le résultat final est conforme à l’idée première. À moins de pouvoir s’entretenir avec l’auteur sur certains détails, chaque œuvre que nous lisons comporte sa part d’incertitude, où nous avons interprété plutôt que compris le sens originel, si tant est qu’il y en eût un.
C’est un dialogue formidable, dont les interlocuteurs ne coexistent pas dans l’espace ni le temps. C’est un acte de foi, de magie, presque, où par le verbe d’un autre, on refait la création. Et tout ça, la plupart du temps, sans le moindre effort.
Mais ces dernières années, soumis à un bombardement de données, issues de médias divers, j’avais un peu perdu la capacité à établir ce dialogue, et même l’envie d’y recourir. Le manque de temps que je m’étais créé me donnait l’alibi parfait pour cesser de lire « sérieusement », c’est-à-dire, paradoxalement, pour cesser de lire pour m’amuser. À tel point qu’il est m’arrivé, en lisant certains articles çà et là, de me poser la question : « Bon sang, mais comment font ces gens pour lire autant de bouquins ? » Jusqu’à ce que je me souvienne que c’était mon cas il y a peu, et qu’il serait temps de m’y remettre. En 2013, j’ai dû entamer une petite demi-douzaine de romans, que je n’ai même pas finis pour certains (alors que je les avais appréciés, un comble…).
Berazachussetts peu épais et partant d’un postulat assez délirant, me semblait l’outil idéal pour « m’y remettre ». Effectivement.
Ca faisait très longtemps que je n’avais pas lu un truc qui suscite quasiment à chaque page son petit effet « what the fuck ! » À tel point que sur une trentaine de pages, le roman m’a paru strictement insupportable et complètement débile. Enchaînement de situations grotesques (quatre amies trouvent une punkette zombie obèse dans la rue et la ramènent chez elles, l’une d’entre elles, poursuivie par le spectre de son mari, s’en va zigouiller le premier gus sur lequel elle tombe, et qui finira en en-cas, et tout ça sans que personne ne s’en inquiète plus que ça…), de personnages ubuesques (cette femme qui décide de s’emmurer vivante dans son appart juste pour faire chier sa coloc’… oui, je schématise, hein, mais c’est vraiment ça) et d’intrigues qui partent en vrille (là, j’arrête de spoiler), Berazachussetts est un bouquin hallucinant. Il convoque des hordes de zombies, des accidents nucléaires, des foules qui écoutent des analphabètes leur lire des bouquins qu’ils ne comprennent pas, des…
Une vraie boîte de Pandore. Et tout ça à un rythme trépidant, un vrai page turner. En trois soirs, à raison d’une demi-heure/une heure de lecture, le bouquin était plié, rangé, digéré. Savouré. Bonne pioche. Au bout du compte, ça m’a énormément rappelé les comics complètement foutraques des frères Hernandez (Love and Rockets), et qui décrivent avec tendresse un microcosme parfaitement réaliste où se produisent des phénomènes complètement dingues, et ce, sans jamais donner d’explication. Un prof de français de ma jeunesse nous avait à l’époque expliqué que pour lui, la différence entre le fantastique et la SF, c’est essentiellement que le fantastique reste inexplicable. Ce qui, au passage, explique sans doute mon imperméabilité aux romans de vampire récents, où chaque détail un peu mystérieux du mythe est maladroitement défloré par des écrivains souvent très bien intentionnés, mais qui finissent par éteindre la magie de l’univers qu’ils tentent d’expliquer à toute force.
Berazachussetts dégage cette magie brute du fantastique, celle qui n’explique rien (ou presque, on saura tout de même d’où viennent ces foutus zombies), parce que tout simplement, l’auteur considère que nous sommes comme lui dans la confidence et qu’on ne va pas s’embarrasser à expliquer pourquoi la pluie ça mouille. Bancal, hystérique et surtout hilarant, c’est un bouquin qui se révèle finalement exigeant et un peu relou, comme ce type ou cette nana qui vous accoste à l’improviste et vous colle aux basques, pour finalement vous faire vivre une expérience absolument unique et changer votre perception des choses.
Je ne pourrais pas vous conseiller de lire Berazachussetts. Mais je vous recommande quand même d’essayer. Si vous accrochez, il y a de grandes chances que comme pour moi, ce bouquin vous marque durablement.
Allez, hop, suivant, un bouquin pour ados qui s’appelle Le combat d’hiver. Brrr. J’en tremble déjà.
En résumé (et je vais faire ça pour toutes mes « critiques ») :
À lire si :
* Vous aimez les trucs complètement zarbis.
* Qu’importe le style pourvu qu’on ait le fun !
* Les personnages complètement barrés de la tête, c’est votre truc.
À éviter si :
* Vous aimez les intrigues bien construites, logiques et cohérentes ;
* Vous aimez vous attacher aux personnages, quitte à les suivre sur une trilogie de pavasses de 800 pages.
* Vous êtes fan de Z-books (ouais, la littérature de zombies quoi) et vous attendez un récit qui tourne majoritairement autour du thème des morts-vivants.
ça me fait un peu penser à du Brussolo. Ya de ça ?
Oula, c’est du brut de décoffrage à côté de Brussolo. Du brut de chez brut. Caillouteux, voire violemment indigeste au début, jusqu’à ce que tu rentres dans le truc et que tu aies l’impression que le mec est devant toi, en train de te raconter sa petite histoire avec un petit sourire complice et un clin d’oeil quand il balance un truc énorme.