Dix jours, dix jeux de rôle qui m’ont énormément marqué, et y a de grandes chances pour que je m’arrête en route parce que je suis notoirement tête en l’air. Histoire que ce ne soit pas “voilà la couv’ et démerde-toi”, je vous raconte comment ils m’ont découvert.
1989, c’est l’année de la Batmania, et pour moi, c’est une année super importante. Je suis au lycée (les plus belles années de ma scolarité, avec des profs exceptionnels et des camarades formidables), je n’ai pas une vie sociale trépidante mais je pratique vigoureusement le JDR. Le Batman de Tim Burton me fascine, davantage visuellement que par son scénario. Je me plonge à fond dans toute la littérature qui en parle.
C’est l’occasion, grâce à mon pote Florent, de découvrir USA Magazine, qui diffuse pour la première fois en France “The Killing Joke” d’Alan Moore et Brian Bolland. J’ai loupé le début : je ne lis et relis, pendant longtemps, que la deuxième moitié du récit. Au passage, USA Magazine me fait découvrir des comics incroyables (dont ceux de Shary Flenniken : je ne comprends pas encore le féminisme, je n’en parle pas trop, mais même si ça me paraît too much, il y a déjà des trucs qui m’attirent là-dedans… même si je ne l’avouerais pour rien au monde !).
Et comme à cette époque, tout me mène au JDR, l’étape suivante, après les comics et les bouquins divers et variés (surtout des magazines, les artbooks de ciné sont un peu inaccessibles à l’époque, quand on vit dans le fin fond de la Nièvre), consiste à acheter Batman, le JDR, de chez Mayfair Games. Je le commande en remplissant un petit coupon dans un mag (Casus ? Chroniques d’Outre-Monde ? Je ne me rappelle pas).
Le machin arrive, avec sa couverture raide laide, ses illus curieuses, ses règles bizarres (si vous voulez les découvrir, l’excellent podcast anonyme en parle, puisqu’il s’agit de celles de DC Heroes ; c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=b1L-DPhSjjE).
Je le laisse pourtant de côté un moment, préférant continuer à jouer à “notre système à nous qu’on a”, un hybride de James Bond et de toute la littérature rôlistique qui nous est tombée sous la main (ça doit représenter une bonne demi-douzaine de bouquins… je vous rappelle : la Nièvre).
Des mois plus tard, la série Flash arrive à la télé française, avec un générique de Danny Elfman et une esthétique un peu inspirée du Batman de Burton. On sent que les studios capitalisent sur la batmania de toutes les façons possibles. Ça me convient : je suis en pleine obsession batmanesque et je bouffe les épisodes de la série avec délice. Et puis, je me dis que ça vaut peut-être le coup de tenter le système DC (Batman est en réalité une version abrégée de DC Heroes), pour voir. Le bouquin, léger, comprend toutefois tout ce qu’il faut pour jouer, y compris un beau panel de personnages avec leurs fiches.
C’est la révélation. Les règles sont ultra-dynamiques, permettent de créer des personnages extrêmement variés et se révèlent formidables pendant la partie. Casus publie un article sur la 2e édition de DC Heroes, que l’auteur de la critique encense, à juste titre : jamais aucune boîte de JDR n’aura été aussi complète dans cette gamme de prix. Je l’achète, gros investissement pour l’époque, mais le plus rentable de toute ma vie de rôliste. Tout y est, du paravent aux dés en passant par une quantité de fiches de PNJ au format carte à jouer, reprenant tous les protagonistes principaux de l’univers DC de l’époque.
Ces personnages, nous ne les connaissons pas, ou mal, en France, où des comics comme Justice League International ne paraîtront pas avant… mince, je crois que la première trad française, je l’ai vue à Cultura il y a trois mois. Peu importe : on réinvente le DC Universe avec le peu de matériau qu’on a. On va chiner dans les vieux bouquins de chez Arédit quelques références essentielles : Darkseid, par exemple, mais aussi les Jeunes Titans et les innombrables héros aperçus dans Crisis.
Je vais jouer très très longtemps avec DC Heroes, et avec les potes de l’époque, nous allons créer toute une mythologie superhéroïque avec ses codes, ses lieux, ses PNJ qui vivent leurs story-arcs au fil des ans. Les suppléments du jeu vont alimenter ma culture comics : c’est grâce à eux, et notamment au supplément magie, que je vais enfin réussir à comprendre un vaste pan de l’univers DC, celui qui donnera naissance au label Vertigo. Les auteurs du bouquin (préfacé par Neil Gaiman, de façon assez hilarante, puisqu’il y affirme avoir perdu son texte d’origine – à cause d’une fausse manip informatique, si ma mémoire est bonne…) font un splendide travail de synthèse sur des séries encore obscures en France (j’ai entendu parler de John Constantine dans USA Magazine, qui encense Hellblazer, mais la série est complètement inconnue chez nous, par exemple).
La 3e édition du jeu, présentée sous la forme d’un unique ouvrage, paraît bien pauvre, d’autant qu’elle n’amène pas grand-chose de neuf. Le système survivra à la licence DC sous la forme d’un jeu intitulé « The Blood of Heroes » : il reprend le corpus de règles qu’il étend un peu, ajoute un univers original (auquel je ne me suis pas intéressé), mais présente le tout avec des illustrations calamiteuses. Rien ne viendra remplacer la boîte mythique de la 2e édition, qui aura été, pour moi, le plus bel objet rôlistique de tous les temps.