Bon, je vous l’avais promis il y a quelques jours, il FAUT que je vous parle des Cahiers du Vastemonde (tome 1) de John Grümph, dispo chez Chibi sur Lulu. Déjà, important : c’est disponible ici, ça coûte 20 euros en format couverture souple.
John Grümph, alias “le Grümph” (moi j’ai toujours cru que son prénom c’était “le”, et vous voyez comme des fois on se fourvoie, surtout quand on dit des conneries) a écrit, traduit et illustré une quantité assez époustouflante de machins rôlistiques, et il publie sur Lulu d’excellents petits bouquins qui valent une bouchée de pain et que je vous recommande vigoureusement : pour le prix d’un gros manuel de jeu pas terrible, vous pouvez vous procurer trois ou quatre de ses bouquins, voire davantage si vous les prenez en ePub/PDF (mais je recommande particulièrement des choses comme Dragon de poche en version papier : ce sont des JDR complets qui tiennent dans la poche, et à 12 euros le petit poche de 300 pages, vous ne serez pas volés, vraiment).
Le Grümph écrit, le Grümph illustre, le Grümph ramène l’être aimé, et le Grümph propose en particulier une série de “rétroclones”, c’est à dire de jeux fortement inspirés de la première version du JDR emblématique, Dungeons & Dragons. Mais un rétroclone, c’est quoi, au juste ?
C’est une reprise des règles élémentaires de D&D (une poignée de caracs de base comme FORCE, INTELLIGENCE, COUSCOUS ; des jets de dés simples, une classe d’armure, des points de vie, des streumons et de l’XP) avec de petits aménagements pour les rendre plus efficaces, ou plus adaptées à tel ou tel univers. Des rétroclones, il en existe des tas, souvent issus de passionnés qui ont envie de…
Poutrin, mais de quoi ils ont envie, ces passionnés, au fait ? Non, parce qu’à l’époque des JDR super bien articulés comme Star Wars, Tales from the Loop ou Apocalypse World, revenir à des vieux trucs mal foutus, c’est pas un peu complètement con ? C’est la question que je me posais, mais en voyant l’engouement que suscitent ces rétroclones, je me suis demandé ce qui était si intéressant que ça dans ces vieux pots où je distingue plutôt un vieux fond cramé qu’une de ces meilleures soupes dont on me rebat les oreilles…
Jusqu’à ce que je lise plusieurs trucs parus chez Chibi, sous la plume du Grümph ou d’autres auteurs (allez voir Coureurs d’Orage, qui est très bon, très bref, et qui vous permettra de jouer rapidement si vous n’avez pas envie de vous farcir ENCORE un univers de fantasy mal gaulé). L’idée du rétroclone est simple : démerdez-vous ! Et c’est une excellente idée. Je m’explique : à l’origine, lorsque D&D est sorti, les règles étaient plutôt limitées. Par conséquent, nombre de situations reposaient sur l’improvisation, qu’il s’agisse de celle du MJ (lequel devait inventer des règles à la volée, genre : “bon ben on dit que pour déchiffrer ce vieux parchemin en langage Gloumouth, comme t’es un prêtre, t’as pu lire des trucs qui ressemblent, alors euh… ben t’as qu’à faire un test d’INT et je te mets un malus de 3”) ou celle des joueurs (“ouais mais mon PJ, on avait dit que c’était un passionné de calligraphie et de vieux bouquins, alors est-ce qu’il peut pas avoir déjà vu un truc comme ça ? On peut pas faire un test de… de chance, on dit que je lance un dé à six faces et si je fais 1 j’ai déjà vu un truc pareil ?”). La réussite des joueurs dans les scénarios dépendait davantage d’un véritable dialogue que d’un recours systématique aux règles (genre : “bon ben j’ai la classe Erudit qui me donne un bonus de +3 en déchiffrement de glyphes… Ton manuscrit, c’est un Manuscrit ancien +2 ou plutôt un Manuscrit technique +3 ? On regarde la règle ? Normalement, pour tous les manuscrits, c’est un jet d’INT majoré par l’EDU avec une tranche de 3% par niveau de Culture”).
Du coup… eh bien les scénarios se résolvaient surtout grâce à l’astuce des joueurs plutôt que par un choix du bon élément technique à utiliser sur leur fiche. Ca a l’air tout con, présenté comme ça, mais c’est plutôt futé, et c’est un parti-pris tout à fait légitime. Eh bien les rétroclones fonctionnent (plus ou moins) comme ça.
Le système de jeu du Vastemonde, intitulé “Princes et Vagabonds” (le titre de l’ouvrage est : “Princes et Vagabonds, qui est un système de jeu à l’ancienne, précédé d’un mémoire admirable de concision sur le Vastemonde et suivi de quelques périlleuses aventures et autres histoires pittoresques”. PEVQEUSDJALAPDUMADCSLVESDQPAEAHP, donc, pour résumer) est basé sur ce principe : il est simple et convient aussi bien à des débutants qu’à des joueurs aguerris. Attention toutefois : les seuls lanceurs de sorts qu’on y interprète sont des bardes et des paladins. C’est comme ça. Les sorciers et autres nécromants sont plutôt du côté des PNJ, et pour tout dire, des adversaires. Le seul défaut du système, c’est qu’il ne comporte pas d’index pour retrouver les sorts, et c’est bien pénible vu qu’ils ne sont pas classés dans un ordre super pratique, mais on s’en fiche un peu. Pourquoi pas de magos chez les joueurs ? Parce qu’on joue des princes et des vagabonds, pas des vieux croulants qui vivent en haut d’une tour et collectionnent leurs crottes de nez tout en compulsant de vieux bouquins sur l’élixir de jouvencelle (le mieux, dedans, c’est les illus).
Alors maintenant, c’est quoi, le Vastemonde ? C’est un univers de jeu présenté sur une centaine de pages, richement illustré dans un style qui me rappelle certaines fresques d’Agathe Pitié (une artiste qu’il FAUT découvrir et qui vient de réaliser une fresque sur l’enfer et le paradis absolument ahurissante…) : des tableaux très riches, avec une foule de personnages qui font des tas de choses, et des détails dans tous les sens. Le style pictural est très BD, et il en ressort une atmosphère unique, une impression de dynamisme et de vie souvent absente des illustrations de JDR (où les persos se cantonnent généralement aux poses héroïques et au molestage de gloumoutes divers et variés). Dès qu’on se plonge dans une de ces illustrations, on entre dans un monde vivant. (Tant que j’y suis, les illus de Dragon de Poche sont également un vrai bon exemple du genre d’illus qui pourraient bien résister à l’épreuve du temps, avec un style à tomber… Bref, c’est très très beau.)
Et vivant, le Vastemonde l’est bel et bien. C’est un univers de fantasy, certes, et on n’échappera pas aux elfes, aux gobelins, aux orcs… Sauf que cette fois, gobelins et orques ne font pas partie du bestiaire, mais des espèces jouables. Et ils réservent des surprises tout simplement géniales. Un exemple ? Les orques sont en majorité femelles, une partie d’entre eux devant mâles à l’âge adulte. Allez, une autre originalité rigolote ? L’être divin d’origine est le diable (qui a en réalité reçu ce sobriquet suite à une mésaventure, justement… Avant, c’était le “dieu cornu”). Un diable sympa, à qui il est arrivé des trucs marrants, et autour duquel s’organise une mythologie qui ne se cantonne pas à aligner sagement des divinités en rang d’oignons. L’univers est construit, avec énormément d’éléments (des sortes de méchas, des fusils bizarroïdes, des “bulles” reliées les unes aux autres par d’étranges chemins pour former le Vastemonde…) et on a là un condensé d’un imaginaire très riche, que l’on sent élaboré au fil du temps et d’innombrables parties. En peu de pages, le Grümph brosse un tableau expressif, sans trop s’attarder sur les détails, mais en fournissant une quantité d’idées presque invraisemblable. On retrouve certaines idées communes à l’oeuvre du Grümph comme la création aléatoire de domaines et l’utilisation de tables pratiques présentées en annexe (à cet égard, je recommande encore une fois Dragon de poche qui contient énormément de listes utiles pour stimuler l’imagination, voire le vocabulaire…), ainsi qu’une volonté de présenter un univers… souriant.
Ben oui, on sourit, dans le Vastemonde. On rit aussi. On fait la fête, on bouffe, on chante. Les dieux ne sont pas là que pour présider aux choses de la guerre. Les conflits, la guerre, les aventures, sont des exceptions. Ce qui rend aux aventuriers, à ces princes et vagabonds qu’interprètent les joueurs, leur caractère exceptionnel. Tout cela passe aussi par un vocabulaire imagé, des noms de peuples évocateurs, et une rédaction qui tient plus de l’art des conteurs que de l’exposition historique façon manuel de troisième à laquelle nombre d’ouvrages rôlistiques nous ont malheureusement habitués.
Il me faudrait beaucoup plus de mots et de temps pour exprimer l’émerveillement qu’a suscité chez moi la découverte du Vastemonde, et le plaisir que j’ai eu à lire ces pages, à découvrir un univers mûr, qui n’esquive pas des questions comme le genre ou la sexualité, les présentant sous un angle intéressant, sans complaisance ni pudibonderie. Je le recommande donc sans réserve, sachant en outre que la version en couverture souple ne coûte que 20 euros (pour pas loin de 400 pages en noir et blanc !) et qu’elle offre davantage qu’une quantité d’univers de fantasy (ou autres) que j’ai pu découvrir ces dernières années. Le rapport qualité-prix est strictement imbattable, et si en plus vous accrochez aux illus du Grümph, c’est un JDR à avoir absolument dans sa ludothèque, en attendant Oltréé 2, mais également dans l’espoir que le volume 2 (puisque ce livre est le volume 1) sorte vite.