La dernière fantaisie

Je suis en train de traduire un truc excellent. Vous allez me dire : ouais, mais c’est chaque fois, avec toi ! Ben écoutez, je ne sais pas, il faut croire qu’on me confie des trucs vraiment cool chaque fois.

Cette fois-ci, c’est pour un nouvel éditeur que je travaille : Don’t Panic Games (chez qui devrait sortir la VF de Cowboy Bebop pour ceux que ça intéresse !). Et le jeu dont je vais vous parler… ce n’est pas Cowboy Bebop.

C’est un “petit truc” qui s’appelle Fabula Ultima.

“Ca a l’air cool comme pays, le Disque-Monde”, se dit-il tandis que son bateau se cassait la gueule dans le néant spatial.

Fabula Ultima est un jeu d’Emanuele Galletto destiné à reproduire sur votre table (et un peu en dessous si vous perdez les dés quand vous les lancez) le déroulement d’un JRPG, c’est à dire de tous ces jeux de rôle pour console japonais du genre Final Fantasy (d’où le titre, qui est bien rigolo). Vous allez jouer dans un univers très inspiré des mondes pixellisés de ces jeux, en interprétant des personnages héroïques, avec un système tout simple mais adapté à ce genre de chose.

Et là, vous allez me dire : ça marche bien ?

Eh ben carrément bien, oui. Pour une raison très simple : Fabula Ultima ne cherche pas à réinventer la roue, mais expose des règles classiques avec une clarté assez rare. On n’est pas dans un jeu ultra-original où il faut jongler avec des dés en feu au-dessus d’une bassine pour réaliser les tests : ici, une poignée d’attributs, des dés qu’on lance toujours par deux, on fait la somme et il faut dépasser un niveau de difficulté. Du classique de chez classique.

Il y a des points de vie et de magie, de l’initiative pour les combats, des sorts et des rituels, et ainsi de suite. Rien que des choses qu’on a vues ici et là ces dernières années. Oui, mais ici… c’est bien.

C’est tout mimi, les illustrations, parfois !

Pourquoi ? Tout simplement parce que le système tout entier est au service de la simulation de JRPG. En premier lieu, il faut créer l’univers de jeu : là, on est dans l’optique d’une narration partagée. Chaque joueur contribue à la création d’univers, et le jeu propose d’emblée plusieurs atmosphères : high fantasy, natural fantasy et techno fantasy (on pense facilement à final fantasy, secret of mana et skies of Arcadia, par exemple). Pour chacune, on vous donne des pistes pour créer des personnages joueurs dans le mood, mais aussi leurs adversaires. La narration est guidée par des principes fun avant tout : il s’agit de vivre une aventure où les personnages grandissent, dépassent leurs différences et affrontent ensemble un péril menaçant leur monde entier.

La création de personnage, très simple, vous permet de définir des éléments qui vous donneront un bonus dans certaines situations : votre origine, votre identité et votre thème. Le thème, c’est quelque chose de très sympa : jouez un perso dont le story-arc tourne autour de la Rédemption et vous pourrez exploiter cet aspect en cours de jeu pour bénéficier de bonus lorsqu’il cherche à se racheter. Rien de révolutionnaire, mais ça colle pile à l’atmosphère.

Les personnages disposent également de liens, un système de relation très simple mais parfaitement raccord avec l’univers des JRPG pour représenter leur attachement ou leur aversion envers des PNJ, voire des organisations, des pays, etc. Encore une fois : une mécanique simple et solide.

A tout ceci s’ajoutent les points Fabula qui permettent aux joueurs de créer des éléments : un objet apparaît, un PNJ se présente, le groupe entend parler d’un érudit qui aurait la réponse à une question que tous se posent… Bref : le petit coup de pouce narratif qui permet aux joueurs d’intervenir dans l’intrigue sans pour autant tout foutre par terre : en effet, ces règles sont très bien expliquées et encadrées (pour certaines interventions, il faut par exemple obtenir l’accord du MJ).

Heidi et Pierre étaient bien décidés : ils allaient casser la gueule à Séphiroth.

A la lecture du livre de règles, les mécanismes s’enchaînent et tombent sous le sens : c’est clair, c’est facile, et tout est orienté vers le fun. Pas de mort de personnages joueurs, sauf si les joueurs qui les interprètent le souhaitent, et en général, leur sacrifice ultime permet de sauver le monde. Les règles de magie permettent à la fois d’utiliser des sorts tout faits et de recourir à une magie plus souple (celle des rituels) qui laisse énormément de marge de manoeuvre.

Les illustrations, très réussies, mêlent le style manga traditionnel à quelques illus chibi, et même à des objets en pixel art. Mon seul regret, c’est qu’il n’y en ait pas davantage (mais le bouquin est déjà bien fourni). A tout ceci s’ajoute un bestiaire traditionnel mais très clair et bien fichu, de nombreux conseils et une foule de règles optionnelles.

Une seule et unique réserve : le meneur de jeu va tout de même avoir du boulot, car le jeu ne propose pas de scénario… et pour cause, il est censé se dérouler un peu en bac à sable (avec des règles d’exploration encore une fois claires et simples), avec une bonne mesure d’impro. Il faudra donc tout de même avoir de la ressources, mais les règles offrent tellement d’exemples et de pistes que si vous êtes un peu habitué à maîtriser, ça devrait se passer comme sur des roulettes.

Et là où le jeu brille, c’est justement dans sa capacité à vous laisser faire à votre sauce tout en vous donnant une quantité considérable de matos : beaucoup mais pas trop, vraiment juste ce qu’il faut pour enflammer votre imagination et vous permettre de développer par vous-même.

Fabula Ultima a deux immenses qualités : tout d’abord, c’est un jeu classique (tous ses mécanismes, vous les avez sans doute vus autre part) mais dans le bon sens du terme. Si vous avez un peu peur des systèmes audacieux ou novateurs, vous serez à l’aise ici : même si le jeu utilise pas mal de petites règles astucieuses, on demeure dans le domaine des JDR traditionnels. Et en parlant de tradition, voilà le deuxième point que j’apprécie ici : Fabula Ultima vous proposer d’utiliser des clichés, des stéréotypes, ou plutôt un style très particulier, celui des JRPG, pour développer vos aventures. A la lecture, on imagine immédiatement comment faire une partie dans des univers connus : pourquoi pas jouer la suite d’un jeu vidéo qui nous a plu, ou placer l’intrigue dans un univers qu’on affectionne tout particulièrement ? (Ce qui me fait penser que ça permet aussi de recycler les artbooks de vos jeux vidéo préférés !)

Fabula Ultima est une boîte à outils énorme et modulaire (avec toutes ses petites règles optionnelles astucieuses), toujours élégante, toujours d’une grande clarté, toujours à l’avantage du fun.

Et voilà ce qui va me permettre de conclure : Fabula Ultima me donne l’impression d’un jeu tout à fait idéal pour l’initiation. Avec son esthétique de jeu vidéo, son utilisation de stéréotypes accessibles pour n’importe quel enfant ou ado, ses règles limpides et l’énorme marge de manoeuvre qu’il laisse aux joueurs, c’est un outil splendide, que je recommande vivement aux papas et aux mamans qui souhaiteraient faire découvrir le JDR à leurs chères têtes blondes… mais pas que ! De toute évidence, Fabula Ultima a tout ce qu’il faut pour développer des campagnes décomplexées, où le maître mot est fraternité : on a d’emblée envie d’interpréter des personnages héroïques et hauts en couleur.

C’est un petit jeu que je n’attendais pas, qui sort un peu de nulle part, et qui fait parfaitement ce pour quoi il est conçu : reproduire l’atmosphère, et même l’émotion, des JRPG. Une belle mécanique servie par des illustrations tellement agréables qu’on en voudrait davantage, et une superbe surprise en ce qui me concerne !

Ils venaient de par-delà la tombe !

Pas à dire, les titres en anglais, faudrait pas les traduire !

D’autant que le titre de ce jeu “They Came From Beyond the Grave” (en gros, ceux qui venaient d’outre-tombe) est en réalité un jeu de mots sur le précédent jeu de la gamme, They Came From Beneath the Sea, qui parodiait les vieux films de SF/horreur des années 1950.

J’avais très envie d’aimer They Came From Beyond the Grave d’Onyx Path Publishing. Ce jeu vous propose de jouer des récits d’horreur inspirés des films de la Hammer. Son originalité consiste à donner un ton humoristique aux parties, en insistant sur les acteurs cabotins, les répliques un peu lourdingues et le côté involontairement hilarant de ces films.

Autre détail : on peut y interpréter les personnages « en double », une version dans les années 1970, et leurs ancêtres ou doubles au 19e siècle (les récits de personnages réincarnés étant souvent de mise dans les vieux films fantastiques).

Quand vous jouez à Guillaume Tell, n’oubliez pas la pomme.

Très intelligemment, les auteurs expliquent d’emblée qu’on ne peut pas forcer l’humour : ça ne fonctionne pas. Ils ne donnent pas vraiment de pistes pour le favoriser non plus, ce qui n’aide pas vraiment. Heureusement, le jeu propose deux mécanismes qui vont pousser un peu le truc : des “quips”, des répliques complètement cheesy et lourdingues que les PJ peuvent placer pour gagner des bonus assez considérables (surtout si on les multiplie), et des “effets de style” qu’on peut jouer pendant la partie pour simuler des effets cinématographiques : on revient en arrière, un perso était en fait absent, un cascadeur remplace un des acteurs qui bénéficie donc de meilleurs chances de réussir une tâche physique…

On a également une série de références cinématographiques passionnantes : les auteurs ont bien synthétisé tout un courant et en proposent une lecture agréable au travers de ses stéréotypes. On trouve d’ailleurs un excellent bestiaire classique du film d’horreur des seventies, qui compte les passages obligés (Dracula, la momie, la créature de Frankenstein, etc.). De ce côté-là, c’est plutôt pas mal, et les suppléments de la gamme proposent quelques originalités (dont la possibilité de jouer plutôt dans les Slasher des années 80).

Un argument essentiel des films de la Hammer : l’érotimste.

Malheureusement, les points positifs s’arrêtent là. Le système, héritier de celui du monde des ténèbres, utilise des d10 avec une réussite sur 8 ou plus. Il est expliqué laborieusement, avec une maquette pas vraiment folle qui n’aide pas à se repérer dans ce qui est essentiel ou secondaire. Des règles déjà assez pesantes deviennent réellement indigestes. La création de perso est vraiment laborieuse, a fortiori si on détaille son background comme le préconise le jeu. Pas de génie dans cette resucée de Vampire & Cie : des règles à l’ancienne, saupoudrées de quelques originalités tout de même et d’une volonté d’aller vers le “oui mais”. Mais la rédaction de l’ensemble, totalement dépourvue de volonté synthétique, est un énorme frein.

On a tout de même différents systèmes donnant des pouvoirs aux PJ, mais tout ça est complexe et mal hiérarchisé : les pavés de texte se succèdent pour expliquer la possibilité de prendre le contrôle narratif, d’utiliser les quips, les mouvements de caméra, etc. Il y a une foule de sous-systèmes qui viennent se greffer aux règles de base plutôt que de les prolonger.

Aucune volonté de résumer : il n’y a pas, par exemple, de page résumant la création de perso (un classique dans les jeux lourds), et j’ai eu beau chercher partout, je n’ai pas trouvé d’écran du MJ (c’est peut-être que j’ai mal cherché… mais c’est une des rares fois où je me suis dit qu’il fallait un écran pour jouer). Le jeu multiplie les petites règles complexes du genre : quand vous utilisez un “quip” (une des fameuses citations à placer), si vous obtenez une réussite, vous avez tel bonus, mais au bout de trois il y a un effet différent, et ça peut se transformer en avantage différent, mais vous ne pouvez pas l’utiliser plus de cinq fois sans que…
Note : il existe tout de même des cartes résumant les quips et un certain nombre d’effets… mais ça ne suffit vraiment pas.

Tout ça est décrit très longuement, alors qu’un petit tableau ou trois lignes de résumé auraient suffi, et des règles déjà assez pesantes deviennent carrément lourdingues. Le background est décrit pas de petites nouvelles… un tic rôlistique que je déteste… Je les ai vite survolées : ça ne vole pas bien haut et la volonté de pastiche l’emporte de très loin sur la qualité. Un mauvais point pour Griffondeplomb.

L’aspect “méta” du jeu (on joue des personnages… qui sont en fait des acteurs puisqu’ils peuvent utiliser des cascadeurs ou des effets de caméra) est maladroitement posé. Très loin de l’efficacité d’un Bimbo où tout est clair d’emblée (on joue les actrices, pas les personnages), ici on est toujours à cheval entre le côté méta et le côté premier degré.

T’entends pas comme quelqu’un qui se fait tuer, derrière nous, Ginette ?

Or, cet équilibre délicat que maîtrisaient (pas si adroitement que ça, en fait) les films de la Hammer et autres machins d’horreur loufoques de l’époque, est vraiment difficile à préserver dans le cadre d’un JDR, et dans celui-ci en particulier. Et ça se ressent dans les illustrations, toutes très premier degré. On a bien des affiches pastiches avec des titres ronflants (“Fear the Angel of Death !”), mais c’est tout. A la table, les quips vont certainement accaparer l’attention des joueuses (en tout cas c’est sans doute l’effet que ça me ferait), mais ira-t-on bien plus loin ?

Je doute de jamais le savoir : le gros pavé indigeste qu’est They Came from Beyond the Grave m’a tué l’envie d’essayer. On a souvent l’impression que je suis toujours fan de ce que je lis, mais c’est tout simplement parce que je ne parle que de ce qui me plaît réellement. J’enfreins cette règle pour ce jeu particulier, qui m’a vraiment déçu. J’attendais un système élégant à la Fria Ligan ou PbtA, un système qui codifie les stéréotypes d’un genre pour les reporter à la table, mais j’ai obtenu un ensemble d’outils sans guère de cohérence, et très mal fichus.

Les règles du polo étaient bien différentes dans les années 1970.

L’héritage des jeux à l’ancienne plombe TCFBTG, et ça se voit. Pour créer un personnage, le choix d’archétype est maigre (cinq seulement, mais on les associe à des origines différentes). On vous propose ensuite, pour définir le personnage, de le décrire dans un grand luxe de détails : qu’est-ce qu’il aime, sa description physique, son passé ultradétaillé… et ce, pour deux versions de lui-même puisqu’il doit exister au 19e siècle et dans les années 1970. D’ailleurs, cet aspect n’a pas d’intérêt particulier ni d’application claire : c’est un gimmick que les règles n’exploitent pas de manière mécanique. Il faudra s’en satisfaire (à moins que le passage qui en parle ne soit caché au milieu de ce texte laborieux : après avoir lu en détail au début, j’ai fini par survoler beaucoup sur la fin). On est très loin des personnages extrêmement clairs et typés des jeux les plus récents : la création de perso est particulièrement pénible et ne présente pas énormément de moments forts (le choix des quips étant le plus fun).

Bref… On a là un héritier des verbeux volumes du storyteller system : beaucoup (BEAUCOUP) de blabla pour présenter un système qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions et que je trouve assez dépassé techniquement. Alors que les jeux OSR nous ont appris à dégraisser un système de manière efficace pour obtenir un condensé de fun, que les PbtA proposent de transposer les tics d’un style fictionnel sous forme de règles et que les jeux Fria Ligan inventent des mécanismes novateurs comme les effets de la peur, alors que tous les jeux proposent désormais des outils permettant de faciliter la cohésion d’un groupe de joueuses… On a ici un système plein de gimmicks mais sans réelle saveur ni cohésion, des descriptions qui tirent atrocement à la ligne et un jeu qui se dégonfle comme un soufflé abandonné depuis huit jours.
Au bout du compte, j’en viens à me demander si le sujet était si riche qu’il y paraissait.

J’ai trouvé LE jeu de fantasy fun que je voulais depuis si longtemps (Land of Eem), et j’ai bien cru que TCFBTG me ferait le même coup pour les jeux d’horreur… raté. Pas de bol, le jeu traîne encore les casseroles du monde des ténèbres, et n’a pas vraiment réussi à faire dans ces vieux pots une meilleure soupe que d’excellents jeux tels que Monster of the Week ou Sombre.

Eh ben merde alors, elles sont toutes pitites, mes fiancées. Toutes pitites pitites.

Il reste quelques trucs à exploiter à l’intérieur, et l’envie de faire mieux, plus simple, plus fun. Grosse déception ! On va chercher d’autres jeux d’horreur bien fichus, qui tentent des choses originales plutôt que ce gros volume verbeux et somme toute relativement creux.

22/11/63 – Le Stephen King que j’avais laissé de côté

J’ai enfin terminé 22/11/63, à force de le lire à dose homéopathique les soirs (je m’endormais souvent au bout de 4 ou 5 pages même si c’était formidable, et du coup, j’ai beaucoup lu le matin avant que ne sonne le réveil, en fait).

Bon, alors déjà le pas bien. La traduction est bonne et pas bonne, c’est la traduction de Schrödinger. Elle a été critiquée pour l’emploi de termes un peu pas terribles (par exemple, un mec qui dit “Hé, copain” pour “Hey buddy”, oui c’est super chelou pour les générations actuelles mais… mais je vous cache pas que ça se disait il y a longtemps, dans les cours de récré, et qu’un personnage qui aurait conservé ce tic a , du coup, un cachet particulier : bref, ça, ça ne m’a pas gêné), la substitution de termes de culture française pour des termes américains (genre des noms commerciaux, je n’ai pas noté lesquels), mais surtout, un truc qui m’a freiné dans ma lecture : le mélange constant du passé composé et du passé simple. Je ne comprends pas pourquoi, dans un même paragraphe, ça passe de l’un à l’autre, et ça a été extrêmement perturbant au début. On a aussi un personnage qui balance des “J’ai pas fait”, “Je pensais pas que”, etc. alors qu’il est prof de langue natale (anglais, donc transposé en français) et qu’on est dans le registre de l’écrit. Ca fait vraiment bizarre et voilà, ça m’a un peu interloqué au début. Je me suis dit qu’il s’agissait de choix (parce que la trad reste quand même fluide et lisible, et que si tu es habitué.e à lire plutôt en français, ça ne va pas te retourner le cerveau), mais je ne comprends pas d’où ils viennent, ces choix. Est-ce que le texte est vraiment un peu foireux, est-ce que c’est moi qui le critique trop, et à quoi ressemble la VO ?

Peut être une image de 4 personnes et texte



Je ne peux pas vous le dire, parce qu’une fois embarqué dans cette lecture, je n’ai pas pu décrocher.

J’y allais à reculons, mais au bout d’une vingtaine de pages, il était hors de question de perdre du temps à prendre le bouquin en VO plutôt qu’à suivre l’intrigue).

Une intrigue qui est TRES loin de ce que semble vendre le bouquin, en fait. On va vous raconter un peu partout que c’est le portrait de l’Amérique, blablabla, et patati histoire politique par-ci, et patata angle intéressant sur un événement et sa possible portée par le prisme de la fiction par-là… Vous aurez un peu l’impression que ce bouquin parle beaucoup de Lee Harvey Oswald et de Kennedy.

Selon moi, rien n’est plus faux.

Parce que je n’en ai strictement rien à battre d’Oswald et de Kennedy, comme de toutes les grandes figures historiques. C’est un point de vue que je pourrais développer ailleurs, mais je ne pense pas du tout que l’histoire repose sur les actes d’UNE personne comme le sous-entend une bonne partie de la fiction des zétazinis.

King n’est pas de cet avis, et ce bouquin est en réalité un bouquin sur le thème de la responsabilité personnelle et du contrôle de notre vie (et par ricochet de celles d’autrui) par nos actes. Il y a effectivement un passage consacré à Oswald : il arrive à un point marquant du récit, et on y voit King dégobiller une synthèse de dizaines d’ouvrages consacrés à cette page de l’histoire, de façon un poil artificielle selon moi (c’était le passage le moins intéressant), mais nécessaire malgré tout pour brosser le portrait DU meurtrier emblématique des US et poser la légitimité et la solidité de son intrigue. Je me suis un petit peu fait chier durant ce passage, mais c’était un mal nécessaire.

Tout le reste du bouquin est l’histoire personnelle et poignante d’un mec qui n’a plus grand chose à perdre, qui décide d’accomplir un acte extraordinaire et qui se rend compte que sa vie ne fonctionne pas à la même échelle que l’univers, que les rouages qu’il bidouille sont bien plus compliqués et pervers que prévu.

Oui, c’est l’histoire de l’effet papillon, mais c’est beaucoup plus futé que ça. Le papillon de l’histoire, c’est celui que Jake Epping a dans le ventre comme on dit en zétazinien, mais je ne veux pas vous spoiler tout ça parce que ça arrive d’une façon très intéressante.

C’est du King, bien sûr, mais le meilleur du King. Déjà parce qu’en début de roman il pose les règles du voyage dans le temps et définit une base solide sur laquelle le reste du récit va s’appuyer… ou pas (King reste King).

Ensuite, c’est une intrigue extraordinairement resserrée : ça pourrait facilement tenir dans un film genre “C’était demain” (le love cosmique sur ce film), et le réal changerait sans doute la fin par rapport au roman, et il aurait tort, poutrin, tort tort tort parce qu’il s’agit tout simplement d’une des fins les plus fortes de King, je l’ai beaucoup aimé même si je lui aurais bien mis une grosse calotte de cow-boy pour m’avoir fait ça.

Bref, j’ai adoré, et clairement, 22/11/63 se place à côté du Fléau et de Ca, qui sont mes King favoris. Peut-être même que c’est son meilleur, je ne sais pas (il y en a beaucoup que je n’ai pas lus).

Tout ce que je peux vous conseiller, c’est de le lire (en VO si vous pouvez, mais je vous promets que mes pinaillages sur la VF ne sont que des pinaillages : la SF des années 60 a survécu à beaucoup de trads parfois plus hasardeuses que celle-ci) et de vous attendre à ce genre d’expérience que j’apprécie le plus chez King : vous allez côtoyer des personnages extraordinaires, et curieusement, Oswald et Kennedy ne sont que des troisièmes ou quatrièmes rôles sans la moindre importance (ou presque). Un grand, un TRES grand roman que j’ai lu après avoir potassé le bouquin de Yannick Chazareng sur le King, un guide de lecture parfait.

MULTIVERSE Role-playing game, le JDR des superhéros Marvel

Je viens de recevoir le livret de playtest du dernier jeu de rôle consacré à l’univers des superhéros Marvel… ou plutôt au Multivers des superhéros Marvel : la formule consacrée par les derniers films Spider-Man et la tendance du MCU à multiplier les univers est à la mode, et ce JDR s’engouffre dans l’ouverture. Note : le format de ce billet est bordélique parce que je l’ai fait super vite et que je ne suis pas le frère de la Sorcière Rouge.

Le jidéhaire du multivaire

Multiverse Role-Playing Game, de Matt Forbeck, est le dernier né des jeux consacrés à l’univers des superhéros Marvel. Disponible sous la forme d’un livret de playtest (payant… ce qui est assez moisi, même si le livret en question est complet et richement illustré), il sortira en 2023 en version complète, sous forme d’un manuel cartonné dont on nous promet des merveilles tout au long du texte de ce livret starter.

La fiche de Mile Moralès

Le système D616

Baptisé d’après la Terre 616 (la Terre « standard » des superhéros Marvel au sein d’un multivers qui en comprend sans doute une infinité), le système de base de MRPG semble assez prometteur. Déjà, il n’exploite que des D6, et de deux couleurs seulement. Pas besoin de racheter du matos pour s’en servir : trois dés dont un de couleur différente des autres suffisent. Ensuite, il est simple mais astucieux.

On lance les trois dés à six faces, dont on fait le total, le but consistant à dépasser un seuil de difficulté (TN pour target number). Le dé spécial a une fonction particulière : s’il donne un 1, on le compte en réalité comme un « 6 amélioré ». Non seulement le résultat compte comme un six, mais c’est une réussite particulière. Si on a obtenu deux 6 aux autres (donc une combo de 616), non seulement ce total compte comme 18, mais c’est une réussite fantastique, qui produit des effets extraordinaires. Si vous obtenez un 1 au dé Marvel mais que le total des dés donne moins que le TN, vous avez raté, mais un effet spécial bénéfique intervient.

C’est futé, ça rappelle un peu le principe du dé fantôme de Ghostbusters, et ça reste plutôt facile à mettre en œuvre pour un résultat nuancé.

Des chiffres partout

C’est ensuite que ça se complique. Au résultat des dés, vous ajoutez un bonus issu d’une carac (des caracs aux noms comme Might, Agility… etc., dont les initiales forment – oh là là c’est trop cooooool – le mot MARVEL : je peux pas m’empêcher de penser que Stan Lee aurait kiffé, même si en réalité c’est juste un peu tarte).

En fonction de la situation, vous pouvez avoir des bonus ou des malus qui se manifestent sous forme d’une relance de dé dans les deux cas : soit vous pouvez choisir de relancer un de vos dés, soit l’opposition vous force à en relancer un. Ces bonus et malus peuvent se cumuler : plusieurs d’entre eux peuvent affecter un même test.

Ca devient déjà un poil plus compliqué de lancer les dés, mais on est encore dans la moyenne.

Création de perso

La création de personnage vous permet de développer votre propre héros, même si le jeu en propose déjà quelques-uns. Et là… le système devient beaucoup moins élégant et accuse son héritage donjon-et-dragonesque. Tous les héros ont un rang (un niveau, en gros), qui est en outre plafonné (on ne peut pas dépasser un certain niveau, et un perso comme Spider-Man ne pourra donc jamais atteindre le niveau d’un perso comme Thor, d’un rang bien plus élevé).

Le rang conditionne un certain nombre de facteurs, et en particulier le nombre de pouvoirs dont vous disposez, mais aussi le plafond de vos caractéristiques.

A la création de perso, vous choisissez un archétype (Striker, Protector, Polymath, etc.) qui détermine un premier bonus à chacune des caracs. A vous ensuite, selon votre rang, d’ajouter des points dans toutes ces caracs pour obtenir un modificateur final. L’archétype détermine aussi, automatiquement, vos dégâts et quelques autres facteurs présentés sur une table euh… ben une table très eighties, hein…

Créer un personnage consiste à cumuler des points et choisir une origine et un job qui vont vous donner des traits. Ces traits sont des avantages et/ou défauts qui constituent chacun une petite règle supplémentaire : tel trait vous donne un avantage dans une situation ou un handicap dans une autre, etc. A la création de perso, vous cumulez déjà cinq ou six traits…

Les pouvoirs

Mais le plus important, ce sont vos pouvoirs. Ils sont répartis en « power sets » : chaque power set représente un type de pouvoir comme « projection d’énergie » ou « pouvoirs d’araignée » (il y a une catégorie spéciale rien que pour les spider-heroes, comme s’ils n’entraient en réalité dans aucune case). Votre rang détermine le nombre de power sets dont vous disposez et le nombre de pouvoirs que vous pouvez choisir à l’intérieur.

Une arborescence de pouvoirs. Si seulement il y avait un résumé des effets des pouvoirs, comme dans Star Wars, ça deviendrait beaucoup plus jouable !
Trois exemples de pouvoirs pris au pif. C’est clair, c’est logique… et quand on en a beaucoup, ça va devenir un bel exercice de mémoire.

En effet, chaque power set comprend une grosse quinzaine de pouvoirs distincts que vous pouvez choisir (votre rang limitant encore une fois ce que vous pouvez prendre). Chaque pouvoir représente une mini-règle en soi : Camouflage vous donne un avantage aux tests d’Agilité et donne un désavantage aux ennemis qui tentent un test de Vigilance contre vous. OK. Les pouvoirs fonctionnent en gros comme les sorts de D&D : ils peuvent avoir des effets très variés.

C’est là que ça commence à déconner. Prenons Miles Moralès. Rang 10, donc un héros déjà assez costaud, mais loin d’égaler des pointures comme Captain America (rang 15). Il cumule 10 traits et 12 pouvoirs (presque tous dans le même power set). 22 mini-règles, donc. Pour gérer tout ça, il faut bien connaître les pouvoirs et leur application.

Les règles

Le livre comprend presque exclusivement des règles de combat. Très détaillées. Si vous n’êtes pas de la même taille que votre adversaire, vous avez sans doute un malus ou bonus au TN et aux dégâts. Les objets sont définis par trois valeurs : leur taille (qui détermine leur nombre de points de vie mais aussi le bonus aux dégâts qu’ils occasionnent), leur robustesse et leur nombre de points de vie. Pour lancer un objet (de votre taille), vous pouvez le projeter à 3 m + 60 cm pour chaque point de Might que vous possédez. On fait un test d’Agilité contre la défense d’Agilité de la cible, et en cas de succès, on inflige les dégâts à distance de l’assaillant plus son Agilité ou son Might (le plus élevé des deux). En cas de réussite fantastique, la cible est à terre. C’ay compliquay. Enfin, c’est facile à comprendre, mais à appliquer dans un combat, ça va vite être chaud et les bastons vont durer huit heures

Ca c’est l’exemple des objets. C’est UNE règle. Et il y en a beaucoup d’autres comme ça, très logiques et intelligentes, mais qu’on a du mal à réunir en un tout cohérent. Ce qui signifie que chaque action, au début de votre carrière dans ce jeu, va nécessiter la consultation du livre de règles et sans doute un peu de calculs (il y a aussi des calculs de moitié arrondie à l’entier supérieur, etc.).

Et je vais vous dire un truc : mon sens d’Araignée me dit que ça risque d’être un poil lourd à l’usage. Chaque action de combat (où les distances sont mesurées précisément pour chaque type de déplacement, et en trois dimensions bicoze ça vole, ces bêtes-là) va nécessiter des calculs d’apothicaire. Ou du moins ce qui passe aujourd’hui pour des calculs d’apothicaire…

Pensez bien que chaque pouvoir a une règle spécifique (genre celles que je vous ai screenshotées dans cet article)…

Les autres règles

Il n’y en a pas.

Mais les objets sont super détaillés.

Sérieux ?

Sérieux.

SUPER SUPER DETAILLES.

Un système de superhéros à l’ancienne

MRPG est un système solide à l’ancienne, avec tables d’évolution selon les niveaux, bonus et malus à appliquer dans tous les sens, et une règle spécifique pour chaque pouvoir. Quand il s’agit d’expliquer comment les héros évoluent, on vous explique « en gros, ils gagnent un rang par gros scénario ».

Table des modificateurs et valeurs de l’archétype Bruiser. Ca fleure bon les JDR des années 80-90.

Mais que va-t-il se passer pendant ces scénarios ? Techniquement, de la baston. On a un système superhéroïque 100% baston ou presque. Vous allez clairement pouvoir déterminer qui, de Hulk ou de Thor, se fait ratiboiser le premier sur un champ de bataille. Vous aurez sans doute beaucoup de mal à jouer des persos de rangs différents, un peu comme il est difficile de jouer des persos de niveaux très différents à D&D. Parce que MRPG est D&D pour Marvel.

Règles des objets. Encore une fois, du solide, du complet, et du très difficile à mettre en oeuvre sans consulter sans arrêt les règles…

Habillage un peu différent (le D616), quelques astuces bien vues (les points de karma qui vous permettent d’obtenir des bonus, les points de focus qui servent pour les pouvoirs ou d’autres trucs), mais c’est un système de combat, et absolument rien de plus.

Et c’est un système de combat lourd. Regardez un peu les règles concernant les objets, plus haut. C’est très clair, c’est très solide, c’est très logique. Franchement, je les trouve vraiment robustes. Mais il va falloir y recourir CHAQUE FOIS qu’un perso lance un lampadaire ou prend une voiture à travers la tronche. Au bout d’un certain nombre de parties, ce sera moins laborieux. Mais chaque fois que Hulk va lancer un gros truc, ça demandera d’abord un certain nombre de calculs sur les tables des objets. J’ai beaucoup de mal à m’imaginer un combat dynamique en moins d’une heure, voire deux, avec ce système, a fortiori avec un bon groupe de quatre ou cinq joueurs aux pouvoirs conséquents…

Le gros souci

Certains traits de MRPG évoquent l’évolution récente des comics Marvel : Green Door, par exemple, est un trait qui ne peut être associé qu’aux individus transformés par les rayons gamma et leur permet en gros de revenir de la mort. C’est un détail issu de l’excellentissime run « Immortal Hulk » (si vous ne devez lire qu’un comics Marvel récent, c’est celui-là).

Mais tout ce qui fait le charme des comics les plus récents (et notamment ces story-arcs bien développés et novateurs où les personnages ne se contentent pas de se taper dessus) est escamoté. Rien pour développer des intrigues personnelles (les fameux subplots de DC Heroes), rien pour gérer le quotidien des superhéros ou leur rapport avec leurs pouvoirs et leur environnement, juste un système brut qui vous dit qu’il faut moins de dégâts pour tuer Tante May que pour égratigner le Juggernaut.

Concluture

MRPG est, en l’état, un jeu à l’ancienne. Ce n’est pas forcément un mal. Les jeux OSR prouvent qu’un système de ce genre peut tout à fait être propice au développement de tout un tas d’autres choses, et qu’un système qui gère le concret n’empêche pas les subtilités.

Mais on ne peut pas s’empêcher, après avoir vu beaucoup d’autres jeux s’intéresser à ce qui fait réellement les superhéros, de le trouver bien creux. De ce point de vue, DC Heroes (mon grand chouchou, dans les années 1990), est bien plus en avance sur son temps : il bénéficiait d’un système cohérent où tout n’avait pas besoin d’être géré par une mini-règle, il tenait compte de tout ce qui fait l’univers méta des superhéros (en comptabilisant l’expérience d’une façon absolument géniale, qui tenait compte des sous-intrigues) et il proposait une expérience de jeu plus dynamique à mon avis.

Maintenant, je peux complètement me gourer, mais si le système de base me paraît pertinent, je ne vois pas comment ça pourrait être fluide lors des premières parties tant le jeu paraît lourd et criblé de mini-règles ultraprécises. Les adeptes de Mutants & Masterminds apprécieront peut-être (ça leur paraîtra plus simple…), mais après avoir vu des choses comme Masks, Marvel Heroic Roleplaying ou Hexagon, on a du mal à comprendre le gros pas en arrière que représente ce système.

Cela dit, je ne juge pas immédiatement : un, je n’y ai pas joué, deux, c’est une béta (payante, certes.. grrr). Beaucoup de choses peuvent changer (et devenir plus fluides, j’espère) d’ici 2023. Ce que je trouverais TRES judicieux, ce serait un paquet de cartes représentant pouvoirs et traits : sans ça, au début, le bruit des manuels qu’on feuillette va couvrir les conversations de la partie.

Si vous aimez le côté simulation, les bastons aux déplacements millimétrés, les barres de PV au-dessus de 150 avec des dégâts à coups de Xd6, le côté tactique et les systèmes à l’ancienne, ça pourrait tout à fait vous parler. Sinon, ben c’est pas gagné gagné…

EDIT : après avoir rédigé cet article, je me suis demandé si je n’étais pas un peu dur avec le jeu. Certaines reviews le trouvent réussi, mais d’autres vont exactement dans le même sens que moi (https://gizmodo.com/marvel-multiverse-role-playing-game-review-too-much-fa-1848818387), ce qui me conforte dans ma première opinion. A vous de vous faire la vôtre !

Tous les extraits du jeu appartiennent à Marvel, éditeur du jeu, et sont utilisés à titre d’illustration.

Sandy Julien

Sandy Julien

Traducteur indépendant

Works in Progress

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