En général, j’ai du mal avec les mécaniques de jeu très complexes. Les jeux qui ménagent d’innombrables subtilités techniques m’amusent à la lecture, mais une fois à la table de jeu, j’oublie tout. Enfin… je me rappelle les règles de base, mais tout le reste m’échappe. Par conséquent, il existe très peu de jeux que j’ai envie de maîtriser longtemps : dès qu’une gamme se développe, les auteurs se sentent obligés d’ajouter des règles “annexes” très complexes, parfois si distinctes du corpus de base qu’elles forment un jeu complet à elles seules.
Prenons l’exemple de l’Anneau Unique. C’est un excellent jeu. A mes yeux, il s’agit d’une des rares réussites d’adaptation d’une licence littéraire sous forme rôlistique (je parle bien d’une oeuvre précise adaptée sous une forme spécifique qui vise à en analyser les codes pour les reproduire de manière ludique). Eh bien dans l’Anneau Unique, il existe tout un pan de règles consacré aux voyages, qui nécessite de recourir à certains types de jets de dés spécifiques, pour obtenir tel ou tel résultat, et aboutir à telle ou telle conséquence… C’est tout simple, il suffit de connaître les jets de dés à faire, de tirer en gros sur des tables, et pouf, c’est réglé.
C’est tout simple, mais il y a absolument zéro chance que je fasse ça de tête ou d’instinct. Or, c’est un des aspect vraiment très codifiés et caractéristiques du jeu : si je passe à côté, autant jouer à D&D (dont la 5e édition est absolument géniale : une lecture technique complètement dépourvue du moindre intérêt, et un immense plaisir une fois à la table de jeu). Ca n’enlève rien à la quasi-perfection de l’Anneau Unique (dont la gamme contient en outre des scénarios que je trouve idéaux), mais je sais que ce ne sera pas le grand amour rôlistique pour moi. “Juste” un jeu excellent, mais dans lequel je n’ai pas envie d’investir mon énergie et mon temps (pour le moment).
C’est sans doute pour ça que mon palmarès personnel des règles de jeu de rôle est réservé à trois jeux seulement.
D’abord il y a les PbtA (les jeux “powered by the Apocalypse”, c’est à dire dérivés d’Apocalypse World) : ils n’utilisent qu’un mécanisme simplissime (jet de 2d6 plus un petit bonus, réussite sur 10 ou plus, réussite mitigée sur 7-9, “échec” sur 6 ou moins) et tous les autres mécanismes sont décrits en détails sur les “fiches de perso”, de la façon la plus élémentaire possible (“si X se produit, faites Y”).
Ensuite, il y a DC Heroes (et ses dérivés) : dans ce jeu, TOUT est résolu par le même type de jet de dés. L’exemple le plus frappant, c’est celui des achats matériels dans le jeu. La fortune des personnages est représentée par une valeur (comme leur force, leur agilité ou leur charisme) et pour acheter un objet, ils doivent réussir un jet de dés opposé à la valeur de ce dernier (calculée de façon extrêmement simple : un coup d’oeil à un tableau unique, qui vaut pour tous les types de valeurs – valeur en dollars, distance, temps, volume, etc. – suffit à l’obtenir immédiatement). Tout, dans le jeu, est convertible en points AP (un concept génial) : on peut additionner des durées et des distances, des torchons et des serviettes… et ça fonctionne. Créer un gadget, obtenir un pouvoir ou apprivoiser un tyrannosaure de compagnie : même combat, il suffit d’attribuer des AP au machin en question. Il n’existe aucune exception à la règle de base, tout se résout exactement de la même façon. Il s’agit du système le plus cohérent que j’aie vu dans un JDR.
Et finalement, suspense… Star Wars – Aux Confins de l’Empire paru chez FFG, puis chez Edge en VF. Au début, je n’étais pas forcément enthousiasmé par le jeu, mais je m’y suis fait presque immédiatement. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui me plaît dans ce jeu, mais simplement rappeler à quel point j’apprécie ce mélange d’aspects narratifs (il faut interpréter les résultats des jets de dés comme on interpréterait, par exemple, un tirage de tarot) et tactiques (l’air de rien, la mécanique de ces règles est réellement bien pensée, très souple et propice à la création de belles rencontres stratégiques pour ceux qui veulent jouer à “piou piou on dirait que j’aurais tué les stormtroopers”).
Et mieux valait pour FFG que ce soit réussi, vu l’étendue de la gamme, désormais séparée en trois parties : les vauriens, les rebelles, les Jedi. De ce point de vue, d’ailleurs, Aux Confins reste mon jeu préféré : les affrontements Rebelles/Empire, j’ai l’impression d’avoir déjà tout vu (ce qui explique pourquoi un film comme Rogue One m’en a remué une sans faire bouger l’autre), les récits mettant en scène les Jedi sont systématiquement foireux à mes yeux tant ils cherchent à présenter des intrigues à grande échelle (mais dont on se retrouve déconnecté émotionnellement et qui n’ont au bout du compte qu’un impact infime – exception : les épisodes 7 et 8, qui m’ont beaucoup plu, justement parce qu’ils traitent l’intrigue à grande échelle comme étant anecdotique et insistent, parfois jusqu’à l’excès, sur les troubles personnels)…
Et là, je vais dériver vers un sujet geek mais un peu moins rôlistique… Je pense que la grande histoire de Star Wars a déjà été racontée : c’est celle de la victoire sur l’Empire, et c’est celle du dernier Jedi, Luke Skywalker (je dis dernier, parce que… Rey est-elle un Jedi ? J’aurais tendance à dire que non, et que c’est ce qui fait d’elle un personnage aussi extraordinaire). En matière de menace à grande échelle, de péril galactique, comment peut-on surpasser le triomphe de la liberté sur le carcan du nazisme ? (Je ne vois pas comment désigner l’idéal impérial autrement, et l’inspiration de Star Wars, c’est quand même les dogfights aériens de la Seconde Guerre mondiale, donc on va laisser tomber les nuances et les oeillères, hein.)
Y a-t-il vraiment un grand conflit militaire à raconter dans Star Wars ? Ou plutôt : ce genre de conflit a-t-il la moindre chance d’avoir la même résonance, le même impact, que la bataille pour l’éradication de l’Empire ? Je ne parle pas d’une bataille pour détruire un gros truc qui tue les planètes, ni d’une victoire militaire. Je parle de se libérer de l’emprise de forces malfaisantes opérant à l’échelle de la galaxie. Cette histoire-là a déjà été racontée, c’est fait. Quand on casse le gros joujou du “Nouvel Ordre” dans l’Episode VII… c’est une redite, ou plutôt un écho. Ca ne peut pas faire autant de bruit que la destruction de l’Etoile Noire. Been there, done that. Heureusement, les épisodes 7 et 8, bien plus futés qu’ils ne le paraissent, se servent de ces passages obligés sans s’y focaliser.
Je me rappelle d’une critique d’un scénario paru pour le jeu Star Wars (la version d6), où l’auteur se lamentait que le récit aboutisse une fois encore à la destruction de l’arme géante de l’Empire.
Je vous ai dit que j’avais bien aimé le film Solo ?
En fait, ça va un peu plus loin que ça. J’ai beaucoup aimé, déjà. Davantage que Rogue One avec ses personnages désespérés au point de ne plus rien ressentir, et d’être capables de se sacrifier pour une cause somme toute absurde, sans nourrir le moindre espoir de profiter de leur victoire. J’ai trouvé ces personnages aussi gâchés dans l’intrigue qu’ils l’étaient dans leur monde : Rogue One les déshumanise complètement en n’en faisant que des pions (malgré quelques fulgurances d’émotion, mais il faut que je revoie le film pour savoir si l’impression très froide qu’il m’a faite est justifiée).
Solo présente des personnages très terre à terre : ce ne sont pas des idéalistes, des héros. Ils vivent dans un univers très concret, où on ne passe pas son temps à se taper sur la gueule à coups de néons, mais où les gens ont des vies compliquées, où des minorités subissent le contrecoup désastreux d’une politique qui veut imposer la prospérité et l’ordre sans se soucier des vies que la machine impériale va sacrifier (oh mince, ça me rappelle un truc…). J’ai beaucoup moins de mal à m’identifier à Solo, dont l’objectif consiste à sauver ses fesses et à retrouver sa copine, qu’à Erso qui, une fois son père retrouvé, n’est mue que par… euh, par quoi ? Excepté un désir de vengeance qui la pousse à servir une cause qui n’a que faire d’elle excepté lorsqu’il s’agit de l’utiliser, jusqu’au sacrifice.
Les personnages d’Aux Confins de l’Empire sont curieusement ordinaires. Certes, ils comptent des mercenaires et autres gros bras, mais aussi des… colons. Des médecins qui ne sont pas forcément des médecins de guerre. Des survivants, pas des soldats. Cet angle-là est inédit et me plaît beaucoup (mais j’en ai déjà suffisamment parlé). C’est celui qu’adopte Aux Confins de l’Empire.
Pourtant, le jeu a des défauts. Le premier, c’est son chapitre background, digeste comme une tarte à la semelle avec nappage de caca. “Comment remplir un formulaire de sécurité sociale dans l’univers de Star Wars”, c’était obligatoire, comme encadré ? (J’exagère peut-être un tout petit peu…). Le chapitre est mal écrit, dispensable, et tout simplement mauvais. Si on veut savoir ce qui se passe dans l’univers Star Wars, il vaut mieux se tourner vers celui de l’équipement, qui est paradoxalement bien plus parlant et vivant. Le reste de la gamme est du même tonneau : les aspects techniques sont excellents, d’autant que chaque supplément consacré à une classe donne au maître de jeu d’excellents conseils pour créer des aventures qui permettent de mieux l’exploiter et la mettre sur le devant de la scène. Les nouvelles d’introduction sont au contraire d’une médiocrité affligeante, et le texte VO est un festival de redondances : les auteurs “tirent à la ligne”, et on pourrait sans doute retirer un bon tiers (voire une moitié, pour certains) de chaque bouquin sans lui faire perdre sa substance.
Ca n’empêche, Star Wars – Aux Confins de l’Empire est tout simplement mon jeu préféré. Il se déroule dans un univers que j’adore, utilise un système cohérent et clair, et présente le ration narration/tactique idéal pour moi.
Et en plus, j’y joue avec des gens bien.