Pour introduire cet article, juste un grand merci posthume à George Romero, pour des raisons évidentes.

La Fin du Monde (El Fin del Mundo, puisqu’il s’agit, à l’origine, d’un jeu espagnol d’Alvaron Loman) est un jeu de rôle publié chez Edge en Espagne, repris chez FFG dans une version remaniée et américanisée, puis traduite (à partir de la version anglaise) dans la langue de Michel Drucker par Edge France, sous la houlette de votre serviteur. Et non, je ne montrerai pas de photo de ma houlette, non mais des fois…

Vous allez sans doute trouver ça bizarre, mais lorsque je traduis un jeu, ou que j’en supervise la traduction, je n’ai pas forcément le temps ni la possibilité d’y jouer. Ni avant, ni après. On croirait le traducteur passionné de JDR toujours plongé dans des jeux, à les lire et à les pratiquer, mais après avoir passé huit heures par jour sur un livre de jeu, parfois, on n’a qu’une envie : se vautrer devant une série télé, lire un roman ou une bayday, faire une partie d’Horizon – Zero Dawn (c’est bien, mangez-en, surtout si vous êtes fans de Degenesis) ou tout simplement bouffer des chamallows.

Spécificités des zombies espagnols

Avoir envie de tester un jeu au point de concrétiser cette envie après l’avoir lu, relu et retourné dans tous les sens n’est par conséquent pas si courant. Il faut vraiment qu’un jeu vous parle, vous propose quelque chose d’inédit, pas forcément dans sa forme, dans ses règles ou dans son background, mais dans la promesse de ce qui va se passer à la table de jeu. Tout ce préambule pour expliquer à quel point La Fin du Monde m’intriguait : il n’a pas fallu me pousser beaucoup pour que j’en joue une partie. C’est donc l’occasion d’un nouvel épisode de Play After Reading un peu particulier, dans la mesure où j’ai lu le jeu pour le boulot, alors que je ne me serais pas forcément penché dessus (surtout en raison de son prix, qui peut rebuter, mais on y reviendra). Car La Fin du Monde est un jeu sans réelle personnalité apparente, qui ne va déployer son vrai potentiel qu’à la table. Bref, c’est un jeu, pas un livre.

Pour les ceusses qui ne connaîtraient pas le principe, voici comment fonctionnent mes critiques de “Play After Reading” : je fais une critique de jeu à la lecture, puis je la confronte à la réalité de la partie. Du coup, ne vous attendez pas à ce que je vous parle de trucs super récents dans les prochains articles, si tant est qu’ils voient le jour : il faut du temps pour lire, pour jouer, pour analyser ce qu’on a fait (même si mon analyse reste très superficielle).

Le Before : Dernières barres de rire avant la Fin du Monde

Si vous avez déjà vu au moins un film de zombie (ou simplement un film d’horreur), il y a de grandes chances que vous ayez hurlé au protagoniste sur le point de se séparer du groupe/d’ouvrir la porte d’un machin chelou/d’aller voir ce qui passe derrière le buisson qui fait “grouu grouuu”/de péter bruyamment au milieu des zombies (rayer la mention inutile) : “Mais non ! Ne fais pas ça !”

Parce qu’a priori, vous êtes un peu plus futé (quoique, si vous lisez ce blog, je me demande…) que le protagoniste de film d’horreur moyen et que vous connaissez les trucs pour éviter les zombies, en bon geek que vous êtes. Et s’il y a bien un type de film d’horreur qui se prête à l’exercice de “si c’était moi j’aurais…”, c’est le film de zombies : les personnages sont fréquemment des gens ordinaires, dans un environnement familier, voire banal, et qui font des choix abominablement crétins parce qu’ils ne comprennent pas suffisamment vite ce qui se passe.

Le meilleur film de zombies de tous les temps

Le film de zombie est un baume pour geek, parce qu’il présente un contexte obéissant à des règles presque immuables (il faut leur tirer dans la tête, la contagion se fait par morsure, etc.), où le geek en question devient un “survivaliste” par la seule vertu de sa connaissance des stéréotypes du genre. Les zombies représentent tout simplement la foule des connards que l’on croise tous les jours, représentés par des cadavres grisâtres et décérébrés qui veulent vous bouffer la tête pour vous convertir au club de la connerie universelle et faire de vous un consommateur aveugle et stupide. Mais vous, et surtout toi, ami geek, tu n’êtes pas un connards (et fuck la grammaire) : on ne te la vous fait pas, tu savez comment te débrouiller.

Comme le post-apo, le film de zombie réalise ce fantasme geek entre tous : imaginons que la civilisation se barre brutalement en sucette et qu’il ne reste que des gens intéressants en vie, et voyons ce qui se passe. Je simplifie, et c’est une interprétation personnelle, mais en gros on peut la résumer à ceci : l’apocalypse zombie c’est cool, parce qu’on sait comment ça marche, contrairement à Robert, le voisin qui fait chier. En renversant les codes rigides de la société et en instaurant un chaos libérateur, l’invasion zombie rétablit également l’égalité sociale, les macchabées ambulants ne faisant pas la différence entre SDF et PDG quand il s’agit de casser la croûte (ou plutôt la calotte crânienne).

Le contexte de l’apocalypse zombie se prête donc de façon particulièrement jouissive à cette question de geek : que ferait-on si… ?, puisqu’il donne aux introvertis l’occasion de prendre les choses en main.

Système atypique

Les JDR de zombies existent, même si le genre n’est pas aussi prolifique (à ma connaissance) que dans d’autres médias (en particulier le cinéma) ces dernières années. D’ailleurs, comme ça, de tête, je me souviens de ce truc dont le supplément s’appelait Fais des Râles (ha ha ha… oui, j’aime les jeux de mots moisis), et de cet autre truc qui s’appelait euh… Bon, ben en fait je me rappelle pas et j’ai la flemme (déchaînez-vous dans les commentaires pour étaler votre connaissance encyclopédique des jidéhaires de zombies). Ouais, ils existent, mais aucun ne m’a particulièrement marqué.

Pourquoi El Fin Del Mundo m’a-t-il tapé dans l’oeil ?

Le jeu allie deux qualités qui m’attirent actuellement (à 45 ans, après une trentaine d’années de JDR à lire des pavasses grosses comme l’annuaire) : il est simple et il est synthétique.

Il présente en outre un gimmick vraiment sympa : les règles de base sont conçues pour que vous jouiez votre propre rôle : oui, vous, le petit rôliste tout maigre, c’est vous qui allez vivre l’apocalypse zombie. Et cette création de perso est très bien fichue, avec un système de cooptation fluide et sympa, que je vous laisse découvrir si vous essayez le jeu. Cela dit, il est tout à fait possible de créer des persos différents (c’est d’ailleurs ce que j’ai fait pendant ma partie test).

Zombie Téfu

Le système de La Fin du Monde est extrêmement simple. La fiche de perso comprend trois catégories (Physique, Mental et Social), débouchant sur trois couples de caractéristiques (Dextérité, Vitalité, Logique, etc.) notées sur 5. Lorsqu’on veut réussir une action, on lance un dé (à six faces), et il s’agit d’obtenir un résultat inférieur ou égal à la caractéristique utilisée. Plutôt simple.

Chaque personnage dispose toutefois de traits positifs ou négatifs (en gros, un positif et un négatif par catégorie) : pro du bidouillage, athlète, petite nature, a quitté l’école trop tôt, calculateur humain, etc. Si, lors d’une action, un trait positif intervient, il vous octroie un dé supplémentaire. L’utilisation d’un équipement adapté à la tâche (une corde pour escalader par exemple) vous donne également un dé. Le MJ peut vous faire bénéficier d’autres dés bonus selon les circonstances. Chaque résultat inférieur à la carac utilisée donne une réussite, donc plus on a de dés, plus on a de chances de réussir même si on dispose d’une carac minable.

Le système vous donne également des malus, sous forme de dés de malus : un trait négatif produit un “dé noir” (par exemple, “petite nature” vous donne un dé noir pour résister à des conditions environnementales difficiles), et le MJ peut vous en donner d’autres en fonction de la situation. Si un dé noir produit un résultat identique à celui d’un dé normal, tous deux s’annulent. Et s’il reste des dés noirs dans votre pool de dés en fin de jet de dé, ils vous font subir du stress.

Lorsque vous subissez des blessures ou des chocs mentaux ou sociaux (ceux-ci sont un peu particulier : c’est ce que vous ressentez par exemple en vous retrouvant isolé socialement, quand on vous rejette, etc.), vous recevez du stress. C’est là où le système est vraiment très bien fichu et présente une occasion de gestion de ressource intéressante. Si votre stress dépasse un certain seuil, vous mourez (ou vous devenez un légume, ou fou), et ce seuil n’est pas très élevé (il suffit de subir 9 points de stress, ce qui correspond par exemple à deux blessures par arme à feu, en gros). Mais il y a une astuce.

Une fiche claire et simple.

Vous disposez d’une jauge de stress pour chaque catégorie de caracs. La jauge comprend trois niveaux. Lorsqu’un niveau est rempli, il vous donne une résistance pour les prochains gains de stress. Plus vous avez subi de grosses blessures, plus vous tenez le coup… mais au risque de trop tirer sur la corde et de succomber. Vous avez la possibilité d’évacuer d’un coup TOUT votre stress dans une catégorie, mais pour cela, vous subissez un “trauma”, qui va se manifester par un trait négatif et qui mettra un certain temps à disparaître. Il faut donc maintenir l’équilibre : soit vous conservez le stress, qui vous confère une certaine résistance mais vous rapproche de la mort, soit vous vous en débarrassez pour mieux respirer, mais vous subissez alors un trauma handicapant et vous ne bénéficiez plus de l’effet résistance.

C’est le trait de génie du système : dès que le stress commence à arriver, on marche sur la corde raide, et il s’agit de gérer la prise de risque efficacement. Système efficace, donc : simple et fonctionnel.

Bon ben… c’est une apocalypse zombie, démerdez-vous

Pas de chichis dans la présentation du background, ou plutôt des backgrounds, car le livre présente cinq versions de l’apocalypse, et les détaille même en version “avant” et “après” : on peut jouer pendant les premiers jours de l’invasion zombie, puis une fois qu’elle est installée et qu’un ordre (ou désordre) nouveau est apparu. Pour chacun de ces contextes, on a 5 pages de texte environ, pas plus (un peu moins pour les versions “après”, et les versions “avant” comportent en outre une chronologie).

Le bonheur, d’autant que tout ça est très synthétique et organisé sous des titres bien clairs et concrets : “que peuvent faire les PJ ?”, “Que sont-ils ?” (les zombies), “Comment les tuer ?” Chaque fois, un paragraphe clair et concis, sans blabla inutile.

Chaque présentation est suivie d’une description de plusieurs lieux (elle aussi succincte, avec une petite illu), chacun étant accompagné d’une liste d’événements et de rencontres possibles (une ligne chacun). En fin de chapitre, 4 ou 5 profils de zombies et d’autres personnages (civils, miliciens, membres de gangs).

Je ne vous cache pas que tout ça m’a énormément plu. C’est comme si, en un peu plus de 90 pages (les règles n’occupant que 46 pages des 140 que compte l’ouvrage), l’auteur avait décortiqué l’essentiel des médias consacrés aux zombies pour n’en laisser que les éléments de base, en dégraissant tout le superflu. On trouve en effet là une quantité énorme de matos exploitable, chaque élément étant réduit à sa plus simple expression (un profil super bref, une ligne de description pour une accroche d’intrigue).

Il y avait là de quoi faire un bac à sable formidable.

L’after de l’après du post

Il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir de recevoir un sympathique MJ qui m’avait initié au jeu Würm (très sympa, même si je me vois mal y jouer sur le très long terme), et je me retrouve à mon tour MJ avec deux joueurs (le MJ en question et une joueuse), et la perspective de mener une partie en one-shot. Je me concerte avec ma joueuse pour savoir quel univers lui plairait, et suite à sa requête de simplicité, je propose La Fin du Monde. Ca tombe très bien, car la joueuse en question adore les univers de zombies.

Il ne reste plus qu’à surmonter un petit moment de stress, car cela fait plus d’un an que je n’ai plus maîtrisé en impro. Vite vite vite, réfléchir. Autant que je vous raconte comment ça s’est passé, et comment le jeu m’a servi de boîte à outils, jouant parfaitement son rôle.

Trop clair ! Trop clair !

Premier truc : je me doute que l’idée d’interpréter leurs propres rôles ne va pas forcément plaire à mes joueurs. La joueuse m’a déjà dit qu’en cas d’apocalypse, elle n’aurait pas une chance, et le pote MJ est actuellement en fauteuil roulant : ce serait indélicat de ma part de proposer de jouer “by the book”. Du coup, je pars sur l’idée de jouer dans une atmosphère “série B américaine”, avec petite ville de cambrousse et invasion de zombies rurale. OK.

C’est un one-shot, il me faut quelques idées marrantes. Je n’aurai que deux joueurs : je décide donc de trouver une vulnérabilité très simple pour mes zombies. Je ne vais pas utiliser ceux du bouquin : je piocherai dedans selon l’évolution de l’intrigue, et on verra bien ce qui se passe. Mais je définis déjà, mentalement, un élément essentiel : ils sont attirés par la lumière. Ils seront inactifs dans le noir (merci, Last train to Busan !) sauf s’ils voient des phares ou une ampoule. Ils réagiront quand même au bruit, mais l’essentiel, ce sera la lumière. Du coup, les joueurs pourront développer des stratégies autour de cet aspect. Bon.

Je ne sais pas trop où je vais, mais j’ai envie que les zombie soient issus d’expériences génétiques, et je me dis que ça pourrait passer par des animaux. Allez, on va utiliser un ranch dont les éleveurs utilisent des substances chimiques pour booster leurs bêtes (chevaux et bovins). Ca merdouille, les bestioles mordent quelques éleveurs, et l’épidémie se répand (le ranch étant éloigné de la ville, ça laissera un peu de temps aux PJ pour réagir et se sauver).

Aucun plan ne survit aux PJ

Je vois bien tout ça comme une course-poursuite, et je consulte rapidement des lieux décrits dans le bouquin : la ferme, le grand magasin… Je me dis que ce qui pourrait être drôle, c’est que les PJ essaient d’entrer dans un grand magasin transformé en forteresse par un mec, et que celui-ci les accueille à bras ouverts au lieu de les farcir de plomb. Mais au bout d’un moment, ils se rendent compte que le type est super pénible, et qu’il veut les tenir prisonniers avec lui dans son “paradis”. Du coup, le but du scénario serait d’échapper, non pas aux zombies, mais au connard. Je tiens un truc, là !

Mes joueurs créent leurs personnages. Ma joueuse choisit de jouer la femme shérif du petit bled, et comme trait négatif social, elle se met “syndrome du bon samaritain”. Elle va donc se sentir forcée de sauver tout le monde.

Merde.

Ca veut dire, pas question d’envisager un scénario où les joueurs cherchent à échapper à la horde de zombies. Au lieu de ça, ma joueuse va probablement tenter de protéger tout le monde. Donc on parle plus d’un huis clos que d’une course échevelée. Voilà qui renverse complètement ma conception et mon ébauche d’impro.

L’autre joueur choisit de jouer un biker qui joue les passeurs entre les Etats Unis et la frontière canadienne. Et évidemment, il a déjà eu maille à partir avec la shérif. En fait, ils s’inventent un passé commun : une connaissance de la shérif est morte pendant un incendie, durant lequel le biker a failli mourir. La shérif le tient pour responsable du truc et voudrait tirer ça au clair, mais jusqu’ici, elle ne l’a pas revu. Or, il vient de passer dans la ville.

Bon, ils viennent de foutre en l’air mon idée de course, mais ils me donnent une intro in medias res toute cuite.

Quand le scénar commence, notre biker se réveille en cellule. La shérif l’a coffré la veille. En effet, un indic lui a transmis le profil et l’immatriculation du biker en question, et lui a dit qu’il transportait des choses pas bien catholiques. En fait (cela sera révélé par la suite), ce sont des agents gouvernementaux qui ont averti la shérif : ils savent que des tueurs à gage de la pègre en ont après le biker et projettent de l’assassiner lors de son passage en ville. Or, le FBI serait ravi de lui mettre le grappin dessus avant eux pour l’interroger. Et comme on est dans une série B, ils ne mettent pas la shérif dans la confidence, préparant le terrain pour un beau bordel.

Tout ça, ce sont des prétextes, évidemment. L’intérêt, c’est que mon biker va se retrouver en taule, en butte à la méfiance de la shérif, et qu’une fois que ce sera bien le bordel en ville, il devra également combattre des tueurs engagés pour le tuer.

Retomber sur ses pattes

Le début du scénar a parfaitement fonctionné. Mon biker était dans la même cellule qu’une des premières victimes de l’épidémie de zombies, et les scènes du bureau du shérif ont été impeccables, dignes d’un de ces films que j’affectionne, genre Assaut de Carpenter.

Ensuite, c’était l’invasion, avec des animaux zombies partout (dont une belle horde de chevaux, quelques chiens sanguinaires, et même des bovins bien énervés). J’ai eu l’occasion de placer quelques scènes difficiles, moralement, avec des dilemmes insolubles (le gosse qui se fait mordre par un zombie et qu’on ne peut pas sauver, un grand classique).

Finalement, mes joueurs ont réussi à organiser la résistance, à limiter la propagation de l’épidémie, et même à collaborer avec l’armée pour attirer les zombies dans un stade (avec les lumières !) et limiter les dégâts. Fin de scénario stratégique, avec la gestion des forces de la ville, et d’une population qui partait de plus en plus en roue libre malgré des efforts méritoires.

Et tout ça a bien fini, grâce à des joueurs ultra-motivés, qui n’ont rien lâché d’un bout à l’autre et qui ont sans cesse élaboré des tactiques inventives pour s’en sortir (malgré des PNJ généralement pénibles : je voulais montrer que c’étaient bien les PJ les héros, et qu’il fallait qu’ils assument leurs rôles de leaders). Rédemption pour le biker, qui a joué son rôle d’anti-héros avec brio, et succès pour la shérif, qui n’a jamais baissé les bras et qui a sauvé un max de ses ouailles.

Bon, alors, ça marche ou pas ?

Oh que oui. Le système de jeu était un bonheur à utiliser. Les joueurs n’ont pas arrêté de chercher les dés de bonus en justifiant efficacement leur obtention, et je leur en ai donc régulièrement accordé d’autres.

Exemple : dans son bureau, la shérif reçoit une conseillère municipale très énervée, qui tente de lui marcher sur les pieds. Ma joueuse ne se démonte pas, et réussit un très beau jet de charisme après une belle interprétation. Je lui annonce donc que désormais, quand elle fera un jet de charisme face à un des occupants du commissariat (qui regroupe une bonne partie des PNJ), elle bénéficiera d’un dé de bonus, car elle a montré que c’était elle qui commandait.

On retrouve ici le même genre de fonctionnement que dans des systèmes comme Fate, voire comme Unknown Armies. D’ailleurs, je me suis servi de ce que j’avais lu dans UA pour expliquer comment utiliser les traits positifs, car il s’agit d’une des meilleures explications que j’aie lues. En fait, quand on veut effectuer l’action A avec le trait positif X, pour savoir si le trait s’applique, il suffit de dire : “bien sûr, que je peux faire A, puisque je suis/j’ai le trait X”. Si ça paraît cohérent, le trait s’applique. Nous n’avons jamais eu de souci pour appliquer les traits, et les joueurs sont allés chercher les solutions les plus inventives pour les appliquer de façon cohérente.

Le système de résolution des actions a parfaitement bien fonctionné : il engendrait suffisamment de tension, les joueurs savaient immédiatement si une action était “difficile”, “improbable”, “presque impossible”, et ils n’ont jamais fait d’erreur de jugement due à une incompréhension du système (ce qui arrive parfois avec des systèmes un peu opaques). Là, tout était limpide.

Les dés noirs ont joué leur rôle, et le stress a monté pendant la partie, même s’il n’a jamais dépassé un certain seuil, les joueurs s’étant montrés prudents et perspicaces dans leurs choix. De mon côté, je n’ai pas été bien méchant, mais je leur ai fait quelques crasses, et ils ont donc eu du mérite de s’en sortir indemnes (malgré un bras bien amoché et des blessures morales).

Et en ce qui concerne le stress, le système, quoique très simple, a bien fonctionné. Les persos n’ont pas été confrontés qu’à des blessures physiques, et la tension ne venait donc pas que de là : une simple confrontation pouvait déboucher sur du stress, et instaurait donc une tension, des enjeux.

Conclusage

J’avais une grosse appréhension. Tout d’abord, je craignais de me vautrer en impro, sachant que faire un one-shot improvisé n’est pas aussi facile que lancer une campagne d’impro : il faut que le scénar ait une fin définitive, que les intrigues soient bouclées, les secrets révélés, les histoires achevées. De ce côté-là, c’était une réussite. Les joueurs se sont amusés, et tout ceci a bien fonctionné.

La question la plus importante reste la suivante : le jeu tient-il ses promesses ?

La réponse est oui. Un énorme oui, même. Le système est parfaitement adapté à des débutants ou à des joueurs qui veulent jouer “rapide et simple”, tout en ménageant une gestion du stress et des traumas bien plus intelligente et délicate qu’il n’y paraît. Au point que je me dis que le système se prête à n’importe quel scénario d’action et d’horreur… Pourquoi d’horreur ? Parce que sans ça, la jauge de stress mental ne sert pas à grand-chose, ou plutôt elle est éclipsée par la jauge physique.

Et finalement (j’avais dit que j’y reviendrais), le jeu me paraît valoir son prix. 40 euros pour un bouquin de 140 pages, je trouvais ça un peu raide. C’était sans compter la richesse du bouquin. Il va en effet à l’essentiel, et propose bien plus de contenu, au bout du compte, que certains ouvrages au background boursouflé et étiré en longueur (même mon chouchou, Star Wars, n’y échappe pas : j’ai dit à plusieurs reprises que les livres de la gamme pourraient facilement être dégraissés d’un tiers de leur contenu tant les redites y abondent… et pourtant, ils sont excellents, techniquement ! Simplement : qu’on abatte sommairement les gens qui écrivent les “nouvelles d’atmosphère”, car elles sont tout simplement médiocres et inutiles).

Les profils de PNJ et de créatures du bouquin sont variés, avec beaucoup d’originalités (ce sont eux qui m’ont poussé à faire des animaux-zombies). Les accroches proposées sont certes vues et revues, mais le bouquin les présente de façon synthétique : en une ou deux phrases, vous avez une idée de mini-scénario. Et si vous savez un tant soit peu improviser, vous n’avez pas besoin de grand-chose. Exemple : dans le décor “l’autoroute”, une des idées est : “les personnages tombent sur un camping-car plein de provisions, et apparemment abandonné”. Vous le voyez, le mot “apparemment” ? J’ai besoin de vous faire un dessin ? Et à partir de cette accroche, ce n’est pas bien compliqué de développer une scène complète : une attaque de zombies bien cachés, un survivant planqué, etc.

Alors oui, on utilise de grosses ficelles. Evidemment. Mais selon mon expérience, peu importe que vous utilisez des astuces évidentes. Peu importe qu’on voie un peu vos mains derrière les marionnettes. Dès que vous donnez aux joueurs l’occasion de briller, ça fonctionne.

Du coup, La Fin du Monde – Apocalypse zombie vous en donne pour votre argent. Que du concret. Rarement manuel de JDR aura consacré autant de pages aux idées de scénarios. Certes, ce sont des scénarios élémentaires, mais je suis persuadé que quand on veut jouer une Apocalypse zombie, ce sont ceux qu’on a envie de jouer. Et par conséquent, à 40 euros, je dirais qu’on en a pour son argent. Le seul souci, c’est qu’il va falloir repasser à la caisse pour les bouquins suivants, et que comme dans la gamme Star Wars, on vous revend le système de jeu (qui ne change pas d’un poil) en même temps que le background. A vous de voir si ça en vaut la peine. Dans la mesure où je ne paie pas ces bouquins (à part à la sueur de mon front, car donner des coups de fouet aux traducteurs, ça fatigue), je ne peux pas être complètement objectif. Une chose est sûre : je n’aurais pas hésité à acheter La Fin du Monde après l’avoir feuilleté, tant le format me plaît. Je ne peux le rapprocher que d’un autre excellent jeu, Barbarians of Lemuria, tout aussi condensé, simple et brillant (si vous êtes fan de Conan et si vous cherchez un bon système clefs en main pour 30 euros, avec lequel vous pourrez jouer demain soir parce qu’il est lu en quelques heures, allez l’acheter, c’est un must… et les illus sont à tomber).

Tout ça pour dire qu’il s’agit là d’un bel et bon jeu, qui est sans doute passé sous les radars de beaucoup de rôlistes par manque de personnalité. Et c’est sur cet aspect que je vais concluter. Mon problème, avec beaucoup de JDR, c’est qu’ils ont une personnalité écrasante. Leurs univers, certes très beaux, sont tellement détaillés et précis qu’ils ferment plus de portes aux joueurs qu’ils n’en ouvrent. La Fin du Monde n’a pour ainsi dire pas de personnalité. C’est un jeu de survie générique non pas dans ses règles, mais dans son concept même : en fait, c’est LE jeu de survie dans une apocalypse zombie. Sa personnalité se limite très précisément à cela.

Du coup, c’est de ce que vous y apporterez, en terme de contenu, que naîtra le plaisir de jeu. Et pour moi, il s’agit d’une des définitions de ce qu’est le jeu de rôle en général.

 

Ajouture

Une fois n’est pas coutume, je laisse la parole à quelqu’un d’autre, pour évoquer un aspect que je n’ai pas pu tester concernant le jeu : la possibilité de se jouer soi-même. Du reste, il ne s’agit pas tant d’une possibilité que du postulat de base du jeu. Je vous livre les impressions de Stéphane Fauvet, qui a eu la gentillesse de partager cette expérience ! Un grand merci à toi, Stéphane ! 

Notre MJ de La Fin du Monde : Apocalypse Zombie, un vieux briscard du jeu de rôle habitué à l’improvisation, nous a laissé trois possibilités : nous jouer nous-mêmes, nous jouer nous-mêmes mais en version améliorée par rapport à la réalité ou jouer des persos totalement imaginaires. Étant tous des vieux de la vieille, habitués à jouer des héros, nous avons choisi à l’unanimité de nous jouer nous-mêmes, tels que nous sommes, « pour voir comment ça se passerait réellement si ça arrivait… ».

La création des persos a été rapide. Nous nous sommes auto-estimés (« Je me mets 3 en Dextérité mais 2 en Logique » etc.) et nous nous sommes attribués des atouts et handicaps. Il faut évidemment pour cela faire preuve d’un peu d’objectivité et de bonne foi. Le tout a ensuite été validé par les autres joueurs (nous jouons ensemble depuis longtemps et nous nous connaissons tous assez bien) et la partie a pu commencer rapidement dans la foulée.

Le scénario a démarré tel que nous étions dans la réalité : en train de faire une partie de jeu de rôle, à mon domicile, tous ensemble (4 joueurs + le MJ). Sauf que, là, c’était moi qui masterisais  (Earthdawn) et que notre MJ était joueur.

Alors que nous étions en pleine partie (d’Earthdawn, il faut suivre), l’apocalypse zombie a commencé. L’un de nous a entendu un énorme bruit sourd provenant de la rue. Le joueur s’est levé (irl) et s’est dirigé vers la fenêtre. Lorsque le MJ lui a décrit le type ensanglanté chancelant qu’il distinguait dans la rue, le joueur a naturellement rétorqué « He, les gars, regardez le type en bas ! Il se croit à la zombie walk ? »

Quand on a vu que d’autres zombies commençaient à s’amasser dans la rue, et quand un voisin s’est faire mordre à son tour, on a vite compris. Instinctivement, on a joué comme si la situation était réelle, sans nous soucier de notre rôle. Et c’est là l’un des plaisirs de se jouer soi-même : on n’a pas à se demander comment réagirait notre perso, on parle et on agit plus naturellement. Nous avons cherché de quoi nous défendre dans l’appartement (« L’arbre à chat, ça peut faire une bonne massue ! », « Eh, j’ai le livre « Guide de survie en territoire zombie » de Max Brooks, ça peut servir ! »). C’est vrai que l’arbre à chat, je n’y aurais pas pensé s’il n’avait pas été à côté de moi irl, de même que le livre si on n’avait pas regardé dans la bibliothèque… Et comme nous l’avions réellement en main, le MJ nous l’a accordé dans le jeu !

Puis nous avons essayé de sortir de l’appartement et avons naturellement pensé à aller faire le plein de bouffe au supermarché d’à côté. Là encore, nul besoin de plan, nous nous représentions très facilement la sortie de l’immeuble, le quartier, le supermarché, ce qui améliorait encore l’immersion. Précisons au passage que je me suis fait griffer par le chat de  la voisine, devenu lui aussi zombie…

Je ne raconterai pas en détail la suite du scénar (prise en charge par l’armée, évacuation…) mais j’ai beaucoup apprécié de me jouer moi-même, qui plus est dans un environnement familier. Comme je l’ai dit, l’immersion n’en est que plus aisée, à tel point que je pense qu’on a tendance à réagir comme on réagirait réellement si la situation se présentait. Et puis ça fait froid dans le dos d’imaginer que tout cela pourrait réellement arriver et de voir comment les choses se dérouleraient… On a l’habitude de jouer des héros. Même dans des jeux non héroïques comme l’Appel de Cthulhu, je ne suis pas sûr que je ferais tout ce que font mes persos pour sauver le monde. Alors plutôt que de – encore – jouer un héros face, cette fois, à une apocalypse zombie, j’ai voulu voir ce qui m’arriverait si la situation m’arrivait à moi et à mes proches. Et j’ai adoré bien que, encore une fois, ça fasse aussi froid dans le dos puisqu’on n’a pas la distanciation Joueur-PJ habituelle dans les jeux de rôle.

Dernier détail, notre MJ a également fait jouer le début de l’apocalypse zombie à un autre groupe de joueurs, dans les mêmes conditions. Il y a eu un mort chez eux (aucun chez nous pour l’instant, mais je rappelle que j’ai été griffé par le chat-zombie de ma voisine…). Notre MJ continuera la campagne sur les deux tables et lorsqu’il y aura eu suffisamment de morts, il réunira les survivants en une seule table. Vivement la suite donc, en espérant survire le plus longtemps possible…

Enfin, j’aimerais bien aussi tester les autres jeux Fin du Monde, dans les mêmes conditions, toujours « pour voir combien de temps on survivra si ça devait arriver… »