Voilà un bouquin qui m’aura donné du mal, dites donc… Ce n’est pas pour ça que j’ai mis tant de temps à le lire (d’autant que je n’ai terminé que le premier tome – Partie de Chasse – de cette pseudo-intégrale qui regroupe les deux premiers volumes d’une trilogie) : j’ai été très occupé ces dernières semaines et j’ai donc énormément traîné.
Avant toute chose, il faut que j’explique pourquoi j’ai eu envie de lire ce bouquin. Ça se résume à un nom : Lois Mc Master Bujold. Ces dernières années, j’ai eu le privilège de dépoussiérer pour J’ai Lu et Thibaud Eliroff une des plus géniales sagas de la SF, la Saga Vorkosigan, de Mrs Bujold. Travaillant avec Alfred Ramani, un spécialiste de cet univers qui m’en a enseigné les subtilités et qui a débusqué d’innombrables contresens et autres horreurs (en plus d’être quelqu’un d’extraordinaire), j’ai eu l’occasion de rétablir le sens de certains passages, de traduire ceux qui avaient été escamotés, et d’harmoniser au maximum les termes utilisés dans cette série de romans. Mon seul regret était de ne l’avoir pas lue au moment de sa parution, car il s’agit d’une œuvre géniale, qui se dévore d’un trait, et qui fait naître tout un monde cohérent et une foule de personnages attachants. Je dois ajouter au passage que Mrs Bujold, auteur reconnue et maintes fois primée, est probablement la personne la plus patiente de l’univers, puisque nous l’avons littéralement harcelée de questions sur chaque point litigieux de chacun de ses romans, et qu’elle a toujours répondu avec une précision et une gentillesse tout simplement hors du commun. Et elle sait écrire des scènes et des dialogues parfois hilarants, ce qui est rare.
Du coup, lisant sur la couverture de cette collection qu’on pouvait rapprocher Elizabeth Moon de Mrs Bujold, je me suis dit : tiens, voilà l’occasion de lire un truc du genre des aventures de Miles Vorkosigan, mais sans avoir besoin de comparer à la VO pour chercher les contresens. Oh yeah. Ben oui, parce qu’on a beau dire : c’est plus sympa de lire pour le fun que pour le taf… Avisant le prix riquiqui de ce recueil (10 euros pour une bonne grosse pavasse, sur un papier que j’aime beaucoup, sous une couverture un peu intrigante…), j’ai donc sauté sur l’occasion.
Alors, le verdict ?
Contrairement aux avis que j’ai lus ici et là, la comparaison avec Mrs Bujold n’est pas illégitime. L’univers où évolue l’héroïne-titre, Heris Serrano, ancien capitaine virée de l’armée pour insubordination, a beaucoup en commun avec celui de Miles Vorkosigan : du space-opera bien fichu, avec juste ce qu’il faut de cohérence technologique pour que les détails les plus saugrenus passent comme une lettre à la poste. Les aigris argueront du fait que l’univers n’est pas très bien décrit, et ils ont sans doute un peu raison, mais on s’en fiche un peu tant que ça tient plus ou moins debout (même si, honnêtement, ce n’est pas le point fort du bouquin).
Deuxième point commun : l’importance accordée aux personnages et à leur évolution au fil de l’intrigue (même si ce n’est vraiment pas très subtil ici).
Troisième point commun : des femmes fortes, au caractère bien trempé.
On sent presque le livre « à la manière de… ». Ce n’est pas un pastiche, et Heris Serrano se distingue suffisamment des aventures de Miles Vorkosigan. Malheureusement, c’est presque exclusivement par des aspects négatifs.
En ce qui concerne l’intrigue, grosse déception. Ce qui fait tout l’intérêt des romans de Bujold, c’est qu’ils fonctionnent comme des mécaniques de précision : le récit va crescendo, émaillé d’éléments apparemment anodins mais qui prennent de l’importance au fil des chapitres, et les passages consacrés à l’introspection font toujours progresser l’histoire. À vrai dire, ce sont même souvent les véritables moteurs de l’intrigue, les moments où celle-ci fait de véritables bonds en avant. Ici, nombre de passages de ce genre paraissent délayés, rallongés…
Le rythme du bouquin m’a vraiment donné du mal. Sur une grosse première partie, artificiellement technique, on a l’impression de ne faire que frôler les personnages sans vraiment faire connaissance. Ce n’est qu’au bout d’une cinquantaine de pages qu’ils prennent vie, et c’est vraiment trop long.
Et pourtant, les premiers dialogues opposant les personnages-clefs (Heris, son employeuse la noble Cecelia et le très pénible neveu de celle-ci) fonctionnent plutôt bien. Plusieurs répliques font mouche, et une fois le moteur lancé, on y croit. Mais la première intrigue du bouquin (une panne due au mauvais entretien du vaisseau et à une cargaison de contrebande que des employés peu scrupuleux y ont dissimulée), une fois résolue, ne rebondit sur rien. Des personnages, comme la pilote du vaisseau, paraissent prometteurs mais sont oubliés en cours de route.
L’auteur se vante d’avoir pu concilier vaisseaux spatiaux et chasse au renard. Alors déjà, la chasse au renard est un sport de con (je n’argumenterai même pas, la chasse au renard étant à l’équitation ce que les concours de pets sont à la musique classique), ce qui ne joue pas vraiment en sa faveur. Ensuite, non, mélanger les deux ne fonctionne pas : j’en veux pour preuve cet interminable chapitre où Heris s’y livre et où seuls les amateurs d’équitation peu exigeants trouveront leur compte : cette partie entière du bouquin ne sert strictement à rien. Du tout.
Lorsque surviennent les événements qui donnent leur titre au roman (une chasse à l’homme, en fait), on est surpris par la façon décousue dont la situation nous est présentée… Je reconnais que j’étais anesthésié par la fameuse chasse au renard à partir de ce passage, mais j’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois pour comprendre ce qui se passait et pourquoi, alors que dans l’ensemble, le bouquin est écrit dans un style clair et agréable (encore un point commun avec Bujold). Le récit se résout quasiment sans intervention de la part de l’héroïne, et de façon un peu molle…
Points positifs : j’ai bien aimé le développement des personnages. Certes, c’est un peu naïf, voire puéril par moment, mais la plupart des personnages, y compris secondaires, existent vraiment et ont droit à leur moment sous les feux de la rampe.
Bref, j’ai été déçu. Je vais attendre un moment pour lire le deuxième roman (si tant est que je le lise un jour), car si les personnages m’ont convaincu , le déroulement de l’intrigue, lui, m’a paru bancal et artificiel, voire pas maîtrisé du tout. Je ne peux pas dire que j’aie passé un mauvais moment en lisant Heris Serrano, Partie de Chasse (hormis le chapitre merdique de chasse au renard), mais le rythme par trop inégal m’a eu à l’usure.
Prochain bouquin… ah, faut que j’en parle. J’ai trouvé un bouquin de fou furieux. Un bouquin de rôliste, un bel objet, un livre qui se vit, qui se joue. J’avance tout doucement, parce qu’il y a beaucoup à lire (à faire ?), mais franchement, je me fiche de la façon dont il finira : le peu que j’ai passé dessus est déjà absolument génial, unique. J’en reparle très bientôt, mais je vais sans doute écrire un post sur un jeu de rôle avant…
Cacahuète and see ! (même pas honte) (si, en fait)
À lire si :
– vous êtes vraiment fan de la SF sociétale lorgnant vers le space opéra ;
– vous êtes en manque de Miles Vorkosigan au point de ne pas être trop regardant ;
– peu importe le récit pourvu qu’on ait des personnages.
À éviter si :
– vous attachez beaucoup d’importance à la cohérence de l’univers…
– … et à l’articulation du récit ;
– vous détestez la chasse au renard (ou alors, sautez le fameux chapitre…).
Y a pas à dire, tu ferais un excellent agent pour Elizabeth Moon…
Comme ton argumentaire était vraiment imparable, quand j’aurai du temps, je me pencherai sur l’oeuvre de Lois Mc Master Bujold !
Tu veux dire que j’ai pas réussi à te convertir à la chasse au renard ? Cela dit, la saga Vorkosigan est une tuerie.