Marianne

ah non merde, celui-là, il est flippant, mais pas pareil…
Ca se sait un peu, je suis notoirement allergique aux productions ciné et télé françaises. C’est une forme de snobisme de ma part, ou peut-être de populisme au contraire (j’ai tendance à penser que l’intrigue de 99% des films français se résume à : “Elle et lui dans un couloir mal décoré pendant 90 minutes et on attend de voir ce qui se passe” ; et quand c’est pas un film de boules, faut reconnaître qu’on s’ennuie).
Les films français m’ennuient (même s’il en existe de très bons ; j’aime bien ceux de et avec Dupontel, par exemple) au mieux, me font honte au pire. Rien que de voir certaines bandes-annonces au ciné, c’est une vraie torture mentale. Et il y a un truc qui m’exaspère réellement, c’est la diction façon “comédie française” des comédiens censés incarner des gens de tous les jours. Pourtant, le réalisme des dialogues, c’est possible ! Ecoutez un peu les personnages de Kaamelott : on dirait des vrais, boudiou ! Ils parlent comme vous et moi (surtout comme moi si c’est Merlin ou Perceval, en fait). Mais tout ça, ce n’est pas une question de modernité : dans le ciné d’Audiard (par exemple), on causait comme dans la rue, ce qui n’empêchait pas de produire des dialogues inoubliables et savoureux.
Bref : c’est pas une question d’époque. C’est une question de… ben d’acteurs qui jouent de façon super bizarre. Contrairement aux acteurs amerloques (par exemple), qui jouent de plus en plus juste à mes yeux (je suis sans doute biaisé et il existe probablement des tas de contre-exemples : je ne dis pas que le cinéma français, c’est du caca, je dis qu’il a adopté une forme qui me pète les bretelles à suspension d’incrédulité), les acteurs français sont précieux et artificiels. Je me rappelle la gifle que j’avais prise en voyant les comédiens français qui jouaient dans la série Lost : leurs dialogues prononcés tout bien comme il faut avec toutes les syllabes m’avaient vraiment pourri mon groove.

Après avoir vu la bande-annonce de Marianne sur Netflix, j’y allais donc quand même un peu à reculons, et c’est en entendant dire que Stephen King avait beaucoup aimé que je me suis vraiment décidé. Il faut dire tout de même que la série est filmée “à l’américaine”, avec une très belle photographie, une palanquée de scènes en extérieur et une très bonne atmosphère.

Et puis, il y a Mireille Herbstmeyer, dans le rôle de madame Daugeron, une femme possédée. Herbstmeyer en fait des tonnes… mais avec habileté : elle arrive toujours à balancer un petit sourire qu’on dirait sorti d’un manga de Junji Ito. On a d’ailleurs la forte impression que les images horribles qui interviennent (à dose homéopathique, parce que toujours par brefs inserts) dans le récit s’inspirent des dessins de Junji Ito, avec des yeux sans iris et des visages arborant une expression d’effroyable jubilation. Herbstmeyer balance les watts dès le début, elle appuie à fond sur l’accélérateur, et la série doit énormément à son jeu dément.
À côté de ça, la protagoniste du récit, l’autrice Emma Larsimon, interprétée par Victoire du Bois, est complètement aux fraises. Manque de bol, comme Mme Daugeron (davantage, en fait…), Emma est au coeur du récit.

Il faut donc la supporter jusqu’à la fin et… ben c’est vraiment pas ça qu’est ça. Du Bois joue son autrice à tempérament comme une gamine capricieuse, lit en public un extrait de son roman (pas super sexy, l’extrait, d’ailleurs, comme une grande partie des passages de ses livres qui sont cités) comme qui déchiffrerait une blague Carambar, et détache tout bien les syllabes comme il faut, ce qui décrédibilise un poil le personnage censé être issu “d’la campagne” même si Emma a des lettres (enfin, on ne saura pas trop lesquelles vu que son loisir principal consiste à se bourrer la gueule avec ses copains et copines, et qu’on ne la voit pas s’intéresser à la littérature, quelle qu’elle soit). Nous sommes dans un univers où la vieille bonne femme possédée ouvre la porte de chez elle en demandant : “Qu’y a-t-il ?”, avec tant d’application qu’on pourrait accrocher du linge au point d’interrogation.
Aparté : je n’ai jamais entendu quiconque demander “qu’y a-t-il ?” dans la réalité (on dit : “qu’est-ce qu’y y a ?” ou “quoi donc ?”, et ça sonne très très bien surtout si c’est Jean-Pierre Marielle qui le fait, par exemple). En même temps, je viens d’un bled paumé où on dit “je vais y faire” à la place de “je vais le faire”, mais je vous assure que j’ai croisé des gens qui s’exprimaient (et s’expriment encore) avec un tant soit peu d’élégance, mais jamais de la façon dont s’expriment ceux de Marianne. Et ça, ça m’a vraiment arraché au récit, à plusieurs reprises.
Bref, je ne sais pas si c’était volontaire de sa part, mais ça tue un peu l’atmosphère. Le personnage d’Emma Larsimon n’aide pas à l’apprécier : cette autrice alcoolo est strictement insupportable. Nous apprenons au fil du récit que ce comportement résulte en fait d’une grande noblesse de caractère, du besoin de sauver ses am…
Non, mais en fait elle est vraiment super pénible du début à la toute fin du récit, enquillant les décisions merdissimes et les crises d’irresponsabilité, et ne s’interrompant que pour se pochtronner ou demander pardon en pleurant pas très bien (chaque fois qu’elle se met à geindre, on la sent exprimer 0% de sincérité et on sent une probabilité de 100% qu’elle refasse exactement les mêmes conneries dans un futur qui se compte en poignées de secondes).
Enfin bref, voilà, le contraste m’a vraiment pété à la figure lors de séquences de flashback où Emma est interprétée par une autre actrice, la très jeune Luna Lou, qui est bien plus juste dans le rôle, d’autant qu’elle joue un personnage qui n’est pas encore complètement pénible (ça aide peut-être). Le retour aux séquences “d’aujourd’hui” n’en était que plus douloureux.
À côté de du Bois, le reste du casting est plutôt équilibré : rien de folichon genre “oh là là on y croit trop, à ces personnages”, mais des performances de comédiens assez agréables (les dialogues piquent quand même pas mal, par moments).

Passé le gros écueil que représentait pour moi le côté franchouille, il faut bien reconnaître que la série fiche vraiment la trouille, en particulier grâce à une utilisation très astucieuse de tout petits effets, d’inserts qui durent une fraction de seconde et de Mireille Herbstmeyer qui vole la vedette à tout le reste du casting, haut la main (oui, elle en fait des caisses, mais elle, elle a une très très bonne raison et c’est pas tous les jours qu’on voit une actrice de cet âge crever l’écran).
Passé le ventre mou du récit (deux épisodes qui durent moins de quarante minutes, et dont on se dit qu’ils auraient pu se résumer à un flashback d’un quart d’heure), tout ça se termine sur une fin au rythme un peu foireux (on sent que ça tire à la ligne et qu’il faut faire les huit épisodes) mais légitime et bien foutue, avec quelques petits twists qu’on a vu venir à des kilomètres, mais qui font quand même illusion.
C’est rigolo, parce qu’à relire ces lignes, je me dis qu’on a l’impression que je n’ai pas aimé Marianne… ce qui n’est pas le cas. J’ai beaucoup apprécié. J’ai passé un très bon moment. Je me suis demandé si du Bois jouait très bien une pénible ou si elle jouait très mal un personnage normal, et j’ai décidé que finalement, c’était un peu des deux, alors ça passe. J’ai réellement eu la trouille à plusieurs reprises, ce qui ne m’arrive quasiment jamais en voyant des films américains beaucoup mieux interprétés (à mes yeux, c’est subjectif, souvenez-vous : pour moi, français, c’est pas bien, je suis désolé, c’est comme ça, y a des gens qui aiment pas les épinards, eh ben moi j’aime pas le ciné français actuel). J’ai tenu jusqu’au bout de la série en me demandant ce qui allait se passer, et à la fin, j’étais satisfait de l’histoire qu’on m’avait racontée.
Autant vous dire que c’est exceptionnellement rare pour moi. Je vous recommande chaudement Marianne, parce que c’est vraiment un excellent moment de divertissement, bien mené, le tout avec une énorme énergie et une vraie volonté de proposer quelque chose qui rivalise avec de grosses productions. Ca s’éparpille un peu partout, ça va bouffer à pas mal de râteliers, mais c’est vraiment sympa au bout du compte.
Note : je vais encore une fois changer de rythme, pour proposer un ou deux posts par semaine plutôt qu’un par jour. Je vois bien ça le lundi et le jeudi… on verra bien ! Merci à ceux qui viennent ici !
I started a joke…
J’ai profité de ma semaine de vacances pour voir l’excellent Joker de ce blaireau de Todd Phillips. J’ai adoré le film, parce qu’il a nourri ma réflexion, parce qu’il est brillamment filmé et interprété, ce qui ne m’empêche pas d’y déceler des choses tout à fait problématiques.

Et comme dans tout bon article nombriliste, je vais commencer par vous parler de moi. Et surtout de ma relation avec le Joker. Même si je connaissais le personnage auparavant (il est quand même apparu dans un épisode de Scooby-Doo sous le nom de “Rigolard”), je ne m’y suis réellement intéressé qu’à l’époque de la “batmania”, en 1989, quand le film de Tim Burton a déferlé sur la planète. Jack Nicholson y offrait une interprétation du Joker éblouissante sans pourtant bouffer tout le film, contrebalancé par un Michael Keaton surprenant dans le rôle-titre. Immédiatement après, je découvris “The Killing Joke” (dont j’avais loupé la première partie, que je ne lirais que des années plus tard) dans USA Magazine : de quoi me retourner le cerveau et me faire réfléchir sur le personnage. Le Joker est un de mes méchants favoris.
Par conséquent, en voyant la première bande-annonce du film de Phillips, j’ai été époustouflé : de toute évidence, le film empruntait une partie de ce qu’avait apporté Alan Moore au personnage (sa carrière de comique plus ou moins raté, un quotidien sordide) tout en s’en démarquant radicalement : ce Joker-là n’allait certainement pas plonger dans un bain d’acide pour révéler sa vraie nature…
Connaissant le talent de Joaquin Phoenix (à prononcer : rouaquine, comme dans the rouaquine dead, par exemple…), j’avais été séduit par ce trailer formidable, monté sur une musique qui lui conférait un charme rétro, et avec des images montées et filmées avec talent. D’ailleurs, voilà :
Le trailer offrait un contraste saisissant entre la voix douce mais lasse de Phoenix d’une part, et des images de plus en plus violentes d’autre part. Pas de Batman ici, juste le Joker et sa descente aux Enfers rappelant le postulat d’Alan Moore dans “The Killing Joke” : il suffit d’une journée pour faire basculer la vie d’un individu, pour en faire quelqu’un, ou plutôt quelque chose d’autre. Bien sûr, cette journée est en réalité l’aboutissement d’un long processus d’usure. Le film se consacre à montrer ce processus.
Critiques
Joker, qui cumule déjà pas loin de 3 millions d’entrées à l’heure où j’écris ces lignes est déjà un grand succès populaire. Ce qui ne l’empêche pas, évidemment, de se faire éreinter par certains critiques qui y voient : un film vide, un excès de zèle sans talent de la part de Phoenix (qui “loucherait vers la statuette”, ce qui m’étonnerait un poil de la part du bonhomme, lequel n’en a probablement pas grand chose à cirer, mais c’est mon interprétation personnelle de la carrière d’un mec qui est capable de “disparaître” 2 ans du show-biz juste pour faire une grosse blague sous forme de film canular...), un réalisateur sans talent…
Je ne suis pas fan, en général, de la critique ciné. Je pourrais ressortir la jurisprudence Star Wars (celui de 1977) et les critiques loin d’être dithyrambiques sur ce qui est devenu un modèle à bien des égards (en termes de narration en particulier), mais ça n’aurait pas énormément de sens. La majorité des critiques s’appuient sur deux éléments : vacuité du film et surjeu de Phoenix. Je vais vite passer là-dessus : j’ai vu énormément de choses dans Joker (au point que j’ai du mal à savoir par quoi commencer), et Phoenix est tout simplement génial dans son interprétation.
De vacuité, je n’en ai pas trouvé dans Joker. À vrai dire, le scénario m’a fasciné : aucune pause dans l’évolution de situations dont les enjeux sont posés dès les premières minutes du film. L’exposition est un vrai modèle : il suffit de quelques plans pour placer l’ensemble de la situation et d’expliquer non seulement le personnage d’Arthur, mais l’univers de misère où il évolue : une version absolument effroyable de Gotham. Ensuite, l’action avance sans jamais ralentir (au point que le personnage principal se trouve presque catapulté hors de l’intrigue dont il n’est plus qu’un simple spectateur à la fin). Quant à Phoenix (qui a basé son interprétation, et en particulier celle de son handicap, sur l’observation de patients atteints de rire pathologique), il fait d’Arthur Fleck un personnage à la fois alourdi, plombé par la vie, et léger comme la fumée d’une cigarette.
L’homme qui fume
La cigarette occupe une place à part dans le film. Il faut vraiment que je le revoie, et je vais donc peut-être dire des conneries dans ce qui suit, parce que j’ai eu l’impression très forte que la cigarette avait un rôle précis dans la représentation de l’évolution du protagoniste, mais il faudrait vraiment noter tous les passages où il fume pour être sûr. Je vais donc limiter mon propos en attendant d’avoir le Blu-ray du film et de pouvoir m’y pencher sérieusement…
Arthur est handicapé : il souffre d’une affection qui le fait rire lorsqu’il se trouve en situation de stress. Cet aspect de sa vie le singularise et l’isole, provoquant des situations de véritable torture sociale. Phoenix interprète le handicap avec énormément de sensibilité : Arthur a plusieurs rires, et celui qu’il subit lors de ses crises d’angoisse est caractéristique, accompagné d’une toux et d’une déglutition particulières qui ne laissent aucun doute sur la nature du rire en question. Le visage crispé, tordu par l’anxiété, Phoenix est pris de spasmes douloureux : c’est un homme qui se noie. En société, Arthur a un rire forcé : lorsqu’il entend les blagues dégradantes d’un de ses collègues, il pousse un hennissement bref pour marquer son appartenance au groupe, pour rester plus ou moins intégré à la microsociété que forme le groupe de clowns auquel il appartient. Il assiste à un spectacle comique en prenant de laborieuses notes, et en riant en décalé par rapport au public : affligé d’un rire pathologique, surnommé “Joyeux” par sa mère (“Happy” en VO), Arthur ne sait pas rire réellement. Il n’aura de véritable sourire qu’en toute fin de film, et affirme à sa psy qu’il n’a “que des idées noires”. Le film ne comporte d’ailleurs aucun “gag” réel : les rares passages d’humour se font toujours au détriment douloureux d’un personnage (la séquence avec le clown de petite taille ne parvenant pas à ouvrir le verrou de chez Arthur est effroyable).
Arthur possède une carte où figure un message indiquant qu’il est handicapé et souffre de rire pathologique. La carte apparaît deux fois dans l’intrigue : la première lorsque, dans un bus, il éclate de rire alors qu’une femme l’agresse verbalement (parce qu’elle pense qu’il importune son fils). Lorsque cette scène s’achève, Arthur, en situation de vulnérabilité parce qu’il est victime de son handicap, n’est pas reconnu comme handicapé : les autres occupants du bus lui jettent des regards interloqués ou gênés. Non seulement il ne reçoit aucun secours, mais il n’est même pas reconnu comme souffrant. Cette situation (que ceux qui souffrent de handicaps “invisibles” et/ou de dépression, par exemple, connaissent bien), se répète plus tard : les deux policiers qui enquêtent sur les meurtres commis dans le métro émettent des doutes quant au handicap d’Arthur. “Vous avez cette carte, mais c’est vrai ou c’est pour votre numéro [sous entendu : de clown] ?” demande l’un d’entre eux. Arthur refuse de répondre : “à votre avis ?” dit-il, juste avant de s’écraser douloureusement contre une porte vitrée. Même lorsqu’il cherche à être sérieux, à souligner la gravité de son état, il ne parvient qu’à passer pour un clown pathétique.
Rien que de la misère
Le réalisateur charge énormément le quotidien d’Arthur, qui ne subit que des revers. J’ai lu çà et là que certains lisaient le film comme une justification des incels : Arthur se comporte de façon particulièrement louche vis à vis de sa voisine (interprété par Zazie Beetz, qui a un nom qui ferait un sacré carton au scrabble), allant jusqu’à la prendre en filature et à s’infiltrer chez elle. Il fantasme une relation amoureuse avec elle que le film nous laisse prendre pour réelle : les réactions de la jeune femme sont pour le moins surprenantes (au point que j’ai poussé un ouf de soulagement en comprenant qu’il ne s’agissait que des rêves éveillés d’Arthur) jusqu’à ce que le réalisateur nous laisse voir la réalité, et non plus seulement les fantasmes d’Arthur. Arthur a manifestement un imaginaire sexuel important pour lui, puisqu’il colle dans son “journal de bord” (celui où il recense également ses blagues et ses observations) des photos pornographiques, mais il vit avec sa mère dans une relation que l’on peut considérer comme incestueuse… ou pas.
En effet, Arthur fait prendre le bain à sa mère, regarde la télévision avec elle sur son lit, danse avec elle (après ce qu’il qualifie d’un “super rencard”, rencard qu’il n’a fait qu’imaginer, mais nous ne l’apprendrons que plus tard dans le film)… eeeeeeeeeet… ben c’est pas si oedipien que ça. Arthur et sa mère vivent dans un minuscule appartement, ne bénéficient manifestement que de peu d’aides sociales : il y a de grandes chances pour qu’Arthur soit obligé de s’occuper physiquement de sa mère grabataire et qu’il passe beaucoup de temps avec elle. Et comme en plus, je n’adhère pas vraiment aux théories de fiente de la psychanalyse, bah je vais laisser un peu ça de côté. Le film présente-t-il des signes symboliques plus forts d’une relation incestueuse ? Eh ben je ne sais pas du tout, en fait…
Où j’en étais ? Arthur, incel ou pas incel ? Compliqué de se faire un avis. Arthur fantasme sur des photos porno et sur sa voisine, il n’a pas de petite amie, et le réalisateur souligne fortement que le monde entier lui en veut. Pour autant, a-t-il un comportement misogyne ? Je n’en ai pas l’impression (je peux carrément me tromper). D’autant que le réalisateur ne nous donne aucun indice sur la conclusion de son idylle fantasmée…
Lorsque Arthur sort de chez sa voisine, après qu’elle l’a découvert assis sur son canapé en train de ruminer de sombres pensées, nous ignorons comment s’est terminée cette visite. Nous n’entendons pas la voix de Zazie Beetz (j’ai oublié le nom de son personnage…). Un peu plus tard dans l’action, nous entendons des sirènes de police et nous voyons la lumière d’un gyrophare, mais faut-il relier précisément cela à la visite en question ?
Bref : Arthur a-t-il tué la jeune femme ? Le plan où il sort du bureau de la psychiatre, en fin de métrage, nous rappelle sa sortie de l’appartement de la voisine, nous laissant entendre qu’il l’a effectivement assassinée… ou pas.
Le roi de la blague
Le réalisateur laisse planer le doute. Il ne s’agit pas simplement de poser un cliché d’une époque sans prendre position (une époque qui n’est pas la nôtre, d’ailleurs ; le film se déroule dans les années 1980, et plus précisément en 1981 si on se réfère à deux éléments qui le datent : l’affiche du film Wolfen dans la rue où les Wayne se font assassiner et le film “Zorro and his gay blade” à l’affiche du ciné dont ils sortent) : le réalisateur est bien mû par une intention, qu’il ne révélera pas. À la psychiatre, Arthur dit qu’elle ne comprendra pas l’ultime blague. S’agit-il de celle du réalisateur ? Celui-ci a affirmé qu’il révélerait un jour ce que signifie cette phrase, mais qu’il préfère attendre de voir les interprétations du public (il n’est donc pas un connard à tous les coups, même si j’ai du mal à lui pardonner son “ouin ouin on peut pus rien dire” d’origine).
En effet, Todd Phillips fait une blague dont nous, public, sommes à la fois complices et victimes. Il triche volontairement avec nous (en nous cachant que la relation de Phoenix et Beetz est factice), nous fait ses excuses en nous expliquant qu’il s’agissait d’un fantasme, puis nous replonge dans le doute. De tout ce que vit et expérimente Arthur, où est la réalité et où est la fiction ? Est-il vraiment porté en liesse par la foule des émeutiers de la fin ? A-t-il réellement commis les meurtres du métro ? Dès lors, tout est sujet au doute. Précisément comme dans King of Comedy.

L’influence de Scorsese
Phillips est un fan autoproclamé de Martin Scorsese, le vieux c… euh, le réalisateur qui devait d’ailleurs produire Joker à l’origine. Mais Scorsese s’est retiré du projet (laissant toutefois derrière lui nombre de ses collaborateurs habituels). Les plans et l’atmosphère du début du film constituent manifestement un hommage au cinéma de Scorsese, et le film se réfère notamment à son King of Comedy (La Valse des pantins en français, un des films de Scorsese ayant le moins bien marché malgré des critiques correctes) avec Robert de Niro (qui interprète ici un animateur télé). Dans King of Comedy, de Niro interprète un aspirant comique qui, comme Arthur Fleck, fantasme une relation avec son idole télévisuelle (interprétée par Jerry Lewis, dans un rôle situé aux antipodes de son registre habituel). Chez Scorsese comme chez Phillips, la frontière entre réalité et fantasme est floue. Phillips va d’ailleurs emprunter à Scorsese un passage particulier : lorsque Arthur exerce pour la première fois devant un public, nous n’entendons pas ce qu’il dit. Nous ignorons donc si le public a bien réagi, et nous le voyons ensuite sortir, serein, avec le personnage de Beetz. Il est évident par la suite qu’il s’est planté, contrairement à de Niro dans King of Comedy, où la situation est inversée : Rupert Pupkin, le personnage de de Niro, accède bel et bien à la célébrité et se révèle bien meilleur comique que fan…
La fin de Joker reprend également le thème de King of Comedy : Arthur “prend en otage” le personnage de Robert de Niro, Murray Franklin (dont le nom apparaît, sur le plateau de l’émission, dans une police de caractère réminiscente des séries animées Batman…). Va-t-il se suicider en direct comme le reste du scénario semble le laisser entrevoir ? Non, évidemment : Phillips joue simplement avec le suspense. Son public sait bien que le Joker ne peut pas disparaître avant même d’avoir affronté réellement Batman. Batman qui est invisible ici, même si, comme dans le film de Burton de 1989 et le comics de Moore, Joker décide d’associer la genèse des deux personnages : si le père de Bruce Wayne meurt, c’est dans l’émeute suscitée par l’image du Joker. Mais c’est aussi d’une façon curieuse, renversée. D’ordinaire, les parents Wayne sont présentés comme des parangons de bonté et de bienveillance presque insupportables, caricatures des riches bienfaisants qui feraient ruisseler leur fortune sur les pauvres (un postulat que l’on retrouve notamment dans Batman Begins). Etonnant, à cet égard, que Gotham soit la métropole du crime sordide…
Eh bien dans Joker, Wayne est un opportuniste comme les autres. Est-il le père d’Arthur ? Tout nous dit que non… et pourtant… Dans une ville où tout est entièrement corrompu, on peut penser que Wayne ait pu faire interner la mère d’Arthur sous de faux prétextes afin de se débarrasser d’elle… Ou au contraire, on peut prendre pour argent comptant la vérité que nous offre le film : si Wayne ne répond pas à ses lettres, c’est tout simplement parce qu’elle l’a harcelé et a menti tout du long.
Batman est invisibilisé, c’est un épiphénomène, une note de bas de page dans l’histoire que nous voyons, ou dans celle qu’Arthur voit en tout cas : ce n’est pas en sortant de “The Mark of Zorro” que les Wayne se font assassiner, mais en sortant d’un cinéma qui projette “Zorro the Gay Blade”, une version de l’histoire de Zorro plutôt placée sous le signe de la comédie.
Victime ou bourreau ?
Arthur Fleck est une victime. Il cumule les problèmes : il est pauvre, handicapé, dépourvu de talent, naïf… La violence qu’il exerce paraît légitime, ou en tout cas justifiée par le film.
Sauf que non.
Le film tout entier est ponctué de pauses, comme si le réalisateur voulait nous laisser la possibilité, à chaque étape de la descente aux Enfers d’Arthur, de nous dissocier de son comportement, de dire “stop”. Car Arthur n’est pas qu’une victime. Penchons-nous sur les crimes qu’il perpètre (ou croit perpétrer si l’on s’en tient à la possibilité qu’il ne fasse que les fantasmer).
Lorsqu’il se fait agresser dans le métro, en pleine crise d’angoisse, il réagit dans un geste d’autodéfense, utilisant le pistolet qu’on lui a donné pour tirer sur un des trois types qui l’agressent. Le premier meurt, et les deux autres demandent immédiatement grâce. Arthur abat le deuxième, puis poursuit le troisième. Il ne s’agit plus d’un geste impulsif : Arthur traque littéralement le troisième larron et finit par l’abattre d’une balle dans le dos, avant de vider son chargeur sur lui (des spectateurs attentifs ont d’ailleurs remarqué qu’il tire davantage de balles que le chargeur n’est censé en contenir : signe qu’il s’agit d’un fantasme et non de la réalité ?). Seul le premier crime d’Arthur est perpétré dans une situation d’autodéfense (de façon disproportionnée, certes, mais la situation ne lui laisse pas vraiment le choix, et le réalisateur nous a déjà montré auparavant qu’Arthur n’est pas vraiment doué avec une arme à feu). Les deux suivants sont déjà de l’ordre du crime prémédité.
La préméditation va se manifester par la suite sous la forme de fumée de cigarette. Avant chaque nouveau crime (sa mère, Murray, la psychiatre de la fin), Arthur fume. Se perd-il dans ses réflexions ? La cigarette est-elle ici un symbole de liberté (c’est le cas dans le cinéma de John Carpenter par exemple) ? D’autant que dans deux situations, Arthur ne devrait pas fumer : à l’hôpital, déjà, et ensuite sur le plateau de télévision où Murray vient de lui expliquer qu’il s’agit d’une émission familiale.
Le handicap mène au meurtre et pis c’est tout…
Un des gros problèmes du film (et sans doute le plus gros à mes yeux) se manifeste dans la scène du métro et va rester en fil rouge tout le long du film par la suite. Le pistolet donné à Arthur représente son handicap : on lui a donné sans qu’il n’en manifeste l’envie, il lui pose des problèmes (dans l’hôpital pour enfants), et lorsqu’il essaie de s’en servir (lors de sa danse chez lui), c’est la catastrophe (de la même façon que son rire, lorsqu’il l’exploite pour la comédie, ne fonctionne pas réellement sur un public). Mais quand Arthur arrive enfin à maîtriser la puissance que lui confère son pistolet (et donc sa maladie), il se laisse emporter, jouissant de cette puissance de façon excessive (en assassinant les deux autres agresseurs en plus du premier). Si le parallèle entre le handicap d’Arthur et la façon dont il sombre dans la violence n’était pas déjà assez clair, la symbolique du pistolet le souligne. En ce sens, la présentation des troubles du personnage est orientée, et pas de la façon la plus originale qui soit : il est fou, donc il est dangereux.
Et c’est effectivement lorsqu’il s’accepte tel qu’il est qu’Arthur s’épanouit… dans la violence. Il sourit réellement devant les scènes de violence auxquelles il assiste dans la voiture de police de la fin du film, et sourit même… à des scènes qu’il n’a pas vues.
Lorsqu’il parle à la psychiatre, en fin de film, il a en effet une sorte de réminiscence de la mort des Wayne… à laquelle il n’a pas assisté. Ce souvenir le fait sourire (un sourire qui pourrait bien être un de ses rares sourires sincères). Encore un de ses fantasmes ? Celui qui consisterait à faire disparaître ce faux père, à torturer ce faux frère qu’est Bruce Wayne ?
Le film s’achève sur une course entre des infirmers et Arthur, une course présentée comme une scène de comédie burlesque à la Chaplin (Chaplin qui apparaît lui aussi dans une scène plaisante : les grosses huiles de Gotham viennent rire devant Les Temps modernes alors qu’ils ne manifestent pas la moindre compassion à l’égard de la misère qui règne dans leur ville) : la course dans un couloir où les protagonistes défilent dans un sens, puis dans l’autre (un effet qu’utilisant justement Scorsese dans King of Comedy).
Loin du Joker des comics ?
Beaucoup de fans sont déstabilisés par l’approche réaliste du personnage presque caricatural qu’est le Joker. On s’éloigne des comics. Pas tant que ça, tout de même. Joker emprunte évidemment à The Killing Joke et sans doute aussi à Dark Night Returns (où le Joker participe à un talk show). Il fait son marché chez Scorsese, au point de se calquer à bien des égards sur The King of Comedy. Bref, Joker est une sorte de mashup, mêlant des influences diverses pour faire émerger une nouvelle figure du Joker… difficile à interpréter (c’est le moins qu’on puisse dire).
Le film nous offre un miroir (aux alouettes ?) où beaucoup de critiques et de cinéphiles trouvent des choses très différentes : vacuité pour les uns, parfaite représentation du handicap ou diabolisation de celui-ci (c’est un psychotique, donc il bascule dans la violence) pour les autres, justification des incels, justification de la violence, mise en garde sociétale…
Concluture
“Avait-on besoin d’un autre film de psychopathe ?” demande une critique, sous-entendant que le film n’ajoute rien de nouveau au portrait des psychopathes, en particulier parce qu’il ne prend pas position et se “contente” de ce qu’on désigne souvent comme une étude de personnage. Phillips se défend avec la posture “ouin ouin on peut plus rien dire”. Joaquin Phoenix interprète son personnage avec énormément de talent, sans tomber dans la caricature, et en offrant un Joker aux nombreuses facettes : torturé, introverti, curieusement dépourvu de réel humour… sauf lorsque l’univers lui inflige l’humour. Certes, Scorsese nous a déjà joué ce tour-là. Mais le changement de point de vue, de personnage et d’univers suffisent à faire de Joker un objet nouveau, sinon novateur, et suffisamment riche pour qu’on ait envie de le décoder…
Quoi qu’il en soit, le film ouvre la discussion et offre un spectacle extraordinaire, avec des images léchées (slurp) et une bande-son très réussie. Pas très courant chez DC en ce moment (même si j’ai beaucoup aimé Aquaman et Shazam, complètement à l’autre bout du spectre…).
Allô docteur ? C’est le surfeur !

Et voilà que cette semaine placée sous le signe de la découverte de comics sympa s’achève, et je voulais la terminer avec une série que j’aime beaucoup, mais surtout un artiste que j’apprécie énormément : Mike Allred. La carrière de Michael Allred s’est envolée grâce au comics Madman, au tout début des années 1990. A la fois scénariste et dessinateur sur le titre (son épouse Laura Allred viendra le rejoindre en tant que coloriste par la suite), Allred y crée un univers superhéroïque complètement atypique où coexistent des personnages attachants et hilarants, le tout mené par le Madman du titre, un garçon héroïque et naïf (et un petit peu mort-vivant sur les bords). Le trait d’Allred, immédiatement reconnaissable, a un charme inouï : visages particulièrement expressifs, personnages de freaks séduisants, extraterrestres complètement farfelus, et surtout une sorte de ligne claire dont la clarté est rehaussée par les couleurs vives qu’y apporte Laura.
Allred bosse ensuite avec des pointures comme Gaiman (lors d’un story-arc extraordinaire, revival à la fois enthousiasmant et flippant d’un vieux personnage de DC qui n’a connu qu’une carrière-éclair : Prez, le premier président ado des Etats-Unis), et sur des titres comme X-Force (qui deviendra X-Statix, avec des récits complètement barrés de Peter Milligan), puis une floppée de machins de chez DC et Marvel.

C’est sur la série Silver Surfer que je souhaite attirer votre attention (enfin, sur Silver Surfer Vol. 7 et Vol.8 : pour s’y retrouver aujourd’hui, ça devient particulièrement coton… mais si vous cherchez Silver Surfer et Allred, nous devriez pas avoir trop de mal à trouver). Si vous connaissez les origines du Surfer d’Argent (il a été héraut de Galactus, puis “enfermé sur Terre” avant de retrouver sa liberté et de pouvoir errer dans le cosmos), vous savez tout ce qu’il y a à savoir pour profiter de cette excellente série regroupée en TPB, d’autant qu’elle repart un peu à zéro : le Surfer se balade et affronte des périls cosmiques, et puis…
Et puis il croise la route d’une Terrienne, Dawn Greenwood, qui a toujours vécu dans le trou du cul du monde (vous comprenez pourquoi je m’identifie à ce personnage ?) mais qui rêve secrètement de voyager. Et là, le personnage aux pouvoirs cosmiques entraîne à sa suite la Terrienne sans pouvoirs mais futée, dans des lieux où celle-ci n’aurait jamais cru…
Attendez voir. Un alien qui voyage aux quatre coins de l’univers. Une sorte de… de compagnon de voyage humain qui l’accompagne… L’alien est un petit peu pète-sec, un poil arrogant, et ses élans d’orgueil sont tempérés par l’humanité de celle qui l’accompagne… Il a une sorte de… d’engin quasi magique qui lui permet de voyager mais qui s’avère avoir une réelle personnalité..
Sérieux, ça ne vous rappelle rien ?

Voilà, eh bien ça marche vraiment comme ça, avec une dynamique carrément proche. Si vous aimez Dr Who, il y a de grandes chances que les aventures de ce Surfer vous plaisent. Colorées (aussi bien métaphoriquement que visuellement), pleines d’humour et d’humanité, elles constituent une bouffée d’air frais qui s’écarte radicalement des grandes sagas cosmiques que je déteste. Ici, ce sont les rapports entre les personnages qui comptent, les dialogues, les petits détails et l’interaction humaine (ou extraterrestre).
Voilà donc ce que j’ai découvert ou redécouvert cette semaine grâce à mon pote le Raton Laveur Galactique, qui a décidément bon goût. Vous l’aurez remarqué : je suis marvelophile. Les comics DC, à part quelques trucs qui sortent vraiment du lot, je m’y attache rarement. Ca n’empêche, je ne refuse pas d’essayer quelques trucs histoire de voir si c’est vraiment viable, dans les semaines et les mois qui viennent !

Je ne peux toutefois pas terminer une semaine de posts sur les comics sans vous parler en bien d’une série formidable, qu’il faut absolument lire pour tout un tas de raison, mais surtout parce qu’il s’agit de la série la plus drôle de chez Marvel : Squirrel Girl. Ne prenez pas le train en route, parce qu’il y a énormément de codes qui se mettent en place dans les premiers épisodes, il faut vraiment commencer par le commencement. C’est fun, c’est souvent très girlie, ça ne nécessite quasiment aucune connaissance étendue de l’univers Marvel, et c’est un antidépresseur naturel.
Me voici donc sur le point de m’absenter (de ce blog, pas de la galaxie) une semaine, histoire de recharger les accus. Une grosse pensée à tous mes collègues, amis et jumeaux maléfiques qui savent combien il est nécessaire, parfois, de faire une pause. Et s’ils l’oublient, n’oubliez pas de le leur rappeler ! À mon retour, je pense adopter un rythme un peu moins soutenu, sans doute en publiant deux ou trois posts par semaine. Je vous parlerai de JDR, de cinéma (il faut que j’aille voir Joker, d’ailleurs…), de bayday et de tout un tas de trucs pop-culturels !
Immortel

Je vous préviens, je vais spoiler un peu, donc si vous ne voulez pas savoir des trucs, ne lisez pas. Ne lisez rien. Jamais. Crevez-vous les yeux, d’ailleurs.
Les couvertures de la série Immortal Hulk sont dessinées par Alex Ross.
Voilà.
Merci d’avoir lu cette chronique et je vous dis à d…
Quoi, vous êtes pas déjà en train de lire Immortal Hulk ? Il vous faut QUOI comme argument ? Vous êtes des monstres ou quoi ?
Hulk fait partie de mes superhéros favoris (là, vous allez me dire : oui, avec tous les autres, et vous n’aurez pas entièrement tort, mais quand même), tout simplement parce qu’il disposait d’une grande visibilité quand j’étais gamin grâce à la série télévisée où le duo Bill Bixby/Lou Ferrigno rendait (presque) crédible l’histoire de ce monstre vert qui fait rien qu’à craquer le pantalon de jean du docteur Banner. Et honnêtement, cette série était furieusement bien foutue pour l’époque ; j’en garde un souvenir bien émouvant, même si je m’abstiendrai pieusement de me désillusionner en la visionnant de nouveau aujourd’hui. Le Hulk télévisuel des origines était tout à fait conforme à celui que l’on retrouve aujourd’hui dans les films du MCU : puissant et colérique, mais avec un bon fond à faire pâlir d’envie une armée de bisounours et une sensibilité à l’innocence qu’on ne trouve décidément que chez les monstres de cinéma et les freaks en général, contrairement aux policiers français qui n’hésitent pas à bastonner des pompiers pendant les manifs (oooops, désolé, ça doit être l’actualité qui me marque, et faut croire que ces salauds de red blocks l’avaient bien mérité, à faire chier à porter secours aux gens, comme ça).
Où j’en étais ? Ah oui : l’équilibre entre pulsions meurtrières et compassion

envers les petits lapins tout doux chez les monstres verts de trois mètres en jean violet. Au cas où vous ne sauriez pas, le Hulk des comics d’origine était bien différent. Et la différence en question ne se limitait pas à sa couleur, même si à peu près tout le monde sait que le premier épisode le présentait en gris et non en vert, une couleur qu’il adopta dès le second parce que le coloriste Stan Goldberg (qui l’aurait préféré orange s’il n’avait pas déjà existé un personnage célèbre de cette couleur, la Chose des Quatre Fantastiques) avait eu de petits soucis avec la teinte neutre qui virait parfois au vert sur certaines cases. Oui, à l’époque, la couleur et l’impression, c’était compliqué. La différence essentielle, c’est que Hulk apparaissait non pas lors des périodes de colère de Banner, mais à la nuit tombée.
Immortal Hulk est une sorte de reboot : comme presque toujours, il est arrivé un truc vraiment pas cool à Hulk (qui a la fâcheuse manie de détruire des villes et d’écrabouiller des gens), et le Dr Banner se retrouve en exil, paria voyageant au fin fond des Etats-Unis pour retrouver, sinon la sérénité, au moins une forme de solitude. Et évidemment, à tous les coups, il tombe sur de sérieux connards, pète un câble et massacre un petit peu tout le monde dans la joie et la bonne humeur. Lors du premier épisode, on sent vraiment arriver ce genre de truc, et puis…
Bruce Banner prend une balle dans la tête et il meurt (juste après avoir été témoin d’un crime sordide, le meurtre d’une petite fille lors du braquage d’une épicerie). Le récit est superbement mené et mis en cases, avec un splendide sens du rythme, et on sent monter progressivement une tension dont on sait qu’elle ne peut se libérer que sous une forme : l’apparition du Hulk (oui, en rosbifglais, on dit plutôt “le Hulk”, c’est plus cool). Le comics reprend donc efficacement tous les codes habituels, mais en leur imposant un petit twist : c’est le signe (à mes yeux) d’un reboot réussi.
Nous découvrons que Hulk/Banner est tout simplement immortel (ah merde, c’était le titre ! ce spoiler de ouf !). Quand tombe la nuit, le Hulk, tel le phénix (un phénix bâti comme un catcheur en slip violet) renaît de ses cendres (presque littéralement dans un épisode suivant, d’ailleurs…). Le Hulk nocturne fait donc ici son grand retour, mais c’est aussi un Hulk effrayant, à l’expression souvent proche de la folie. Bien sûr, les dialogues à double sens soulignent les thèmes du récit : le scénariste nous offre là un bon fauteuil bien confortable où nous installer, tout en nous expliquant qu’il va y avoir du changement, mais qu’on n’est pas non plus dans un autre univers que celui auquel on est habitués. Et ça, c’est très fort. Un scénariste capable de vous mettre en confiance tout en vous promettant de l’inédit est un scénariste qui connaît bien son boulot. “Je t’ai fait ton plat préféré, exactement comme tu aimes, mais tu vas voir, j’ai rajouté un petit truc, tu me diras si tu le sens.”

Le Hulk a changé. Il redevient une force nocturne au caractère imprévisible. Comme il le souligne à plusieurs reprises, il flaire les mensonges, et en particulier ceux dont ses interlocuteurs se bercent pour se persuader de ne pas avoir perdu leur humanité. Il redevient un monstre réellement monstrueux, effrayant, retournant même un des traits caractéristiques d’un des monstres les plus célèbres, le vampire, en apparaissant dans les miroirs. Il abandonne les intrigues cosmiques pour revenir au coeur de l’humain à travers son voyage dans l’Amérique profonde. Mais il n’oublie pas au passage de boxer de gros trucs, et en particulier un monstre canadien velu…
Al Ewing ne se prive pas de quelques traits d’humour (une référence marrante aux fameux jeans violets…) et réinvente la mythologie du Hulk avec efficacité. Les enjeux montent et le récit passe (lors de son second story-arc) par les portails obligés : combat contre les Avengers, retour d’ennemis classiques, le tout servi par des dessins efficaces (mêlant parfois plusieurs dessinateurs avec plus ou moins de bonheur, mais sans jamais gâcher le scénario, et toujours en servant la logique du récit). Au troisième story-arc, Hulk in Hell, le Hulk se retrouve…
Ouais, vous avez compris. Et c’est une étape obligatoire, une sorte de séquence-purgatoire, où l’essentiel des problèmes métaphysiques du Hulk doit se résoudre en plongeant dans sa petite enfance. À partir de cet instant, c’est un peu “been there done that” : le héros qui va se balader en enfer et se trouve confronté à ceux qu’il a fait souffrir et cherche à se comprendre lui-même, ça n’a rien de bien inédit ni de très folichon (et il commence à y avoir beaucoup de similitudes entre tout ça et le run d’Alan Moore sur Swamp Thing, ou alors c’est la couleur verte qui m’aura trompé…), mais encore une fois, le scénariste nous fait le coup du petit twist qui va bien, et poursuit imperturbablement son exploration de l’univers du Hulk en balançant tranquillou de jolis hommages par-ci par-là.

Seule réserve : le Hulk se calme un peu trop et perd de son caractère effrayant dès lors qu’il est confronté à des menaces à sa mesure. La tension qui règne dans le premier story-arc se dilue peu à peu lorsque l’on passe de l’univers “ordinaire” au monde “habituel” du Hulk, où les monstres surpuissants sont la norme. Paradoxalement, plus les adversaires du Hulk sont énormes et dangereux, plus on perd en réelle intensité : les vrais moments forts ne surgissent que dans des périodes de calme, par des révélations (notamment sur la nécessité de l’existence du Hulk pour Banner) ou par des contrastes (une séquence d’action saisissante après un moment de tranquillité).
Quoi qu’il en soit, Al Ewing a bel et bien revitalisé une franchise qui commençait à partir en sucette (et surtout qui devenait incompréhensible pour moi, avec des Hulks de toutes les couleurs et une intrigue étalée sur trouzmillions de publications : pas bon signe pour un lecteur comme moi, ça…) , et son Hulk est un vrai bon comics d’horreur, contrastant radicalement avec la version plutôt marrante mais pas aussi savoureuse dessinée par Frank Cho. Je vais donc suivre la suite du run d’Ewing sur le titre avec plaisir, en espérant qu’il revienne toutefois à des intrigues plus intimistes. J’ai pris énormément de plaisir à lire ce Hulk, tout à fait accessible même si vous ne connaissez pas trop tout le mythe qui l’entoure (l’intervention de personnages comme Walter Langkowski est toujours expliquée clairement pour les nouveaux venus). Encore une excellente série conseillée par le Raton Laveur Galactique !
Si tout va bien, je vous parlerai demain d’une dernière série de comics excellente, et je vous fausserai compagnie pendant une semaine, car je suis en vacances (pour mes amis pigistes, auteurs, autrices, traducteurs, traductrices, traductiers, trouductistes et autres : cherchez ce mot dans le dictionnaire, c’est un concept assez insolite mais que j’ai hâte de mettre à l’épreuve de la réalité) pour une semaine, pendant laquelle je me consacrerai à d’autres activités créatives comme manger des escalopes à la crème et jouer à des jeux vidéo idiots.

Sandy Julien
Traducteur indépendant
Works in Progress
- Secret World Domination Project #1 44%