J’ai enfin terminé 22/11/63, à force de le lire à dose homéopathique les soirs (je m’endormais souvent au bout de 4 ou 5 pages même si c’était formidable, et du coup, j’ai beaucoup lu le matin avant que ne sonne le réveil, en fait).

Bon, alors déjà le pas bien. La traduction est bonne et pas bonne, c’est la traduction de Schrödinger. Elle a été critiquée pour l’emploi de termes un peu pas terribles (par exemple, un mec qui dit “Hé, copain” pour “Hey buddy”, oui c’est super chelou pour les générations actuelles mais… mais je vous cache pas que ça se disait il y a longtemps, dans les cours de récré, et qu’un personnage qui aurait conservé ce tic a , du coup, un cachet particulier : bref, ça, ça ne m’a pas gêné), la substitution de termes de culture française pour des termes américains (genre des noms commerciaux, je n’ai pas noté lesquels), mais surtout, un truc qui m’a freiné dans ma lecture : le mélange constant du passé composé et du passé simple. Je ne comprends pas pourquoi, dans un même paragraphe, ça passe de l’un à l’autre, et ça a été extrêmement perturbant au début. On a aussi un personnage qui balance des “J’ai pas fait”, “Je pensais pas que”, etc. alors qu’il est prof de langue natale (anglais, donc transposé en français) et qu’on est dans le registre de l’écrit. Ca fait vraiment bizarre et voilà, ça m’a un peu interloqué au début. Je me suis dit qu’il s’agissait de choix (parce que la trad reste quand même fluide et lisible, et que si tu es habitué.e à lire plutôt en français, ça ne va pas te retourner le cerveau), mais je ne comprends pas d’où ils viennent, ces choix. Est-ce que le texte est vraiment un peu foireux, est-ce que c’est moi qui le critique trop, et à quoi ressemble la VO ?

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Je ne peux pas vous le dire, parce qu’une fois embarqué dans cette lecture, je n’ai pas pu décrocher.

J’y allais à reculons, mais au bout d’une vingtaine de pages, il était hors de question de perdre du temps à prendre le bouquin en VO plutôt qu’à suivre l’intrigue).

Une intrigue qui est TRES loin de ce que semble vendre le bouquin, en fait. On va vous raconter un peu partout que c’est le portrait de l’Amérique, blablabla, et patati histoire politique par-ci, et patata angle intéressant sur un événement et sa possible portée par le prisme de la fiction par-là… Vous aurez un peu l’impression que ce bouquin parle beaucoup de Lee Harvey Oswald et de Kennedy.

Selon moi, rien n’est plus faux.

Parce que je n’en ai strictement rien à battre d’Oswald et de Kennedy, comme de toutes les grandes figures historiques. C’est un point de vue que je pourrais développer ailleurs, mais je ne pense pas du tout que l’histoire repose sur les actes d’UNE personne comme le sous-entend une bonne partie de la fiction des zétazinis.

King n’est pas de cet avis, et ce bouquin est en réalité un bouquin sur le thème de la responsabilité personnelle et du contrôle de notre vie (et par ricochet de celles d’autrui) par nos actes. Il y a effectivement un passage consacré à Oswald : il arrive à un point marquant du récit, et on y voit King dégobiller une synthèse de dizaines d’ouvrages consacrés à cette page de l’histoire, de façon un poil artificielle selon moi (c’était le passage le moins intéressant), mais nécessaire malgré tout pour brosser le portrait DU meurtrier emblématique des US et poser la légitimité et la solidité de son intrigue. Je me suis un petit peu fait chier durant ce passage, mais c’était un mal nécessaire.

Tout le reste du bouquin est l’histoire personnelle et poignante d’un mec qui n’a plus grand chose à perdre, qui décide d’accomplir un acte extraordinaire et qui se rend compte que sa vie ne fonctionne pas à la même échelle que l’univers, que les rouages qu’il bidouille sont bien plus compliqués et pervers que prévu.

Oui, c’est l’histoire de l’effet papillon, mais c’est beaucoup plus futé que ça. Le papillon de l’histoire, c’est celui que Jake Epping a dans le ventre comme on dit en zétazinien, mais je ne veux pas vous spoiler tout ça parce que ça arrive d’une façon très intéressante.

C’est du King, bien sûr, mais le meilleur du King. Déjà parce qu’en début de roman il pose les règles du voyage dans le temps et définit une base solide sur laquelle le reste du récit va s’appuyer… ou pas (King reste King).

Ensuite, c’est une intrigue extraordinairement resserrée : ça pourrait facilement tenir dans un film genre “C’était demain” (le love cosmique sur ce film), et le réal changerait sans doute la fin par rapport au roman, et il aurait tort, poutrin, tort tort tort parce qu’il s’agit tout simplement d’une des fins les plus fortes de King, je l’ai beaucoup aimé même si je lui aurais bien mis une grosse calotte de cow-boy pour m’avoir fait ça.

Bref, j’ai adoré, et clairement, 22/11/63 se place à côté du Fléau et de Ca, qui sont mes King favoris. Peut-être même que c’est son meilleur, je ne sais pas (il y en a beaucoup que je n’ai pas lus).

Tout ce que je peux vous conseiller, c’est de le lire (en VO si vous pouvez, mais je vous promets que mes pinaillages sur la VF ne sont que des pinaillages : la SF des années 60 a survécu à beaucoup de trads parfois plus hasardeuses que celle-ci) et de vous attendre à ce genre d’expérience que j’apprécie le plus chez King : vous allez côtoyer des personnages extraordinaires, et curieusement, Oswald et Kennedy ne sont que des troisièmes ou quatrièmes rôles sans la moindre importance (ou presque). Un grand, un TRES grand roman que j’ai lu après avoir potassé le bouquin de Yannick Chazareng sur le King, un guide de lecture parfait.