Les amis qui foutent un peu la honte…

Je viens de lire un article consacré à la série Friends. C’était une excellente série, que j’ai visionnée plusieurs fois, chaque fois avec énormément de plaisir. Il y a plus de dix ans.

Et puis je l’ai revue récemment.

Beaucoup de choses me font encore rire, et la tendresse que j’éprouve pour les personnages ne s’est pas émoussée.

Mais il faut bien reconnaître que Friends a mal vieilli. Il paraît que de nombreux aspects de Friends agacent les millenials. Vous savez, ces gosses qui font des fautes dans leurs SMS, qui ont des goûts de chiottes, qui ne savent pas apprécier ce qu’est beau, les petits merdeux.

Et effectivement ils ont des goûts de chiotte. Mais cette génération de petits merdeux, née dans un contexte de bouleversement sociétal, n’apprécie pas vraiment les déclarations homophobes, transphobes et racistes. Quand une série ne présente que des personnages blancs hétéros cis, ça les défrise, ces petits merdeux. Quand un scénariste se sert d’un personnage comme bouc émissaire au motif qu’il est gros, curieusement, ça ne passe pas chez les millenials. Régulièrement ils vont jouer les Social Justice Warriors en expliquant que non, “c’est pas parce que c’était comme ça avant que ça doit le rester, et moi j’en ai rien à foutre que Michel Leeb te fasse marrer, il est raciste, point”.

Quand on entend ça, une seule conclusion s’impose.

 

Les merdeux, c’est pas eux, c’est nous

Quand on se penche sur la série Friends (et sur une majorité des oeuvres culturelles d’une génération, en général), on constate qu’elle véhicule les préjugés de son temps. Je viens de revoir l’intégralité de la série sur Netflix, et il n’y a pas photo : Friends est clairement grossophobe. Et homophobe. Et (un aspect que ne soulignait pas l’article que j’ai lu ici http://www.slate.fr/story/156290/serie-friends-sexiste-homophobe-grossophobe?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook) scientificophobe.

A plusieurs reprises, Ross (qui est étiqueté “coincé de service”) manifeste son goût pour la science : il travaille dans un musée par passion, il aime les documentaires animaliers, il lit manifestement autre chose que des magazines de mode et des programmes télé, etc. Systématiquement, cet aspect de sa personnalité est tourné en ridicule, et lorsqu’il raille les convictions ridicules de Phoebe (qui voit sa mère réincarnée en chat, qui se sent investie par le fantôme d’une vieille dame, etc.), c’est lui qui reçoit un retour de bâton, la série affirmant que les croyances irrationnelles peuvent tout à fait coexister avec les avancées de la science (on ne va pas y aller par quatre chemins : je suis dans le camp de James Randi et du professeur Broch sur ce coup-là ; cela dit, je suis tout à fait d’accord pour ne pas stigmatiser ni railler les convictions d’autrui, à condition qu’elles ne débouchent pas sur des comportements néfastes… oui, c’est flou, mais je développerai sans doute une autre fois sur ce point : qu’il vous suffise de savoir que je suis à la fois fan de séries fantastiques et de films consacrés au surnaturel d’une part, et un fervent adversaire des charlatans de tout poil d’autre part). Bref, Ross, qui est un nerd, passe pour un drôle d’oiseau qui a de bien curieux passe-temps, alors que la folie de Phoebe (qui n’est qu’une façade, puisque Phoebe renonce assez systématiquement à ses convictions dès que son intérêt est en jeu) semble tout à fait excusable, voire charmante.

Je ne vais pas cracher sur la série : j’adore le personnage de Phoebe, que je trouve tout à fait adorable. Dans la réalité, j’aurais sans doute envie de l’énucléer avec une cuiller à pamplemousse, cela dit.

Euh, bref : la série véhicule les préjugés de son temps.

Ce qui est super bizarre. Parce que je me rappelle tout à fait avoir eu des discussions avec des amis (la série m’avait été très chaudement recommandée par un ami gay, qui en était fan au point d’avoir mené une campagne subtile mais constante pour me convertir aux vertus de Friends) où nous évoquions l’aspect avant-gardiste des thèmes de la série : “tu te rends compte, ils parlent ouvertement de l’homosexualité, c’est comme dans la vraie vie, ils osent des trucs incroyables.”

Si si, en vrai. On trouvait Friends avant-gardiste.

Non, je reprends : les merdeux, c’était nous, mais avant

Le monde a changé, comme dirait cette bonne vieille Galadriel. Le monde change tout le temps. Et il existe un lien de corrélation entre le monde tel que le reflètent les oeuvres culturelles et le monde tel qu’il est à l’instant T.

Ca ne date pas d’hier. Déjà aux XIIe-XIIIe siècle, la saga du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde relatée par Chrétien de Troyes et d’autres scénaristes de séries-lutrin (ouais, à l’époque, c’était plutôt sur le lutrin qu’on avait des chances de découvrir les aventures de personnages fictifs) présentait un roi du VIe siècle (l’Arthur authentique daterait de cette époque, ou des environs, j’ai la flemme de chercher) qui vivait à la façon des souverains contemporains des auteurs. Ces récits transmettaient l’image d’une société idéalisée, exaltant les vertus désirables au travers du portrait des super-héros de l’époque, Lancelot et ses potes. Petit aparté : pour moi, c’est d’ailleurs la grande réussite d’Alexandre Astier que d’avoir transposé les récits arthuriens dans un vocabulaire moderne, avec des préoccupations modernes (François Cavanna s’était livré à l’exercice dans une série de romans dont Les Fosses Carolines, mais avec moins de succès).

La culture est un miroir

Bref : la culture reflète la réalité, ou du moins une partie de la réalité sociale. Mais comme les acteurs de la culture ont leur mot à dire, ils pimentent évidemment leurs récits de leurs propres idées sur l’évolution sociale, qu’elle soit réelle ou fantasmée. Friends ne fait pas exception à la règle.

Conclusion ? Friends présentait effectivement des choses inédites *pour l’époque*. Aujourd’hui, l’évolution sociale a rattrapé la série, et l’a dépassée de très loin (heureusement). Dans le contexte de libération de la parole et de rejet des préjugés actuels, il devient difficile de ne pas analyser la série au travers d’une grille de réflexion qui la fait désormais paraître sous un jour peu flatteur.

 

En fait y a pas de merdeux, y a que des gens qui changent

Et pourtant, j’aime toujours Friends. Simplement, je ne m’y reconnais plus.

Je ne me pose plus, aujourd’hui, la question de l’époque : “tu te sens plus Ross, Joey ou Chandler ?” (j’aurais répondu “Phoebe”, certainement). Je ne me sens plus d’atomes crochus avec ces personnages. Ou plutôt je ne me sens d’affinités qu’avec certains de leurs aspects désormais. Et je refuse en bloc certains autres.

Un constat s’impose toutefois : on ne peut plus regarder Friends de la même façon aujourd’hui. Et on ne DOIT pas refuser d’entendre le discours des “millenials” qui y voient le reflet d’un monde qui ne ressemble pas à leurs aspirations. En tant que quadragénaire (bien mûr mais pas tout à fait liquide), quand je regarde un film des années 50, je peux tout à fait être charmé par certains détails vestimentaires, et même par certaines vertus des personnages, mais les aspects sexistes, racistes et autres “istes” en pagaille me sautent aux yeux. Revenir à la société de la génération précédente ? Pas question. Ben je crois que c’est la même chose pour les “millenials”. Et poutrin, ils ont raison.

La culture n’est pas un miroir : c’est un portrait. Elle ne reflète que la réalité et les aspirations de ses contemporains.

 

Doit-on abandonner Friends ?

J’ai une tendresse particulière pour cette série, qui a bercé des années dont je conserve beaucoup de souvenirs agréables. Pour autant… doit-on rééditer “les aventures de Bamboula ?” Oui, je mets ça sur un pied d’égalité, c’est un raisonnement biaisé, j’en ai conscience.

Je reformule. Doit-on conserver des oeuvres entachées de sexisme, de racisme, etc., au motif qu’elles ont par ailleurs d’autres qualités ?

Je reformule. Doit-on les conserver sans porter sur elles un regard critique ?

Ca fait beaucoup de reformulations. Et pas énormément de réponses.

Une chose est certaine, on ne peut pas :

  • refuser de percevoir les aspects gênants des oeuvres de l’époque : il ne s’agit pas de fustiger la série dans son entier, mais d’en détecter les caractères malaisants. Je peux faire abstraction de pas mal de choses, et ça ne me pose donc pas de problème.
  • défendre ces aspects gênants au motif qu’ils font “partie de l’oeuvre”, qu’elle ne peut exister sans eux.

“Bamboula” peut-il exister sans le racisme de son propos ? (je vous laisse vous documenter sur cette bande dessinée bien faisandée.) Non. Hop, poubelle.

La série Friends peut-elle exister sans ses aspects homophobes, grossophobes et racistes ? J’aurais tendance à dire “p’têt ben qu’oui’.

Parce qu’en réalité, je suis convaincu que si l’on tournait Friends aujourd’hui, les scénaristes éviteraient la majorité de ces aspects gênants. La télévision a évolué, et le regard qu’on porte sur les séries également. Nous savons par exemple que les séries télévisées ne sont pas des sous-produits, ni des remplaçantes du cinéma, mais qu’elles constituent des oeuvres distinctes, dignes d’intérêt et d’analyse.

Mais là je biaise à MORT. Mon argument consiste à attribuer une intention aux scénaristes, à me dire que “c’est pas leur faute”. Bref : j’aime toujours Friends et je voudrais lui trouver, sinon un alibi, au moins des circonstances atténuantes. Je ne suis pas sûr que ça suffise.

Nous savons que les séries télévisées comptent et que l’on ne peut pas y raconter n’importe quoi sous prétexte qu’il ne s’agit que d’un “divertissement” (et ça fonctionne aussi pour énormément d’autres divertissements, y compris les jeux de rôle, je dis ça je dis rien).

Peut-on abandonner Friends ?

Bien sûr que oui.

Vingt ans après sa diffusion, la série craque déjà aux entournures. Si on attend encore vingt ans, comment vieillira-t-elle ?

La réponse ? On s’en fiche. Friends est encore regardable, quoique beaucoup moins agréable maintenant que les défauts apparaissent. C’est comme le Seigneur des Anneaux : difficile aujourd’hui de ne pas tiquer devant certaines incrustations qui paraissent aujourd’hui “maladroites”, devant des effets numériques qui sautent aux yeux…

Dans d’autres séries, les scénaristes semblent prendre conscience des rapports problématiques qu’entretiennent certains personnages. Dans un story arc court de la dernière saison de The Big Bang Theory, le comportement de Howard est qualifié d’abusif et de raciste vis à vis de Raj, par exemple. Opportunisme ou réelle intention de rattraper l’évolution des mentalités pour une série à cheval entre plusieurs générations ? (et problématique à plus d’un titre dans sa représentation des nerds, mais c’est une autre histoire.)

Les “effets sociétaux” de Friends ne fonctionnent plus comme lors de sa première diffusion. On voit les incrustations de thèmes sociaux, c’est mal détouré, tout ça.

Friends est encore regardable, mais cette série n’est plus un miroir de la société : elle est devenue un tableau, un cliché (j’utilise ce mot en connaissance de cause) d’une société qui n’existe plus. Je ne suis pas prêt à la remiser dans un vieux carton, au fond du grenier. Mais il faut bien reconnaître que la série fait désormais partie du passé. Je compte parmi ceux qui n’espèrent en aucun cas un retour de la série (d’autant que des tentatives comme celle de Gilmore Girls me confortent dans l’idée que la magie d’une série réside également dans son placement dans le temps, et qu’on ne retrouve pas cette magie facilement).

Comment s’étonner qu’une génération entière ne se retrouve nullement dans les stéréotypes et les situations qu’elle utilise ? 

On n’a qu’à dire qu’on la garde, mais qu’on accepte le fait que désormais, “Friends” soit has-been. Que la société a évolué et que désormais, les personnages sont ridicules pour d’autres raisons que celles prévues par les scénaristes. Je vais dire que ça me convient.

Est-ce que je vais remater Friends régulièrement comme à une époque ? Je crains bien que non. Je vais laisser la série sombrer tranquillement dans mes oubliettes mentales personnelles, en ne conservant que les bons souvenirs. Ce n’est pas si mal, et je crois que je m’en contenterai.

“Les Derniers Jedi” et la Force

Attention : cet article contient des spoilers et risque de vous gâcher le film si vous le lisez avant de l’avoir vu.

Avertissement

En guise de préambule, une petite mise en garde. Je sais que de nombreux spectateurs ont détesté l’Episode VIII. J’ai lu quelques diatribes dont ressortent deux éléments communs : une énumération des “erreurs” que compte le film et un refus de légitimité.
L’Episode VIII regorge effectivement d’absurdités cinématographiques et de maladresses (l’une d’entre elles m’a vraiment sorti du film, la tristement célèbre “Carrie Poppins” : j’en cherche encore le sens). Il reprend (comme l’Episode VII) quantité de scènes des films de la trilogie d’origine (mais rien ou presque de la prélogie). Les spectateurs “déçus” ont donc énuméré tous les éléments repris de L’Empire contre-attaque comme autant de preuves à charge pour refuser sa légitimité au film, allant même, pour certains, jusqu’à publier une pétition visant à écarter le film de la chronologie officielle. Beaucoup ont même prétendu que les personnages étaient “trahis”, etc.
J’ignore comment réfléchissent les spectateurs de cette catégorie : le film est là, l’histoire a pris cette forme, ce qui est fait est fait. L’autre point commun de ces “critiques” virulents, c’est qu’ils avaient une idée tout à fait différente de ce qui “aurait pu/dû se produire” selon eux. Je vais exprimer mes réserves relatives à l’opinion de ces spectateurs avec tout le tact que je peux rassembler.
La vision de Star Wars et de son évolution par Jean-Spectateur, je n’en ai strictement rien à cirer. Je suis joueur de jeu de rôle : si j’ai envie de refaire l’histoire, je peux le faire sans problème. J’aurais sans doute fait des choix différents si j’avais eu voix au chapitre dans la réalisation du scénario des films Star Wars (et de tous les films, en fait), mais honnêtement, personne n’en a rien à foutre de ma version d’Autant en Emporte le Vent où Rhett Butler est un zombie spatial de la planète Zéta. Et vous savez pourquoi ? Parce que cette version n’existe que dans ma tête. Elle est à moi. Si j’ai envie de la partager, j’écris Autant en Emportent les Zombies et je vois si ça touche un public.
Ce qui m’intéresse, en revanche, c’est de comprendre les motivations du scénariste et du réalisateur de l’Episode VIII : cette oeuvre-là est finie, elle est réelle et je peux juger sur pièces non seulement des intentions de ceux qui l’ont créée, mais également de la façon dont ils ont pu donner corps à ces intentions.
Il n’y a qu’une forme de critique intéressante à mes yeux (au moment où j’écris ces lignes) : celle qui consiste à examiner la forme de l’oeuvre pour tenter d’en décrypter le fond. C’est le seul exercice critique qui ne soit pas stérile. Je ne saurais trop vous recommander, dans ce registre, l’excellente série Chroma de Karim Debbache (visible gratuitement sur Dailymotion à cette adresse : https://www.dailymotion.com/video/x3lnp8j
Nombre des contempteurs de la prélogie (que je n’aime pas non plus) et des épisodes VII et VIII commettent l’erreur de confondre une constatation (ces films regorgent “d’erreurs” et de “redites”) avec un raisonnement : imaginer que ces “erreurs” sont systématiquement involontaires et que ces doublons tiennent uniquement du “fan service”, c’est s’attarder sur la forme sans jamais voir le fond. “X n’aurait jamais fait Y, c’est illogique” n’est pas non plus un raisonnement : c’est un fantasme, celui qui consiste pour celui qui l’énonce à s’imaginer capable de mieux comprendre tel ou tel personnage que le scénariste ou le réalisateur. Je ne prétends pas quant à moi comprendre mieux qu’un.e autre les thèmes et le fond des films de la série, mais l’exercice qui consiste à les chercher me semble autrement plus intéressant que d’énumérer des erreurs que n’importe quel spectateur est capable de déceler.

La Force et les midi-chloriens

Dans “Star Wars – Le making of” paru chez Akiléos en français, on trouve un document exceptionnel, qui dissipe à mon avis certaines idées reçues. Cet entretien entre George Lucas et Carol Titelman témoigne de la vision qu’avait le réalisateur de cet univers qu’il venait de créer. Il se déroula en plusieurs partie, entre juillet et août 1977. Il avait pour but de fixer les éléments essentiels d’un univers qui n’existait alors que sous forme de brouillons et de notes rédigés au fil de l’écriture du scénario de Star Wars (renommé par la suite A New Hope).

Sur la Force, Lucas déclare : “On dit que certaines créatures naissent avec une perception plus aiguë de la Force que les humains. Leurs cerveaux sont différents : ils ont plus de midi-chloriens dans leurs cellules.”
Première mention des midi-chloriens, qui date donc d’avant L’Empire contre-attaque, cette affirmation diffère très légèrement de ce que l’on entendra dans la prélogie : ici, ce sont “certaines créatures” différentes des humains qui possèdent plus de midi-chloriens. Dans La Menace fantôme, on nous rapporte que le taux de midi-chloriens mesure les aptitudes des individus sensibles à la Force. Qui-Gon Jinn y déclare en outre, en parlant d’Anakin : “Un garçon. Je n’ai jamais vu une telle concentration de midi-chloriens dans les cellules d’un être vivant. Il est possible qu’il ait été conçu par les midi-chloriens eux-mêmes.”
Cette citation est assez stupéfiante : les midi-chloriens, on ne sait plus trop ce que c’est, du coup… Simples “marqueurs” de la Force ? Ou créatures intelligentes capables de “créer” un être vivant ? (Dans l’univers étendu, c’est cette option qui a manifestement été choisie. On ignore encore ce qu’il en sera exactement dans l’univers cinématographique et le nouveau “canon”.)

En 1977, George Lucas ajoute :

“… tout ce que l’on sait, c’est que Luke est le dernier disciple de la Force encore en vie. (…) Tous ceux qui étudient et travaillent dur peuvent l’apprendre. Mais il leur faudra se débrouiller seuls.”

Lucas affirme toutefois que Luke a simplement fait le premier pas sur la voie de la Force et qu’il lui faudra bien vingt ans (!) pour la maîtriser réellement. Le réalisateur revit manifestement sa copie par la suite, puisqu’il fallut six ans seulement à Luke pour devenir un chevalier Jedi, ce qu’il affirme à la fin du Retour du Jedi en n’ayant pourtant suivi qu’un enseignement extrêmement restreint de la part d’Obi-Wan et de Yoda (autant qu’on sache, la seule formation qu’il a reçue est celle prodiguée sur Dagobah).

A l’origine, la Force a donc un caractère mystique, dans le sens classique du terme : l’accès aux “mystères” suite à une initiation. La première trilogie souligne le caractère mystérieux de la Force, et Lucas oublie les midi-chloriens en chemin pour insister à la place sur le cheminement intérieur de Luke. On est même dans une conception médiévale de la mystique : la quête intérieure l’emporte sur les relations de maître à disciple, qui sont pour le moins fragmentaires et chaotiques. C’est le disciple qui cherche le maître et non l’inverse : la “religion” qui est née autour de la Force n’est pas formalisée (du moins pas encore, on le verra par la suite… ou plutôt dans le passé), c’est une voie de découverte de soi et d’accomplissement personnel. Luke choisit Ben comme mentor, puis recherche activement l’enseignement de Yoda.
Luke est un héros contestataire : il agit au mépris des mises en garde de Yoda et d’Obi Wan. Ceux-ci se trompent d’ailleurs à peu près systématiquement dans leurs prédictions : alors qu’ils estiment impossible de sauver Vador, c’est la détermination de Luke qui permet de le ramener du côté lumineux de la Force. Mais ceci n’est qu’un détail.
Dans la trilogie d’origine, la Force devient vite une affaire de famille : Lucas avait beau prétendre en 1977 que de nombreux individus pouvaient accéder aux pouvoirs de la Force, on ne les verra pas dans les épisodes IV, V et VI. Les Jedi ont disparu en tant qu’ordre (“après moi, le dernier des Jedi tu seras” affirme Yoda sur son lit de mort), c’est un fait. Mais s’il existe des individus sensibles à la Force en dehors des Jedi, on n’en entendra jamais parler… ni maintenant, ni dans la prélogie, d’ailleurs. Tout au plus verra-t-on qu’il existe des personnages immunisés contre les “ruses de Jedi”, comme Jabba le Hutt.

Prélogie

La trilogie donne un caractère héréditaire, voire dynastique à la Force. Les Skywalker semblent en être les détenteurs exclusifs. Par droit du sang ?
La prélogie le confirme en biaisant : ce sont les midi-chloriens qui mesurent la Force chez les humains. Il paraît donc logique que la “Force soit puissante dans une famille”. Dans la prélogie, on passe toutefois à une conception différente des détenteurs de la Force. Ils sont organisés en “ordre”, avec une hiérarchie, des “maîtres”, des “padawans”.
Bref : de la conception mystique de la Force, on passe à une Eglise organisée. C’est d’ailleurs cette Eglise qui recherche ses membres et non l’inverse. Les jeunes Jedi sont recrutés dans des circonstances parfois glaçantes, si on s’en fie à l’exemple d’Anakin : ancien esclave, il est arraché à sa mère pour subir une autre sorte d’esclavage, psychologique et émotionnel celui-là.
En effet, l’Ordre Jedi est présenté comme une organisation rigide, dont les membres se laissent facilement leurrer par des “prophéties” bien fumeuses (et autoréalisatrices). En refusant l’amour à Anakin, c’est l’Ordre Jedi qui le pousse vers la duplicité et le côté obscur. Le futur Empereur, lui, n’a aucun mal à jouer les oncles bienveillants auprès d’un Anakin torturé par le carcan idéologique des Jedi.
Dans la prélogie, plus question de mysticisme : le seul Jedi individualiste, Qui-Gon Jinn, meurt dès l’Episode I. Tous ceux que nous verrons par la suite sont d’insupportables réactionnaires qui soutiennent un ordre politique déliquescent. Installés dans le luxe, ils sont bien loin des préoccupations du peuple…
Et pourtant, quelques-uns des membres de l’Ordre Jedi sortent du lot. Obi Wan, forcément : il profite de sa brève visite dans un tripot pour guérir de son addiction un quidam drogué, preuve que les membres de l’Ordre agissent à un niveau individuel, humain. Et pourtant, Qui-Gon arrache bel et bien Anakin à sa mère, qu’il pourrait sans doute racheter, mais qu’il décide d’abandonner définitivement : Anakin n’aura plus jamais aucun contact avec elle. L’Ordre Jedi est abusif, oppressif, et Yoda aura beau jeu de déclarer dans L’Empire contre-attaque “personne par la guerre ne devient grand” alors qu’il a lui même privilégié une approche martiale au conflit de la prélogie (conflit dont les enjeux, bien plus vastes que ceux de la prélogie, sont au final insignifiants, dilués dans une intrigue politique artificiellement complexe).
De tremplin vers l’épanouissement individuel, la Force est devenue un simple emblème de pouvoir, un enjeu, une ressource dans la prélogie. Elle est le monopole des Jedi (et des Sith, bien sûr). La prélogie verrouille l’accès à la Force : soit on est un Jedi (et on est repéré puis intégré à l’Eglise Jedi), soit on est un Sith (et donc un mal à éradiquer coûte que coûte). Encore une fois, aucun individu sensible à la Force en dehors des Jedi (sauf erreur de ma part).

Parenthèse : Jeux de rôle

Curieusement, s’il existe un support qui va souligner l’aspect “démocratique” de la Force, c’est le jeu de rôle. Dès la version de West End Games, on y affirme que tous les personnages se servent de la Force, parfois à leur insu : un pilote qui accomplit des prouesses a peut-être bénéficié d’un coup de pouce de cette force, qui reprend son caractère mystique puisqu’elle redevient accessible à tous, et ne se limite pas à une population “d’élus” que seraient les Jedi.
Cette définition de la Force va se retrouver dans les épisodes VII et VIII.

La postlogie (oui ben je voudrais bien vous y voir, vous, à choisir des titres…)

On entend un nouveau mot à la mode dans les critiques de films (en particulier dans les franchises Marvel et Star Wars) : “déconstruction”. Les scénaristes montrent patte blanche en manifestant leur connaissance des thèmes essentiels d’une franchise… puis ils en démontent la logique absurde pour poser les bases de quelque chose de nouveau et se démarquer radicalement du modèle “classique”.
La déconstruction à l’oeuvre dans Star Wars passe par un retour aux sources, et surtout à cette question essentielle : qu’est-ce que la Force ? S’agit-il simplement d’un phénomène rationnel lié au taux de midi-chloriens ?
Le film répond sans ambiguïté, en élucidant le “mystère” qui a agité la communauté de fans depuis l’Episode VII : “qui est Rey ?”
Venue de “nulle part”, fascinée par les Jedi, Rey peut être considérée (c’est une interprétation parmi tant d’autres) comme la représentation des fans de Star Wars. Par conséquent, les fans lui inventent une généalogie “logique” dans le cadre de la franchise : si l’on se fie à cette logique instaurée dans la trilogie (et la prélogie, de façon différente), Rey ne peut être que l’héritière d’une grande lignée. On pense évidemment à Skywalker (Luke ou Leia), mais certains évoquent la possibilité que Rey soit la petite fille d’Obi Wan Kenobi : pourquoi pas ? L’idée est fascinante, mais encore une fois, elle verrouille l’accès à la Force, et symboliquement, à l’univers Star Wars : ne peuvent y accéder que les initiés, les élus. L’univers Star Wars n’appartient donc qu’aux fans de la première heure et à leur descendance. Comme celle élaborée autour de la Force, l’appréciation de Star Wars est devenue un culte, qu’il s’agisse d’une religion élaborée en ordre (comme la communauté des fans qui existait lorsque la prélogie est sortie) ou d’un culte des mystères (dont l’attraction s’exerçait au niveau personnel, par une sorte de fascination, comme celle suscitée par le premier film, mais qui nécessitait une intronisation, une initiation).
La révélation de l’Episode VIII balaie ces illusions : Rey n’est que Rey… et c’est bien suffisant. Elle n’a pas à tirer sa légitimité d’une ascendance artificielle (on a beau s’extasier sur les incohérences de la série, la plus flagrante consiste selon moi à faire reposer systématiquement le destin de la galaxie sur les épaules d’une famille, dont les membres se font tour à tour bourreaux et rédempteurs) : Rey “est sa propre personne” comme dirait un amateur d’anglicismes. Son destin n’appartient qu’à elle. En face, Kylo Ren, malgré toutes ses prétentions à la liberté, reste enfermé dans le carcan des anciennes valeurs : une fois que Rey refuse de régner à ses côtés, il se replie sur l’ordre d’autrefois en devenant le nouveau suprême leader. C’est en cela qu’il échoue : incapable de réaliser seul son espoir de rénovation, il reste prisonnier des erreurs du passé, qu’il reproduit consciencieusement. Le personnage de Ben/Kylo Ren, passe du pathétique de l’Episode VII au tragique dans l’Episode VIII. Il y aurait beaucoup à dire sur ce parcours navrant, et sur ce personnage passionnant.

La conclusion de l’Episode VIII

La fin du film est amère : il ne reste rien des héros d’autrefois. Luke a disparu, comprenant peut-être le dernier mystère de la Force après avoir sacrifié ses dernières énergies (sa scène finale, au montage étrange, est extrêmement curieuse). Han est mort, victime de son propre fils. Leia a passé le relai à Poe. Chewie n’est plus qu’un accessoire. Les droïdes sont devenus des objets dépourvus de personnalité, pour laisser la place à leur version 2.0 en la personne de BB8.

Et pour la première fois à l’écran, nous voyons un jeune garçon sensible à la Force qui brandit un manche à balai comme un sabre laser. Il incarne évidemment la nouvelle génération de spectateurs et transmet un message essentiel. Star Wars n’est plus une franchise “fermée” : la Force n’est plus le monopole d’une famille ou d’un ordre, elle est en chacun d’entre nous, et chacun est invité à prendre part à cet univers Star Wars restauré. Ce retour aux sources assumé est la plus belle réussite du film. Il ne s’agit pas de “fan service” mais de générosité. Pas de déconstruction, mais plutôt une ouverture.
La question qui reste en suspens est la suivante : qui répondra à cet appel ? Les nouvelles générations de spectateurs se laisseront-elles entraîner dans la galaxie lointaine, très lointaine ?

Mythic Battle Pantheon – Le JDR – La critique – L’article – Le point final : .

J’ai parcouru en accéléré, grâce à mes superpouvoirs, les règles du JDR écrit par Romain D’Huissier. Concluture, voire conclutures parce qu’il y a beaucoup à en concluser.
* L’univers est fun, héroïque, et surtout, accessible à des gens dont la connaissance de la mythologie se limite à quelques épisodes d’Ulysse 31 (s’ils sont vraiment vieux), de Xéna la guerrière (s’ils sont fun) ou des Grandes Figures de la Mythologie grecque contre Godzilla (s’ils vivent dans un univers alternatif où cette série existe). C’est post-apo avec des streumons qui rôdent partout, des dieux qui se foutent un peu (beaucoup) sur la gueule, et des héros qui… ben qui héroïsent, quoi. J’ai survolé, lu le background en diagonale, et je n’ai pas encore lu la description des dieux, mais c’est vraiment, vraiment fun et décomplexé (“on avait mis tous les monstres et les héros dans un grand sac, et pis en fait, fouitt, le sac s’est ouvert et tout est tombé en même temps, ben merde”, sans pour autant tomber dans la gaudriole un peu forcée de la Xéna susmentionnée.
* Les règles du jeu. Reprenant certains mécanismes de celles du jeu de plateau (la gestion des bonus obtenus aux dés), le système repose sur une base mécanique ultrasimple (tu lances un nombre de d6 égal à carac+compète, chaque dé donnant un résultat supérieur ou égal à la difficulté est une réussite – une réussite suffit pour réussir une action) accompagnée d’une sorte de système de gestion marrant (les 5 explosent, on peut utiliser un dé donnant de 1 à 4 pour ajouter +1 à un autre dé, et plein d’autres petits bidules comme ça) ainsi que d’effets narratifs bien vus (les héros peuvent avoir un “épithète homérique” qui leur permet d’obtenir des bonus de +3 au lieu de +1 dans certaines situations, ainsi que des spécialités qui permettent d’utiliser les résultats de 6, normalement rejetés). Ca m’a l’air fonctionnel, et honnêtement, j’ai hâte de tenter le truc. De petites subtilités viennent donner de la substance au jeu, c’est sympa.
* Les règles de combat sont évidemment bien développées, parce qu’on n’est pas là pour jouer de la lyre et bouffer des olives : ça va tabasser sévère du streumon mythologique.
* La création de perso : c’est bien, c’est rapide, et ça donne des gugus plutôt solides pour aller molester les saloperies susmentionnées. On a le choix entre jouer des persos mythologiques et inventer ses propres bourrinos grecs, et franchement, c’est une vraie réussite : c’est complètement transparent, et que vous jouiez Hercule aux Gros Biceps ou Gyrospita le Rôtisseur de Fauves Géants, ça s’intègrera parfaitement dans le machin. Je craignais vraiment que l’avantage aille aux héros classiques, mais non. A noter qu’on a vraiment l’impression de créer un héros, pas un mec qui va aller taper des rats dans un vieux fond de temple pour pexer un peu et gagner un rang en Dague courte et émoussée. En outre, les points d’Excellence permettent de réussir automatiquement des actions, qu’on espère héroïques.
* De la subtilité : eh bien oui. Chaque héros a la faveur et la défaveur d’une divinité, mais également une destinée qui se manifeste sous forme narrative. C’est bien, et on se dit qu’il y a de quoi jouer autant des trucs épiques que de belles tragédies, puisque chaque héros est censé pouvoir être confronté à une épreuve qu’il a déjà surmontée autrefois, mais devant laquelle il est destiné à échouer.
* Un jeu à l’ancienne : ben ouais. On a là un jeu où on interprète des héros qui vont aller friter des monstres et évoluer sur l’échiquier politique de divinités qui les dépassent, mais qui manifestent des travers tout à fait humains. On va jouer des blockbusters avec effets spéciaux et sang rouge qui gicle, on n’est pas dans “Claude Lelouch Simulator 2017”. Ce qui signifie que s’il y a du “drama”, ça va plutôt tendre du côté Chevaliers du Zodiaque que vers “Toi et moi dans un couloir pendant une heure trente et voyons si je te raconte la fois où j’ai dormi chez mes cousins”. Ce qui est une très bonne chose, parce qu’on en revient aux fondamentaux du JDR, genre : comment on fait pour niquer l’hydre de Lerne, les gars ? Il va y avoir des trahisons, des héros déchus, des rédemptions, de la violence (plein)… bref, des choses que j’aime beaucoup.
* Un jeu d’initiation ? La question moisie… Et pourtant… Oui, c’est à la mode, les boîtes d’initiation et tout le toutim, et il y en a beaucoup de très réussies. Et MBP fait partie du lot. J’esqique. On a un système de jeu extrêmement simple. Avec des dés à six faces. Dans un univers super connu, avec de gros trucs évidents, mais aussi une belle marge de manoeuvre : tout a été pété, on met un peu tout le monde dans le même sac et en voiture Héra ! Les anachronismes, on s’en tape un peu : du moment qu’on reste un peu dans le mood, ça va marcher, pas besoin d’avoir fait maîtrise d’histoire pour choper l’atmosphère, finalement très proche de la fantasy “traditionnelle”, avec un petit côté dark très plaisant. Tout ça dans un bel ouvrage, bien illustré, qui ne délaie pas son propos sur deux mille pages. On a un truc condensé sur 200 pages, avec juste ce qu’il faut de matière pour vous laisser faire des choses sympa avec sans vous prendre le chou sur des détails pénibles. Initiation ? Initiation.
Je me suis longtemps tâté pour savoir si je devais parler du prix, mais finalement, puisque tout le reste est vraiment bon et qu’il s’agit du seul truc qui m’a fait tiquer, je vais en parler (d’autant que j’avais déjà couiné sur le prix de La Fin du Monde, qui m’a autant plu). Le jeu coûte 60 euros, et je trouve que c’est très cher. Je ne vais pas m’aventurer dans les territoires de “pour le même prix vous avez” (parce que la vérité c’est que “pour le même prix vous n’avez PAS ce jeu-là, donc si c’est celui-là qui vous plaît et que vous en achetez un autre pour le même prix simplement parce qu’il y a plus de pages, vous êtes vraiment con comme une planche”) : simplement, j’ai été surpris en découvrant ce tarif (j’ai obtenu le jeu dans le cadre du KS pour MBP le jeu de plateau, donc pour moi c’était un peu “transparent”). Maintenant, pour vraiment concluter, je dirais qu’une fois que j’ai feuilleté MBP, je ne vois aucun inconvénient à le payer ce prix, dans la mesure où ça me semble le genre de jeu avec lequel on peut faire de très longues et belles campagnes.
En concluture finesque : je lui mets six étoiles sur trois torchons en pizzaz, le prix spécial de gorzifluxion, et c’est mon jeu de la soirée d’hier soir, en exclusivité.

PLAY AFTER READING – N°2 : C’est la Fin du Monde et je me sens bien

Pour introduire cet article, juste un grand merci posthume à George Romero, pour des raisons évidentes.

La Fin du Monde (El Fin del Mundo, puisqu’il s’agit, à l’origine, d’un jeu espagnol d’Alvaron Loman) est un jeu de rôle publié chez Edge en Espagne, repris chez FFG dans une version remaniée et américanisée, puis traduite (à partir de la version anglaise) dans la langue de Michel Drucker par Edge France, sous la houlette de votre serviteur. Et non, je ne montrerai pas de photo de ma houlette, non mais des fois…

Vous allez sans doute trouver ça bizarre, mais lorsque je traduis un jeu, ou que j’en supervise la traduction, je n’ai pas forcément le temps ni la possibilité d’y jouer. Ni avant, ni après. On croirait le traducteur passionné de JDR toujours plongé dans des jeux, à les lire et à les pratiquer, mais après avoir passé huit heures par jour sur un livre de jeu, parfois, on n’a qu’une envie : se vautrer devant une série télé, lire un roman ou une bayday, faire une partie d’Horizon – Zero Dawn (c’est bien, mangez-en, surtout si vous êtes fans de Degenesis) ou tout simplement bouffer des chamallows.

Spécificités des zombies espagnols

Avoir envie de tester un jeu au point de concrétiser cette envie après l’avoir lu, relu et retourné dans tous les sens n’est par conséquent pas si courant. Il faut vraiment qu’un jeu vous parle, vous propose quelque chose d’inédit, pas forcément dans sa forme, dans ses règles ou dans son background, mais dans la promesse de ce qui va se passer à la table de jeu. Tout ce préambule pour expliquer à quel point La Fin du Monde m’intriguait : il n’a pas fallu me pousser beaucoup pour que j’en joue une partie. C’est donc l’occasion d’un nouvel épisode de Play After Reading un peu particulier, dans la mesure où j’ai lu le jeu pour le boulot, alors que je ne me serais pas forcément penché dessus (surtout en raison de son prix, qui peut rebuter, mais on y reviendra). Car La Fin du Monde est un jeu sans réelle personnalité apparente, qui ne va déployer son vrai potentiel qu’à la table. Bref, c’est un jeu, pas un livre.

Pour les ceusses qui ne connaîtraient pas le principe, voici comment fonctionnent mes critiques de “Play After Reading” : je fais une critique de jeu à la lecture, puis je la confronte à la réalité de la partie. Du coup, ne vous attendez pas à ce que je vous parle de trucs super récents dans les prochains articles, si tant est qu’ils voient le jour : il faut du temps pour lire, pour jouer, pour analyser ce qu’on a fait (même si mon analyse reste très superficielle).

Le Before : Dernières barres de rire avant la Fin du Monde

Si vous avez déjà vu au moins un film de zombie (ou simplement un film d’horreur), il y a de grandes chances que vous ayez hurlé au protagoniste sur le point de se séparer du groupe/d’ouvrir la porte d’un machin chelou/d’aller voir ce qui passe derrière le buisson qui fait “grouu grouuu”/de péter bruyamment au milieu des zombies (rayer la mention inutile) : “Mais non ! Ne fais pas ça !”

Parce qu’a priori, vous êtes un peu plus futé (quoique, si vous lisez ce blog, je me demande…) que le protagoniste de film d’horreur moyen et que vous connaissez les trucs pour éviter les zombies, en bon geek que vous êtes. Et s’il y a bien un type de film d’horreur qui se prête à l’exercice de “si c’était moi j’aurais…”, c’est le film de zombies : les personnages sont fréquemment des gens ordinaires, dans un environnement familier, voire banal, et qui font des choix abominablement crétins parce qu’ils ne comprennent pas suffisamment vite ce qui se passe.

Le meilleur film de zombies de tous les temps

Le film de zombie est un baume pour geek, parce qu’il présente un contexte obéissant à des règles presque immuables (il faut leur tirer dans la tête, la contagion se fait par morsure, etc.), où le geek en question devient un “survivaliste” par la seule vertu de sa connaissance des stéréotypes du genre. Les zombies représentent tout simplement la foule des connards que l’on croise tous les jours, représentés par des cadavres grisâtres et décérébrés qui veulent vous bouffer la tête pour vous convertir au club de la connerie universelle et faire de vous un consommateur aveugle et stupide. Mais vous, et surtout toi, ami geek, tu n’êtes pas un connards (et fuck la grammaire) : on ne te la vous fait pas, tu savez comment te débrouiller.

Comme le post-apo, le film de zombie réalise ce fantasme geek entre tous : imaginons que la civilisation se barre brutalement en sucette et qu’il ne reste que des gens intéressants en vie, et voyons ce qui se passe. Je simplifie, et c’est une interprétation personnelle, mais en gros on peut la résumer à ceci : l’apocalypse zombie c’est cool, parce qu’on sait comment ça marche, contrairement à Robert, le voisin qui fait chier. En renversant les codes rigides de la société et en instaurant un chaos libérateur, l’invasion zombie rétablit également l’égalité sociale, les macchabées ambulants ne faisant pas la différence entre SDF et PDG quand il s’agit de casser la croûte (ou plutôt la calotte crânienne).

Le contexte de l’apocalypse zombie se prête donc de façon particulièrement jouissive à cette question de geek : que ferait-on si… ?, puisqu’il donne aux introvertis l’occasion de prendre les choses en main.

Système atypique

Les JDR de zombies existent, même si le genre n’est pas aussi prolifique (à ma connaissance) que dans d’autres médias (en particulier le cinéma) ces dernières années. D’ailleurs, comme ça, de tête, je me souviens de ce truc dont le supplément s’appelait Fais des Râles (ha ha ha… oui, j’aime les jeux de mots moisis), et de cet autre truc qui s’appelait euh… Bon, ben en fait je me rappelle pas et j’ai la flemme (déchaînez-vous dans les commentaires pour étaler votre connaissance encyclopédique des jidéhaires de zombies). Ouais, ils existent, mais aucun ne m’a particulièrement marqué.

Pourquoi El Fin Del Mundo m’a-t-il tapé dans l’oeil ?

Le jeu allie deux qualités qui m’attirent actuellement (à 45 ans, après une trentaine d’années de JDR à lire des pavasses grosses comme l’annuaire) : il est simple et il est synthétique.

Il présente en outre un gimmick vraiment sympa : les règles de base sont conçues pour que vous jouiez votre propre rôle : oui, vous, le petit rôliste tout maigre, c’est vous qui allez vivre l’apocalypse zombie. Et cette création de perso est très bien fichue, avec un système de cooptation fluide et sympa, que je vous laisse découvrir si vous essayez le jeu. Cela dit, il est tout à fait possible de créer des persos différents (c’est d’ailleurs ce que j’ai fait pendant ma partie test).

Zombie Téfu

Le système de La Fin du Monde est extrêmement simple. La fiche de perso comprend trois catégories (Physique, Mental et Social), débouchant sur trois couples de caractéristiques (Dextérité, Vitalité, Logique, etc.) notées sur 5. Lorsqu’on veut réussir une action, on lance un dé (à six faces), et il s’agit d’obtenir un résultat inférieur ou égal à la caractéristique utilisée. Plutôt simple.

Chaque personnage dispose toutefois de traits positifs ou négatifs (en gros, un positif et un négatif par catégorie) : pro du bidouillage, athlète, petite nature, a quitté l’école trop tôt, calculateur humain, etc. Si, lors d’une action, un trait positif intervient, il vous octroie un dé supplémentaire. L’utilisation d’un équipement adapté à la tâche (une corde pour escalader par exemple) vous donne également un dé. Le MJ peut vous faire bénéficier d’autres dés bonus selon les circonstances. Chaque résultat inférieur à la carac utilisée donne une réussite, donc plus on a de dés, plus on a de chances de réussir même si on dispose d’une carac minable.

Le système vous donne également des malus, sous forme de dés de malus : un trait négatif produit un “dé noir” (par exemple, “petite nature” vous donne un dé noir pour résister à des conditions environnementales difficiles), et le MJ peut vous en donner d’autres en fonction de la situation. Si un dé noir produit un résultat identique à celui d’un dé normal, tous deux s’annulent. Et s’il reste des dés noirs dans votre pool de dés en fin de jet de dé, ils vous font subir du stress.

Lorsque vous subissez des blessures ou des chocs mentaux ou sociaux (ceux-ci sont un peu particulier : c’est ce que vous ressentez par exemple en vous retrouvant isolé socialement, quand on vous rejette, etc.), vous recevez du stress. C’est là où le système est vraiment très bien fichu et présente une occasion de gestion de ressource intéressante. Si votre stress dépasse un certain seuil, vous mourez (ou vous devenez un légume, ou fou), et ce seuil n’est pas très élevé (il suffit de subir 9 points de stress, ce qui correspond par exemple à deux blessures par arme à feu, en gros). Mais il y a une astuce.

Une fiche claire et simple.

Vous disposez d’une jauge de stress pour chaque catégorie de caracs. La jauge comprend trois niveaux. Lorsqu’un niveau est rempli, il vous donne une résistance pour les prochains gains de stress. Plus vous avez subi de grosses blessures, plus vous tenez le coup… mais au risque de trop tirer sur la corde et de succomber. Vous avez la possibilité d’évacuer d’un coup TOUT votre stress dans une catégorie, mais pour cela, vous subissez un “trauma”, qui va se manifester par un trait négatif et qui mettra un certain temps à disparaître. Il faut donc maintenir l’équilibre : soit vous conservez le stress, qui vous confère une certaine résistance mais vous rapproche de la mort, soit vous vous en débarrassez pour mieux respirer, mais vous subissez alors un trauma handicapant et vous ne bénéficiez plus de l’effet résistance.

C’est le trait de génie du système : dès que le stress commence à arriver, on marche sur la corde raide, et il s’agit de gérer la prise de risque efficacement. Système efficace, donc : simple et fonctionnel.

Bon ben… c’est une apocalypse zombie, démerdez-vous

Pas de chichis dans la présentation du background, ou plutôt des backgrounds, car le livre présente cinq versions de l’apocalypse, et les détaille même en version “avant” et “après” : on peut jouer pendant les premiers jours de l’invasion zombie, puis une fois qu’elle est installée et qu’un ordre (ou désordre) nouveau est apparu. Pour chacun de ces contextes, on a 5 pages de texte environ, pas plus (un peu moins pour les versions “après”, et les versions “avant” comportent en outre une chronologie).

Le bonheur, d’autant que tout ça est très synthétique et organisé sous des titres bien clairs et concrets : “que peuvent faire les PJ ?”, “Que sont-ils ?” (les zombies), “Comment les tuer ?” Chaque fois, un paragraphe clair et concis, sans blabla inutile.

Chaque présentation est suivie d’une description de plusieurs lieux (elle aussi succincte, avec une petite illu), chacun étant accompagné d’une liste d’événements et de rencontres possibles (une ligne chacun). En fin de chapitre, 4 ou 5 profils de zombies et d’autres personnages (civils, miliciens, membres de gangs).

Je ne vous cache pas que tout ça m’a énormément plu. C’est comme si, en un peu plus de 90 pages (les règles n’occupant que 46 pages des 140 que compte l’ouvrage), l’auteur avait décortiqué l’essentiel des médias consacrés aux zombies pour n’en laisser que les éléments de base, en dégraissant tout le superflu. On trouve en effet là une quantité énorme de matos exploitable, chaque élément étant réduit à sa plus simple expression (un profil super bref, une ligne de description pour une accroche d’intrigue).

Il y avait là de quoi faire un bac à sable formidable.

L’after de l’après du post

Il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir de recevoir un sympathique MJ qui m’avait initié au jeu Würm (très sympa, même si je me vois mal y jouer sur le très long terme), et je me retrouve à mon tour MJ avec deux joueurs (le MJ en question et une joueuse), et la perspective de mener une partie en one-shot. Je me concerte avec ma joueuse pour savoir quel univers lui plairait, et suite à sa requête de simplicité, je propose La Fin du Monde. Ca tombe très bien, car la joueuse en question adore les univers de zombies.

Il ne reste plus qu’à surmonter un petit moment de stress, car cela fait plus d’un an que je n’ai plus maîtrisé en impro. Vite vite vite, réfléchir. Autant que je vous raconte comment ça s’est passé, et comment le jeu m’a servi de boîte à outils, jouant parfaitement son rôle.

Trop clair ! Trop clair !

Premier truc : je me doute que l’idée d’interpréter leurs propres rôles ne va pas forcément plaire à mes joueurs. La joueuse m’a déjà dit qu’en cas d’apocalypse, elle n’aurait pas une chance, et le pote MJ est actuellement en fauteuil roulant : ce serait indélicat de ma part de proposer de jouer “by the book”. Du coup, je pars sur l’idée de jouer dans une atmosphère “série B américaine”, avec petite ville de cambrousse et invasion de zombies rurale. OK.

C’est un one-shot, il me faut quelques idées marrantes. Je n’aurai que deux joueurs : je décide donc de trouver une vulnérabilité très simple pour mes zombies. Je ne vais pas utiliser ceux du bouquin : je piocherai dedans selon l’évolution de l’intrigue, et on verra bien ce qui se passe. Mais je définis déjà, mentalement, un élément essentiel : ils sont attirés par la lumière. Ils seront inactifs dans le noir (merci, Last train to Busan !) sauf s’ils voient des phares ou une ampoule. Ils réagiront quand même au bruit, mais l’essentiel, ce sera la lumière. Du coup, les joueurs pourront développer des stratégies autour de cet aspect. Bon.

Je ne sais pas trop où je vais, mais j’ai envie que les zombie soient issus d’expériences génétiques, et je me dis que ça pourrait passer par des animaux. Allez, on va utiliser un ranch dont les éleveurs utilisent des substances chimiques pour booster leurs bêtes (chevaux et bovins). Ca merdouille, les bestioles mordent quelques éleveurs, et l’épidémie se répand (le ranch étant éloigné de la ville, ça laissera un peu de temps aux PJ pour réagir et se sauver).

Aucun plan ne survit aux PJ

Je vois bien tout ça comme une course-poursuite, et je consulte rapidement des lieux décrits dans le bouquin : la ferme, le grand magasin… Je me dis que ce qui pourrait être drôle, c’est que les PJ essaient d’entrer dans un grand magasin transformé en forteresse par un mec, et que celui-ci les accueille à bras ouverts au lieu de les farcir de plomb. Mais au bout d’un moment, ils se rendent compte que le type est super pénible, et qu’il veut les tenir prisonniers avec lui dans son “paradis”. Du coup, le but du scénario serait d’échapper, non pas aux zombies, mais au connard. Je tiens un truc, là !

Mes joueurs créent leurs personnages. Ma joueuse choisit de jouer la femme shérif du petit bled, et comme trait négatif social, elle se met “syndrome du bon samaritain”. Elle va donc se sentir forcée de sauver tout le monde.

Merde.

Ca veut dire, pas question d’envisager un scénario où les joueurs cherchent à échapper à la horde de zombies. Au lieu de ça, ma joueuse va probablement tenter de protéger tout le monde. Donc on parle plus d’un huis clos que d’une course échevelée. Voilà qui renverse complètement ma conception et mon ébauche d’impro.

L’autre joueur choisit de jouer un biker qui joue les passeurs entre les Etats Unis et la frontière canadienne. Et évidemment, il a déjà eu maille à partir avec la shérif. En fait, ils s’inventent un passé commun : une connaissance de la shérif est morte pendant un incendie, durant lequel le biker a failli mourir. La shérif le tient pour responsable du truc et voudrait tirer ça au clair, mais jusqu’ici, elle ne l’a pas revu. Or, il vient de passer dans la ville.

Bon, ils viennent de foutre en l’air mon idée de course, mais ils me donnent une intro in medias res toute cuite.

Quand le scénar commence, notre biker se réveille en cellule. La shérif l’a coffré la veille. En effet, un indic lui a transmis le profil et l’immatriculation du biker en question, et lui a dit qu’il transportait des choses pas bien catholiques. En fait (cela sera révélé par la suite), ce sont des agents gouvernementaux qui ont averti la shérif : ils savent que des tueurs à gage de la pègre en ont après le biker et projettent de l’assassiner lors de son passage en ville. Or, le FBI serait ravi de lui mettre le grappin dessus avant eux pour l’interroger. Et comme on est dans une série B, ils ne mettent pas la shérif dans la confidence, préparant le terrain pour un beau bordel.

Tout ça, ce sont des prétextes, évidemment. L’intérêt, c’est que mon biker va se retrouver en taule, en butte à la méfiance de la shérif, et qu’une fois que ce sera bien le bordel en ville, il devra également combattre des tueurs engagés pour le tuer.

Retomber sur ses pattes

Le début du scénar a parfaitement fonctionné. Mon biker était dans la même cellule qu’une des premières victimes de l’épidémie de zombies, et les scènes du bureau du shérif ont été impeccables, dignes d’un de ces films que j’affectionne, genre Assaut de Carpenter.

Ensuite, c’était l’invasion, avec des animaux zombies partout (dont une belle horde de chevaux, quelques chiens sanguinaires, et même des bovins bien énervés). J’ai eu l’occasion de placer quelques scènes difficiles, moralement, avec des dilemmes insolubles (le gosse qui se fait mordre par un zombie et qu’on ne peut pas sauver, un grand classique).

Finalement, mes joueurs ont réussi à organiser la résistance, à limiter la propagation de l’épidémie, et même à collaborer avec l’armée pour attirer les zombies dans un stade (avec les lumières !) et limiter les dégâts. Fin de scénario stratégique, avec la gestion des forces de la ville, et d’une population qui partait de plus en plus en roue libre malgré des efforts méritoires.

Et tout ça a bien fini, grâce à des joueurs ultra-motivés, qui n’ont rien lâché d’un bout à l’autre et qui ont sans cesse élaboré des tactiques inventives pour s’en sortir (malgré des PNJ généralement pénibles : je voulais montrer que c’étaient bien les PJ les héros, et qu’il fallait qu’ils assument leurs rôles de leaders). Rédemption pour le biker, qui a joué son rôle d’anti-héros avec brio, et succès pour la shérif, qui n’a jamais baissé les bras et qui a sauvé un max de ses ouailles.

Bon, alors, ça marche ou pas ?

Oh que oui. Le système de jeu était un bonheur à utiliser. Les joueurs n’ont pas arrêté de chercher les dés de bonus en justifiant efficacement leur obtention, et je leur en ai donc régulièrement accordé d’autres.

Exemple : dans son bureau, la shérif reçoit une conseillère municipale très énervée, qui tente de lui marcher sur les pieds. Ma joueuse ne se démonte pas, et réussit un très beau jet de charisme après une belle interprétation. Je lui annonce donc que désormais, quand elle fera un jet de charisme face à un des occupants du commissariat (qui regroupe une bonne partie des PNJ), elle bénéficiera d’un dé de bonus, car elle a montré que c’était elle qui commandait.

On retrouve ici le même genre de fonctionnement que dans des systèmes comme Fate, voire comme Unknown Armies. D’ailleurs, je me suis servi de ce que j’avais lu dans UA pour expliquer comment utiliser les traits positifs, car il s’agit d’une des meilleures explications que j’aie lues. En fait, quand on veut effectuer l’action A avec le trait positif X, pour savoir si le trait s’applique, il suffit de dire : “bien sûr, que je peux faire A, puisque je suis/j’ai le trait X”. Si ça paraît cohérent, le trait s’applique. Nous n’avons jamais eu de souci pour appliquer les traits, et les joueurs sont allés chercher les solutions les plus inventives pour les appliquer de façon cohérente.

Le système de résolution des actions a parfaitement bien fonctionné : il engendrait suffisamment de tension, les joueurs savaient immédiatement si une action était “difficile”, “improbable”, “presque impossible”, et ils n’ont jamais fait d’erreur de jugement due à une incompréhension du système (ce qui arrive parfois avec des systèmes un peu opaques). Là, tout était limpide.

Les dés noirs ont joué leur rôle, et le stress a monté pendant la partie, même s’il n’a jamais dépassé un certain seuil, les joueurs s’étant montrés prudents et perspicaces dans leurs choix. De mon côté, je n’ai pas été bien méchant, mais je leur ai fait quelques crasses, et ils ont donc eu du mérite de s’en sortir indemnes (malgré un bras bien amoché et des blessures morales).

Et en ce qui concerne le stress, le système, quoique très simple, a bien fonctionné. Les persos n’ont pas été confrontés qu’à des blessures physiques, et la tension ne venait donc pas que de là : une simple confrontation pouvait déboucher sur du stress, et instaurait donc une tension, des enjeux.

Conclusage

J’avais une grosse appréhension. Tout d’abord, je craignais de me vautrer en impro, sachant que faire un one-shot improvisé n’est pas aussi facile que lancer une campagne d’impro : il faut que le scénar ait une fin définitive, que les intrigues soient bouclées, les secrets révélés, les histoires achevées. De ce côté-là, c’était une réussite. Les joueurs se sont amusés, et tout ceci a bien fonctionné.

La question la plus importante reste la suivante : le jeu tient-il ses promesses ?

La réponse est oui. Un énorme oui, même. Le système est parfaitement adapté à des débutants ou à des joueurs qui veulent jouer “rapide et simple”, tout en ménageant une gestion du stress et des traumas bien plus intelligente et délicate qu’il n’y paraît. Au point que je me dis que le système se prête à n’importe quel scénario d’action et d’horreur… Pourquoi d’horreur ? Parce que sans ça, la jauge de stress mental ne sert pas à grand-chose, ou plutôt elle est éclipsée par la jauge physique.

Et finalement (j’avais dit que j’y reviendrais), le jeu me paraît valoir son prix. 40 euros pour un bouquin de 140 pages, je trouvais ça un peu raide. C’était sans compter la richesse du bouquin. Il va en effet à l’essentiel, et propose bien plus de contenu, au bout du compte, que certains ouvrages au background boursouflé et étiré en longueur (même mon chouchou, Star Wars, n’y échappe pas : j’ai dit à plusieurs reprises que les livres de la gamme pourraient facilement être dégraissés d’un tiers de leur contenu tant les redites y abondent… et pourtant, ils sont excellents, techniquement ! Simplement : qu’on abatte sommairement les gens qui écrivent les “nouvelles d’atmosphère”, car elles sont tout simplement médiocres et inutiles).

Les profils de PNJ et de créatures du bouquin sont variés, avec beaucoup d’originalités (ce sont eux qui m’ont poussé à faire des animaux-zombies). Les accroches proposées sont certes vues et revues, mais le bouquin les présente de façon synthétique : en une ou deux phrases, vous avez une idée de mini-scénario. Et si vous savez un tant soit peu improviser, vous n’avez pas besoin de grand-chose. Exemple : dans le décor “l’autoroute”, une des idées est : “les personnages tombent sur un camping-car plein de provisions, et apparemment abandonné”. Vous le voyez, le mot “apparemment” ? J’ai besoin de vous faire un dessin ? Et à partir de cette accroche, ce n’est pas bien compliqué de développer une scène complète : une attaque de zombies bien cachés, un survivant planqué, etc.

Alors oui, on utilise de grosses ficelles. Evidemment. Mais selon mon expérience, peu importe que vous utilisez des astuces évidentes. Peu importe qu’on voie un peu vos mains derrière les marionnettes. Dès que vous donnez aux joueurs l’occasion de briller, ça fonctionne.

Du coup, La Fin du Monde – Apocalypse zombie vous en donne pour votre argent. Que du concret. Rarement manuel de JDR aura consacré autant de pages aux idées de scénarios. Certes, ce sont des scénarios élémentaires, mais je suis persuadé que quand on veut jouer une Apocalypse zombie, ce sont ceux qu’on a envie de jouer. Et par conséquent, à 40 euros, je dirais qu’on en a pour son argent. Le seul souci, c’est qu’il va falloir repasser à la caisse pour les bouquins suivants, et que comme dans la gamme Star Wars, on vous revend le système de jeu (qui ne change pas d’un poil) en même temps que le background. A vous de voir si ça en vaut la peine. Dans la mesure où je ne paie pas ces bouquins (à part à la sueur de mon front, car donner des coups de fouet aux traducteurs, ça fatigue), je ne peux pas être complètement objectif. Une chose est sûre : je n’aurais pas hésité à acheter La Fin du Monde après l’avoir feuilleté, tant le format me plaît. Je ne peux le rapprocher que d’un autre excellent jeu, Barbarians of Lemuria, tout aussi condensé, simple et brillant (si vous êtes fan de Conan et si vous cherchez un bon système clefs en main pour 30 euros, avec lequel vous pourrez jouer demain soir parce qu’il est lu en quelques heures, allez l’acheter, c’est un must… et les illus sont à tomber).

Tout ça pour dire qu’il s’agit là d’un bel et bon jeu, qui est sans doute passé sous les radars de beaucoup de rôlistes par manque de personnalité. Et c’est sur cet aspect que je vais concluter. Mon problème, avec beaucoup de JDR, c’est qu’ils ont une personnalité écrasante. Leurs univers, certes très beaux, sont tellement détaillés et précis qu’ils ferment plus de portes aux joueurs qu’ils n’en ouvrent. La Fin du Monde n’a pour ainsi dire pas de personnalité. C’est un jeu de survie générique non pas dans ses règles, mais dans son concept même : en fait, c’est LE jeu de survie dans une apocalypse zombie. Sa personnalité se limite très précisément à cela.

Du coup, c’est de ce que vous y apporterez, en terme de contenu, que naîtra le plaisir de jeu. Et pour moi, il s’agit d’une des définitions de ce qu’est le jeu de rôle en général.

 

Ajouture

Une fois n’est pas coutume, je laisse la parole à quelqu’un d’autre, pour évoquer un aspect que je n’ai pas pu tester concernant le jeu : la possibilité de se jouer soi-même. Du reste, il ne s’agit pas tant d’une possibilité que du postulat de base du jeu. Je vous livre les impressions de Stéphane Fauvet, qui a eu la gentillesse de partager cette expérience ! Un grand merci à toi, Stéphane ! 

Notre MJ de La Fin du Monde : Apocalypse Zombie, un vieux briscard du jeu de rôle habitué à l’improvisation, nous a laissé trois possibilités : nous jouer nous-mêmes, nous jouer nous-mêmes mais en version améliorée par rapport à la réalité ou jouer des persos totalement imaginaires. Étant tous des vieux de la vieille, habitués à jouer des héros, nous avons choisi à l’unanimité de nous jouer nous-mêmes, tels que nous sommes, « pour voir comment ça se passerait réellement si ça arrivait… ».

La création des persos a été rapide. Nous nous sommes auto-estimés (« Je me mets 3 en Dextérité mais 2 en Logique » etc.) et nous nous sommes attribués des atouts et handicaps. Il faut évidemment pour cela faire preuve d’un peu d’objectivité et de bonne foi. Le tout a ensuite été validé par les autres joueurs (nous jouons ensemble depuis longtemps et nous nous connaissons tous assez bien) et la partie a pu commencer rapidement dans la foulée.

Le scénario a démarré tel que nous étions dans la réalité : en train de faire une partie de jeu de rôle, à mon domicile, tous ensemble (4 joueurs + le MJ). Sauf que, là, c’était moi qui masterisais  (Earthdawn) et que notre MJ était joueur.

Alors que nous étions en pleine partie (d’Earthdawn, il faut suivre), l’apocalypse zombie a commencé. L’un de nous a entendu un énorme bruit sourd provenant de la rue. Le joueur s’est levé (irl) et s’est dirigé vers la fenêtre. Lorsque le MJ lui a décrit le type ensanglanté chancelant qu’il distinguait dans la rue, le joueur a naturellement rétorqué « He, les gars, regardez le type en bas ! Il se croit à la zombie walk ? »

Quand on a vu que d’autres zombies commençaient à s’amasser dans la rue, et quand un voisin s’est faire mordre à son tour, on a vite compris. Instinctivement, on a joué comme si la situation était réelle, sans nous soucier de notre rôle. Et c’est là l’un des plaisirs de se jouer soi-même : on n’a pas à se demander comment réagirait notre perso, on parle et on agit plus naturellement. Nous avons cherché de quoi nous défendre dans l’appartement (« L’arbre à chat, ça peut faire une bonne massue ! », « Eh, j’ai le livre « Guide de survie en territoire zombie » de Max Brooks, ça peut servir ! »). C’est vrai que l’arbre à chat, je n’y aurais pas pensé s’il n’avait pas été à côté de moi irl, de même que le livre si on n’avait pas regardé dans la bibliothèque… Et comme nous l’avions réellement en main, le MJ nous l’a accordé dans le jeu !

Puis nous avons essayé de sortir de l’appartement et avons naturellement pensé à aller faire le plein de bouffe au supermarché d’à côté. Là encore, nul besoin de plan, nous nous représentions très facilement la sortie de l’immeuble, le quartier, le supermarché, ce qui améliorait encore l’immersion. Précisons au passage que je me suis fait griffer par le chat de  la voisine, devenu lui aussi zombie…

Je ne raconterai pas en détail la suite du scénar (prise en charge par l’armée, évacuation…) mais j’ai beaucoup apprécié de me jouer moi-même, qui plus est dans un environnement familier. Comme je l’ai dit, l’immersion n’en est que plus aisée, à tel point que je pense qu’on a tendance à réagir comme on réagirait réellement si la situation se présentait. Et puis ça fait froid dans le dos d’imaginer que tout cela pourrait réellement arriver et de voir comment les choses se dérouleraient… On a l’habitude de jouer des héros. Même dans des jeux non héroïques comme l’Appel de Cthulhu, je ne suis pas sûr que je ferais tout ce que font mes persos pour sauver le monde. Alors plutôt que de – encore – jouer un héros face, cette fois, à une apocalypse zombie, j’ai voulu voir ce qui m’arriverait si la situation m’arrivait à moi et à mes proches. Et j’ai adoré bien que, encore une fois, ça fasse aussi froid dans le dos puisqu’on n’a pas la distanciation Joueur-PJ habituelle dans les jeux de rôle.

Dernier détail, notre MJ a également fait jouer le début de l’apocalypse zombie à un autre groupe de joueurs, dans les mêmes conditions. Il y a eu un mort chez eux (aucun chez nous pour l’instant, mais je rappelle que j’ai été griffé par le chat-zombie de ma voisine…). Notre MJ continuera la campagne sur les deux tables et lorsqu’il y aura eu suffisamment de morts, il réunira les survivants en une seule table. Vivement la suite donc, en espérant survire le plus longtemps possible…

Enfin, j’aimerais bien aussi tester les autres jeux Fin du Monde, dans les mêmes conditions, toujours « pour voir combien de temps on survivra si ça devait arriver… »

 

 

Sandy Julien

Sandy Julien

Traducteur indépendant

Works in Progress

  • Secret World Domination Project #1 44% 44%
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