Les Cahiers du Vastemonde

Bon, je vous l’avais promis il y a quelques jours, il FAUT que je vous parle des Cahiers du Vastemonde (tome 1) de John Grümph, dispo chez Chibi sur Lulu. Déjà, important : c’est disponible ici, ça coûte 20 euros en format couverture souple.

John Grümph, alias “le Grümph” (moi j’ai toujours cru que son prénom c’était “le”, et vous voyez comme des fois on se fourvoie, surtout quand on dit des conneries) a écrit, traduit et illustré une quantité assez époustouflante de machins rôlistiques, et il publie sur Lulu d’excellents petits bouquins qui valent une bouchée de pain et que je vous recommande vigoureusement : pour le prix d’un gros manuel de jeu pas terrible, vous pouvez vous procurer trois ou quatre de ses bouquins, voire davantage si vous les prenez en ePub/PDF (mais je recommande particulièrement des choses comme Dragon de poche en version papier : ce sont des JDR complets qui tiennent dans la poche, et à 12 euros le petit poche de 300 pages, vous ne serez pas volés, vraiment).

Tu aimes les dragons ? Tu as une poche ? Adopte un dragon de poche, 12 euros chez Lulu.

Le Grümph écrit, le Grümph illustre, le Grümph ramène l’être aimé, et le Grümph propose en particulier une série de “rétroclones”, c’est à dire de jeux fortement inspirés de la première version du JDR emblématique, Dungeons & Dragons. Mais un rétroclone, c’est quoi, au juste ?

C’est une reprise des règles élémentaires de D&D (une poignée de caracs de base comme FORCE, INTELLIGENCE, COUSCOUS ; des jets de dés simples, une classe d’armure, des points de vie, des streumons et de l’XP) avec de petits aménagements pour les rendre plus efficaces, ou plus adaptées à tel ou tel univers. Des rétroclones, il en existe des tas, souvent issus de passionnés qui ont envie de…

Poutrin, mais de quoi ils ont envie, ces passionnés, au fait ? Non, parce qu’à l’époque des JDR super bien articulés comme Star Wars, Tales from the Loop ou Apocalypse World, revenir à des vieux trucs mal foutus, c’est pas un peu complètement con ? C’est la question que je me posais, mais en voyant l’engouement que suscitent ces rétroclones, je me suis demandé ce qui était si intéressant que ça dans ces vieux pots où je distingue plutôt un vieux fond cramé qu’une de ces meilleures soupes dont on me rebat les oreilles…

Jusqu’à ce que je lise plusieurs trucs parus chez Chibi, sous la plume du Grümph ou d’autres auteurs (allez voir Coureurs d’Orage, qui est très bon, très bref, et qui vous permettra de jouer rapidement si vous n’avez pas envie de vous farcir ENCORE un univers de fantasy mal gaulé). L’idée du rétroclone est simple : démerdez-vous ! Et c’est une excellente idée. Je m’explique : à l’origine, lorsque D&D est sorti, les règles étaient plutôt limitées. Par conséquent, nombre de situations reposaient sur l’improvisation, qu’il s’agisse de celle du MJ (lequel devait inventer des règles à la volée, genre : “bon ben on dit que pour déchiffrer ce vieux parchemin en langage Gloumouth, comme t’es un prêtre, t’as pu lire des trucs qui ressemblent, alors euh… ben t’as qu’à faire un test d’INT et je te mets un malus de 3”) ou celle des joueurs (“ouais mais mon PJ, on avait dit que c’était un passionné de calligraphie et de vieux bouquins, alors est-ce qu’il peut pas avoir déjà vu un truc comme ça ? On peut pas faire un test de… de chance, on dit que je lance un dé à six faces et si je fais 1 j’ai déjà vu un truc pareil ?”). La réussite des joueurs dans les scénarios dépendait davantage d’un véritable dialogue que d’un recours systématique aux règles (genre : “bon ben j’ai la classe Erudit qui me donne un bonus de +3 en déchiffrement de glyphes… Ton manuscrit, c’est un Manuscrit ancien +2 ou plutôt un Manuscrit technique +3 ? On regarde la règle ? Normalement, pour tous les manuscrits, c’est un jet d’INT majoré par l’EDU avec une tranche de 3% par niveau de Culture”).

Dans le Vastemonde, on ne passe pas tout son temps à se foutre sur la gueule.

Du coup… eh bien les scénarios se résolvaient surtout grâce à l’astuce des joueurs plutôt que par un choix du bon élément technique à utiliser sur leur fiche. Ca a l’air tout con, présenté comme ça, mais c’est plutôt futé, et c’est un parti-pris tout à fait légitime. Eh bien les rétroclones fonctionnent (plus ou moins) comme ça.

Les Cahiers du Vastemonde, volume 1

Le système de jeu du Vastemonde, intitulé “Princes et Vagabonds” (le titre de l’ouvrage est : “Princes et Vagabonds, qui est un système de jeu à l’ancienne, précédé d’un mémoire admirable de concision sur le Vastemonde et suivi de quelques périlleuses aventures et autres histoires pittoresques”. PEVQEUSDJALAPDUMADCSLVESDQPAEAHP, donc, pour résumer) est basé sur ce principe : il est simple et convient aussi bien à des débutants qu’à des joueurs aguerris. Attention toutefois : les seuls lanceurs de sorts qu’on y interprète sont des bardes et des paladins. C’est comme ça. Les sorciers et autres nécromants sont plutôt du côté des PNJ, et pour tout dire, des adversaires. Le seul défaut du système, c’est qu’il ne comporte pas d’index pour retrouver les sorts, et c’est bien pénible vu qu’ils ne sont pas classés dans un ordre super pratique, mais on s’en fiche un peu. Pourquoi pas de magos chez les joueurs ? Parce qu’on joue des princes et des vagabonds, pas des vieux croulants qui vivent en haut d’une tour et collectionnent leurs crottes de nez tout en compulsant de vieux bouquins sur l’élixir de jouvencelle (le mieux, dedans, c’est les illus).

Alors maintenant, c’est quoi, le Vastemonde ? C’est un univers de jeu présenté sur une centaine de pages, richement illustré dans un style qui me rappelle certaines fresques d’Agathe Pitié (une artiste qu’il FAUT découvrir et qui vient de réaliser une fresque sur l’enfer et le paradis absolument ahurissante…) : des tableaux très riches, avec une foule de personnages qui font des tas de choses, et des détails dans tous les sens. Le style pictural est très BD, et il en ressort une atmosphère unique, une impression de dynamisme et de vie souvent absente des illustrations de JDR (où les persos se cantonnent généralement aux poses héroïques et au molestage de gloumoutes divers et variés). Dès qu’on se plonge dans une de ces illustrations, on entre dans un monde vivant. (Tant que j’y suis, les illus de Dragon de Poche sont également un vrai bon exemple du genre d’illus qui pourraient bien résister à l’épreuve du temps, avec un style à tomber… Bref, c’est très très beau.)

Et vivant, le Vastemonde l’est bel et bien. C’est un univers de fantasy, certes, et on n’échappera pas aux elfes, aux gobelins, aux orcs… Sauf que cette fois, gobelins et orques ne font pas partie du bestiaire, mais des espèces jouables. Et ils réservent des surprises tout simplement géniales. Un exemple ? Les orques sont en majorité femelles, une partie d’entre eux devant mâles à l’âge adulte. Allez, une autre originalité rigolote ? L’être divin d’origine est le diable (qui a en réalité reçu ce sobriquet suite à une mésaventure, justement… Avant, c’était le “dieu cornu”). Un diable sympa, à qui il est arrivé des trucs marrants, et autour duquel s’organise une mythologie qui ne se cantonne pas à aligner sagement des divinités en rang d’oignons. L’univers est construit, avec énormément d’éléments (des sortes de méchas, des fusils bizarroïdes, des “bulles” reliées les unes aux autres par d’étranges chemins pour former le Vastemonde…) et on a là un condensé d’un imaginaire très riche, que l’on sent élaboré au fil du temps et d’innombrables parties. En peu de pages, le Grümph brosse un tableau expressif, sans trop s’attarder sur les détails, mais en fournissant une quantité d’idées presque invraisemblable. On retrouve certaines idées communes à l’oeuvre du Grümph comme la création aléatoire de domaines et l’utilisation de tables pratiques présentées en annexe (à cet égard, je recommande encore une fois Dragon de poche qui contient énormément de listes utiles pour stimuler l’imagination, voire le vocabulaire…), ainsi qu’une volonté de présenter un univers… souriant.

Ben oui, on sourit, dans le Vastemonde. On rit aussi. On fait la fête, on bouffe, on chante. Les dieux ne sont pas là que pour présider aux choses de la guerre. Les conflits, la guerre, les aventures, sont des exceptions. Ce qui rend aux aventuriers, à ces princes et vagabonds qu’interprètent les joueurs, leur caractère exceptionnel. Tout cela passe aussi par un vocabulaire imagé, des noms de peuples évocateurs, et une rédaction qui tient plus de l’art des conteurs que de l’exposition historique façon manuel de troisième à laquelle nombre d’ouvrages rôlistiques nous ont malheureusement habitués.

Il me faudrait beaucoup plus de mots et de temps pour exprimer l’émerveillement qu’a suscité chez moi la découverte du Vastemonde, et le plaisir que j’ai eu à lire ces pages, à découvrir un univers mûr, qui n’esquive pas des questions comme le genre ou la sexualité, les présentant sous un angle intéressant, sans complaisance ni pudibonderie. Je le recommande donc sans réserve, sachant en outre que la version en couverture souple ne coûte que 20 euros (pour pas loin de 400 pages en noir et blanc !) et qu’elle offre davantage qu’une quantité d’univers de fantasy (ou autres) que j’ai pu découvrir ces dernières années. Le rapport qualité-prix est strictement imbattable, et si en plus vous accrochez aux illus du Grümph, c’est un JDR à avoir absolument dans sa ludothèque, en attendant Oltréé 2, mais également dans l’espoir que le volume 2 (puisque ce livre est le volume 1) sorte vite.

Un de fini, dix à écrire !

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Et voilà. Aujourd’hui, avec une bonne dizaine de jours de retard (j’ai des progrès à faire dans ce domaine…), je termine l’écriture d’un scénario pour l’excellent jeu Things From the Flood dont j’ai effectué la traduction pour Arkhane. On a bien voulu me confier un de ces scénarios, et je vous dis pas la pression…

Je me suis remis à écrire du scénario de JDR il y a peu, avec une vision très différente de celle que j’avais lorsque j’écrivais pour le magazine Backstab (que les moins de vingt ans ne peuveu pas connétreuuuuu, ou alors ils l’ont lu à la crèche) ou pour le jeu COPS. Et je vais vous expliquer cette vision en peu de mots : j’ai envie de me faire plaisir, et j’ai également envie de proposer des moments mémorables. J’ai envie de donner à jouer des expériences vraiment fun, des moments vraiment WTF (attends, il faut qu’on fasse ça ?), avec des persos un peu barrés.

Ce qui ne m’a pas empêché d’en chier grave lors de la rédaction de ce scénar. J’avais un super pitch, très original, très Things From the Flood, et tout ça fonctionnait parfaitement dans ma tête jusqu’à ce que je me préoccupe de produire quelque chose de conforme au modèle de TFTF… et là… ce fut le drame ! Le format des scénarios du jeu restreint notamment le nombre de scènes essentielles : c’est une excellente idée, qui garantit un rythme soutenu, mais qui amène également à faire des choix. Il ne peut y avoir que quatre ou cinq temps forts, quatre ou cinq vrais “moments” dans le scénario avant l’apothéose (la confrontation).

Il faut donc vraiment bien choisir ces moments, proposer des expériences intéressantes. En ce qui me concerne, j’ai misé sur l’horreur au début, l’absurdité à la fin, le tout autour du thème de la communication intergénérationnelle (qui finit bien évidemment en bain de sang…). Et puis, le scénario est parti dans cinquante directions différentes, et je me suis rendu compte que rien ne reliait mes moments-clef. Il a fallu vraiment bosser sur cet aspect pour s’assurer que les joueurs ne se perdent pas en route simplement parce qu’ils auraient raté un indice (la frustration absolue). Bref, j’ai racommodé tout ça, ça tenait pas mal debout et…

Et poutrin ce que c’était chiant… Une enquête d’Arabesque, tendance Inspecteur Derrick, en un peu moins dynamique. Ah ben merde. Et là, je me suis rendu compte d’un petit détail rigolo qui m’avait complètement échappé : il n’y avait pas d’antagoniste dans mon scénario. Mais aucun, quoi. Rien qu’une menace extrêmement abstraite, et finalement pas si menaçante que ça. Ah ben merde, alors ! Il a donc fallu changer radicalement de cap. Toute mon intrigue très subtile (qui aurait certainement bien marché dans une nouvelle) ne valait vraiment rien comme intrigue de JDR. J’ai donc viré des tas de subtilités, modifié la méthode destinée à affronter le péril en question, rajouté des zombies (TOUJOURS rajouter des zombies, c’est la clef !) et de la violence, puis fait pencher le scénar vers une atmosphère un peu plus simple…

Bon, manque de bol, il manquait encore énormément de substance à mon scénario, et en particulier, la méthode permettant d’affronter le péril de l’histoire ne fonctionnait pas (parce qu’elle nécessitait pas loin de 5000 signes d’explications en pseudojargon scientifique). Je me suis donc tourné vers tous les films que je connaissais où des créatures menaçantes se faisaient niquer par un truc tout con (l’eau, l’air, la crème chantilly) et j’ai donc modifié ça aussi. La chanson “Mexico” de Luis Mariano est devenue un élément important du scénario.

Des tas de choses sont arrivées dans ce scénario, presque toutes seules, organiquement. En fait, chaque fois qu’un truc logique se mettait en place, il s’accompagnait d’une référence culturelle : le poème Jabberwock de Lewis Carrol, les schtroumpfs, Dirty Dancing, et enfin, oui, Luis Mariano. Des petites allusions à Dali, à Bobby Lapointe… Des tas de trucs qui venaient donner un peu de bidoche à ce squelette encore un peu boiteux.

Et puis finalement, les dernières parties se sont “écrites toutes seules” comme on dit. Les dernières idées marrantes (dont le mode d’expression d’un personnage, qui a influencé toute une scène) sont venues d’elles-mêmes. Et voilà, le gros du travail est terminé. Je n’ai plus qu’à refaire un ultime passage pour bien vérifier que tout ça se tient, que je n’ai pas rajouté de pattes au serpent (certainement que si, parce que je dépasse un peu le signage, comme toujours), que ça reste compréhensible même quand on n’est pas dans ma tête.

Mais au bout d’une petite heure de taf, au plus, j’aurai un bon petit scénar, et j’espère que les joueurs prendront plaisir à le jouer (mais qu’ils en chieront moins que moi à l’écrire !).

Allez zou ! Dernière ligne droite. À demain, les aminches !

L’art est difficile

Albert Camus a dit (selon facebook qui est une source absolument sûre) : “Les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.”
Bim, tu commences avec une citation comme ça, c’est terminé, même pas besoin d’argumenter derrière. Merci d’avoir lu ce billet, et à dem…

Ah oui, merde.

L’art est difficile. Il suffit d’essayer d’en produire pour se rendre compte. Même pas de l’art, tiens : de l’entertainment. Du divertissement. Essaie de faire rigoler tes copains/copines avec une blague, c’est déjà compliqué.

Maintenant, essaie de faire rire des gens que tu connais pas. La blague a intérêt à être vachement bonne, déjà. Et puis, si ça se trouve tu as une tête de neuneu : va falloir compenser avec du talent, parce que tes copains/copines, ils sont habitués, mais les gens ?

Bref, l’art est difficile. La critique, elle, elle est facile. Paraît-il.

Tellement facile qu’aujourd’hui, pour un artiste, on a douze mille critiques. Je pense surtout à des gens comme l’Odieux Connard ou des critiques du dimanche, qui produisent des “critiques au vitriol” d’oeuvres diverses et variées. J’aime bien cette expression. “Critique au vitriol”. Elle dit tout ce qu’il y a à dire. Le “vitriol fumant” ou “huile de vitriol”, c’est l’acide sulfurique, “notoirement utilisé pour des vengeances ou des crimes d’honneur en défigurant la victime”, nous dit Wikipédia, qui ne dit pas que des conneries, tant s’en faut.

Le vitriol défigure. Il “dénature la figure”, il déshumanise. C’est le but ultime de la défiguration : faire perdre figure humaine, priver la victime de sa beauté, et plus profondément, de son appartenance au genre humain manifestée par les traits du visage, le motif visuel qui figure (ha ha ha) l’être humain dans les logos ou la bande dessinée. Dessinez un smiley tout con : deux points, un trait arrondi… hop, vous avez un humain. Un humain figuré, en tout cas. Si vous ne l’avez pas fait, lisez “L’art invisible” de Scott Mc Cloud, c’est un des bouquins les plus passionnants jamais écrits sur l’art en général, et la bande dessinée en particulier.

Bref, quand j’émets une “critique au vitriol”, je défigure. C’est bien ce qui se passe lorsque, plutôt que de m’attacher à l’intention d’un auteur ou d’une autrice, je cherche à décortiquer son oeuvre de l’extérieur : tel détail n’est “pas esthétique”, telle péripétie du récit est “peu réaliste”, tel personnage est caricatural…

Prenons un film de Tim Burton. Prenons Beetlejuice. L’intrigue tout entière est peu réaliste, son esthétique ne correspondait (à l’époque) à aucun critère généralisé et les personnages étaient pour le moins caricaturaux. Pris de l’extérieur, Beetlejuice est absolument grotesque. Mais il suffit de s’y pencher un peu pour en percevoir l’immense richesse visuelle (et musicale), la formidable créativité. Beetlejuice est une ode aux freaks qui s’assume complètement, portée par la personnalité (et l’intention) de Tim Burton.

Non mais on le connaît, maintenant, Tim Burton. Des burtonneries, on en voit partout. Il a relancé Halloween à lui tout seul.

Ouais, maintenant, c’est un pote, Burton. Quand il raconte une blague, il a beau avoir une tête de neuneu avec ses trucs chelous et un peu gothiques, on sait que ça va être marrant, parce que c’est lui.

La critique au vitriol défigure parce que ce n’est qu’une critique. Elle est d’une facilité déconcertante, ne nécessite aucune forme de talent, et surtout aucune compétence artistique. Ce n’est pas de l’autodérision : l’autodérision consiste à rire de nos propres défauts pour les souligner et peut-être les exorciser, ou les assumer. La critique au vitriol est une forme d’expression tellement pauvre qu’il lui faut s’exercer à partir des défauts d’un·e autre. Je ne sais pas si vous mesurez l’indigence de ce genre de technique. Elle nécessite qu’un auteur ou une autrice se soit déjà mis·e à nu pour pouvoir s’exprimer. Tout le courage du critique ne provient que du premier pas qu’a fait quelqu’un d’autre.

Albert Camus parle de comprendre plutôt que de juger. Comprendre, c’est établir un vrai lien avec l’auteur : il n’est plus celui qui fournit un produit que l’on consomme, mais celui qui exprime quelque chose et établit une communication. Si je considère l’oeuvre comme le début d’une conversation, je m’y intéresse plutôt que de la consommer.

Le “produit” ne devient une oeuvre qu’au moment où on décide de s’y pencher, de l’analyser, d’en parler comme d’une oeuvre.

Par conséquent, la première critique (stupide) que l’on peut émettre vis à vis d’une oeuvre, c’est qu’elle a été conçue sans âme, ou, pour reprendre vaguement les termes de Martin Scorsese ces derniers temps, “qu’il ne s’agit pas d’une oeuvre conçue par des êtres humains pour transmettre des émotions”. Il faut être assez rudement con pour affirmer ça. Même Roger Corman, notoirement connu pour faire passer la rentabilité de ses oeuvres en tête de ses priorités, n’a jamais commis de film si creux qu’il n’ait pu s’en servir pour exprimer quelque chose (et là, lectrice, lecteur, je te recommande un bouquin formidable sur le ciné, “Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime“, dudit Corman avec interviouves de gens qui l’ont côtoyé).

Prétendre qu’un film n’est “qu’une machine à faire de l’argent”, c’est – à mon pas si humble avis – se décrédibiliser avant même d’avoir avancé le moindre argument derrière. C’est imaginer qu’il puisse exister une forme d’expression artistique réellement dépourvue de toute volonté de communiquer.

Je ne vois pas comment un véritable artiste pourrait penser de cette façon, à aucun moment de sa carrière. C’est pour cette raison que l’affirmation de Scorsese m’a tant étonné. Le mépris vis à vis de la pop culture ne date pas d’hier : il est profondément enraciné dans une société qui s’imagine être ouverte d’esprit parce qu’elle accepte avec vingt ans de retard les avancées des générations qui l’ont précédée. Le mépris vis à vis d’une forme de cinéma calibré, je peux le comprendre, a fortiori venant d’un réalisateur connu pour son cinéma viscéral (du moins dans la première moitié de sa carrière). Mais le mépris affirmé pour la culture de masse, j’avoue que ça me dépasse un peu.

“C’est un peu long pour dire fuck you Marty, non ?”

En effet.

A demain pour un post encore plus fumeux sur des sujets complètement inintéressants ! Car comme disait Montaigne : ce sont là les excréments d’un vieil esprit, tantôt durs, tantôt lâches, mais toujours indigestes !

(Vous êtes des gens culturés, maintenant : vous lisez un beulogue où on cite Montaigne.)

Changement de rythme

Petit changement de rythme sur le blog, dû à une vie trépidante… ou plutôt à une vie mieux organisée. Il y a plein de choses qui changent dans ma vie (mes chaussettes, par exemple, à un rythme désormais bisannuel) et ça se passe plutôt pas mal. Suffisamment pour que j’aie envie de me remettre à écrire de façon régulière, que ce soit pour rédiger des choses plutôt structurée (comme un scénario pour Things from the Flood qui paraîtra à la sortie du livre du jeu en français, ou juste un peu après, ou encore des choses que j’ai déjà bien entamées et qui n’attendent qu’un peu de travail pour progresser en direction de leur achèvement).
Bref, les projets ne manquent pas, dont des choses déjà bien avancées : il ne me reste plus qu’à me discipliner et à organiser réellement tout ça. Du coup, je vais m’efforcer de parler de trucs et de machins régulièrement, et de vous livrer mes impressions régulièrement, dans une catégorie billet du jour. On verra si ça fonctionne, si je le fais assez souvent pour mériter ce nom (plutôt que billet de la décennie, par exemple). J’y parlerai brièvement de ce que je vois au cinéma, de ce que je lis, de ce à quoi je joue, de ce que j’ai mangé la veille et de la texture de mes selles : bref, tout ce qui ne manquera pas de vous intéresser, j’en suis sûr.

Ce vékande, par exemple, j’ai vu plusieurs flimes. Le dernier, Taken, ça faisait un bout de temps que ça me démangeait. C’est une prod Europacorps, du Besson… pas forcément ma came préférée. Et pourtant, ça tient plutôt bien la route, avec une histoire de papa-vigilante qui défonce tout le monde pour récupérer sa jolie fille blonde américaine perdue dans le gouffre du stupre qu’est Paris et alpaguée par ces salauds d’étrangers d’Etrangie à la solde d’un de ces salauds de riches (il paraît qu’Eric Zemmour n’arrive toujours pas à terminer le film sans une boîte de kleenex, me demandez pas pour quoi en faire). Bah oui, c’est populo, ça va pas voler bien haut, mais c’est efficace, avec juste la petite touche émotion pour que ça fonctionne. Liam Neeson (qui a joué dans absolument TOUS les films du monde : regardez le générique, il est toujours là, partout. Excalibur ? Liam Neeson. Tu l’avais pas vu, hein ? Eh ouais. Delta Force ? Bim. Chez Wikipedia, ils ont un serveur spécial rien que pour la filmo de Liam Neeson tellement elle tient de la place. Bon, je déconne, hein, mais quand même… Excalibur ?). Et franchement, c’est le bon petit film sympa à regarder le vékande : efficace, rapide, clair.
The Tall Grass, sur Netflisque, adapté de Joe Hill et de son papa (qui a tenu à demeurer anonyme). Très bon. Et ni plus ni moins qu’un épisode de la 4e Dimension un peu orienté horreur. Le pitch est bon (des gens pénètrent dans un champ en entendant un petit garçon les appeler à l’aide… et se rendent compte qu’ils ne peuvent pas trouver la sortie), ça vire très vite au Lovecraftien, ça fonctionne jusqu’au bout et il y a une très belle utilisation des gros plans, ainsi que de discrets effets numériques, pour installer le gros malaise. Bref, de la bonne, que je recommande.
Et finalement (oui, j’ai enchaîné), The Super, qui ne signifie pas “le monsieur qui met son slip par-dessus son pantalon” pour une fois, mais “Le gardien”. Un type emménage avec ses deux filles dans un immeuble où se produisent d’affreux meurtres… Serial killer ? Démon ? Le mystère reste entier jusqu’à la fin, où ce qui passait pour des incohérences s’explique assez intelligemment. On y voit un Val Kilmer surprenant dans un rôle d’homme d’entretien un peu craspec et super creepy. C’est vraiment fun malgré un rythme un peu cahoteux : il y a de quoi passer un très bon moment sans s’ennuyer. De ces trois films, the Tall Grass reste le plus intéressant et donne de bons espoirs quant aux films distribués par Netflix (et puis, Scorsese s’y met, hein, alors… Wink wink !).

Allez zou, fin de ce premier post bref mais court, on se revoit bientôt !

Sandy Julien

Sandy Julien

Traducteur indépendant

Works in Progress

  • Secret World Domination Project #1 44% 44%
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