Baldur’s Gate 3, premières heures de jeu

Ce week-end, craquage inattendu.Baldur’s Gate 3, pris en vertu de ses cinématiques : pas la peine d’attendre un film D&D, tout est déjà là, avec une fidélité louable envers le matériau de base. C’est très beau, ça commence sur les chapeaux de tentacules, et c’est un vrai enchantement pour les yeux.

Création de perso : c’est aussi l’aspect qui m’a attiré. La richesse du générateur et la beauté des persos créés est à la hauteur de mes attentes, c’est un immense plaisir même s’il manque des options : le jeu est en réalité en early access (et ne présente donc qu’un tiers de la campagne finale, donc une grosse vingtaine d’heures de jeu… voire beaucoup plus si on a envie de rejouer des tas de trucs, d’essayer d’autres builds de perso, etc.). Dès le début, on a une option surprenante : on crée le perso, mais aussi le personnage qui serait son compagnon ou sa compagne idéal.e. Le choix intervient intelligemment dans le récit, je vous laisse découvrir.

Le scénario me plaît beaucoup : c’est infiniment rare, ça n’arrive que lorsque les PNJ sont très bons, et c’est le cas ici. Des stéréotypes, certes, mais qui savent retourner les attentes de temps à autre, avec toujours d’excellents dialogues, tout en cinématiques, ce qui ne gâte rien. Dans le prolongement du scénario : l’originalité des situations. Pas question d’aller tuer des rats dans une cave (même s’il y est fait allusion de façon assez marrante au détour d’une réplique) : on se bat contre des flagelleurs mentaux et leurs séides, et les combats s’enchaînent de façon aussi originale.

Grosse surprise : après les quelques premiers combats contre quelques adversaires, un des combats met en scène pas moins de 17 personnages, dont des gobelins qui ont réellement une personnalité… Ce combat bluffant et tout simple m’a tellement plu que je l’ai rejoué plusieurs fois, de façon différente… Et la suite est à la hauteur : un combat au bord de l’eau pour sauver un gosse de certaines créatures m’a complètement bluffé : tellement inattendu…

Et finalement, c’est le sens de l’exploration et de la découverte qui me charme complètement. Ces trois ogres qui devisent tranquillement dans une ville en feu, vais-je les affronter ? Ou y a-t-il une autre façon de faire ? A la fin d’un combat, un de mes personnage est mort… et soudain survient une cinématique absolument géniale (je parle du magicien) et hilarante…

Mon dernier combat : dans une maison en feu, je cherche à passer les flammes… mais j’ai oublié de faire mémoriser le sort création d’eau à mon prêtre… Pas question de prendre une nuit de repos pour le récupérer : le temps est compté, et de toute façon (j’ai testé), si je reviens le lendemain, les personnages à sauver ne sont plus là ! (Ce qui change des jeux où les situations durent tant qu’on ne les a pas menées à leur terme). D’ordinaire, il faudrait trouver LA bonne solution pour aller sauver les deux personnages pris dans les flammes… mais ici, tout change. Le sortilège de “téléportation” de mon magicien permet déjà d’aller chercher la première victime. Pour la seconde, impossible… tout va trop vite… C’est là que je songe qu’il est possible de passer en mode “tour par tour” même hors des combats”.

Et ça change radicalement la donne. En fouillant le bâtiment je m’aperçois qu’il contient des tonneaux d’eau… Si je les lâchais dans les flammes ? Ca fonctionne ! J’y ai passé une bonne demi-heure, mais ce sauvetage en mode tour par tour (que j’ai dû recommencer à cause d’un jet de dés foireux au pire moment possible) était aussi épique que n’importe quel combat, tout simplement parce qu’il me laissait agir comme dans un jDR sur table.

Dans BG3, les sorts “inutiles” comme “création d’eau” deviennent réellement utiles (surtout au début où les incendies sont nombreux…). Pas de péril complètement “truqué” : l’eau éteint bel et bien les flammes, d’où qu’elle vienne (sortilège, tonneaux…). Cette sensation de liberté est extrêmement rare dans les jeux “d’aventure” très scriptés, suffisamment pour qu’elle paraisse absolument géniale quand on y est confronté ici.

Bref, gros achat (j’achète rarement des jeux AAA à leur sortie en raison du prix prohibitif, mais j’avais une petite réduc qui a aidé à faire passer la pilule), mais aucun regret : je sais qu’au terme de la première partie du jeu, je vais le refaire entièrement avec un build complètement différent, et en testant toutes sortes d’autres options (y compris celles que j’ai complètement foiré).

Gros enthousiasme pour cet opus qui me séduit complètement. J’en reparlerai sans doute au bout d’une trentaine ou d’une quarantaine d’heures (il me faudra bien ça pour finir la première partie : je suis lent, je recommence beaucoup, je me fais souvent avoir sans avoir sauvegardé…).

Grands Anciens mon c*l ! Chapitre 2 – Querelle de palier

Grands Anciens mon c*l ! est un grand feuilleton dans la veine des oeuvres d’Alexandre Dumas, avec une petite touche naturaliste façon Zola qui… Non, je déconne, c’est juste un petit roman de divertissement pour passer le temps pendant le confinement. Bonne lecture !

Que faire quand un Grand Ancien géant attaque la ville et que vous êtes coincé dans un immeuble que vous ne connaissez pas ? De nombreuses idées pour occuper vos journées :
* combattre des cafards géants (ça, c’est fait) ;
* rencontrer une petite amie quantique ;
* confectionner des armes de fortune avec le contenu de vos placards ;
* refuser les avances des adeptes des Dieux d’Outre-Espace tout en restant courtois et civil ;
* chercher à comprendre le sens de la vie et surtout à conserver cette dernière…
… et bien d’autres idées qui vous permettront d’occuper le temps avant l’apocalypse !

*********

Finalement, c’est Romy qui s’y est collé.

Il s’est courageusement plaqué le dos contre le mur, à côté de la porte vitrée du balcon, en faisant comme si les cancrelats géants ne se baladaient pas tranquillement juste derrière, et il a jeté un tout petit coup d’oeil.

On l’a vu blêmir un instant, comme un film parasité qui passerait brièvement en noir et blanc, et ensuite il s’est retourné, il a émis un petit rot nauséeux, il a dégluti, et il a simplement dit :

— C’est encore là-bas.

De l’autre côté du fleuve. On a tous soupiré, soulagés.

Comme des lâches.

C’est ça, les petites crevettes : beaucoup plus costaud qu’on ne serait en droit de s’y attendre, parfois.

— Alors ? fait Steph, mais il darde des regards coupables à droite, à gauche, et surtout vers le cadavre de la bestiole, dans le salon qui nous sert de chambre à coucher et de poste de surveillance contre les blattes.

L’appartement est relativement spacieux, et il comprend deux chambres, mais il faut quand même qu’on fasse du camping dans le salon. Ca ne se produirait pas si ces fichus insectes ne tentaient pas d’entrer tous les matins, mais voilà : on fait avec les moyens du bord. Toutes les nuits, trois d’entre nous montent la garde dans le salon, la seule pièce donnant sur le grand balcon où les blattes viennent se poser le matin. Il fait une chaleur à crever, les nuits, alors on ouvre souvent les portes vitrées. Au lever du soleil, il suffit de les fermer et les bestioles n’insistent généralement pas trop : le réveil nous permet de les prendre de vitesse.

Nous permettait.

A quatre contre une blatte, on n’a pas trop de mal : ce n’est pas la première fois qu’on en bousille une, et on sait donc que l’étape suivante s’appelle “nettoyage à l’eau de javel”, parce que ces saloperies daubent comme ça devrait pas être possible quand on les descend. Une odeur entre la putréfaction et l’ammoniaque, et ça entre dans les fringues, un truc vraiment à gerber. Entre ça et les retombés fukushimesques de la digestion de quatre mecs dont l’ordinaire se compose de cassoulet depuis un bon bout de temps, vous comprenez qu’on aère tant qu’on peut… c’est à dire uniquement la nuit… 

— Dis-donc, t’étais où, toi, ducon ? demande Singu à Steph en levant la tête.

Entre temps, il s’est noué un sweat-shirt autour de la taille. Avec ce pagne insolite et ses cheveux longs, on dirait un de ces indiens de western en toc. Il n’y a que sa barbe de trois… jours, semaines ? qui le distingue, sur ce coup-là.

— Pas que tu nous aies manqué, mais on aimerait bien savoir pourquoi t’as failli nous laisser crever ce matin.

Tue-les-blattes-avec-son-slip a parlé.

Steph a un petit sourire. Il se tripote une fesse, gêné mais pas si gêné que ça.

— T’es allé courir la gueuse, c’est ça ? je lui dis avec un petit sourire.

Pas envie qu’ils se foutent sur la gueule : on a assez d’emmerdes comme ça, et je les aime bien tous les deux. Bon, je connais Steph depuis moins longtemps, mais même si c’est un connard… eh bien c’est un bon copain. Il y a des gens, comme ça, on ne sait pas pourquoi, mais on leur passe des trucs. 

Steph me regarde, penaud.

— J’étais avec cette nana…

Cette fois, il est vraiment penaud penaud. Il me jette un regard de chien battu.

Un, je sais qu’il s’est trouvé une copine dans l’immeuble. Me demandez pas comment il a fait. Ou plutôt, j’ai une théorie. Ce dont Steph manque en vrai sex-appeal – et on parle d’une bonne pénurie, parce qu’avec sa tronche d’expert comptable, son eau de toilette qui arrive avec cinq bonnes minutes d’avance sur le bonhomme partout où il va et sa silhouette de pub AVANT (avant quoi ? Avant des tas de trucs : un peu d’exercice physique pour éviter le dos en sinusoïde pour commencer) -, il le compense en assurance : c’est le maître du rendre-dedans-fu, il en a fait un art martial, sauf que c’est une sorte de voie de la self-offense tellement il se prend de vestes : c’est le seul art martial où personne a jamais inventé l’esquive. 

D’après lui, statistiquement, ça s’équilibre. Et bon, il faut bien reconnaître qu’il est sorti avec pas mal de nanas qui étaient largement au-dessus de sa catégorie, donc je lui laisse, avec une certaine admiration circonspecte, le bénéfice du doute.

Deux… Steph a une trouille monstre des cafards. Les petits, hein. Alors là…

— Et puis, vous vous en êtes bien tirés, il ajoute.

Je sens que Singu ne va pas trop apprécier, alors je m’interpose entre les deux.

— Ecoute, t’es jamais là, les matins, je lui fais.

Le voilà qui se tripote encore le cul. Il a des hémorroïdes ou quoi ?

— Alors faut qu’on mette bien les choses au point, Steph : c’est toi qui vas nettoyer la blatte, ce coup-là, je conclus.

Ca ne coûte rien d’essayer. Utilise la Culpabilité, Luke, c’est une force qui soulève des trucs vachement plus lourd qu’un X-wing dans un marais.

Du coin de l’oeil, je vois Romy sur le point de l’ouvrir. Romy est trop gentil : tu lui dis que t’as pas de quatre heures, il te file le sien. En entier. Et le lendemain, il t’en apporte un autre.

C’est d’ailleurs précisément comme ça qu’ils sont devenus potes à la maternelle, Singu et lui. Singu lui jette un regard sec à lyophiliser une méduse, et je lis les petits signaux de fumée qui sortent des oreilles de mon frère Tue-avec-son-slip : ta gueule, Romy.

Romy la ferme. Peut-être que la perspective de ne pas tripoter la cochonnerie qu’on a crevée le soulage un peu.

Et là, surprise…

— D’accord, les mecs, lâche Steph, à ma grande stupéfaction. Désolé de…

Steph n’est pas vraiment un acharné du ménage. En fait, c’est un acharné de l’art de ne pas être là quand il y a quelque chose de pénible à faire.

— Les produits qui vont bien sont dans la cuisine, l’interrompt Singu avec un sourire.

Mais Steph n’a pas le temps d’aller s’acquitter de sa corvée. On vient tous de se rendre compte d’un truc : ça gueule dans le couloir, des hurlements à pleins poumons, et on sait d’où ça vient…

— Le voisin.

On se regarde tous les quatre pendant que le volume monte, et on se rend compte qu’il ne gueule pas tout seul – remarquez bien qu’on est tous sous le choc de ce qui vient de se passer et que la déduction n’est pas notre métier, même si sur le coup, je me sens un peu neuneu : il ne va évidemment pas s’engueuler en monologue pour le plaisir de s’écouter… C’est là qu’on entend une autre voix.

— Une nana ! fait Singu, en ouvrant un peu plus les yeux, l’air optimiste.

J’évite de lui annoncer mon estimation des chances que ce soit une petite métalleuse célibataire et pas trop regardante sur l’hygiène personnelle, mais on entend bel et bien une voix féminine, et je fais signe à Steph d’ouvrir pour voir ce qui se passe.

Quand il ouvre la porte, ça s’arrête tout de suite.

Le voisin est là, rouge écrevisse, avec des petites gouttes de sueur qui lui ruissellent sur les joues et sur le front, en train de s’époumoner sur une petite dame toute vieille et toute frêle qui se tient devant lui. Je crois que c’est la voisine de droite.

Dans cet immeuble, on ne connaît personne. Enfin, si, Steph connaît forcément quelqu’un, wink wink, nudge nudge, mais nous, on est restés dans l’appart de monsieur Jorodoski depuis le début, sans jamais sortir ou presque. Et puis, tout le monde connaît la famille Bardeaux, qui habite au rez-de-chaussée avec ses huit (huit !) gosses de tous âges.

Enfin : je suis arrivé le premier, puisque c’est moi qui suis censé garder l’appartement pendant son absence, à ce mec que j’ai jamais vu de ma vie, et puis ensuite, Singu et Romy sont passés un soir pour qu’on se fasse une petite soirée pizza et nanar, Steph nous a rejoints, et le lendemain, c’était la Fin du Monde, avec majuscules et (c) ™, tout le toutim : un foutu machin s’est mis à boulotter le paysage urbain comme si c’était de la barbe à papa, et tout est parti en sucette, partout, en même temps.

Du coup… ben, on est restés ici, terrés comme des cons, en espérant que ça se tasse comme tout finit toujours par se tasser.

Alors, moralité : ça se tasse assez fort, mais surtout au niveau des immeubles en centre-ville. Là, je dirais qu’il y a même une sorte d’horizontalité qui s’installe au niveau du bâtiment, mais je vous avoue que moins je regarde, mieux je me porte.

La politique de l’autruche, voilà.

Je voudrais bien vous y voir, quand le monde se casse la gueule, allez pas me dire que vous seriez là avec un brancard pour le réceptionner avant la chute. Si ?

Ben merde.

Enfin, nous, on a plutôt fait profil bas, voire profil couché, et même profil qui creuse un peu si ça ne suffit pas.

Le ton monte encore entre le rougeaud de gauche et la petite mamie de droite, ou plutôt il monte unilatéralement, parce que c’est surtout l’excité qui beugle pendant que la dame se rabougrit devant lui. S’il continue comme ça, il va passer le mur du con. Après nous avoir gratifiés d’un regard vaguement perplexe, il a repris sa diatribe, en s’imaginant peut-être que ça vaut double en présence de témoins, ou quelque chose comme ça. On le regarde, les gars et moi, comme deux ronds de Flamby.

Le grand machin s’égosille, et elle, elle le zieute par en-dessous les paupières de ses yeux de grenouille, en pinçant les lèvres, et elle rentre la tête tout doucement, comme une tortue qui se replie dans sa carapace, toute fragile comme le sont les vieux. Ou c’est moi qui me fais des idées.

Qu’est-ce qu’il lui braille, lui, au fait ?

— Ca devait arriver, à force, avec vos conneries, ça c’était obligé ! Ca a déjà un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane, mais non, ça veut faire comme les jeunes…

Petit coup d’oeil dans notre direction, au passage. C’est clair qu’il nous prend à témoin.

— Et ça branche des machins et des trucs, et ça nous fait sauter les plombs ! Combien de fois je vous l’ai dit, que tous vos machins, c’était ça qui nous faisait couper le courant ! Au moins une fois par mois, ça arrive !

La petite dame a compris que ça allait se régler à l’ancienne : à l’approbation du choeur antique, et le choeur antique, c’est nous. Je la sens qui va en appeler à notre soutien. Elle me décoche un petit coup d’oeil, très bref, mais alors que je m’attends à la voir larmoyer un peu, c’est autre chose que je lis dans son regard.

— Et si…

L’autre s’est arrêté de brailler pour écouter ce qu’elle a à dire, au moins c’est reposant.

Elle se tasse encore davantage dans le vieux pull usé qui lui sert de carapace.

— Et si vous alliez un petit peu vous faire foutre, monsieur Marcel ?

Le souffle qu’il était en train de prendre pour en rajouter une couche sonore se coince manifestement dans sa gorge, et le type en avale sa salive de travers.

Et bien sûr, on se marre comme des baleines.

— Ah vous pouvez rigoler, les petits cons. Mais quand Jodoroski reviendra et qu’il verra le merdier que vous avez foutu dans son appart, ça rigolera moins.

A notre tour d’avaler de travers. Steph se palpe encore le derrière, et cette fois, je m’aperçois d’un détail qui m’avait échappé auparavant : dans la poche arrière de son jean, il y a un petit carnet, et c’est ça qu’il tripote, pas ses fesses – quelque part : ouf.

Je ne sais pas pourquoi ce carnet focalise mon attention à ce point. Pendant un instant, je n’arrive plus à en détacher les yeux, c’est comme s’il était le seul objet réel dans mon univers qui fout le camp, mais voilà que Steph se tourne et que je réalise que le voisin vociférateur a regagné ses pénates.

Ce qui nous laisse, les trois mousquetaires et moi, seuls avec la voisine.

— C’est amusant, dit-elle, de voir enfin les gens qui gardent chez Jordy. Ca me fait bien plaisir de voir de nouvelles têtes.

Elle nous fait la conversation tranquillou, comme si on ne venait pas de dézinguer une blatte de l’espace en attendant la Fin du Monde, comme si on était juste des voisins qui…

Attendez voir…

— Dites voir, madame, je lui demande, quand vous dites Jordy, c’est son prénom, ou bien…

— Il vous a rien dit ? Et ça a pas fait tilt ?

— Ben maintenant que vous le dites…

Le type dont je garde l’appartement, ce serait…

— Jordy Jod ?

On s’est exclamés presque d’une seule voix, sauf Romy qui a eu un petit lag de deux ou trois millisecondes, parce qu’il n’a fait que répéter ce qu’on disait – je vois bien qu’il n’a pas vraiment compris. Mais à nous, ça nous troue le cul, évidemment.

— Jordy Jod, confirme la mamie.

Jordy Jod, le leader des 2-4 The Show !

A ce moment-là, on sent un courant d’air king size qui parcourt le palier, et la porte de l’appart claque derrière nous.

Et je réalise deux choses.

Premièrement, Singu est toujours en tenue légère – il rattrape d’ailleurs vivement son pagne improvisé juste à temps : ce courant d’air était vraiment violent.

Deuxièmement, j’ai laissé les clefs – toutes les clefs – à l’intérieur.

(c) Sandy Julien 2020 – Tous droits réservés

Grands Anciens mon c*l ! – Chapitre 1

Grands Anciens mon c*l ! est un grand feuilleton dans la veine des oeuvres d’Alexandre Dumas, avec une petite touche naturaliste façon Zola qui… Non, je déconne, c’est juste un petit roman de divertissement pour passer le temps pendant le confinement. Bonne lecture !

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Que faire quand un Grand Ancien géant attaque la ville et que vous êtes coincé dans un immeuble que vous ne connaissez pas ? De nombreuses idées pour occuper vos journées :
* combattre des cafards géants ;
* rencontrer une petite amie quantique ;
* confectionner des armes de fortune avec le contenu vos placards ;
* refuser les avances des adeptes des Dieux d’Outre-Espace tout en restant courtois et civil ;
* chercher à comprendre le sens de la vie et surtout à conserver cette dernière…
… et bien d’autres idées qui vous permettront d’occuper le temps avant l’apocalypse !

*********

— Y en a un qu’est rentré, Miles.

Le chuchotement me réveille. Je n’ai pas le sommeil particulièrement léger, mais il faut croire que mon cerveau embrumé réagit au ton d’urgence catastrophée de la voix de Romy, parce que je me redresse d’un bond dans mon lit.

Bon, en fait, j’ouvre simplement une paupière et je tends le bras devant moi pour me protéger, mais j’ai l’impression d’être un ressort qu’on a gardé dans une boîte bien fermée dont on viendrait d’ouvrir le couvercle. Mon coeur bat comme un dingue, mais je suis figé. 

A l’autre bout du salon, je vois Romy dans une position insolite : à demi sorti de son lit de fortune, son masque de nuit remonté sur le front, il se tend dans ma direction, les deux mains en appui sur le sol, comme s’il s’apprêtait à traverser la pièce à quatre pattes. Mais je vois ce qu’il cherche à faire : sa main gauche rampe doucement vers sa crosse de hockey en appui contre le mur, près de sa table de chevet.

En voyant que je me réveille, il précise inutilement :

— Y a un cafard qu’est rentré !

Je vous jure qu’il prononce le point d’exclamation, à la fin.

Le temps qu’il termine sa phrase, ma deuxième paupière s’est décollée et mon cerveau enregistre le paysage du salon qui nous sépare, Romy et moi.

Et l’intrus qui vient explorer le paysage en question d’une antenne molle.

En voyant le cafard, je perçois aussi un courant d’air qui ne me dit rien qui vaille et charrie, parmi les odeurs habituelles de fumée et d’automne, des relents cuivrés, ténus mais bien perceptibles. L’odeur me pique le fond du nez, et je déglutis en contractant la langue pour empêcher le goût de m’envahir le palais. Ca n’empêche, j’ai l’impression d’avoir léché une pile électrique.

Romy fixe désormais la bestiole. Je le vois serrer les mâchoires, et j’ai du mal à savoir si c’est la terreur qui lui mâchouille les traits, ou la détermination. Je m’étonne de devoir froncer les sourcils pour distinguer son expression dans le noir.

C’est là que je réalise que le fond du salon est plongé dans l’obscurité. Les veilleuses de Romy sont toutes éteintes. Mon coeur fait un petit bond douloureux et je sens un tiraillement dans tout mon corps, l’impression qu’on a brusquement resserré le mécanisme qui m’empêche de m’effondrer comme un plat de nouilles tièdes. Je regarde le réveil sur la table de chevet de Romy.

Il est éteint, poutrelle de merde !

Tacatacatac. Frrrrrrrrr.

Le cafard vient de crapahuter en direction des vestiges du repas de la veille, avec sa démarche caractéristique : trois petits pas saccadés, suivis d’un frétillement de ce truc mou comme de la gelée qu’ils ont au milieu du dos et qui ondule de l’extérieur vers l’intérieur dès qu’ils se déplacent. D’ici, je vois même le petit nuage de gaz qui s’en dégage, comme d’un plat chaud. Il étend en direction du bord de la table une sorte de trompe annelée couleur de viande crue, parcourue de filaments blancs qui frétillent comme des vers sur une charogne.

Sur la table, il y a un reste du festin de la veille : une marmite pleine d’une spécialité que le monde ne nous envie certainement pas, à Singu, à Romy, à Steph et à moi : notre célèbre recette improvisée du cassoulet aux chips, une des nombreuses variantes gastronomiques élaborées à l’aide de la seule ressource dont on dispose en quantité, le bon vieux cassoulet des familles. Avec le stock qu’on a, on pourrait tenir un siège, et ça tombe bien, parce que…

A l’autre bout de la pièce, le regard de Romy a changé. J’y vois étinceler un feu sans doute hérité de lointains ancêtres, un signal qu’on sent à la limite entre la mise en garde et le déferlement de rage, et sur le point de déborder du second côté sans trop se soucier des conséquences. Je secoue la tête, plus vigoureusement que je ne l’aurais voulu.

— Mais la bouffe ! chuchote Romy.

En levant la tête, il fait un faux mouvement, et ses doigts tendus vers la crosse de hockey la heurtent. Il a beau tendre la main, désespéré, le bâton glisse le long du mur et s’écrase bruyamment sur le parquet.

Le cafard rétracte aussitôt sa trompe dégueulasse et se plaque contre le sol comme une grosse soucoupe, les genoux de ses huit pattes saillant de part et d’autre de son gros corps marron comme les contreforts d’une cathédrale. Les antennes se replient vers l’arrière et, du bout des pattes, il pivote pour s’orienter vers Romy qui s’est pétrifié.

Tacatacatac. Frrrrrrrrr.

En trois pas, le cafard a parcouru la moitié de la distance qui le séparait du lit de Romy. Comme toutes ces bestioles, il a marché tout droit, sans se soucier des obstacles, comme s’il ne percevait que deux dimensions. Sans dévier de sa trajectoire, il est passé sur le canapé, qui a tressailli sous son poids, mais pas en l’escaladant : il a grimpé sur l’arrière du dossier et se tient désormais accroché là, à angle droit par rapport au sol, pointé vers Romy.

C’est le moment que choisit Singu pour émerger dans le salon.

— Dites, y a quelqu’un qu’a éteint, ou quoi ? J’allais pour pisser et…

Il s’arrête au milieu de sa phrase en avisant le cafard, dont l’ovale de gelée dorsale frémit désormais en permanence et s’étend lentement sur l’ensemble de sa carapace, dégageant une brume constante et une odeur électrique.

Singu reste là, dans l’encadrement de la porte du salon, et je n’ai qu’une fraction de seconde pour remarquer qu’il est complètement à poil et tient à la main les rares symboles de la vie civilisée auquel il adhère de bonne grâce : un caleçon et une brosse à dents.

A partir de ce moment-là, ça se passe très très vite, et il y a beaucoup de choses en même temps, alors il vaut mieux que je vous résume ça très clairement, parce que même pour moi, c’est un peu confus.

On est là, dans le salon de l’appart, avec pour seuls moyens de défense le strict minimum rassemblé ces derniers jours : une crosse de hockey cassée à une extrémité et un rouleau à pâtisserie clouté (par mes soins, et je suis plutôt fier du résultat, même s’il faut quand même le laver tous les matins après utilisation, rapport à l’odeur). Par souci d’exhaustivité, j’ajoute la brosse à dents et le caleçon, dont l’utilité reste quand même furieusement hypothétique à cette étape-là, surtout contre un insecte d’un mètre vingt de long et pesant dans les quatre-vingts kilos à la louche.

A ma gauche, un métaleux d’un mètre quatre-vingt dix, une bonne centaine de kilos, le cheveu hirsute mais la bouche déjà déformée par ce qui va se transformer en cri de guerre à décoller du carrelage d’ici quelques toutes petites millisecondes. Devant moi, Romy, une petite crevette bien décidée à ne pas se laisser voler trois cuillers à soupe de cassoulet, mais qui doit à l’instant redresser le masque de sommeil qui vient de lui tomber sur les yeux, et qui a pratiqué le karaté pendant quatre ans sans jamais remporter aucune victoire même à l’entraînement. A ma droite, les portes vitrées du salon, par où le premier cafard vient d’entrer. Le premier, parce qu’il y en a déjà trois autres sur le balcon, et que le chahut vient d’attirer leur attention. Et Steph, lui, doit toujours être en vadrouille.

Comme par hasard. 

Merde.

Et finalement, moi, votre vieux pote Miles, pas plus futé qu’un autre, pas plus costaud non plus, mais de la merde si je laisse ces conneries de bestioles envahir notre foutu domaine !

Arrivés à ce point de fusion, à nous trois, Singularis Porcus, Romy et moi, on doit pouvoir réunir une synapse fonctionnelle en tout et pour tout, mais question adrénaline, on a un bon surplus à écouler, et la situation part donc définitivement en couille avant qu’on ait pu réfléchir.

En parlant de couilles, je reste fasciné un instant par celles de Singu qui ballottent tandis qu’il s’élance dans le salon. D’une façon que je ne m’explique pas tout de suite, je le vois d’abord, grande silhouette rose, splendide et velue, jaillir dans les airs, avant même que son cri de rage et de terreur mêlées ne me parvienne aux oreilles. Féroce et écumant, il est tout en mouvement, comme un grand paquet de lignes droites furtives, cheveux, bras, jambes – et le reste – tendus, qui me survole littéralement – et je vous fais grâce du paysage qui défile un instant devant mes yeux – pour coaguler en un point de gravité musculeuse au centre exact du canapé, l’écrasant sur le cafard qui bascule avec une sorte de chuintement de crécelle enrhumée.

Galvanisé par son exemple, je bondis à mon tour vers la porte du balcon, mais je m’empêtre dans le drap et m’écrase douloureusement à un mètre de l’objectif. Tout près de la porte en question, une des trois bestioles qui se baladent sur le balcon m’a repéré. Je sens que ça va se passer entre nous deux, et je me rends compte que j’ai un peu chié la chronologie : étape un, je prends mon gourdin clouté de fortune, étape deux, je saute vers la porte. 

Bon, ben pour l’étape deux, c’est fait. Dommage que j’aie sauté la un.

En tirant comme un malade sur le drap, j’ai le temps de jeter un coup d’oeil à Singu et Romy. Ce dernier est désormais debout, la crosse de hockey brisée à la main, et il avance à petits pas vers le canapé, théâtre d’une lutte viscérale entre… ben, d’une part des bouts de carapace qui s’agitent sous le meuble et le font tressauter comme un taureau mécanique, et d’autre part un derrière poilu qui rebondit sur les coussins de l’autre côté.

Du chaos de mouvements frénétiques, un bras émerge, un caleçon à la main, tandis que la blatte se cabre, toujours prisonnière du meuble. Je n’ai pas le temps de voir ce qui se passe, parce que la blatte du balcon se jette sur moi.

D’une brusque saccade, je parviens à dégager mes pieds du drap, et c’est en appui sur les coudes que je me traîne jusqu’à la porte vitrée que je referme brusquement. Le cafard s’y écrase, et je vois son abdomen curieusement mou se coller contre le verre, exposant sous la peau un réseau de veines qui ressemblent davantage à des vers rampant à l’aveuglette qu’à un maillage vasculaire cohérent.

Je sais d’expérience qu’il ne passera pas. D’ici quelques secondes, il se désintéressera entièrement de cette issue. Le problème, c’est que son petit copain est encore à l’intérieur avec nous.

En faisant volte face, je découvre que l’affrontement a basculé en faveur de mes camarades, mais que la situation demeure indécise. Le cafard a émis une humeur visqueuse qui lui a permis de se dégager de l’étau du canapé, et Singu a dû recourir à une solution plus directe.

Je voudrais pouvoir figer la scène au crayon comme elle m’apparaît à cet instant : Singu, toujours complètement à poil, à califourchon sur la bête dont il a réussi à serrer les appendices avant dans la jambe de son caleçon. Il écarte d’une poigne ferme antennes segmentées et redoutables mandibules tout en martelant de l’autre poing, celui qui tient la brosse à dents, la face complexe de l’insecte géant.

— Romy, poutrin, mets-lui sa mère ! s’écrie-t-il entre deux coups dans les yeux. 

Mais Romy, qui s’est posté derrière la créature, sa lance de fortune braquée sur le point faible et gélatineux qu’elle expose, demeure figé.

— Je peux pas… c’est trop dégueu, je peux pas, Singu !

Avec horreur, je vois que le cafard darde un bout de trompe rougeâtre en direction de Singu, qui ne sait pas comment réagir. Mais à cet instant, le bouchon du tube de dentifrice qu’il tient avec sa brosse à dents tombe, et un jet couleur liberté égalité fraternité tombe sur l’appendice mou.

Le cafard lâche une série de déclics furieux et rétracte immédiatement sa trompe. Singu, qui n’est pas étranger aux coups de pied dans les burnes et aux tacles dans les rotules, presse vigoureusement le tube et répand une quantité pornographique de dentifrice sur le faciès de la bête, qu’il badigeonne vigoureusement de cette pâte apparemment caustique et douloureuse pour elle.

Le cafard devient complètement fou, et Singu en profite pour lui balancer un petit jet de dentifrice sur le dos. Le produit crépite au contact de la gelée dorsale de la bête, mais il est déjà trop tard : des ailes commencent à émerger de l’échine de la bestiole. Elles ressemblent à des sacs poubelle que l’on déploie, mais se solidifient au contact de l’air.

Si ce machin se met à voler, on n’aura plus aucune chance de le neutraliser. Tout va se jouer dans les quelques secondes qui viennent pour la Brigade des Symboles Phalliques face à la bestiole alien.

Le cafard exsude de nouveau son liquide huileux, et Singu bascule en avant, éjecté par un soubresaut de la bestiole. Il effectue une roulade qu’on pourrait qualifier d’élégante si elle venait d’un gymnaste en justaucorps et pas d’un grand balèze poilu à oualpé accroché à un slip, et se réceptionne parfaitement face au cafard.

Avec un petit sourire, il braque le tube de dentifrice sur la gueule de la bête. Appuie.

Une petite goutte molle dégouline par terre. Plus de munitions.

Le cafard fait vibrer ses ailes désormais rigides.

Tacatacatac. Frrrrrrrrr.

Il est sur Singu, et, en appui sur ses six pattes arrière, lance vers lui les deux derniers appendices, pourvus de pinces noires et luisantes. Celle de gauche tranche net l’extrémité du tube de dentifrice. La droite claque dans le vide devant le visage de Singu, qui s’est plié en arrière juste à temps.

Nouveau coup de pinces, mais cette fois, la bestiole se fige de douleur. Je viens de lui balancer un coup de rouleau clouté dans les ailes, déchirant celles de droite. Faut que je trouve le moyen de débugger Romy, cela dit.

Je vais au plus simple.

D’un petit geste, j’abaisse son masque de nuit sur ses yeux et je lui dis :

— Tape !

Et il y va. La bagarre.

Il abat la crosse de hockey au hasard, mais il se trouve si près du cafard que la moitié des coups portent. Le premier fait craquer une patte chitineuse, le second plie l’aile gauche, et le troisième porte entre les ailes, dans l’interstice gluant dont elles ont émergé, le point faible de la blatte. La crosse passe tout droit, s’enfonçant d’une vingtaine de centimètres dans le dos du cafard pendant que Singu roule en arrière, à l’abri des coups de pince de la blatte agonisante.

Romy continue à taper un bon bout de temps, et je ne me prive pas de rouleau-à-pâtisser le machin histoire de ne pas laisser de place à l’incertitude. Au bout de quelque temps, c’est terminé.

Singu pousse un petit soupir. De derrière le lit de Romy où il s’est planqué, il brandit le reste de son tube de dentifrice.

— Dans tout ce bordel, j’ai pas eu le temps de compter non plus, dit-il dans une belle imitation de Clint Eastwood.

— Tu peux sortir, inspecteur carie, dis-je, essoufflé, en remontant le masque de Romy, qui s’arrête de frapper dans le vide.

— Qu’est-ce qui s’est passé, les mecs ? fait Singu.

La porte de l’appartement s’ouvre à la volée. C’est Steph, un peu échevelé.

— Le courant est coupé, les gars !

Ce qui explique que notre réveil, réglé pour sonner juste avant l’arrivée des cafards, tous les matins, n’ait pas daigné nous prévenir.

— Ca vient de… 

Romy ne termine pas sa phrase.

En général, ces temps-ci, toutes les emmerdes ont la même source. On se tourne tous vers le balcon, où les autres blattes se sont calmées et commencent à ramper sur les murs de l’immeuble, d’où elles vont profiter du soleil toute la journée, pour des raisons qu’on ignore. Le soir, quand la température redescendra, elles s’envoleront et traverseront le fleuve, en direction du centre ville que l’on aperçoit d’ici. Au bout de ce court trajet, elles se poseront sur la Chose.

La Chose immense qui a surgi de l’eau et qui est occupée à réduire la ville en tas de gravats. Cette Chose immense dont les autorités devraient s’être occupées depuis longtemps.

Cela dit, on ne peut en vouloir à personne de ne pas s’occuper de ce truc.

— Quelqu’un va regarder ? demande Singu.

Devant nos regards perplexes – “pourquoi nous plutôt que toi ?” – il baisse les yeux vers son entrejambe et hausse les épaules pour en appeler à notre sens de la pudeur. Jusqu’ici, ça ne l’a pourtant pas gêné de se balader le machin à l’air…

Mais je le comprends. Rien que jeter un coup d’oeil dehors est devenu dangereux. Non pas qu’on risque quoi que ce soit de la part des cafards maintenant qu’on a fermé la porte, mais ce truc, cette Chose, c’est pas normal. Pas compréhensible. Ca vous retourne l’estomac, ça vous fait monter l’adrénaline, et ça vous mélange le cerveau. Sa simple vue, vous savez. Rien que de la regarder, ça vous fait ressentir des trucs incompréhensibles.

Incompréhensibles, mais tout à fait clairs : tout le monde ressent exactement la même chose.

Quand on la regarde, on entend une odeur de cerises aigres.

Grands Anciens mon c*l ! (c) Sandy Julien 2020

On a joué à Alien…

Illustration tirée de la couverture du jeu Alien de Free League, bientôt disponible en VF chez Arkhane Asylum

Ces temps-ci, confinement oblige, je fais un petit truc sympa. Tous les matins, je prends mon café en live sur facebook, de 8h15 à 8h30. C’est l’occasion de dire beaucoup de bêtises, de parler à des amis, de me dérouiller le cerveau.

Et puis la semaine dernière, je me suis dit : quitte à causer un quart d’heure par jour, pourquoi ne pas en faire une expérience ludique ? Et c’est ce que j’ai fait...

J’ai choisi un jeu qui me plaît, Alien de Free League (que j’ai traduit pour Arkhane Asylum, et qui ne tardera pas à sortir en VF). Je me suis dit : allez, j’improvise en live une petite partie et on voit ce que ça donne. Je fais un truc simple : “vous vous réveillez à bord d’un caisson d’hypersommeil, dans un vaisseau en proie au chaos… et infesté d’aliens.” Et on voit ce qui se passe…

J’improvise et on voit ce qui se passe

En réalité, ça ne se passe jamais comme ça. Improviser, ce n’est pas simplement un don : ça nécessite un certain nombre de facteurs pour donner lieu à une bonne partie. Bien sûr, on peut avoir de la chance, et dans ce cas-là, la partie se déroule parfaitement bien. On peut également manquer d’inspiration ou de chance, et faire ce que j’appelais dans mon adolescence un “foirio”, un scénario de JDR foiré. Avec l’âge, on se rend compte que la meilleure option consiste à mettre toutes les chances de son côté en préparant… mais en ne préparant que l’essentiel.

La règle des 80/20

Ce principe, c’est la “loi de Pareto”, qui veut que 80% des effets soient le produit de 20% des causes. Ce qui nous fait une belle jambe. Je vous l’explique de façon plus concrète ?

Parfois, et c’est particulièrement le cas en JDR, on consacre énormément d’efforts à préparer quelque chose, et une fois qu’on réalise la chose en question, on se rend compte qu’on a fait beaucoup d’efforts pour rien. Et on réalise même, dans certains cas, que ce sont des efforts minuscules qui ont le plus d’effet.
Un exemple ? Vous avez créé un PNJ extrêmement complexe, associé à des tas de quêtes annexes précises, bien chiffrées, et vos joueurs s’en désintéressent complètement, pour s’intéresser à un pauvre mendiant que vous avez eu le malheur de leur décrire à la volée comme quelqu’un de très intéressant.

Je ne vais pas vous faire un cours de marketing (c’est surtout à cela que s’applique le principe de Pareto), mais je vais vous dire ce que signifie, concrètement, la loi de Pareto pour moi.

Elle signifie que je passe 80% de mon temps à préparer des trucs qui serviront à peine.

Préparer efficacement

Pratiquer cette petite expérience était une façon, pour moi, de revoir mes priorités en tant que MJ. D’identifier les 20% d’efforts pertinents et les 80% d’efforts qui n’aboutissent qu’à 20% de résultats.

Je me suis donc donné pour objectif de “dégraisser” ma façon de jouer : retirer toute intrigue inutile, ne proposer que ce qui est ludiquement pertinent, évacuer tout le superflu. Le tout en sachant que l’utilisation 1) de Facebook, 2) en live, 3) avec une prétention d’interactivité, allait représenter un goulot d’étranglement. J’ai donc commencé à effectuer des choix.

Tout d’abord, un système de jeu solide et capable de faire survenir des événements imprévus de lui-même. Autant vous dire qu’avec des règles “traditionnelles”, ça ne va pas fonctionner du tout. Si je prends un excellent système, celui de Chaosium, j’ai très peu de chances qu’un jet de dés débouche sur quelque chose qui me surprenne. La seule exception… c’est le mécanisme de Santé Mentale et de Folie dans Cthulhu : il débouche sur des résultats imprévus.

Le système d’Alien fonctionne un peu de cette façon, en poussant la logique à l’extrême.

Le système idéal pour mon objectif

Dans Alien, on lance des d6 pour résoudre les actions. Chaque 6 obtenu est une réussite, et il suffit d’une réussite pour qu’une action soit effectuée avec succès. C’est la base.

Ensuite, chaque 6 supplémentaire peut donner lieu à des effets particuliers.

Mais le plus intéressant, c’est le Stress. Lorsque la tension monte, on reçoit des dés de Stress. Ils s’ajoutent à la réserve de dés habituelle : par conséquent, ils augmentent les chances de réussite. Mais la médaille a son revers. Si on obtient un 1 sur les dés de Stress, le personnage panique. On lance un d6, et on ajoute le résultat au nombre de dés de Stress dont on dispose déjà. On consulte ensuite une table : plus le total (d6 + stress actuel) est élevé, plus les résultats sont catastrophiques. Certains résultats, dès les premiers, augmentent encore le stress: c’est un cercle vicieux.

Le mécanisme est simple : plus on avance dans le scénario, plus on a de chances de réussir des actions insensées, mais plus on court le risque de paniquer et de faire n’importe quoi (certains résultats de la table sont vraiment néfastes).

Et le scénario ?

Le système me paraissait tout indiqué : très simple, mais capable de générer des péripéties, et forçant les joueurs à gérer une ressource : le stress.

Il me fallait un scénario. Le plus simple possible, que je puisse décrire en une phrase. J’ai donc opté pour ce qui risquait le plus de plaire à un public ayant envie de découvrir Alien : “Vous êtes dans un vaisseau infesté d’aliens et il faut sauver votre peau.”

Pas la peine d’aller chercher plus loin. C’est une situation de survie, donc forcément riche en tension, et elle se déroule dans un environnement restreint contenant une menace et une issue possible. C’est l’idéal pour un huis clos fonctionnel.

La carte et le territoire

Un bref examen des deux scénarios déjà parus pour Alien (le scénario d’initiation du livre de base, qui fonctionne comme une préquelle à Aliens, et “Le char des dieux”, un scénario absolument génial, qui exploite pleinement le potentiel du jeu) m’a permis de comprendre comment ils fonctionnaient : ce sont essentiellement des plans à parcourir (comme ceux d’un bon vieux donjon), associés à quelques événements qui viennent relever la sauce. Ce qui les rend efficace, c’est la participation des joueurs, qui disposent d’objectifs particuliers et parfois en opposition les uns avec les autres.

Ce dernier aspect était impossible à exploiter. Tout simplement parce que je partais du principe que nous n’aurions qu’UN personnage. Je raconterais son aventure, et les participants m’indiqueraient par messages (en commentaire sur facebook) ce qu’ils voulaient faire. Je renonçais donc à un énorme potentiel, mais c’était le prix du format utilisé.

Quand j’en suis arrivé à ce point de ma réflexion, j’ai compris que j’allais devoir adapter entièrement ma façon de gérer la partie au média utilisé. TOUT devait donc commencer par obéir aux contraintes du support.

Je suis arrivé à une conclusion simple :

  • Dans Alien, la carte EST le scénario. C’est un outil mécanique (on y déplace les personnages et les menaces), un instrument narratif (chaque pièce ou lieu est décrit et doit comporter des possibilités d’interaction, qu’il s’agisse d’obtenir des ressources et des informations ou de surmonter des difficultés) et un outil d’immersion visuelle.
  • Dans Alien, et surtout en Mode CInéma, on joue un scénario comme un film. Par conséquent, on ne DOIT PAS jouer l’introduction et la mise en place des personnages et du décor. Tout est instantané, comme dans un film : on a une entrée en scène qui doit tout expliquer de la problématique.
  • Il y a pourtant une chronologie, mais c’est celle de ce qui s’est passé AVANT l’arrivée des PJ. C’est la succession d’événements antérieurs qui définit le territoire que montre la carte et les possibilités narratives qu’il offre.

Personnage principal

Il fallait donc un personnage principal simple. J’ai opté pour une “pseudo-Ripley”, une femme déterminée, une héroïne. J’ai créé une fiche très simple et j’en ai retiré tout ce qui pouvait paraître trop complexe ou jargonnant : j’ai représenté ses attributs par des dés, et je ne lui ai affecté ni matériel ni talent. (Sur la fiche, l’illustration utilisée provient du livre de base du JDR Alien.)

La fiche de personnage, modifiée au fur et à mesure du scénario (notamment pour indiquer que Ferrey est une androïde, ce que les joueurs ignoraient jusqu’à la fin du jour 3.)

Pas de talent ? Ce genre de détail aurait été trop long à expliquer. Les attributs comme Esprit et Force tombent sous le sens, et les compétences aussi, a fortiori dès qu’on a fait un jet de dés. Je me suis dit que je pourrais très rapidement expliquer un jet de dés à l’écran, alors qu’il me faudrait longtemps pour exposer les mécanismes liés aux talents. Exit les talents.

Pas de matériel ? En l’absence de ressource, le personnage a immédiatement un but : s’équiper. Et ce but le force à explorer son environnement. C’est tout simple. En outre, pas besoin d’expliquer les dégâts, l’énergie, etc.

Il reste à faire de notre personnage quelqu’un d’intéressant. Il n’aura que très peu d’interactions avec d’autres personnages : inutile d’axer son interprétation sur des émotions ou des rapports complexes avec le reste de l’équipage, d’autant que ça ne fonctionnera pas avec le support utilisé. Il y a pourtant un effet très simple à utiliser : le personnage peut découvrir quelque chose sur lui-même au fil du scénario.

Le mieux, c’est de commencer avec un personnage à l’esprit brouillé, presque amnésique : comme il sort d’hypersommeil, ce ne sera pas compliqué.

Et pour l’effet choc, je choisis simplement d’en faire un androïde. Ce choix présente un énorme avantage : en cas de confrontation avec un Alien, un PJ isolé n’a presque aucune chance d’en réchapper. Si mon personnage se fait tuer dès le début, l’expérience sera de courte durée. Je décide donc qu’il s’agit d’un androïde : s’il se fait grièvement blesser, il découvrira sa nature et ce sera l’occasion d’un choc amusant pour les joueurs. Et s’il se fait complètement démonter ? Eh bien je décide de “mettre de côté” deux personnages de l’équipage (Jay 1 et Jay 2) : ils n’interviendront qu’en toute fin de scénario. Si le PJ principal est tué, je peux donc passer à eux. Et comme le PJ est un androïde, il pourra encore révéler des informations même réduit en pièces détachées.

Dernier détail… son nom !

Elle s’appellera Candice… ou plutôt Candy Ferrey. Pourquoi ? Parce qu’en VO, voir quelque chose en Ripley, c’est la même chose Candy Ferrey en VF 😉

Où ça se passe ?

Dans un vaisseau que je vais baptiser… le Bonito. Pourquoi ? C’est un navire qui apparaît dans un roman de Joseph Conrad, le romancier dont l’oeuvre a également donné son nom au Nostromo du premier Alien. Et du coup… le capitaine s’appellera Conrad.

Je vais piocher dans un scénario publié d’Alien un plan de vaisseau simple, que je vais bidouiller un peu. Je le découpe en deux parties : le niveau supérieur présentant peu de danger, tout d’abord. C’est là que Ferrey va évoluer en première partie de scénario : l’environnement est assez inoffensif et elle pourra s’y équiper sans se faire tuer aussitôt.

Le niveau inférieur est celui où se trouvent les capsules de sauvetage, et où rôdera un alien adulte.

Ne reste plus qu’à disposer des choses dans ce plan : des PNJ qui pourront “raconter l’histoire”, des ressources (armes, scaphandres, capsules de sauvetage) et des périls (l’alien, des facehuggers, des membres d’équipage infectés). Vous trouverez dans ce petit document mon scénario approximatif (que je retravaillerai certainement pour en faire un petit scénario un maître/un joueur pour Alien).

Play after préparing

Ne restait plus qu’à jouer. Je m’étais imposé un scénario sur cinq jours, à raison de 15 à 20 minutes chaque jour. J’ai tenu la semaine et ça s’est bien passé. Je vous raconte tout ça jour par jour ? Allez.

Mais avant tout, un détail important : il fallait que je prépare tout ça pour que ça “passe à l’écran”. C’est beaucoup plus compliqué que ça n’en a l’air.

Premièrement, j’ai créé une fiche de personnage très claire pour Ferrey, quelque chose qui passerait même dans une résolution pourrie. IL fallait que ça reste lisible.

Ensuite, j’ai préparé deux plans, très simples et clairs eux aussi.

Finalement, j’ai récupéré un visuel d’une salle d’hypersommeil issue d’Aliens afin de donner une “texture” visuelle au premier épisode.

Mais lorsqu’on joue en ligne, le plus important, c’est le son. Vraiment. Rien ne met aussi bien l’atmosphère qu’un fond sonore, en particulier pour un environnement de SF : tout le monde connaît le ronron émaillé de bips qu’on entend dans les vaisseaux spatiaux des séries télés et des films de SF. J’ai donc téléchargé des fonds sonores sur tabletop audio, mais je me suis dit que je pouvais aller plus loin. J’ai utilisé le SoundPad de tabletop audio, qui contient des sons directement associés à l’univers d’Alien.

Pour mettre tout ça à l’écran, je me suis servi du logiciel OBS, qui est très pratique. Je n’ai que la webcam de mon ordinateur portable, et j’avais besoin d’une seconde fenêtre pour faire les jets de dés. Pour ça, j’ai utilisé mon appareil photo relié à un logiciel qui le transformait en seconde webcam. Tout ça formait une installation un peu compliquée, d’autant que j’avais décidé de faire les jets de dés en direct avec de vrais dés.

Vue du studio 😀 Dans la boîte à dés, c’est bien un caca en mousse antistress couleur cosmos.

Je commençais à entrevoir la complexité de l’opération. Il allait me falloir gérer la narration (avec un minimum de sérieux), arbitrer les règles (en limitant au maximum les jets de dés : on ne lance les dés que quand c’est dramatique), gérer un minimum les visuels (faire apparaître la bonne image au bon moment) et gérer le son… Et surtout, ne pas oublier de trouver un “signal visuel” qui me permettrait d’avertir les spectateurs qu’ils avaient la possibilité de “jouer”, de faire agir le personnage.

Ce dernier détail, je l’ai résolu grâce à la participation de ma chère et tendre, Nathalie Aynié, qui m’a fait ce joli carton :


Lorsqu’il apparaissait à l’écran, c’était l’occasion pour les “joueurs” de se manifester, sur le principe de “Jacques a dit” : il fallait écrire “Maman”, puis une action à effectuer.

Ah oui… ça voulait dire aussi qu’en plus de tout le reste, il me fallait lire les messages qui défilaient à l’écran ! Je n’avais jamais été aussi multitâches !

Jour 1 (Voici la vidéo – la partie commence autour de 10 minutes, avant c’est juste moi qui délire – WARNING : ne vous attendez pas à un truc avec une qualité de prod pro, parce que je n’ai pas concentré un max d’efforts – genre 80%… – sur l’aspect technique : https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1583687538446963)

Sur mon tableau blanc, la fiche de Ferrey, les plans du vaisseau, des pions magnétiques représentant Ferrey, les PNJ et les menaces, et des notes pour m’y retrouver et ne rien oublier.

Le lundi, avant de lancer la première partie, j’étais particulièrement stressé. Il y avait tellement de choses (en particulier techniques) qui pouvaient foirer ! Heureusement, tout l’aspect matériel a tenu le coup, d’un bout à l’autre. Je n’ai commencé la partie qu’au bout de 10 minutes, mais ça a bien fonctionné. Je pense avoir atteint mon objectif grâce à divers éléments :

  • Rester sérieux : narration à la Pierre Bellemare, sérieux comme un pape, et premier degré à fond les ballons ! Je racontais une histoire angoissante, je n’étais pas là pour rigoler ! Ca m’a appris à faire abstraction de tous les gags que pouvaient balancer les gens dans les commentaires. Cela dit, j’ai une bonne expérience personnelle : j’ai déjà donné des cours d’excel à cinq personnes dans une salle de 40 m2 où se déroulait simultanément une partie de Half Life en LAN. Arriver à faire abstraction du bruit ambiant, ça ne me gêne pas, même si ça bouffe de l’énergie.
  • Utiliser les visuels : les visuels sont indispensables. Je m’en suis vite rendu compte : afficher les plans de vaisseau et l’unique photo que j’avais prévue donnait des éléments d’immersion. Note pour le lendemain : trouver des visuels pour le reste du vaisseau…
  • L’atmosphère sonore : le son provoque l’immersion immédiate. Je me suis servi de 30 s de musique originale du film Alien, suivies du fond sonore Nostromo de Tabletop Audio. A titre personnel, ce fond sonore me transportait immédiatement dans l’univers de jeu. J’espère (et je pense) qu’il a fonctionné aussi pour ceux qui regardaient et/ou écoutaient. Les quelques bruits utilisés (bruit de facehugger se carapatant) ont bien fonctionné aussi.

Jour 2 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1584620771686973/)

Le 2e jour, tout a continué à fonctionner. J’ai mis en place d’autres visuels, et j’ai continué exactement comme au premier jour.

Et je me suis rendu compte que ça ne pouvait pas durer. Si je continuais comme ça, je me limiterais à meubler, sans prendre de risques, sans avancer réellement. Le scénario pouvait fonctionner, mais il fallait que j’ajoute de la tension. Changement de direction, donc : je devais prévoir pour le jour 3 quelque chose d’un peu plus palpitant qu’une balade dans des couloirs.

Comment introduire la tension ? En ajoutant un nouvel élément stressant : le vaisseau a pris la route du soleil du système. En outre, on introduit le mécanisme du stress. Mais il faut faire monter la mayonnaise…

La solution ? Comme toujours : baston !

Jour 3 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1585492681599782/)

J’ai fait intervenir un affrontement. Il fallait qu’il soit dynamique, tendu, qu’il se règle en 2 ou 3 jets de dés maximum. Affrontement contre un facehugger : les “joueurs” l’ignoraient, mais ils ne couraient aucun risque. En effet, un facehugger s’est déjà attaqué à Ferrey dans son caisson avant le début du scénario… sans succès ! Je pouvais donc laisser les joueurs agir comme ils le souhaitaient. Résultat : le capitaine Conrad, un peu énervé contre Ferrey et qui a eu la mauvaise idée de braquer son arme sur elle, y est passé aussi ! On allait vers le bain de sang.

Parfait.

Et puis, le cliffhanger m’était offert sur un plateau : il suffisait que je termine ce 3e épisode par la révélation que Ferrey était un androïde pour laisser planer un chouette suspense !

Et le lendemain ? Deux choses : donner des réponses (qui est Ferrey, que s’est-il passé à bord) et entamer la dernière ligne droite pour finir en beauté à l’épisode 5.

Jour 4 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1586347914847592/)

J’ai expliqué la nature d’androïde de Ferrey et une partie de ce qui s’était passé. Nouvelle interaction avec un autre PNJ, le docteur Rodgers (qui s’appelait Roberts dans mon scénario, mais j’ai bafouillé et oublié son nom pendant la partie !). Mais la tension ne montait pas beaucoup. Il fallait continuer en courbe ascendante, pas “laisser la pâte reposer”.

J’ai résolu ce manque de tension en donnant… des chiffres ! “Dans 15 minutes, le Bonito sera vaporisé en approchant du soleil”.

2e élément : il me fallait faire participer les joueurs. Je leur ai demandé de me dire quelle routine de programmation particulière animait le cerveau d’androïde de Ferrey. Ainsi, je les laissais s’imposer eux-mêmes une contrainte pour la suite, pour compenser l’énorme avantage que leur conférait leur nature d’androïde. Ca a plus ou moins marché, puisque le choix était “Ferrey se comporte comme une humaine”, ce que le récit avait plus ou moins déjà acté jusqu’ici. Mais ce qui n’était qu’un élément de récit se muait désormais en réelle contrainte : ça me suffisait.

3e élément : il faut se sauver ET sauver un dernier membre d’équipage qui avait survécu (j’ai sorti de ma manche un des fameux membres d’équipage “joker”).

Jour 5 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1587198188095898/)

Le plus difficile ! Comment clore en 20 minutes une intrigue, aussi simple soit-elle ? Eh bien je n’y suis pas arrivé. Il m’a fallu plus d’une demi-heure au bout du compte !

Mais malgré tout, j’ai conclu ce récit avec l’aide des joueurs. La veille, j’ai beaucoup réfléchi. Je voulais introduire le mécanisme de l’épuisement des ressources. L’idéal était de forcer Ferrey à utiliser un scaphandre spatial. Or, Ferrey, une androïde, n’a pas besoin de respirer dans l’espace.

J’avais très envie d’une scène de sortie dans l’espace… mais puisqu’il ne restait plus que 15 minutes, c’était impossible (ça aurait nécessité beaucoup trop d’actions et d’explications. La solution ? Faire effectuer la sortie par un AUTRE personnage que Ferrey, et exploiter le mécanisme des ressources sans que ça l’impacte directement. De toute façon, étant un androïde, elle ne respire pas !)

J’ai donc biaisé. Puisque la tension se focalise sur le membre d’équipage à sauver, c’est lui qui est dehors, en scaphandre, avec une réserve d’air limitée. Ferrey est quant à elle soumise à un double compte à rebours : 15 minutes avant la fusion du vaisseau, plus cette limite d’oxygène pour le membre d’équipage (appelé Jay 2).

En fin de scénario, on passe en mode “ouvert” : l’idéal est de laisser les joueurs proposer une stratégie et de s’y tenir. Les phases précédentes ont permis trois choses :

  • Etablir les ressources disponibles : deux armes, l’ordinateur Maman, les capacités d’androïde de Ferrey.
  • Poser des contraintes : les réussites et les échecs aux dés ont établi des choses (des PNJ sont morts, des fonctions de l’ordinateur de bord sont actives ou pas).
  • Poser des objectifs : agir en humaine, sauver sa peau, sauver Jay 2.

Puisqu’on a toutes les données de l’équation, il ne reste plus qu’à laisser les joueurs agir. Ce que j’ai fait.

Je m’en suis tenu strictement aux jets de dés. Un plan très audacieux a été échafaudé, et comme les joueurs disposaient d’énormes chances de succès (et que Ferrey était “sacrifiable”), j’ai ajouté une règle maison pour l’ultime jet de dés : s’ils obtenaient plus de 1 que de 6, une catastrophe se produirait. Tension artificielle, mais fin spectaculaire et amusante.

Fin de scénario très compliquée à gérer : l’action étant rapide, ça ne se prête pas du tout à une installation aussi complexe que ce que j’avais (il me fallait passer d’une fenêtre à l’autre, d’une caméra à l’autre, tout en consultant les messages sur facebook, et sans lâcher la douzaine de dés autrement que dans la boîte…). Dès que je sentais un petit “blanc” dans l’action, j’annonçais que le compte à rebours continuait (les 15 minutes fatidiques) ou je faisais faire un jet de ressource à l’astronaute en balade. En situation “sur table”, j’aurais géré tout cela de façon plus carrée, en faisant le décompte des minutes une par une, mais je ne pouvais pas me permettre de déborder davantage : le temps prévu a quasiment été doublé !

Et finalement… ça s’est bien passé !

Il faut CONCLURE le scénario, et pour ce faire, un simple “vous survivez” ne suffit pas. Comme je ne pouvais pas utiliser la technique des règles d’Alien (le survivant lit le dernier message du journal de bord), j’ai opté pour autre chose : un PNJ lâche une dernière réplique un peu fun, et… rideau !

Conclusage

Ouf ! Quelle épopée ! environ 2 h de jeu en tout, mais énormément de fun, issu de beaucoup d’efforts et d’une belle convivialité au final. Une majorité de ce que j’avais prévu avait fonctionné, j’ai été forcé de modifier à la volée ce qui ne marchait pas (en ayant chaque fois une journée de réflexion) et j’ai vécu une belle expérience, qui m’a catapulté hors de ma zone de confort.

Cette petite partie m’a appris énormément, surtout en terme de rythme et de tension : devoir injecter des événements à la fois marquants et suffisamment simples pour passer la barrière de la technique (et le lag de 17 secondes, que j’ai expliqué façon méta en cours de partie) s’est révélé extrêmement difficile mais enthousiasmant. Plus que jamais, je me rends compte qu’il faut savoir s’adapter aux contraintes du média employé, ne pas chercher à les dépasser, mais plutôt trouver le moyen de les exploiter, souvent avec humilité.

Résultat… pour moi, 100% positif ! Pendant une semaine, tous les matins, nous avons vécu une aventure unique, ou rien n’était joué d’avance, où tout pouvait arriver, et où chacun a pu participer, contribuer à l’énergie du récit !

Est-ce que je recommencerai ? Peut-être. Je vais tout de même me reposer pendant une bonne semaine en y réfléchissant (d’autant que je poursuis ma campagne Mutant Year Zero la semaine prochaine, et que je joue une campagne au format très particulier – 20 minutes par jour, un peu comme cette expérience – sur cinq jours !). Mais l’envie est là, et j’aurai sans doute envie de retrouver ce plaisir de jeu et ce challenge, peut-être même pour proposer un univers inédit. On verra bien !

Pour finir, un grand merci à Michael Croitoriu qui m’a soutenu et qui m’a donné des tas d’idées pour ce scénario avant d’y participer lui-même (et de bien belle manière !), à Nathalie Aynié qui m’a également encouragé et qui m’a fourni l’excellent et hilarant carton “Maman”, à Ben Diebling qui a été là et dont l’enthousiasme m’a fait très plaisir, à Mahyar Shakeri qui a assisté d’un oeil bienveillant à cette expérience et qui a eu la gentillesse de m’en féliciter, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont participé, ne serait-ce que par leur présence, même une seule fois, à cette expérience en live !

En bonus, je vous donne ici mes notes de scénario à télécharger :

Sandy Julien

Sandy Julien

Traducteur indépendant

Works in Progress

  • Secret World Domination Project #1 44% 44%
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