Nostalgeek – 10 jeux de rôle papier qui m’ont marqué – Jour 9 : ah merde…
Je sais pas vous, mais moi, les listes de 10 trucs, ça me fascine. Comment le mec (ou la nana) arrive à se dire : oh, dans ma vie, j’ai eu l’honneur et l’avantage d’essayer exactement 37 recettes à base d’oeufs durs, mais il y en a clairement dix, pas une de plus, qui ont vraiment affecté mon Kung-Food. Et là, bim : “Les dix façons d’accommoder les oeufs durs qui vont mettre Poudlard dans ton assiette”. Quand on lit le machin, on se dit : bon, et la onzième, genre ? Si c’était LA recette dont j’avais envie, en fait, dont j’avais BESOIN ? Où qu’elle est ?
Bon, sauf que personne n’a besoin de onze recettes pour les oeufs durs, même déjà trois c’est limite (et c’est pas la peine de venir raconter vos recettes toutes moisies en commentaires, non mais des fois…), mais vous avez compris le message.
Quand j’ai entamé cette série de posts, je me disais que je n’aurais aucun mal à arriver à 10 jeux, et qu’il allait falloir écrémer, en fait. Je me suis donc fixé quelques règles élémentaires : je ne parlerais que de jeux qui avaient réellement changé ma façon de jouer ou d’envisager le JDR dans son ensemble, ceux qui avaient eu un effet réel sur moi, un effet durable.
L’Oeil Noir a été mon premier JDR : difficile de trouver changement plus radical.
James Bond m’a montré qu’on pouvait tromper le hasard grâce aux points d’héroïsme et m’a appris à créer mes propres règles foireuses.
Batman et DC Heroes ont été ma plus longue histoire d’amour rôlistique et proposaient le système le plus cohérent et élégant à mes yeux.
Unknown Armies m’a ouvert un univers contemporain fantastique complètement inédit, et surtout, surtout, m’a montré que l’humour et la perception de l’absurdité avaient un sens profond, tout en me permettant de comprendre qu’un simple jeu de rôle peut altérer la façon dont on voit le monde et même la vie.
L5A m’a appris que l’authenticité historique est une illusion et qu’on peut écrire un soap opera dans n’importe quel contexte. C’est également ce jeu qui a initié ma carrière de traducteur.
COPS m’a appris à écrire un soap opera dans n’importe quel contexte et m’a permis de prendre conscience du fait qu’on ne sait pas écrire de façon innée. On apprend, toujours sur le tas, toujours sans filet.
Apocalypse World m’a montré que l’écriture n’était pas la seule activité prétendument liée au seul talent et que l’on pouvait apprendre à mieux pratiquer grâce à une méthode et à une analyse. Je me suis rendu compte en le lisant qu’on pouvait créer des systèmes reproduisant les méthodes de création littéraire pour en faire des méthodes de semi-improvisation à la table.
Star Wars m’a permis de comprendre qu’on pouvait encore faire du très bon avec du très classique en optant pour un angle inédit (les vauriens et leur vie dans la Bordure), avec des méthodes audacieuses (le système de dés original), mais à condition de respecter tous les codes du matériau d’origine (Star Wars reste Star Wars).
Chacun de ces jeux m’a énormément influencé, et fait désormais partie de mon ADN rôlistique : tout ce que je fais dans ce domaine (et dans d’autres) en conserve des traces. Pour moi, ce ne sont pas simplement des jeux “importants”, ce sont les jeux sans lesquels je ne serais pas moi-même : chacun d’entre eux a contribué à façonner et à altérer mon identité rôlistique… et mon identité tout court. Aucun autre que ces huit-là ne m’a formé davantage. En rajouter deux autres (ou en retirer un de la liste) serait totalement artificiel. J’ai beaucoup réfléchi : c’était une évidence quand j’ai rédigé une liste préparatoire, c’est devenu une certitude argumentée au fil de la rédaction des posts précédents.
Bien sûr, ça ne veut pas dire pour autant que je n’ai pas été marqué par d’autres jeux. Par exemple, le jeu Bimbo m’a épaté par la cohérence entre son propos et sa réalisation. Bimbo est une formidable réussite, et un travail d’analyse pertinent. Mais avec le recul, Bimbo n’a pas changé entièrement ma façon de voir les choses : ce jeu a fait partie d’un processus de prise de conscience de certains faits (notamment la nécessité de développer des systèmes mécaniques qui reproduisent non pas la réalité, mais les codes de certaines fictions), mais il ne l’a ni déclenché ni achevé. Ca n’en reste pas moins un excellent jeu, sur lequel je recommande à tout game designer de se pencher.
Je dois donc citer les jeux que je considère comme les plus aboutis dans leur domaine et qui, comme Bimbo, sont importants pour moi (et importants tout court, à mon avis).
D’abord Fiasco de Jason Morningstar (des fois, je voudrais bien m’appeler Sandy Strange ou Lysander Awesome, mais voilà, y a des gens qui s’appellent Morningstar. Ma seule consolation, c’est d’avoir travaillé sur la gamme Warhammer avec des gens dont le nom de famille est Marteau, Hammer et Taillefer). Qui n’est pas conçu entièrement comme un jeu de rôle. Dans Fiasco, il n’y a pas de maître de jeu, pas d’intrigue prédéfinie (juste un “cadre”, c’est à dire, en gros, une liste d’éléments disponibles pour développer la fiction), pas de “règles de résolution des actions”. Si je devais absolument réaliser une liste de 10 éléments, Fiasco y figurerait sans doute. Très artificiellement, donc, mais il faut bien reconnaître qu’il y aurait sa place. Je n’ai pas suffisamment joué à Fiasco pour qu’il déborde sur le reste de mon activité rôlistique (fort réduite aujourd’hui par manque de temps), mais le jeu est tout simplement parfait. Pas besoin d’être rôliste pour y jouer, d’autant qu’il se prête à des expérimentations variées, de par sa forme spécifique (chaque partie est un “one-shot”). La forme, justement, est aussi un des points forts du jeu : pas de blabla, une maquette élégante, des illustrations formidables dans le style de l’affiche du film Autopsie d’un meurtre… Fiasco fait partie des jeux qu’il faut avoir pratiqués au moins une fois, mais qui nécessite des partenaires efficaces et motivés : seule une implication totale permet d’en tirer le maximum.
Ensuite, Tenga, qui n’est pas qu’un sex-toy. Ce jeu formidable est le fruit du travail de Jérôme “Brand” Larré, qui est un game designer formidable, et un enfoiré quand il est maître de jeu (on n’a pas idée de créer des dieux fragiles au point de se faire bouffer par des dragons, moi je dis… private joke, wink wink, tu peux pas test). Tenga est un jeu simple et élégant, plein de mécanismes inédits et d’idées excellentes, dont la lecture suscite un véritable bouillonnement d’imagination. Toutefois, je n’ai pas eu l’occasion de le tester, et au moment où je l’ai lu, j’étais déjà en overdose de Japon médiéval à cause de L5A. Ce jeu a également marqué le début d’une belle amitié, ce qui ajoute encore à sa valeur à mes yeux.

Illustration pompée sur internet comme un salaud, parce que je n’ai pas pu remettre la main sur mon exemplaire du jeu ce matin…
Sombre de Johan Scipion est le meilleur jeu de rôle d’horreur que j’aie jamais lu, et c’est également une leçon de gamedesign unique en son genre. Régulièrement, je passe en mode Caton l’Ancien chez Edge en martelant “Sombro Publicanda est” (“Il faut éditer Sombre dans une belle collection avec une maquette de ouf’ et des illus de dingue, allez, faites pas vos crevards, les gars, c’est un truc qui marcherait”), mais ça ne marche pas vraiment et c’est dommage. Sombre est publié sous forme de fascicules qui coûtent une bouchée de pain (il y en a 8 plus les hors série à l’heure où je vous parle), et vous ne trouverez sans doute jamais un meilleur rapport qualité-prix dans aucune gamme de jidéhaire. Il faut aimer les codes des films d’horreur pour jouer sereinement à Sombre, mais si vous n’y êtes pas allergique, vous n’avez absolument aucune excuse pertinente pour passer à côté. C’est simple, élégant, et surtout… poutrin que c’est bien écrit ! Johan écrit dans un style toujours limpide et dense, une qualité que je n’ai retrouvé que dans Unknown Armies 3e édition à ce jour. Sombre est presque parfait. Si je devais lui trouver des défauts, ce serait la sobriété de sa maquette, peut-être (encore qu’elle le rende parfaitement lisible et exploitable, mais un peu de vavoomboomshakalaka visuel pourrait encore l’améliorer), et l’absence d’illustrations en dehors des couv. A côté de ça, c’est un sans faute absolu. S’il ne fait pas partie de la liste, c’est simplement parce que je n’y ai pas suffisamment joué, mais il prouve que simplicité ne signifie pas (tant s’en faut !) simplisme, et accorde autant d’intérêt à la façon de jouer qu’aux mécanismes de jeu. C’est une vraie leçon de maîtrise, à laquelle il n’existe aucun équivalent sous ce format.
Barbarians of Lemuria, alias BoL (comme dans “c’est pas de…”, mais à l’inverse, en fait). Une expérience éditoriale comme il n’en existe que très peu : traduire et étoffer un “petit” jeu de Sword & Sorcery à la Conan, y ajouter des illustrations absolument époustouflantes (du talentueux Emmanuel Roudier, qui prouve en outre qu’on peut tout à fait réaliser des visuels “à la Conan” en évitant le sexisme mais en mettant quand même des roploplos et des bistouquettes par-ci par-là), saupoudrer ça d’une quantité conséquente de petits scénars… Et on a un jeu au rapport qualité-prix presque sans équivalent (Sombre excepté), idéal pour ceux qui aiment les systèmes simples mais ayant de la personnalité. Et comme en plus il y a du Vincent Basset dedans, c’est encore mieux (Vincent, tu peux m’envoyer mon chèque quand tu veux). Sérieusement, si vous voulez un jeu un peu “méd-fan” pour des parties fun, sans avoir à vous fader des tonnes de règles, avec un univers riche mais pas chiant… ben vous savez ce qu’il vous reste à faire. Barbarians of Lemuria (ou Lemurians of Barbaria) ne m’a pas retourné le cerveau. Il ne fait que des choses simples, mais il les fait à la perfection. Rien ne dépasse. Tout est bon, là-dedans, tout est 100% fun, mais un fun maîtrisé et abouti. Si je venais de commencer le JDR, je ne voudrais plus jouer qu’à des choses aussi simples et belles.
Voilà, j’avais quand même envie de parler de ces quatre-là, parce que ce sont mes chouchous, ceux que j’aime d’amour mais qui n’ont pas leur place dans la catégorie “plus rien ne sera jamais comme avant”. Et voilà, les 10 jeux, c’est fini, on est allé jusqu’à 8, c’est déjà pas mal, et je pense que je vais entamer “les 800 films que je surkiffe” en m’arrêtant à 34 environ, et puis…
Ah mais attendez voir, j’avais quand même promis 10 jours de posts, et là je vois déjà qu’il y en a, au fond, qui aiguisent les torches et allument les fourches…
Alors qu’en fait, j’ai une petite idée. Un dernier article à écrire. Un article pertinent, en plus. Ouais, on va faire comme ça. Bon, qu’est-ce que vous diriez si je vous parlais de…
Ah merde, plus le temps. On en parle demain !
Nostalgeek – 10 jeux de rôle papier qui m’ont marqué – Jour 8 : COPS
Attention, chute de noms : va certainement y avoir un name-dropping de ouf dans ce post, vous êtes préviendus, sortez pas sans vos paranames.
En janvier 2003 sort un des jeux français qui connaîtront la plus longue carrière : COPS, d’Asmodée-SIROZ, sous la houlette de Croc et de Geoffrey Picard. Le principe d’un jeu consacré à des flics me paraît extrêmement novateur, même si en réalité, il s’agit un peu d’un revival de Berlin XVIII (sur ce sujet, je ne me permettrai pas d’analyser davantage, car je ne connais pas suffisamment ce dernier).
Travaillant souvent pour Asmodée à l’époque, j’exprime mon admiration devant le livre de base, qui regorge d’excellentes idées : le jeu se passe dans un futur très proche, en Californie, et on y interprète des flics “ordinaires” mais dotés d’une mystique originale, qui va s’affiner au fil des suppléments d’une gamme qui ressemble à une caisse de TNT. Extrêmement dense à l’origine, elle explose et s’éparpille, pour partir parfois dans des directions complètement inédites, qui ne seront pas toujours du goût de tout le monde.
Geoff va me proposer d’écrire dans COPS à partir du troisième ouvrage de la gamme, et de vivre une expérience extraordinaire au sein d’une équipe de créatifs formidables : Benoît Attinost (Within), Jérôme Larré (Tenga, Guts… non, je déconne, Guts ça sortira en 2040), Charlotte Bousquet (cherchez dans Google j’ai pas le courage de faire une biblio tellement elle a écrit de trucs cool), Thomas Cheilan (INS/MV), Frédéric Frugier (COPS, et une palanquée de statuts et de posts hilarants sur facebook mais vous pouvez pas test), Olivier Noël (Berlin XVIII – AH ! J’vous l’avais bien dit ! – Olivier, c’est aussi le mag Ravage), Nicolas Benoist (COPS, mais surtout COPS et pas mal de COPS), Jean-François Beney (Raise Dead éditions, c’est lui ! Et c’est aussi un mec absolument génial), Stéphane Gantiez (des illus de ouf, Mythic Battles !), Aleksi Briclot (faites un tour sur google, vous serez pas déçus), Christophe Swal…
… et bien plus encore (comme on dit sur les boîtes des jeux Edge du début du siècle).
Au milieu de ces pointures, je me sens un peu paumé, d’autant que mes références en terme de fiction policière se limitent essentiellement à Starsky et Hutch, NYPD Blues et Witness. Mes petits camarades me parlent d’énigmatiques séries qui passent sur des chaînes auxquelles je n’ai pas accès (The Wire, The Shield…), évoquent des auteurs de polars que je ne connais pas. Je me sens un peu largué, et si vous ne savez pas ce qu’est le syndrome de l’imposteur, prenez votre Delorean, faites un bond de 15 ans en arrière et venez me demander, je vais vous montrer à quoi ça ressemble.
Geoff me confie des articles sur la mafia, et au bout de quelques semaines, je lui dis que je n’y arriverai pas, que mes idées sont aux antipodes de ce qui se fait dans le bouquin de base et que j’ai l’impression d’écrire hors-sujet depuis le début. Geoff me répond : “continue, tout le monde a cette impression-là. Si tu fais un truc très différent, tant mieux, et si c’est de la merde, je te le dirai.”
Certains joueurs se plaignent de mon traitement mystico-magique de la mafia irlandaise, comme je m’y attendais… mais curieusement, quelques-uns apprécient. Et Geoff me confie d’autres jobs sur la gamme. COPS va devenir un immense champ d’expérimentations rôlistique pour tout ce vivier de créatifs. La direction de la gamme reste plutôt vague, permettant à chacun de tenter de dépasser ses limites, au détriment de la cohésion, peut-être, mais en favorisant la variété.
COPS devient une gamme ultra-dense, sans doute impossible à jouer “by the book” tant elle se complexifie au fil des suppléments. Ceux-ci sont répartis en “saisons”, comme une série télé, et on assume complètement cet aspect en présentant l’évolution du background par l’intermédiaire de petites nouvelles intitulées “LAPD Blues”. Le livre de base a présenté tout le microcosme où évoluent les flics, avec une belle galerie de personnages : les faire évoluer (toujours en les prenant à contrepied en ce qui me concerne, histoire de surprendre les joueurs) constituera un des plus grands plaisirs de ma carrière d’écriteur jeuderôlier.
Je m’efforce de sortir un maximum des sentiers battus, quitte à frôler fréquemment le WTF, mais j’apprends aussi à écrire à peu près correctement, et surtout à produire des “instantanés de la vie des PNJ” pour nourrir l’imagination des lecteurs. Je ne suis pas peu fier de certaines méthodes, comme celle qui consiste à faire dire à certains flics célèbres du monde de COPS des choses comme : “machin et trucmuche ont bien assuré pendant l’enquête sur XXX.” J’écris vraiment “machin et trucmuche”, mais je donne les détails de l’affaire XXX, qui est bien évidemment un des scénarios du supplément précédent, pour donner aux joueurs l’impression d’être réellement inclus dans l’univers de jeu.
Car l’équipe d’origine a développé des idées extraordinaires : par exemple, la publication d’un petit journal interne (accessible par souscription) qui raconte la vie du commissariat et l’évolution du background. Asmodée met en place des événements qui permettent également aux joueurs de choisir certains éléments marquants.
Mais au bout de quatre ans, la gamme s’essouffle. L’équipe a beaucoup écrit (trop, diront certains), et il est temps de clore le récit. Asmodée pousse néanmoins jusqu’au bout et édite un dernier supplément, “Endgame”, qui clôt la majorité des intrigues dans une atmosphère douce-amère. Evidemment, comme le jeu s’est développé de façon organique, il reste tout de même beaucoup de mystères et d’éléments inexpliqués… mais la gamme aura eu un début et une fin.
En 2007, le JDR n’est plus vraiment le fer de lance des activités d’Asmodée (qui aura pourtant soutenu COPS jusqu’au bout, contre vents et marées, les derniers suppléments ne connaissant pas un succès énorme au-delà de la petite sphère des fans de la première heure) et le jeu, malgré un bref revival (une simple réédition un peu augmentée, chez Oriflam), ne connaîtra pas de réincarnation. Il aura cependant offert une longue expérience rôlistique de qualitay (enfin, j’espère…) et permis de belles rencontres et de formidables expériences. Tous les auteurs auront bénéficié d’une belle liberté sur cette gamme, qui nous a permis de développer des choses inédites dans un contexte de travail unique.
Nostalgeek – 10 jeux de rôle papier qui m’ont marqué – Jour 7 : Star Wars – Aux Confins de l’Empire
En général, j’ai du mal avec les mécaniques de jeu très complexes. Les jeux qui ménagent d’innombrables subtilités techniques m’amusent à la lecture, mais une fois à la table de jeu, j’oublie tout. Enfin… je me rappelle les règles de base, mais tout le reste m’échappe. Par conséquent, il existe très peu de jeux que j’ai envie de maîtriser longtemps : dès qu’une gamme se développe, les auteurs se sentent obligés d’ajouter des règles “annexes” très complexes, parfois si distinctes du corpus de base qu’elles forment un jeu complet à elles seules.
Prenons l’exemple de l’Anneau Unique. C’est un excellent jeu. A mes yeux, il s’agit d’une des rares réussites d’adaptation d’une licence littéraire sous forme rôlistique (je parle bien d’une oeuvre précise adaptée sous une forme spécifique qui vise à en analyser les codes pour les reproduire de manière ludique). Eh bien dans l’Anneau Unique, il existe tout un pan de règles consacré aux voyages, qui nécessite de recourir à certains types de jets de dés spécifiques, pour obtenir tel ou tel résultat, et aboutir à telle ou telle conséquence… C’est tout simple, il suffit de connaître les jets de dés à faire, de tirer en gros sur des tables, et pouf, c’est réglé.
C’est tout simple, mais il y a absolument zéro chance que je fasse ça de tête ou d’instinct. Or, c’est un des aspect vraiment très codifiés et caractéristiques du jeu : si je passe à côté, autant jouer à D&D (dont la 5e édition est absolument géniale : une lecture technique complètement dépourvue du moindre intérêt, et un immense plaisir une fois à la table de jeu). Ca n’enlève rien à la quasi-perfection de l’Anneau Unique (dont la gamme contient en outre des scénarios que je trouve idéaux), mais je sais que ce ne sera pas le grand amour rôlistique pour moi. “Juste” un jeu excellent, mais dans lequel je n’ai pas envie d’investir mon énergie et mon temps (pour le moment).
C’est sans doute pour ça que mon palmarès personnel des règles de jeu de rôle est réservé à trois jeux seulement.
D’abord il y a les PbtA (les jeux “powered by the Apocalypse”, c’est à dire dérivés d’Apocalypse World) : ils n’utilisent qu’un mécanisme simplissime (jet de 2d6 plus un petit bonus, réussite sur 10 ou plus, réussite mitigée sur 7-9, “échec” sur 6 ou moins) et tous les autres mécanismes sont décrits en détails sur les “fiches de perso”, de la façon la plus élémentaire possible (“si X se produit, faites Y”).
Ensuite, il y a DC Heroes (et ses dérivés) : dans ce jeu, TOUT est résolu par le même type de jet de dés. L’exemple le plus frappant, c’est celui des achats matériels dans le jeu. La fortune des personnages est représentée par une valeur (comme leur force, leur agilité ou leur charisme) et pour acheter un objet, ils doivent réussir un jet de dés opposé à la valeur de ce dernier (calculée de façon extrêmement simple : un coup d’oeil à un tableau unique, qui vaut pour tous les types de valeurs – valeur en dollars, distance, temps, volume, etc. – suffit à l’obtenir immédiatement). Tout, dans le jeu, est convertible en points AP (un concept génial) : on peut additionner des durées et des distances, des torchons et des serviettes… et ça fonctionne. Créer un gadget, obtenir un pouvoir ou apprivoiser un tyrannosaure de compagnie : même combat, il suffit d’attribuer des AP au machin en question. Il n’existe aucune exception à la règle de base, tout se résout exactement de la même façon. Il s’agit du système le plus cohérent que j’aie vu dans un JDR.
Et finalement, suspense… Star Wars – Aux Confins de l’Empire paru chez FFG, puis chez Edge en VF. Au début, je n’étais pas forcément enthousiasmé par le jeu, mais je m’y suis fait presque immédiatement. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui me plaît dans ce jeu, mais simplement rappeler à quel point j’apprécie ce mélange d’aspects narratifs (il faut interpréter les résultats des jets de dés comme on interpréterait, par exemple, un tirage de tarot) et tactiques (l’air de rien, la mécanique de ces règles est réellement bien pensée, très souple et propice à la création de belles rencontres stratégiques pour ceux qui veulent jouer à “piou piou on dirait que j’aurais tué les stormtroopers”).
Et mieux valait pour FFG que ce soit réussi, vu l’étendue de la gamme, désormais séparée en trois parties : les vauriens, les rebelles, les Jedi. De ce point de vue, d’ailleurs, Aux Confins reste mon jeu préféré : les affrontements Rebelles/Empire, j’ai l’impression d’avoir déjà tout vu (ce qui explique pourquoi un film comme Rogue One m’en a remué une sans faire bouger l’autre), les récits mettant en scène les Jedi sont systématiquement foireux à mes yeux tant ils cherchent à présenter des intrigues à grande échelle (mais dont on se retrouve déconnecté émotionnellement et qui n’ont au bout du compte qu’un impact infime – exception : les épisodes 7 et 8, qui m’ont beaucoup plu, justement parce qu’ils traitent l’intrigue à grande échelle comme étant anecdotique et insistent, parfois jusqu’à l’excès, sur les troubles personnels)…
Et là, je vais dériver vers un sujet geek mais un peu moins rôlistique… Je pense que la grande histoire de Star Wars a déjà été racontée : c’est celle de la victoire sur l’Empire, et c’est celle du dernier Jedi, Luke Skywalker (je dis dernier, parce que… Rey est-elle un Jedi ? J’aurais tendance à dire que non, et que c’est ce qui fait d’elle un personnage aussi extraordinaire). En matière de menace à grande échelle, de péril galactique, comment peut-on surpasser le triomphe de la liberté sur le carcan du nazisme ? (Je ne vois pas comment désigner l’idéal impérial autrement, et l’inspiration de Star Wars, c’est quand même les dogfights aériens de la Seconde Guerre mondiale, donc on va laisser tomber les nuances et les oeillères, hein.)
Y a-t-il vraiment un grand conflit militaire à raconter dans Star Wars ? Ou plutôt : ce genre de conflit a-t-il la moindre chance d’avoir la même résonance, le même impact, que la bataille pour l’éradication de l’Empire ? Je ne parle pas d’une bataille pour détruire un gros truc qui tue les planètes, ni d’une victoire militaire. Je parle de se libérer de l’emprise de forces malfaisantes opérant à l’échelle de la galaxie. Cette histoire-là a déjà été racontée, c’est fait. Quand on casse le gros joujou du “Nouvel Ordre” dans l’Episode VII… c’est une redite, ou plutôt un écho. Ca ne peut pas faire autant de bruit que la destruction de l’Etoile Noire. Been there, done that. Heureusement, les épisodes 7 et 8, bien plus futés qu’ils ne le paraissent, se servent de ces passages obligés sans s’y focaliser.
Je me rappelle d’une critique d’un scénario paru pour le jeu Star Wars (la version d6), où l’auteur se lamentait que le récit aboutisse une fois encore à la destruction de l’arme géante de l’Empire.
Je vous ai dit que j’avais bien aimé le film Solo ?
En fait, ça va un peu plus loin que ça. J’ai beaucoup aimé, déjà. Davantage que Rogue One avec ses personnages désespérés au point de ne plus rien ressentir, et d’être capables de se sacrifier pour une cause somme toute absurde, sans nourrir le moindre espoir de profiter de leur victoire. J’ai trouvé ces personnages aussi gâchés dans l’intrigue qu’ils l’étaient dans leur monde : Rogue One les déshumanise complètement en n’en faisant que des pions (malgré quelques fulgurances d’émotion, mais il faut que je revoie le film pour savoir si l’impression très froide qu’il m’a faite est justifiée).
Solo présente des personnages très terre à terre : ce ne sont pas des idéalistes, des héros. Ils vivent dans un univers très concret, où on ne passe pas son temps à se taper sur la gueule à coups de néons, mais où les gens ont des vies compliquées, où des minorités subissent le contrecoup désastreux d’une politique qui veut imposer la prospérité et l’ordre sans se soucier des vies que la machine impériale va sacrifier (oh mince, ça me rappelle un truc…). J’ai beaucoup moins de mal à m’identifier à Solo, dont l’objectif consiste à sauver ses fesses et à retrouver sa copine, qu’à Erso qui, une fois son père retrouvé, n’est mue que par… euh, par quoi ? Excepté un désir de vengeance qui la pousse à servir une cause qui n’a que faire d’elle excepté lorsqu’il s’agit de l’utiliser, jusqu’au sacrifice.
Les personnages d’Aux Confins de l’Empire sont curieusement ordinaires. Certes, ils comptent des mercenaires et autres gros bras, mais aussi des… colons. Des médecins qui ne sont pas forcément des médecins de guerre. Des survivants, pas des soldats. Cet angle-là est inédit et me plaît beaucoup (mais j’en ai déjà suffisamment parlé). C’est celui qu’adopte Aux Confins de l’Empire.
Pourtant, le jeu a des défauts. Le premier, c’est son chapitre background, digeste comme une tarte à la semelle avec nappage de caca. “Comment remplir un formulaire de sécurité sociale dans l’univers de Star Wars”, c’était obligatoire, comme encadré ? (J’exagère peut-être un tout petit peu…). Le chapitre est mal écrit, dispensable, et tout simplement mauvais. Si on veut savoir ce qui se passe dans l’univers Star Wars, il vaut mieux se tourner vers celui de l’équipement, qui est paradoxalement bien plus parlant et vivant. Le reste de la gamme est du même tonneau : les aspects techniques sont excellents, d’autant que chaque supplément consacré à une classe donne au maître de jeu d’excellents conseils pour créer des aventures qui permettent de mieux l’exploiter et la mettre sur le devant de la scène. Les nouvelles d’introduction sont au contraire d’une médiocrité affligeante, et le texte VO est un festival de redondances : les auteurs “tirent à la ligne”, et on pourrait sans doute retirer un bon tiers (voire une moitié, pour certains) de chaque bouquin sans lui faire perdre sa substance.
Ca n’empêche, Star Wars – Aux Confins de l’Empire est tout simplement mon jeu préféré. Il se déroule dans un univers que j’adore, utilise un système cohérent et clair, et présente le ration narration/tactique idéal pour moi.
Et en plus, j’y joue avec des gens bien.
Nostalgeek – 10 jeux de rôle papier qui m’ont marqué – Jour 6 : Legend of the Five Rings
Ceux qui me connaissent un tant soit peu se doutaient que Legend of the Five Rings (rebaptisé “Le Livre des Cinq Anneaux” en VF pour faire le lien avec le livre de Miyamoto Musashi), alias L5A, ferait partie de la liste. Ce jeu n’a pas fait que me marquer. C’est grâce à lui que je suis traducteur aujourd’hui.
A la sortie de L5A, en 1996, je lis dans Backstab un article dithyrambique et un poil mensonger : les auteurs – je crois qu’il s’agissait de Croc et de Geoff Picard – prétendent, les filous, que le jeu est livré “clefs en main”. Il n’en est rien. Le jeu de rôle, tiré d’un jeu de cartes à collectionner encore un peu obscur mais qui jouit d’un beau succès grâce à ses mécaniques et à son décor originaux (il y a plusieurs façons de gagner une partie et il se déroule dans un univers de fantasy inspiré – certains diraient “vaguement” – du Japon), présente un pays en pleine tourmente : c’est la Guerre des Clans, qui voit s’affronter neuf factions majeures dans le pays mythique où mon cerveau va habiter pendant des années, Rokugan, l’Empire d’Emeraude.
L’auteur principal du JDR, John Wick, a su trouver un angle inédit : plutôt que de reprendre le contexte exact du jeu de cartes, qui se déroule précisément pendant la guerre, il situe l’action du JDR quelques années avant. C’est un coup de maître, et une belle opération marketing à retardement. En effet, on ne connaît encore l’histoire de Rokugan que par l’intermédiaire des “flavor texts”, de petits textes d’ambiance que l’on trouve en bas de certaines cartes du JdC, ainsi que par de brèves nouvelles accompagnant certaines boîtes de base. Tout l’art des auteurs du JdC et du JDR va consister, des années durant, à dévoiler d’une part le déroulement de la Guerre des Clans (déroulement sur lequel influent directement certains “événements” : lorsqu’un tournoi de JdC officiel est organisé, son issue détermine fréquemment un tournant marquant dans la guerre) et d’autre part ses origines par le biais du JDR. Dans les pages des innombrables suppléments de ce dernier, on découvre des personnages bien plus jeunes, et parfois encore naïfs, du contexte du JdC : la féroce Matsu Tsuko, l’obsessionnelle Mirumoto Hitomi, le Yoda de service Kakita Toshimoko, le mystérieux Bayushi Shoju…
Plus qu’un contexte, le background du jeu est un casting, une formidable galerie de personnages, telle que le JDR n’en connaîtra plus jamais. Chaque supplément consacré à une faction dévoile des dizaines de personnages nouveaux, ainsi que leurs passés, mutuels et respectifs. Les chroniqueurs de Backstab ont menti par passion : en l’état, le background présenté dans le livre de base, s’il est très détaillé, ne donne qu’une vision floue (au mieux) de la “réalité” de l’Empire d’Emeraude. Certains personnages sont à peine esquissés, des mystères essentiels sont cachés même au MJ : l’identité de Togashi Yokuni, par exemple, qui sera heureusement révélée dès le premier supplément, lequel donne le ton à la gamme. L5A sera une gamme “à secrets”, extrêmement riche et dense. On ne peut se permettre de manquer un supplément, car c’est seulement la façon dont ils s’articulent qui permet de comprendre l’univers de jeu (je pense à la romance entre Doji Hoturi et Bayushi Kachiko : il faut avoir lu au moins les deux suppléments consacrés à leurs clans respectifs pour en comprendre tous les tenants et aboutissants).
Quelques années plus tard, AEG essaiera de reproduire la magie avec un univers présenté de la même façon : celui de 7th Sea, qui n’aura pourtant pas autant de succès en France. Les factions présentées dans le jeu ne sont pas aussi étroitement liées que les clans de Rokugan, les auteurs (et en particulier John Wick) sont fatigués, et même si la gamme sera au bout du compte très complète et élégante, elle ne connaîtra pas de deuxième édition avant… 2017 ! (avec un remaniement complet des règles et énormément de changements dans le background…)
Le jeu me passionne immédiatement : le Japon légendaire de L5A arrive à point nommé dans une période de ma vie où j’ai besoin de m’évader. En 1998, à la sortie de la gamme en VF, j’acquiers le livre de base, puis des suppléments VF… et VO. Un des fans américains, Rich Wulf, publie sur internet une saga parodique reprenant avec talent les thèmes du story arc Hidden Emperor. Wulf exploite avec un humour hilarant les “trous” du background : à l’époque, de nombreux mystères planent sur l’histoire de L5A. Wulf les explique tous de la façon la plus ridicule possible : l’empereur Toturi y est transformé en poulet, par exemple… La saga me fait tellement rire que je la traduis pour la publier sur mon site internet consacré au “Clan de la Grenouille” (à l’époque, chacun se fait un petit clan mineur dans son coin, et comme je fais encore partie des rares Français à m’exprimer un peu sur la mailing-list anglophone du jeu, la grenouille des froggies me paraît être le symbole idéal). Le Site de l’Elfe Noir me confie brièvement une page consacrée au jeu, où j’aurai l’occasion d’écrire quelques rares articles avant de passer la main.
Une mailing-list française se développe et c’est l’occasion pour moi de communiquer avec la communauté des fans du jeu. C’est une période faste pour les rôlistes. Les premiers “trolls” font d’ailleurs leur apparition : quelques-uns des participants à la mailing-list ont pour habitude de monter très vite dans les tours et de se balancer assez vite des noms d’oiseaux… Fierté de ma carrière : pour apaiser les esprits, je crée une soupape de sécurité sous la forme d’un sous-groupe, celui du clan des Polukko (si on le prononce “à la japonaise”, ça donne “le clan des ploucs”). Les fortes têtes du groupe (moi y compris !) s’y réunissent, et c’est l’occasion de dire énormément de bêtises sans polluer la ML principale. My work here is done.
Mais pas tout à fait. Au fil des conversations, j’échange avec Mike Croitoriu (ça fait deux fois que je le name-drop et c’est bien fait pour lui), qui jette un coup d’oeil à mes trads de Wulf et me propose de faire un bout d’essai chez Asmodée, la boîte qui traduit L5A. Je rencontre Mike en live au salon du Monde du Jeu, le courant passe et finalement, c’est sur 7th Sea (qu’Asmodée traduit également à sa sortie) que je ferai mes premières armes. J’enchaînerai en traduisant sur les deux gammes en parallèle, même lorsque L5A passera dans le giron de Edge (après l’arrêt de la 2e édition chez Asmodée : on entre dans la traversée du désert rôlistique en France).
Pendant que 7th Sea s’éteint doucement, L5A poursuit toutefois son bonhomme de chemin, passant par pas moins de quatre éditions (voire cinq si l’on ajoute une adaptation assez calamiteuse au système D20), dont la dernière est la plus aboutie. Si l’univers s’étoffe, rien ne saurait remplacer l’enthousiasme des premières heures, de la découverte d’un récit inédit avec ses innombrables figures marquantes. En outre, il est difficile de rivaliser avec les menaces qu’affrontaient les personnages de la “grande époque” : les méchants se succèdent, mais aucun ne sera aussi réussi que Fu-Leng (et le terrible Iuchiban). Des suppléments français verront le jour (et on y assistera au développement ou à la naissance de belles plumes), ainsi qu’une nouvelle communauté, la Voix de Rokugan. Mais pour moi, le temps de la passion pour L5A est terminé : j’ai lu tous les ouvrages des quatre gammes (exception faite de quelques bouquins de la 4e), j’en ai traduit ou relu la majorité… L’affection demeure mais le charme a disparu.
Récemment, on apprend qu’une nouvelle version de L5A va sortir, avec un système inspiré du Star Wars de FFG. Pour le moment, je ne m’enthousiasme pas encore, mais j’avoue que je suis curieux de voir ce que ça donnera. C’est à l’Empire d’Emeraude que je dois ma carrière (et de belles heures de plaisir rôlistique) : lorsqu’on m’appellera, je répondrai présent comme toujours.

Sandy Julien
Traducteur indépendant
Works in Progress
- Secret World Domination Project #1 44%