Thanos m’a toujours royalement gonflé. Déjà parce que je suis plutôt fan de Darkseid (son jumeau côté DC comics, dont il tire une bonne partie de son look, que je n’ai jamais trouvé très inspiré, étant bien moins séduit par l’oeuvre de Jim Starlin, son papa, que par celle de Jack Kirby). Ensuite parce que j’ai toujours trouvé le principe du personnage un peu tarte : Thanos a été plus ou moins éduqué par la mort, et il est amoureux d’elle. Parce que Thanos/Thanatos, voilà voilà… et alors son frère qui est beau, il s’appelle Eros, et Thanos est très jaloux…
Oui, bon, je simplifie à outrance, et quand on simplifie à outrance, on obtient des trucs complètement cons. Mais là, on part quand même d’un matériau qui manque de richesse, on va dire. Ca n’a pas empêché Starlin de développer une mythologie sympa, mais que ce soit visuellement ou dans le fond, elle me séduit beaucoup moins que celle élaborée par Kirby pour ses New Gods. Aujourd’hui encore, quand je relis les BD des New Gods (et à peu près n’importe quelle planche de Kirby), il en émane une énergie phénoménale, et surtout, une sorte d’effervescence angoissée. Un sens des proportions délirant, à la fois juste et absurde, des visages souvent torturés, et ces fabuleuses “machines de Kirby” dont la technologie ne ressemble à rien de connu (et qui projettent toujours une énergie symbolisée par de petites bulles noires sur un fond coloré…), le tout dans une composition incroyable qui ne fait pas que remplir l’espace : elle le bourre à craquer, au point qu’on entend presque les bords de la case gémir, qu’on s’attend à ce que tout ça nous saute à la gueule.
Est-ce que je viens d’écrire que Kirby bourre l’espace ?
Ben oui, poutrin ! Et L’ESPACE EN REDEMANDE ! Non mais regardez cette illus de dingue : il y a des gus tête en bas, d’autres qui se foutent sur la gueule comme des chiffonniers en déchirant du métal, une main qui a l’air d’exploser, une énergie rose qui grille apparemment la tronche d’un autre type… ET JE TE RAJOUTE DES ONOMATOPEES SI JE VEUX !
Tiens, même les onomatopées… Dans l’univers des New Gods, le moyen de déplacement, ce sont les “Boom Tubes”, des portails de téléportation qui produisent un bruit caractéristique. L’onomatopée n’est pas que l’illustration d’un son, elle s’intègre à la réalité de l’univers, elle…
C’est bon, on a compris, j’adore le trait de Kirby et ses personnages à la fois torturés et nobles. Et du coup, pour moi, Thanos est une pâle copie de Darkseid. Darkseid court après l’équation de l’antivie, la matérialisation mathématique du néant et de l’entropie, tandis que Thanos court après les gemmes du pouvoir du fameux gant que tout le monde connaît désormais.
Je me suis beaucoup fait chier en lisant les nombreuses sagas consacrées à Thanos. Leur seul intérêt consistait pour moi à faire cohabiter de nombreux superhéros dans un même récit, mais le tout tenait du pétard mouillé à mes yeux. Dans ces intrigues, tout prenait immédiatement des proportions immenses et tragiques. Et comme le dit Lacenaire dans les enfants du paradis, la tragédie, c’est quand même un petit peu chiant : “tous ces gens qui s’entretuent sans se faire le moindre mal…”, dit-il.
Au passage, si vous croyez que le méchant incompris, l’incel de base, date de ces dernières années, regardez un peu ça (c’est assez rigolo, la diction, la gestuelle, tout cela est bien daté, et puis ça a été tourné en France sous l’Occupation…). Ce monologue effroyable, tempéré uniquement par la légèreté de la réaction d’Arletty dans le rôle de Garance :
Si vous ne savez pas d’où sort l’archétype du méchant moustachu qui se tripote la nouille en parlant de sa propre grandeur, en voilà un très bel exemple (le film est vraiment génial si vous supportez les vieux machins en noir et blanc).
Oui, bon, enfin bref : je ne suis pas fan de Thanos. Aussi, lorsque mon ami comicologue me proposa de lire “Thanos Wins” avec Donny Cates au scénario, je me méfiai. Au passé simple, temps du récit, et tout et tout.
Mais Aurélien est de bon conseil, et j’ai donc tout de même tenté le coup. Je voyais arriver un univers alternatif, penchant du côté des “Old Man Logan” (excellent) ou des “Marvel Zombies” (assez drôle si on aime les récits nihilistes et les “What if”), et je ne me suis pas vraiment trompé. Thanos va dans le futur, blablabla, il est confronté à une autre version de lui-même, etc., etc., air connu, nanani nanana.
Et là, Donny Cates.
Et Donny Cates n’écrit pas de tragédies. Il écrit des comédies. Parce qu’il sait que quand on parle de sujets qui font mal, c’est comme ça qu’faut faire. Le rire, instrument perfide du scénariste qui veut vraiment vous remuer. Le rire éclatant, le rire devant l’absurdité… L’absurdité d’un personnage qui croit aspirer au néant et le crée autour de lui sans jamais toucher au but. L’absurdité du destin tout tracé : quoi que tu fasses, ça finira comme ça. L’absurdité d’un personnage au crâne en feu et dépourvu de tympans, mais qui entend quand même ce qu’on lui dit.
Un grand éclat de rire. Aussi sonore, sans doute, que les cris des personnages dessinés par Kirby. Et un sens de la complicité avec le lecteur qui s’installe en exploitant non pas des thèmes cosmiques, mais au contraire des détails insignifiants. J’ai adoré Thanos Wins, un récit court, ramassé sur lui-même, mais qui offre une perspective inédite sur le personnage de Thanos (un peu comme l’a fait le MCU en lui donnant davantage de substance, ainsi que des idéaux un peu moins absurdes, même s’il emploie toujours des moyens illogiques pour tenter de les atteindre). J’ai donc enchaîné avec son run sur Dr Strange, rassemblé dans un TPB qui regroupe les épisodes 381-390 et la minisérie Damnation. Pourquoi ? Eh bien comme souvent, je me suis laissé attirer par la couv’, tout simplement. Les premières pages (consacrées à Loki, devenu sorcier suprême à la place de Stephen Strange, lequel se teint les cheveux et travaille désormais comme vétérinaire… WTF ?) m’ont immédiatement convaincu de la qualité de l’écriture. Des dialogues souvent hilarants, et surtout une intrigue qui ne nécessite pas d’avoir lu quoi que ce soit d’autre pour comprendre l’ensemble de l’histoire… Tout ça avec des enjeux cosmiques quand même, et l’intervention en cours de récit d’un certain nombre de personnages périphériques (l’équipe rassemblée pour aller secourir Strange dans Damnation est un gloubiboulga assez surprenant…).
On y voit entre autres surprises, l’intervention de Sentry, un personnage qui me sortait par les yeux lorsqu’il est apparu dans les comics Marvel. Petite parenthèse. Sentry était une sorte de Superman que les scénaristes ont fait passer pour un ancien personnage Marvel que même Stan Lee aurait oublié. Pour faire passer le gag, ils ont même fait apparaître d’anciennes cases de “vieilles BD de Sentry” (avec un look adapté) et tout le toutim.
Un petit peu comme les épisodes de Supreme d’Alan Moore, mais sans le recul et le talent. Bref : retrouvez plutôt Supreme par Alan Moore (pas la peine de trop vous pencher sur le reste des épisodes du comics, qui sont plutôt euh… marqués par les tendances les moins intéressantes des années 1990, pour être poli).
Bref, il y a là Sentry, Blade (présenté de façon plutôt rigolote, face à Elsa Bloodstone, qui est furieusement inintéressante), l’Homme-Chose et plein d’autres gus qui arrivent quand même un petit peu comme un cheveu sur la soupe, mais qui restent plutôt plaisants à regarder, même si c’est un peu forcé.
Tout ceci fonctionne très bien, et il y a de bien belles surprises au dessin (Gabriel Hernandez Walta, dont vous voyez quelques cases ci-dessus, fait un boulot exceptionnel, et les autres ne déméritent pas non plus), ça tire un poil en longueur avec le story-arc de Damnation, mais c’est vraiment très très bon, et souvent très drôle. Bats, le chien qui parle, est tout simplement formidable, et Cates met habilement le doigt sur l’hubris de Strange pour en faire un personnage réellement intéressant (qui lorgne quand même beaucoup du côté du John Constantine de DC dans sa façon d’exploiter ses amis…). Les amateurs de récits de sorcellerie avec panoplie mystico-cabalistique ne devraient pas être déçus.
Bon bon bon. Cates, c’est donc une valeur sûre. Du coup, je pouvais m’attaquer à un récit qui ne me faisait pas, mais alors pas du tout envie. Le premier arc de Venom par Cates. Aurélien me l’avait chaudement recommandé, mais j’y allais quand même à reculons. Je n’aime pas Venom. C’est peut-être pour ça que j’ai beaucoup apprécié le film éponyme (un film que beaucoup qualifient de “film des années 1990”, et ils ont tout à fait raison : c’est aussi bas de plafond, c’est très drôle, c’est irrévérencieux tout bien comme il faut et ça m’a donné très envie de voir une suite). En outre, je ne me suis jamais trop intéressé à ce personnage et je me disais que j’allais me sentir paumé.
Et là, Donny Cates. Kraka-boom.
J’ai commencé par le TPB regroupant les 6 premiers numéros de la série Venom. Il m’a quand même fallu passer le cap des dessins beaucoup trop nineties, justement, de Ryan Stegman. Je ne suis pas client du tout, je trouve le trait inutilement foisonnant, et ça me rappelle beaucoup les pires produits de la période post-Image comics. Heureusement, à côté de ça, la mise en cases est efficace, lisible, avec un rythme que je trouve parfait, et un équilibre idéal entre texte et dessins.
Oui, parce que s’il y a bien un truc que je déteste, ce sont les textes à rallonge dans les cases. Ces dialogues interminables, ces loooooooooongs textes qui ne mènent à rien ou qui expliquent laborieusement ce que le dessinateur a souvent très mal dessiné (à force de tenter de faire rentrer trop de sens dans une case, que ce soit par le texte ou par l’image, on obtient un truc illisible), ça me sort complètement du récit. Je ne compte plus les comics des années 1990-2000 que j’ai posés après avoir subi des pages de bulles bourrées à craquer de texte complètement insipide (le pire, ce sont les cases où un présentateur de journal télé explique l’intrigue… Je préfère encore qu’on me mette une case de texte expliquant : “Pendant ce temps, Peter Parker lave consciencieusement ses slips sales”).
Rien de tout ça, ici. Encore un grand écart entre l’intime et le cosmique dans l’intrigue, puisqu’on part de la relation qu’entretient Eddie Brock avec le symbiote baptisé Venom pour finir avec un péril à l’échelle galactique qui se déchaîne au niveau local (sous une forme que je trouve plus lovecraftienne que draconique, d’ailleurs). Et Cates de conclure son récit par une version revisitée de la nature du symbiote. C’est une TRES bonne surprise, qui va chercher tout ce que le personnage peut donner d’intéressant et qui ne perd jamais le lecteur : tout est fréquemment résumé, et on n’a pas l’impression d’avoir raté quoi que ce soit. Même si vous n’avez jamais lu de comics consacrés à Venom, il vous suffit de connaître les bases du personnage pour comprendre tout ce qu’il y a à comprendre sans être complètement largués.
Conclusage de cette lisure de comisques ? Donny Cates rulez, comme vous dites, vous les jeunes. Je vais bien évidemment suivre la carrière du gus, en commençant par la suite de son run sur Venom. Je vous recommande de tenter le coup, parce que c’est vraiment très bon, souvent un peu gore, toujours plein d’humour et d’humanité.
Mais il n’y a pas que Donny Cates dans la vie ! Demain, d’autres découvertes ou re-découvertes comiquesq… comiquisti… de bandes dayssinays !