Double feature un peu spécial ce vékande, avec deux films vus sur une taylay, et non un écran de ciména.
Comme d’hab, ça va spoiler velu, vous êtes prévenu.es.
John Rambo (2008)
Oui, le John Rambo intitulé Rambo au Québec, parce qu’au Québec, Rambo (dit « Rambo un », voire « Rambo, hein ? » en France) s’intitulait Rambo le Dévastateur. Alors qu’aux zétazinis, c’est Rambo First Blood (alias « Rambo tombe à vélo et s’écorche les genoux : il ne s’en remettra pas et s’engage dans l’armay des zétazinis »).
Euh, bon, en fait c’est Rambo 4. Dans les années 1980-90, c’était la classe de mettre un numéro après le nom d’une suite, aujourd’hui c’est la lose, il faut croire. En tout cas, ça ne facilite pas la tâche au cinéphile un peu distrait. Bon, l’essentiel, c’est : je ne vais pas vous parler du Rambo qui sort au ciné en ce moment (septembre 2019 donc), mais du précédent.
Recommandé par des gens que j’apprécie beaucoup (et qui vont probablement me jeter de petits cailloux pointus après cet article, je les entends déjà poncer des silex), le film est bâti selon un schéma classique : Rambo est parti capturer des serpents venimeux en Thaïlande et oublier toutes ces conneries de guerre de mon cul, il est peinard à choper de la vipère aquatique super dangereuse à mains nues, quand soudain, arrivent des gens qui ont une furieuse envie de le faire chier.
Et ces gens, comme souvent les gens qui font chier quand on est peinard, sont des prosélytes qui veulent passer en loucedé en Birmanie pour aller refourguer des bibles et du prêchi-prêcha à des pauvres paysans Birmans qui sont déjà bien embêtés d’être chrétiens dans un pays où c’est un peu un ticket gratuit pour une partie de « attrape la balle de fusil avec tes organes ».
Ca commence plutôt intelligemment, avec ces prosélytes qui sont aussi médecins, donc pas complètement inutiles, et qui ont grave la foi : la petite nana sympa mais inaccessible parce que son mec fait partie de l’expédition explique bien à Rambo que non, tout n’est pas perdu pour lui, qu’il a beau faire celui qui s’en fout et qui passe tranquillement ses nuits en PTSD, il se soucie encore de son prochain. Ou de sa prochaine. Et ça tombe bien, des prochains, elle en a un plein bateau à convoyer jusqu’en Birmanie alors secoue-toi, John, enfin, tu vois bien que c’est important.
Ce qui n’est pas si con.
D’une part parce qu’on sent arriver une escouade de bons persos blancs bien privilégiés à bloc qui débarquent avec leurs bites (pour la majorité d’entre eux) mais même pas de couteau dans un pays en guerre, et qu’il y a peut-être une morale rigolote à en tirer. D’autre part parce que…
BOUM !
Ca, c’est le bruit des Birmans opprimés qui sautent sur des mines. Krakka-boom ! Ca, c’est le bruit de leurs copains et copines massacrés par une junte infecte menée par un officier pédophile. Pendant une séquence d’exactement huit heures, nous assistons donc aux déprédations des salauds de méchants, caractérisés par le fait qu’ils massacrent un peu les gens pour passer le temps. Et Dieu que le temps passe lentement en Birmanie quand on assiste à tout ça. On m’avait parlé d’un film violent, et poutrin de sa génitrice, c’est un des plus violents et affreux que j’aie vus. Franchement, si vous êtes un poil sensibles, épargnez-vous ce spectacle, c’est limite insoutenable. Mais j’ai soutenu héroïquement pour vous, donc estimez-vous heureux, petits galopins.
Donc, à partir de là, le film bascule dans l’ultraviolence à outrance. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose : ça fonctionne même très bien dans pas mal de films de guerre ou d’horreur, et montrer la violence peut avoir un sens. Mais dans Rambo, je le cherche encore. Il y a peut-être une simple volonté de choc, mais pour moi, ça ne fonctionne pas, mais alors pas du tout.
Des mercenaires interviennent et doivent aller chercher les missionnaires capturés par l’armée birmane (et un petit peu torturés, mais quand même pas trop, à une exception notable : l’un d’entre eux se fait bouffer les pieds par des cochons). L’équipe de mercenaires rappelle pas mal ce qu’on a pu voir dans des films d’action des années 1980-90, mais la sauce prend difficilement : peu de temps pour développer ces personnages à l’exception d’un chef assez infect, mais qui révèle son courage en crachant à la tronche de l’officier birman.
Tout ce petit monde-là intervient dans le village tenu par l’armée, et nous assistons à une interminable scène d’humiliation de captives obligées de danser devant une foule de soudards avinés, jusqu’à ce que l’atmosphère sombre davantage et que les soldats se jettent sur elles et les molestent copieusement dans la perspective évidente d’un viol collectif.
Alors tout ça, après avoir vu l’assaut du village, les gosses jetés dans le feu, les corps démembrés par les éclats d’obus et tout le reste, ça commence à faire un poil too much. Or la scène d’humiliation s’éternise. Elle entrecoupe une longue séquence d’infiltration du village des méchants par les mercenaires, mais les « coupes » sont très longues chaque fois. Et chaque fois la vision devient plus malaisante, par effet de répétition sans que quoi que ce soit ne s’y ajoute réellement. Nous comprenons également que l’officier birman est pédophile, ceci au moyen de quelques plans heureusement moins directs : un gosse entre dans ses quartiers, la porte se ferme. On reverra le gamin repartir plus tard comme une ombre, au loin.
S’ensuit l’attaque du village, ça pète, ça se passe assez mal pour les mercenaires, puis, lors de la fuite, Rambo s’empare d’une mitrailleuse lourde et les rebelles locaux interviennent pour mettre leur raclée aux mercenaires. Raclée qui nous est montrée sous la même forme que l’assaut du village : corps démembrés par les balles, explosions, lance-flammes…
Arrivé à ce point, je n’avais plus qu’une envie : que ça se termine très très vite. Rambo repart en mode machine de guerre, il défouraille comme une escouade de marines à lui tout seul, et ça finit en bain de sang. Encore une fois, les scènes sont assez insoutenables et j’ai réellement subi les images plutôt que de les regarder.
Fin du truc : Rambo, comprenant qu’il est encore humain, rentre au ranch de son père et hop, crédits.
Immense déception.
J’attendais, derrière la violence, un message un peu plus subtil. OK, une partie du message passe bien : la guerre, c’est super moche et quand on est un petit privilégié à la con, c’est pas super malin d’aller répandre la bonne parole à l’autre bout du monde, parce qu’on se fait un petit peu tuer sauf s’il y a Rambo dans le coin.
Non, euh, sérieusement : je ne retiens du film qu’une série d’images ultraviolentes enchaînées sans but narratif, avec un montage assez foireux. Aucune réelle présentation des méchants, qui sont juste tout le temps des connards. Cela dit, on n’a pas énormément de pitié quand ils y passent, mais ça reste une maigre consolation après avoir encaissé le reste. A vrai dire, leur exécution à la sulfateuse par Rambo n’a rien de cathartique ni de satisfaisant. La fin du film m’a laissé curieusement froid, et j’ai attendu jusqu’au bout qu’il *se passe quelque chose*. N’importe quoi. N’importe quoi sauf un massacre/viol. Bref, une quelconque volonté de raconter un truc. Et je n’ai absolument rien vu de tout ça.
Par conséquent, soit j’ai loupé quelque chose d’essentiel (ça m’était arrivé sur le tout premier Rambo, qui m’avait bien plu, mais que je n’ai réellement compris qu’en le revoyant vingt ans plus tard), soit c’est vraiment un Rambo de plus, bien plus proche des deux opus précédents que du premier, qui reste un classique excellemment bien mené.
Au passage : âmes sensibles, sérieusement, abstenez-vous.
Midsommar
2e film joyeux et d’une gaité époustouflante du week-end : Midsommar, d’Ari Aster.
Ari Aster, c’est Hereditary, un film d’horreur choc qui m’a scotché à mon siège de ciné comme jamais à sa sortie, et qui m’a mis une gifle magistrale.
La bande-annonce de Midsommar laisse entrevoir à tout spectateur un peu aguerri le pitch du film : des Américains en vacances assistent aux festivités de l’été en Suède, mais évidemment, la communauté où ils se rendent n’est pas bien bien nette et ça va très mal se passer. Bref, c’est un coup à vérifier si personne n’est en train de monter un gros mannequin d’osier dans un coin. Wink wink.
Premier truc : c’est lumineux. Poutrin, on se prend de la lumière plein la tronche durant tout le film. Normal, c’est l’été, c’est en Suède, c’est lumineux. Une immense partie de l’action se déroulant dans un village qui ressemble en gros à un vaste pré avec quatre maisons et un temple en forme de dé à 4 faces (oui, une pyramide, roooh, mais ça marche aussi), on est souvent désorienté. Rien pour bloquer la vue : on voit très très loin, tout le temps, et on est aveuglé par le soleil une bonne partie du temps. C’est curieusement éprouvant pour les nerfs, d’autant que la tension monte au cours du film et que le malaise s’installe peu à peu, pour aboutir à une fin évidemment atroce.
Ari Aster a déclaré qu’il s’agissait non pas d’un film d’horreur (mec, t’as pas vu les cadavres dégueu qu’ont fait les SFX ou quoi ?) mais un film de rupture.
Et… mais ouais, c’est bien ça, en fait. Le couple de personnages, Christian (ha ha ha, un peu comme chrétien, en français ! Bien vu !) et Dani s’éloignent peu à peu, et cette dernière passe par tous les stades douloureux d’une rupture bien dégueulasse (Christian étant quand même un bien beau connard qui ne sait pas ce qu’il veut).
On éprouve une sensation de flottement désagréable tout le long du film : on se sent quasiment désincarné, avec ce paysage sans repères, où l’on ne peut se raccrocher qu’à la structure pyramidale et menaçante où tout va s’achever. Les habitants de Harga, la communauté suédoise, se livrent aux rites avec application, rigueur, mais souvent sans passion. Les sourires sont rares dans beaucoup de scènes, et surtout, aucun dieu particulier n’est mentionné. C’est un culte à la nature, aux cycles de la vie, mais qui, contrairement au culte chrétien (par exemple), n’anthropomorphise rien. L’homme n’y est pas l’image (ou à l’image) de dieu, mais un simple combustible. La promesse d’une réincarnation, d’un au-delà, peut-être, ne pèse pas bien lourd face aux réalités atroces que subit la chair dans le film : là aussi, beaucoup de scènes difficilement soutenables, à l’image de ce que proposait Aster dans Hereditary.
Cette communauté, nous la voyons pourtant avec du recul, dans des vignettes, parfois comme dans une maison de poupées (un thème présent dans Hereditary également), ce qui m’a fait penser aux films de Wes Anderson et à sa prédilection pour les décors/dioramas. Ari Aster est-il une sorte d’anti-Wes Anderson montrant des communautés qui n’existent qu’à un moment de rupture ? (Celle d’Hereditary subit plusieurs deuils qui mènent à la fin que vous savez si vous l’avez vu…)
Nous sommes à la fois prisonniers de l’action et extérieure à elle. Nous n’aurons pas d’explication concernant certains aspects de la communauté, et lorsque nous obtenons des réponses, c’est visuellement : le jeu de « skin the fool » évoqué en début de film prend un sens très concret à la fin, et nombre de visions aperçues sur des dessins se réalisent.
Le film dure 2h30 environ, mais passe comme une vision onirique : d’ailleurs, les personnages y sont très fréquemment sous l’emprise de diverses substances. Encore un thème de la chair malmenée, amenée à un point de rupture ? Je ne sais pas vraiment. Le film donne à réfléchir (et pas du tout envie d’aller en Suède ni chez des espèces de sectes cheloues, et c’est une super bonne pub antidrogue), et je ne serais pas surpris qu’il obtienne une sorte de statut culte au fil du temps. Une chose est sûre, on n’en ressort pas indemne, et on repart avec des questions, des hypothèses et peut-être même une remise en question personnelle.
Je ne peux pas non plus conseiller Midsommar si vous êtes un peu sensible : la violence y est assez malaisante, toujours en gros plan, et surtout, elle intervient très lentement, après une très longue préparation. Lorsque le pire se produit à l’écran, on a déjà eu très longuement le temps de le redouter, d’espérer y échapper. Et si jamais vous allez pisser en mettant en pause sur une scène pas jolie jolie, votre conjoint.e risque d’être traumatisé.e et de s’éclipser pour aller soi-disant chercher à boire (true story, et je n’ai jamais été aussi ravi que le frigo avec le Coca soit si loin de la télé).
Si vous n’avez pas peur des chocs, en revanche, c’est un bien meilleur film que John Rambo et il y a beaucoup moins de morts (mais vous ne risquez pas de les oublier…). Je vais suivre la carrière d’Ari Aster, qui affirmait récemment en avoir terminé avec l’horreur et vouloir se pencher sur d’autres genres (la SF notamment). J’ai hâte de voir ce que ça va donner…