Ami lecteur, attention, diarrhée verbale à l’horizon. Cet article risque d’être long…

Il y a peu de temps, j’ai eu le plaisir de commencer à préparer (en tant que joueur) une campagne de Star Wars : Aux Confins de l’Empire qui m’enthousiasme énormément. En effet, non seulement il s’agit de jouer avec des amis de longue date, mais la campagne est dirigée par Michael Croitoriu, qui en profite pour expérimenter quelques trucs d’impro, dont certains issus d’un ouvrage qu’il m’avait recommandé : Unframed de chez Engine Publishing/Gnome Stew. Ces idées sont tellement sympas que je me suis (enfin !) jeté sur Unframed pour en dévorer les 110 pages (ça se lit très vite).

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Le fameux Unframed, très sympa (merci Mike et Jérôme Larré !)

Mon verdict est le suivant. Le bouquin est divisé en articles écrits par des grands noms du JDR. Les textes en question sont tous intéressants, mais pas forcément exploitables. J’explique. On peut, en gros, les trier en trois catégories :

* Les « récits de vie » : un auteur explique pourquoi et comment il en est venu à pratiquer le JDR/le « narrativisme » (ou assimilé : au passage, je n’ai rien contre, et je suis même plutôt fan de trucs comme Fiasco)/l’impro totale. Souvent très intéressants (en particulier pour les anecdotes qu’ils contiennent), ces articles se révèlent malheureusement presque inutilisables : quand ils évoquent des parties mémorables, c’est pour raconter un « déclic » qui a permis à l’auteur de changer de méthode de jeu, mais sans en analyser le processus de façon exploitable, ou reproductible. De bonnes lectures, certes, mais pas exploitables directement.

* Les textes abstraits ou vagues qui donnent l’impression que l’auteur écrit une profession de foi, mais qu’il est un peu incapable de donner des méthodes concrètes : « soyez à l’écoute des joueurs », « rebondissez sur les idées des joueurs », « ne préparez pas trop vos parties ». En dehors du fait que ces articles (ou ces passages, car certains textes très concrets contiennent beaucoup de phrases floues de ce genre) se contredisent parfois les uns les autres (« il faut au moins savoir où vous allez et connaître la fin de votre scénario. »/ « Il faut que la fin du scénario soit variable et qu’elle vous surprenne autant que vos joueurs. »), ils sont tous complètement inexploitables. On comprend que l’auteur a développé une sorte de feeling, qu’il est capable de gérer l’imprévisible et qu’il dispose désormais d’un instinct forgé au feu d’innombrables parties… mais niveau pédagogie, c’est zéro. Aucun conseil concret.

* Les articles concrets comprenant des exemples pratiques, souvent illustrés d’exemples (“A la fin d’un scénario, demandez à chaque joueur de noter une chose qu’il a apprise sur l’univers/la campagne/les PNJ : cela vous permet de savoir ce qu’ils ont retenu, mais surtout ce qui a pu piquer leur intérêt.”). Ce sont naturellement les plus précieux… et malheureusement les plus rares. Unframed contient un bon nombre de techniques concrètes, illustrées d’exemples, voire d’exercices mentaux, mais le ratio conseils applicables/nombre de pages est un peu léger. Et pourtant, il s’agit probablement du meilleur truc sur l’impro en JDR que j’aie lu depuis longtemps.

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Et en plus avec une couverture de bon goût ! Que du bonheur…

Car en effet, s’il existe beaucoup de chapitres « le maître de jeu », quelques bouquins du genre « comment mieux maîtriser », ils sont souvent soit longs et chiants, soit très abstraits. Si vous avez connu comme moi l’époque fascinante des débuts de White Wolf, vous avez sans doute lu ces affreux chapitres sur « l’art du conteur », une sorte de discipline mystérieuse, un état de grâce que lesdits chapitres effleuraient sans vraiment l’expliciter. Chichement émaillés de rares conseils concrets, ils excellaient surtout dans l’art de la branlette intellectuelle : beaucoup de mots et peu de matière à en retirer.

Je me suis donc dit qu’il serait peut-être intéressant de partager des expériences concrètes et leurs résultats. Voici donc le débriefing d’un scénar en semi-impro joué hier avec les jeunes membres du Donjon de Decetia, l’assoc’ de JDR du coin. Je vais essayer d’être synthétique, mais ça risque d’être un peu le souk quand même, car c’est ma première expérience de ce genre. Au passage, j’ai une petite expérience de MJ, et j’ai souvent fait, dans ma jeunesse (il y a une vingtaine d’années) des scénarios totalement improvisés. Simplement, il s’agissait de scénarios dans une très longue campagne en cours, avec des gens que je connaissais très bien (mes meilleurs potes). Dans le cas que je vais présenter ici, je jouais avec des joueurs que je ne connais que depuis peu (dont un avec qui je n’avais jamais joué) et dans le cadre d’une campagne qui n’a que quelques scénarios à son actif, tous préparés jusqu’ici. Je vais m’efforcer d’expliquer comment j’ai préparé ma partie, quelles « techniques » j’ai utilisées et comment la partie s’est déroulée en définitive.

Contexte

Nous jouons avec Marvel Heroic Roleplaying. Les personnages sont de jeunes super-héros qui ont découvert leurs pouvoirs depuis peu. La ville principale de cet univers, Megapolis, a été le théâtre d’un affrontement apocalyptique entre la majorité des super-héros et des super-vilains des quatre coins du monde. Tout un quartier de la ville, le « Swamp », a été rasé par les explosions, les rayons de la mort et les pouvoirs terrifiants. Une bonne partie du terrain s’est d’ailleurs effondrée et a sombré dans un monde évoquant un peu celui de l’Homme-Taupe des FF : des cavernes, des créatures bizarres, et évidemment, des tas de « civils » qui cherchent à sauver leur vie. Le postulat de base, c’est que tous les super-héros importants ont disparu, et que mes joueurs sont donc les seuls à pouvoir intervenir et sauver la situation.

Au début de la campagne, les pouvoirs d’un super-vilain mourant, le Baron Samedi, ont réveillé de nombreux morts enterrés sous la ville : les zombies rôdent donc parmi les souterrains et les cavernes où le quartier a sombré. En réalité, je sais qu’un mal bien plus ancien se terre sous ces profondeurs, mais pour le moment, ce n’est qu’une menace à l’horizon.

Au dernier scénario, mes joueurs, cernés par les morts-vivants, ont découvert un bâtiment bizarre : une sorte de château de contes de fées. Ils y ont été accueillis par un majordome très « cartoon » qui leur a demandé quels personnages de contes ils étaient. Chacun de mes joueurs s’est donc fait passer pour un personnage de contes de fées (Jack le tueur de géants, le vaillant petit tailleur, Blanche-Neige, Robin des bois, le petit chaperon rouge et le nain Tracassin). J’avais déjà ma petite idée pour la suite du scénario, mais finalement, ça ne tenait pas vraiment debout (ou alors, il aurait fallu préparer un truc vraiment béton et je n’avais pas le temps). Je me retrouvais donc avec une situation bizarre, mais potentiellement rigolote, et… pas vraiment de scénario.

Objectif

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On va quand même éviter ça, hein…

Je disposais de peu de temps pour préparer un scénario non linéaire, et qui soit à même de ménager de l’action, de la diplomatie et de l’exploration (j’ai demandé aux joueurs quels thèmes ils privilégiaient lors d’une précédente partie). J’ai donc décidé de mettre en place un décor assez vaste pour être exploré, avec une grosse menace sous-jacente qui constituerait le grand combat final, et des personnages très différents, susceptibles de s’opposer les uns aux autres. Je voulais également un scénario relativement court (3 heures) et fini. Pas question que ça se termine en queue de poisson : il fallait donc qu’à l’issue des 3 heures, l’intrigue principale soit bouclée, au même titre que les sous-intrigues, y compris la baston finale.

Complètement ouvert ou fin immuable ?

Premier détail à régler selon moi (au moment de la préparation un peu frénétique du truc) : est-ce que je sais comment ça va se finir ou pas ? Je voulais pouvoir être surpris, mais je désirais également avoir un fil directeur, quelque chose à quoi me raccrocher.

Le plus gros hic dans un scénario improvisé, pour moi, c’est ce moment où tous les joueurs vous regardent, vous, MJ, en attendant qu’il se passe quelque chose… alors que vous êtes à sec. Pas d’idée, rien. Si vous jouez avec des joueurs compatissants, ils vous sortiront de ce mauvais pas en trouvant « quelque chose à faire », mais c’est un pis-aller, et au final, un constat d’échec. Il me fallait donc aussi des « cartouches » narratives pour éviter cet écueil.

J’ai donc opté pour cette solution :

* Créer une explication logique à l’irruption des éléments fantastiques dans mon histoire de super-héros « contemporains » (j’avais déjà cette explication en tête à la fin du dernier scénario, mais je ne savais pas trop sur quoi elle déboucherait). La voici : lors du combat apocalyptique, un super-héros du nom de Doc Storybook se trouvait à l’intérieur d’une grande surface, un magasin sur plusieurs étages, rempli de clients. Malheureusement, suite à l’affrontement, une partie du magasin s’est effondrée, Doc Storybook est mort, et la plupart des clients sont actuellement mourants, ensevelis sous des décombres. Toutefois, une des clientes du magasin a réussi à mettre la main sur l’artefact magique de Doc Storybook : un livre de contes de fées dans lequel le super-héros puisait ses superpouvoirs. Notre cliente agonisante a désespérément fait appel au pouvoir du livre : celui-ci a stabilisé l’état de toutes les victimes, mais en contrepartie, il a capturé leur esprit dans une sorte de dimension parallèle, où ils incarnent tous des personnages de contes de fées. À partir de cet instant, quiconque entre dans le magasin est instantanément transféré dans le monde des contes. Évidemment, s’ils sortent de ce monde, tout le monde meurt rapidement (c’est un peu tragique, mais je trouve que c’est assez intéressant, et je me dis que si les PJ se débrouillent vraiment bien, ils peuvent sauver les gens, par exemple en les transférant pour l’éternité dans le bouquin… bref).

* Écrire deux phrases qui définiraient le thème du scénario et qui me donneraient mon fameux « fil directeur ». Chaque fois que je serais en panne, ou que je voudrais définir la réaction de certains persos « logiquement », je me référerais à celles-ci. Ces deux phrases étaient les suivantes :

– Tout ça ressemble à un rêve.

– Chacun cherche son identité.

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L’univers de l’excellent comics Fables se réapproprie les contes de fées de façon magistrale.

Je pourrais donc utiliser des glissements oniriques, des choses apparemment irrationnelles, mais en sachant que mes personnages de conte de fées étaient en réalité des gens mourants qui ne survivaient que grâce au pouvoir de leur imagination (et vous pouvez tout à fait y voir une métaphore de l’escapisme, par exemple…), et qui trépasseraient probablement une fois qu’ils quitteraient ce monde imaginaire.

Comment ménager le rythme ?

J’ai parfois raté des scénarios d’impro par manque d’imagination, ou de rythme. Et quand le soufflé retombe, c’est un peu fichu. Pour ça, il suffit de voir ce que font les joueurs : s’ils commencent à partir sur autre chose que le scénario, c’est mauvais signe. Je considère une partie réussie quand personne n’a évoqué d’éléments extérieurs à celle-ci (qu’il s’agisse du film vu la veille, d’une autre partie de JDR ou d’autres détails triviaux). Et histoire de casser le suspense : mes joueurs ne sont jamais sortis de leur rôle pendant les trois heures qu’a duré celle-ci (ouf !).

J’ai donc élaboré un petit système pour limiter le temps et également me forcer à remuer un peu tout ça dès que l’atmosphère risquait de stagner : il fallait qu’un événement fracassant survienne toutes les heures. Pour ça, il aurait suffi que je regarde l’heure sur mon fidèle iPad (qui sert à sonoriser les parties et dans lequel j’ai enregistré mes manuels et quelques ressources). Mais ça n’aurait pas été aussi frappant. En début de partie, j’ai donc annoncé aux joueurs que le scénario serait limité dans le temps. Ça ne les a pas choqués, mais ils n’y ont pas vraiment pris garde non plus. Sauf que j’avais une toute petite astuce.

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Une très jolie image expliquant le danger de construire des grosses pendules en plein océan.

J’ai réglé le minuteur de l’iPad sur une heure, et j’ai choisi une sonnerie « son de cloches » qui me semblait bien convenir au thème des contes de fées (les fameuses cloches de minuit de Cendrillon par exemple). Il y aurait donc trois tranches d’une heure dans le scénario, ponctuées par ces sonneries. Je me suis dit qu’à chaque tranche qui passerait, l’atmosphère deviendrait plus sombre : on passerait de Walt Disney à Tim Burton puis à une atmosphère proche des films d’horreur.

Que faire en cas de panne ?

À chaque sonnerie de cloche, il faudrait qu’un nouvel événement se présente. J’ai suivi à la lettre un des conseils de Unframed, basé sur « l’oreille trouvée dans l’herbe ». Vous savez, cette oreille que trouve le protagoniste de Blue Velvet, de David Lynch ? En fait, le principe est simple : en cas de panne, faites survenir un événement vraiment bizarre, évocateur… et laissez les joueurs se renseigner dessus pour vous donner des pistes d’improvisation. Il suffit d’écouter un peu ce qu’ils racontent pour savoir ce qui les intéresse, vers quoi ils vont se tourner, et ce qu’ils attendent de la suite. Et après… bonne chance ! (Vous allez bien trouver un truc sympa, non ? Oui, ce serait une bonne idée de développer des méthodes pour ça… Peut-être un prochain billet ?)

Je me suis donc fait un stock d’oreilles. Sur douze morceaux de papier (je me suis dit que ça suffirait et j’avais raison), j’ai écrit des noms d’objet, avec chaque fois une ou deux phrases d’accroche simples. Par exemple :

Des allumettes

Elles font naître des rêves dans le rêve.

La flamme des allumettes prend vie.

Un paquet-cadeau

Une inscription : à n’ouvrir que par… (nom illisible)

Que contient-il ?

Le cadavre de la Reine de Cœur

Des preuves ?

Un assassin ?

 

Pas très folichon… mais en réalité, c’était suffisant (et en temps limité, je manquais un peu d’imagination) : en effet, selon le moment où ces cartes allaient sortir, le contexte de la scène permettrait de développer ces idées toutes simples. Chaque fois que la cloche sonnerait, je tirerais une carte. Mais à la troisième sonnerie, les victimes de l’effondrement du magasin seraient sur le point de mourir : d’ici là, soit mes joueurs auraient découvert qu’ils étaient dans un rêve, soit ils se seraient approprié le fameux Storybook, soit… en fait, je n’avais aucune idée de ce qui se passerait d’ici là ! Mais une chose était sûre : la situation aurait énormément empiré, et il serait peut-être temps de faire intervenir la menace que j’évoquais plus haut (une sorte de vase noire capable de prendre n’importe quelle forme). De toute façon, il était trop tard pour trouver quelque chose de très compliqué et/ou cohérent !

Places to go, people to beat…

Il me fallait aussi un stock de personnages et de lieux intéressants. J’ai procédé exactement comme pour les événements : des cartes comportant un nom de personnage suivi de deux phrases qui définiraient son utilisation et qui me serviraient de tremplin (Gepetto/Maître artisan, « mon fils compte plus que tout ! » ; Alice/ « en quoi vais-je encore me changer », « chaque fois que je dis quelque chose, ça se retourne contre moi ! » ; Hansel et Gretel/ toujours affamés, « nous n’aimons pas les sorcières »). Même chose pour les lieux (Salle de bal/richement décorée, comprend un escalier et un balcon ; jardin/végétation luxuriante, étranges statues ; etc.).

Comment les utiliser ? Il suffisait d’attendre que mes joueurs partent explorer (ils ne sont pas partis très loin en fait, car l’essentiel de l’action s’est déroulé dans la salle de bal) ou discutent avec un PNJ. Et s’ils ne s’intéressaient à personne ni à aucun lieu, il me suffisait de piocher une carte au hasard et de bâtir une pseudo-intrigue autour.

À l’origine, je m’étais dit que je créerais une double personnalité pour mes contes de fées : leur personnalité féérique, mais aussi leur identité « civile », celle de la personne coincée sous des tas de briques et qui se rêvait en tant que prince charmant ou Ali Baba. Finalement, je n’avais pas le temps : il valait mieux laisser ça pour l’improvisation en cours de route ! En cours de scénario, j’ai d’ailleurs décidé que Boucle d’Or était la petite amie d’un des joueurs, et que c’était elle qui détenait le fameux livre de contes. Ce qui allait aboutir à une fin dramatique !

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Faut qu’il y ait du monde ! Comme dans cette vignette d’un épisode de Jack of Fables !

Quant aux caractéristiques de ces persos… Eh bien ils auraient tous 2D6, plus 1D8 s’ils utilisaient les petites phrases notées sur leur fiche (et la réserve de Danger de Marvel Heroic Roleplaying me permettrait de les booster un peu).

Comment ça s’est passé ?

Super bien. Les PJ étaient un peu paumés et ont cherché à savoir où ils étaient, et surtout, qui dirigeait cet endroit. Dès qu’il y avait ne serait-ce que l’amorce d’un blanc, je faisais intervenir un personnage : le vieux Gepetto, par exemple, est immédiatement venu leur demander s’ils n’avaient pas vu son fils (et du coup, j’ai eu une idée : Pinocchio avait été assassiné ou avait disparu ou… bref, si les joueurs suivaient cette piste, il y avait du whodunit dans l’air ! Manque de bol, ils ne l’ont pas fait… et j’ai même pu recycler leur désintérêt pour cette histoire !).

Au premier son de cloche, mes PJ sont isolés des autres personnages (qui dansent et bavardent dans la grande salle de bal). Je pioche la carte « Cadavre de la Reine de Cœur ». Un des PJ trébuche donc sur une masse inerte. C’est la reine ! Histoire d’avoir un élément supplémentaire, je dis aux joueurs :

« C’est le cadavre de la Reine de Cœur ! Dans sa poitrine est planté… Quoi, au fait ? »

Mes joueurs réfléchissent à l’arme du crime et une joueuse annonce : « Un arc ! »

Ce qui est plutôt rigolo, car la question n’était pas « Quelle est l’arme du crime. »

Je conclus donc : « Elle a un arc planté dans la poitrine. » (mode WTF on !)

La joueuse, peut-être désireuse d’obtenir une arme, pose la main sur l’arc en question. Évidemment, plusieurs PNJ s’écrient : « On a tué la Reine de Cœur ! Regardez, c’est eux les coupables ! »

Un autre PJ se joint au chœur des cris : « Oui, je les ai vus ! Ils ont tué la Reine de Cœur ! »

J’annonce donc qu’un procès est nécessaire, et dans une atmosphère très « Alice au pays du Dalloz », un tribunal se met en place. Le juge sera Boucle d’Or, qui fait jurer les témoins sur le fameux livre de contes (qui apparaît pour la première fois). Les joueurs peuvent choisir leurs avocats : le prince charmant et le chapelier toqué. Le PJ qui a crié… jouera le procureur et l’accusation !

Bien que chaotique, le procès a été vraiment hilarant, un véritable festival de mauvaise foi ! Au terme de celui-ci, le prince charmant et le PJ-avocat de l’accusation se battent en duel (le premier accusant le second, qui se fait passer pour Jack, d’avoir séduit les mêmes princesses que lui…). En plein milieu du duel… Gepetto, qui avait disparu un peu auparavant, revient, fou furieux. « Bande de salauds, personne n’en a rien à cirer d’un pauvre vieux qui a perdu son enfant ! Eh bien j’en ai fait un autre ! Tue-les, Pinokenstein ! »

Gepetto a fabriqué un immense mécha-Pinocchio, et nous avons droit à une baston mémorable. Les PJ ont compris l’importance du livre, et croient désormais qu’il leur permettra d’échapper à ce monde de cinglés. Ils font tout pour le détruire ou s’en emparer.

Au troisième son de cloche, l’entité malveillante qui sommeillait sous le magasin/château de contes se réveille et, au terme de diverses péripéties, absorbe le livre de contes. Le PJ dont la petite amie avait déclenché les pouvoirs ne parvient pas à la sauver, par manque de temps (et parce que l’entité maléfique est une grosse saloperie qui cherche à zigouiller tout le monde…). Les PJ reviennent au monde réel, et s’échappent de l’immeuble, qui s’effondre entièrement, emportant avec lui la majorité des victimes (ils auront réussi à en sauver une seule : le « prince charmant »), le livre de contes, l’entité malveillante et la petite amie…

… ou pas. Après tout, on n’a vu aucun cadavre…

Quelques intrigues n’ont pas eu le temps d’éclore, d’autres sont restées assez irrationnelles… mais on s’est bien marré !

Et ça marche, cette histoire ?

 

Ça a plutôt très bien fonctionné. Le quarté gagnant des bonnes idées :

* Le minutage. Au premier son de cloche, les joueurs ont été étonnés, et ils ont pris conscience que le temps passait et qu’il leur était compté. Pas une seule « distraction » à la table de toute la partie. Les sons de cloche suivants faisaient monter la tension et signalaient l’évolution du scénario. Yeah !

* Le thème en deux phrases : « tout ça ressemble à un rêve » ; « chacun cherche son identité ». Peu importe l’interprétation que j’ai faite de ces deux principes : chaque fois que je me posais des questions sur le déroulement des événements et la possibilité de telle ou telle action, je me reportais à ces phrases et elles me servaient de support. Ça paraît très abstrait, mais voilà un exemple concret. Au 2e son de cloche, je fais piocher un événement à une joueuse : elle tire un objet « Une pantoufle de verre de 8 m de haut. » Laquelle pantoufle apparaît dans le jardin, au moment où certains contes de fées suspicieux demandent à un autre PJ (celui qui s’est fait passer pour Jack le Tueur de Géants) de prouver son identité. J’ai décrit Cendrillon comme une vraie greluche écervelée dans le scénario, et la voilà qui regarde la pantoufle gigantesque, fascinée, et dit : « Je la reconnais, c’est ma chaussure. » Or, nous en sommes à un moment du scénario où les joueurs doivent s’attirer les bonnes grâces des contes de fées. La joueuse rétorque aussitôt : « Je lui tends la pantoufle. » J’aurais pu me poser la question de savoir comment on peut saisir une pantoufle de 8 mètres, mais comme « tout ça ressemble à un rêve », au moment où la joueuse tend la pantoufle, celle-ci est parfaitement normale et va parfaitement à Cendrillon, qui se range aux côtés des PJ. Et pendant ce temps, Jack a fait semblant de planter un haricot et désigne une des plantes déjà présentes dans le jardin (le fameux jardin à la « végétation luxuriante ») comme étant le produit de son haricot magique. Bien joué !

* Les cartes à piocher : non seulement elles ont servi de générateur de récit/de hasard, mais elles permettaient de matérialiser les personnages et les lieux. Par exemple, lors du procès, elles m’ont permis de laisser les joueurs choisir leur avocat de façon « tactile » (ils avaient les cartes en main, et pouvaient même lire les fameuses phrases), et de matérialiser le banc des jurés (j’ai posé les petits carrés de papier les uns à côté des autres : c’est idiot, mais ça permettait à tout le monde de « voir » le tribunal sans perdre de temps à le dessiner).

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L’excellent Winter Tales.

* Le thème des contes de fées. Déjà, c’est un thème qui me parle. Ensuite, je suis fan de Fables, un des meilleurs comics de tous les temps. Et surtout : tout le monde connaît les principaux contes de fées. Il est donc très facile de se représenter ces personnages, et vous ne risquez pas d’avoir un joueur qui demande : « Au fait, comment s’appelle la nana qui est accompagnée par les sept petits gus et qui bouffe des pommes ? » Chaque personnage est associé à des thèmes forts (c’est ce qu’ont compris les auteurs du jeu Winter Tales à paraître chez Edge sous peu, et que j’ai eu le plaisir de traduire), qui servent de support à leur interprétation/utilisation. Il y a déjà des tas d’idées formidables dans les contes de fées, c’est une vraie réserve à concepts d’impro !

J’espère vous avoir fourni du concret, des idées qui nourriront peut-être vos parties, ou même des contre-exemples, des choses à ne pas faire ! En tout cas, l’expérience était vraiment enthousiasmante et je m’en vais tenter d’autres petits trucs en impro dans mes prochaines parties !