“Vous faites une aventure ?”
Quand j’étais ado et que je ne connaissais même pas le mot « rôliste », que même les intéressés mirent un certain temps à intégrer à leur vocabulaire courant, je « faisais des aventures ».
Autour d’une table, avec des copains, je partais à l’autre bout d’autres mondes pour vivre d’autres vies, et plus rien d’autre ne comptait. C’était un monde à part. Comme nous n’appartenions à aucune association (je vivais au fin fond de la Nièvre : Tatooine, à côté, c’est une planète urbaine…), nous réinventions la roue à chaque partie. Chaque situation que ne couvraient pas les règles donnait lieu à un arbitrage, on bricolait nos propres scénarios et on échafaudait ce que l’on qualifierait aujourd’hui de « hacks » de la façon la plus improbable (avec un jeu méd-fan et un jeu de super-héros basés sur les règles de James Bond !).
De jeu en jeu, de décennie en décennie (oui, c’est SI LOIN que ça), nous avons changé de façon de jouer. Déjà, « nous » n’étions plus les mêmes « nous » qu’à l’origine. D’abord parce que certains partaient ici et là, parce que d’autres n’éprouvaient plus forcément la même passion pour le jeu de rôle, parce que nous devions désormais nous débrouiller pour vivre notre vie. La vie de famille, le travail et toutes sortes d’autres activités avaient peu à peu rongé l’espace de liberté nécessaire pour jouer. Finis les weekends d’insouciance où ma mère me demandait : « vous faites une aventure, samedi ? »
Le jeu de rôle avait été cette parenthèse magique où il nous suffisait du temps d’un weekend pour refaire le monde, pour refaire notre monde, ensemble, autour d’une table et d’une poignée de dés. Et la vie active avait refermé cette parenthèse, la reléguant parmi des souvenirs qui ne resurgissaient plus très souvent.
Ou du moins c’est ce que j’imaginais.
Le besoin de jeu de rôle, l’envie d’autres mondes ne m’avait pas quitté, loin de là. Je retrouvais dans la littérature, le cinéma et surtout les séries télévisées, modernes pourvoyeuses de rêve, un peu de la fascination qu’exerçaient sur moi les univers rôlistiques. Mais recevoir ces fictions comme spectateur passif ne suffisait pas. J’assistais aux aventures des protagonistes, mais je ne les « faisais » plus.
Je ne faisais plus d’aventures.
Le fantasme de la maison de retraite rôlistique
J’ai traversé une période que beaucoup de rôlistes d’un certain âge connaissent : celle où l’on est prêt à lâcher prise tout à fait, à se dire « c’était un truc de ma jeunesse, je suis trop vieux ». Ce petit pincement au cœur que l’on ressent à la table de jeu en se rendant compte que « c’est plus pareil ». Trop peu de temps à consacrer aux parties, des amis trop éloignés ou à l’emploi du temps trop rempli, et une quantité invraisemblable de jeux énormes à lire plutôt qu’à pratiquer. Je me suis même dit, de temps à autre, qu’en vieillissant, l’imagination devait sans doute se tarir, d’autant que je constatais le phénomène chez d’autres que moi : cette sorte de lassitude qui succédait aux années d’euphorie.
Tout cela était assez frustrant, et les signes étaient toujours les mêmes. Le souvenir des « parties de notre adolescence », érigées en forme d’âge d’or fantasmé, et d’où ne nous restaient que des noms, des épisodes, des jeux de mots, des fous-rires et parfois des moments d’émotion. Le regret de ne plus pouvoir jouer comme avant, comme une sorte de « trouble de l’imagination » qui nous gâchait les rares parties de jeu où l’on parvenait à rassembler quelques amis au même moment, autour de la même table… Et un souhait que j’ai entendu d’innombrables fois chez d’innombrables rôlistes : « vous voyez pas qu’on soit tous dans une maison de retraite et qu’on n’ait rien d’autre à faire que de jouer aux jeux de rôle ? Ce serait pas génial ? »
Il est symptomatique, ce rêve de la maison de retraite. Ce fantasme d’une seconde adolescence où l’on pourrait une fois encore mettre de côté les problèmes concrets et chausser nos bottes magiques pour repartir à l’aventure. C’est le rêve de Bilbon songeant aux chansons entonnées sur la route avec des compagnons d’aventure. Le rêve d’une sorte de… simplicité.
Ados, nous n’avions besoin ni de tours à dés, ni d’applis sur Smartphone, ni de VTT… Pour tout dire, nous n’aurions pas pu nous les offrir : chaque manuel de jeu était un trésor inestimable, et nous n’achetions pas les jeux de rôle par gammes entières. Nous n’achetions pas les jeux de rôle, pour tout dire : nous les vivions.
Vous voudrez bien me pardonner pour cette prose décousue qui me permet autant d’exprimer ce que je ressens vis-à-vis de mon parcours de rôliste que de le découvrir moi-même. Nous faisions des aventures. Et à une époque, j’ai bien cru que je n’en ferais plus.
Et puis sont arrivés des jeux novateurs, des courants de pensée dans l’univers du jeu de rôle, et même des gens qui analysaient tout ceci pour en extraire, pour ainsi dire, la substantifique moëlle. Après des décennies de jeux de rôle de plus en plus complexes, des gammes immenses, d’énormes volumes, de pesants suppléments d’univers, d’interminables collections de manuels, arrivaient des jeux…
Simples.
OSR, BSH et autres acronymes
Concis. Des ouvrages dégraissés, des jeux élaborés « par soustraction », des jeux conçus comme des flèches visant un but précis plutôt qu’une grenade éparpillant ses concepts dans l’espoir de toucher au moins une cible. En parallèle un genre de jeu différent, qui avait émergé peu à peu, se formalisait, en commençant par des textes tels que le Quick Primer for Old School Gaming de Matt Finch, et se cristallisait peu à peu autour d’un acronyme : OSR (pour Old School Renaissance ou Old School Revival).
L’OSR, c’était le retour aux sources, et une redéfinition de la substance du JDR. C’était aussi un mouvement presque indéfinissable, articulé autour de concepts unifiés tels que « des arbitrages [des improvisations de règles selon les situations] plutôt que des règles [gravées dans le marbre et cherchant à définir la résolution de toutes les situations au préalable] » mais protéiforme, manifesté dans des « clones » du plus vieux jeu de fantasy autant que dans des systèmes qui s’en éloignaient radicalement.
L’OSR cherche à revenir à l’essentiel. Armé d’un héritage rôlistique qui a façonné le loisir pendant des décennies, le genre cherche à revenir à une forme de jeu dépouillée, plus simple sans être simpliste, en reprenant ce qui fonctionnait et en développant autrement ces bases essentielles.
L’OSR grapille chaque innovation et l’intègre à un corpus de mécaniques où chacun finit par piocher ce qui lui plaît : dés d’usage/d’usure, système d’avantage/désavantage, dégâts ou attaques automatiques sans jets de dés, etc.
Lorsque j’ai découvert l’OSR, j’ai commencé par éprouver des doutes. Je n’avais pas beaucoup pratiqué le premier jeu de fantasy (ayant débuté le JDR avec la version française de L’Œil Noir), à l’endroit duquel je n’éprouvais donc pas de nostalgie particulière. Des jeux comme Old School Essentials (extrêmement recommandable !) me semblaient procéder d’une volonté de « retour aux sources » un peu passéiste, pour ne pas dire réactionnaire face à certains mouvements rôlistiques qui s’éloignaient radicalement du modèle d’origine (je pense en particulier aux jeux Powered by the Apocalypse, mais il y en a d’autres, bien sûr). Jusqu’à ce que je lise ce que je considère comme un authentique chef d’œuvre, le Black Sword Hack de Kobayashi, publié chez les Merry Mushmen, ardents partisans de la tendance OSR.
Dès la lecture, c’était le coup de foudre, et les premières parties m’ont permis de comprendre pourquoi. Je faisais des aventures. Le système simple et dépouillé laissant énormément de place à l’improvisation, offrant une base solide et modulable, où le MJ comme les joueurs disposaient d’une énorme marge de manœuvre.
Exactement comme quand nous jouions, ado, en faisant instinctivement l’impasse sur tout ce qui nous déplaisait, ce que nous trouvions trop lourd, ce que nous n’avions même pas envie de comprendre.
Après le BSH, j’ai lu énormément de jeux de la tendance OSR. Impossible de les consulter tous, mais ils esquissaient le portrait d’une tendance à la fois concise, riche et incroyablement enthousiasmante : des systèmes qui allaient droit au but et qui laissaient la place à l’improvisation, l’imagination…
Bref : aux joueurs (MJ compris !).
Satori
Peu à peu, tout s’est mis en place. J’ai compris pourquoi j’étais passé à côté de ce qui me plaisait dans le JDR pendant une bonne partie des dernières années (malgré d’excellents moments passés avec des amis !). Je suis revenu à l’essentiel, et j’ai renoncé à réinventer la roue, à essayer des choses de plus en plus touffues ou complexes, des univers trop denses…
Et après le coup de cœur de Black Sword Hack, j’ai cherché LE jeu qui me ramènerait à ces notions essentielles, une sorte de jeu de fantasy absolu, non pas parce qu’il serait exhaustif, mais parce qu’il me donnerait suffisamment de bases pour ajouter ce que je voulais autour (je songeais en particulier à y greffer le système des couvertures de comics de l’excellentissime Aventures à Plumes de Côme Martin). J’ai donc exploré les JDR divers et variés, en quête de cette base solide qui me permettrait de faire des aventures.
Et comme vous vous en doutez, c’est sur Shadowdark que mon choix a porté. Shadowdark est juste assez simple pour que je puisse le trafiquer comme bon me semble, et juste assez riche pour que je me repose sur ce qui a été publié quand j’ai la flemme ! Avec ses zines thématiques, le jeu offre chaque fois une direction différente sans l’exploiter abusivement, et les très nombreuses publications tierce partie l’enrichissent constamment.
Accessible, simple, ouvert… J’avais trouvé mon chouchou absolu… et je n’étais pas le seul. Le jeu rassemblait déjà une immense communauté, qui ne fit que croître et produire du contenu. Lorsque nous avons évoqué les jeux à traduire dans le cadre du label Rabbit Hole, j’ai mis en avant Shadowdark, qui comptait parmi les choix essentiels, pour moi.
Les jeux capables de ramener le plaisir de jouer autant que de le faire naître.
Reviou des derniers flimes qu’on a vus
Vous connaissez (peut-être) la musique : mon épouse et moi avons vu des films, ils étaient cools, j’ai envie de vous en parler.
Premier flime : The Watchers

Alias “Les Guetteurs” d’Ishana Night Shyamalan, et on voit bien que c’est la fille de son papa. Même pitch assez dingue (des gens se retrouvent emprisonnés dans une sorte de cabane pourvue d’une vitre sans tain par laquelle des créatures étranges, les Guetteurs, les observent), même goût des images léchées (il y a notamment quelques très beaux plans large et un beau talent visuel), un choix d’acteurs assez judicieux (Dakota Fanning est vraiment très cool), et même goût pour le twist de fin de scénar…
Malheureusement, ici, le film multiplie ces fameux retournements de situation de manière pas très folichonne, et à vrai dire, votre suspension d’incrédulité va en prendre un rude coup à chaque nouvelle révélation, de plus en plus foireuse, jusqu’à une fin qui essaie très fort d’être super cool, mais avec des sabots taille XXXXL. Le scénario passe de “un peu jeune” à “complètement absurde” en pas bien longtemps, et s’achève sur une conclusion qui m’a semblé un peu ridicule, avec des recours au folklore en mode vu, revu et rerevu… N’est pas Mike Mignola qui veut : il ne suffit pas de mettre un vernis de nouveauté sur un concept rebattu pour que ça fonctionne à donf.
Donc voilà : j’ai menti dans l’intro, on n’a pas aimé tous les films qu’on a vus. Et je ne vous recommande pas, mais alors pas du tout The Watchers, qui est franchement naze.
Bon bon bon… On enchaîne !!!

Wicked Little Letters, alias Scandaleusement Vôtre (mouais, bon… c’est pas complètement pourri comme adaptation de titre, mais on va dire que ça manque un millipoil de génie). Eh ben là, gros, GROS problème… qui n’en est pas un…
Alors déjà, il y a Olivia Colman, qui est génial comme toujours, donc ça ne peut pas être un mauvais film.
Le défaut du film… c’est sa bande-annonce. Si jamais vous y jetez un oeil sans connaître le pitch, vous aurez l’impression d’une petite comédie britannique rigolote, et presque d’une amitié improbable entre deux nanas à l’époque où on n’avait pas le droit de dire fuck quand on était bien élevé (comment ça, c’est encore en vigueur ? Fuck !!!).
Alors en fait pas vraiment. C’est bien une comédie, mais une comédie assez grinçante, et ce n’est pas du tout une histoire d’amitié entre deux nanas (même pas “simplement” amitié, hein, on parle pas de … de sistermance ? Je connais pas le mot et j’ai la flemme de chercher) : c’est l’histoire d’un scandale assez dur, avec un gros gros accent mis sur l’influence néfaste du patriarcat dans ce qu’il a de plus abject (et incarné par le personnage qu’interprète, avec brio comme toujours, l’immense Tiomthy Spall). Jessy Buckley est formidable, et on oublie souvent l’extraordinaire Anjana Vasan dans le rôle d’une inspectrice de police géniale. L’idée : une “vieille fille” anglaise très comme il faut reçoit des lettres injurieuses, et on arrête sa voisine, une jeune femme beaucoup moins comme il faut selon la vision de l’époque, soupçonnée d’envoyer ces vilaines petites lettres du titre original.
C’est franchement délicieux, mais pas toujours léger : l’aspect dramatique pèse autant que la comédie, voire davantage, et la fin est à la fois drôle et glaçante. Bref : c’est du ciné britannique vraiment bien fichu, on ne s’ennuie pas, les acteurs et actrices font un show du tonnerre et les seconds rôles sont formidables. Juste : n’attendez pas un truc vigoureusement feelgood sur une amitié de lesbiennes avant l’heure, c’est pas trop trop le truc.
Et finalement, last but not least…

Dinner in America. La claque monumentale. Je croyais pas qu’on pouvait faire une romcom punk, et en fait si. Kyle Gallner joue un junkie pyromane et immédiatement insupportable dans cette comédie à l’humour acide comme du jus de xénomorphe, et qui prend un jubilatoire plaisir à pisser sur les valeurs de l’Amérique.
Après une intro qui m’a fait craindre le pire, on assiste au développement d’une idylle géniale entre ce perso complètement désespéré et une jeune femme passionnée de musique punk. Je ne veux rien spoiler donc je me contenterai de vous dire que Gallner est époustouflant, secondé par une Emily Skeggs formidable, une bande-son qui agace, inquiète et dépote, et que tout ça mène à une histoire d’un romantisme dingue, émaillée de moments d’émotion qui m’ont tiré quelques larmes d’émerveillement, et tout ça sans artifice, juste des personnages au charme dévastateur et que j’ai trouvé particulièrement… justes. Le réal parle de s’être inspiré de Napoleon Dynamite, et ça ne m’étonne pas une seconde : on trouve la même approche entre réalisme et délire total, comme pour vous dire que même l’existence la plus ordinaire recèle des moments de magie pour qui veut bien les voir. Et surtout, pour vous rappeler ce que c’est qu’être humain, profondément, même quand on passe pour une racaille… Véritable tour de force !
J’ai pas vu de meilleure comédie romantique depuis des décennies (alors que je suis vraiment client), et si vous aimez les trucs vraiment barrés, résolument punk, aux personnages fouillés sans être des sortes de puzzles à décoder pour s’y attacher… eh ben vous êtes probablement moi, parce que ce film a coché toutes les cases pour me plaire !
Les flimes de fébrvrier
J’ai eu moins de temps pour rédiger des critiques (le mot est sans doute un peu fort pour ces bafouilles gratouillées sur un clavier en quelques minutes), et pourtant, ce mois-ci, mon épouse et moi avons regardé beaucoup de films particulièrement intéressants… Je vais donc procéder à une petite review accélérée en mettant l’accent sur ceux qui nous ont le plus marqué.

Birth/rebirth
Une infirmière, parent isolé, doit confier sa fille à la voisine pour une matinée. Un terrible accident se produit et tout bascule. Et… je n’ai vraiment pas envie de vous priver de la suite, regardez-le, point barre.
Alors là, on commence par une bonne vieille claquasse fantastique qui, par le truchement d’une histoire à la Reanimator/Frankenstein, dresse deux portraits de femmes formidables et présente un récit intense, cru et sans concession. De la vraie bonne, très bonne horreur qui vous soulève le coeur et vous remue sans pour autant recourir aux artifices habituels du genre : oui, il y a du sang, mais je vous garantis que ce n’est pas ça qui va vous secouer le plus (il y a deux scènes qui se déroulent dans les toilettes, et je vous garantis qu’à côté, Evil Dead, c’est de la rigolade ; tout ça sans voir plus de quelques gouttes de sang…).
Ca parle de maternité, d’émotions, de persévérance, de mort et d’amour, tout ça porté par des actrices absolument phénoménales. Vous n’en entendrez sans doute pas beaucoup parler, mais je vous garantis que ce film est vraiment spécial, qu’il ose des choses auxquelles les autres refusent de se frotter, et qu’il place la barre du film indé futé très très haut.

Thanksgiving
Un autre plaisir, très différent cette fois, avec ce slasher réalisé en mode “respectons les règles du genre” par Eli Roth. C’est bien gore et dégueu, les ados sont à la fois détestables et attachants (détestachants ? oh, bref, c’est des ados, quoi), tout fonctionne sans trop de surprise et c’est un vrai bon moment si, comme nous, vous aimez les slashers. Et on va pas se mentir, quand on a vu la série des Vendredi 13, ce scénar, c’est Citizen Kane (oui, on a vu les V13 et… bon ben disons que la série existe, voilà, que c’est rigolo, mais… dans un entrepôt de pellicules en feu c’est pas les premiers qu’on ira éteindre). Bref, bon petit divertissement sans autre prétention que de faire un film de genre codifié, et ça marche très bien : l’idéal pour une soirée pizza ?
Ah oui, le pitch : pendant le Black Friday, des émeutes lors des soldes provoquent des accidents. L’année suivante, un mystérieux tueur s’en prend aux responsables. Vous connaissez la musique.

It lives inside
Pourquoi cette lycéenne se balade-t-elle sans arrêt avec un petit bocal contenant… quoi au juste ? Oui, bon ben le pitch, c’est pas non plus de la haute volée, hein…
Un petit film que j’ai quasiment oublié deux semaines après l’avoir vu… Il ne va pas réinventer le genre, mais il présente l’originalité de se focaliser sur une famille indienne, ce qui n’est pas super courant. Ca se regarde sans déplaisir, c’est plutôt bien interprété et l’idée du “monstre” n’est pas mauvaise. Bon, ça ne va pas révolutionner le genre non plus, cela dit, mais si vous êtes client des histoires de streumons chelous et un peu paranormaux qui foutent la merde dans la vie des lycéennes, c’est plutôt de la bonne came et on ne s’ennuie pas.

The Beekeeper
Un film avec Jason Statham.
Ah merde, faut expliquer ? Bah donc c’est un gros bourrin et il défonce les méchants. C’est très con, très rigolo, et Statham affirme bien son statut de bourrinos à la Schwarzy. Tout ça avec un petit côté reaganien sur les valeurs de la famille et ces salauds de nerds qui font rien qu’à se toucher la nouille dans des call centers pour voler la pension de petites mamies gentilles comme tout. Si vous aimez les explosions, c’est bien, il y en a dès le premier quart d’heure. Film pizza idéal. Je devrais mettre un pizzomètre, tiens. Donc : 5 pizzas sur 5, vous avez le temps d’aller pisser pendant les dialogues, vous ne manquerez rien, mais vous passerez un bon moment (et pas qu’aux toilettes, donc).

Here for blood
Tout de suite, le pizzomètre : 10 sur 5 pizzas. Un catcheur amateur doit remplacer sa copine comme babysitter chez une famille huppée. Mais des meurtriers (catcheurs eux aussi, voyez comme le monde est bien fait quand il s’agit d’assurer la distribution de calotes et de german souplex) font irruption dans la maison…
Bon, sérieusement : il y a des catcheurs, des meurtriers façon slasher, une secte, une home invasion, une gamine qui balance des punchlines et des effets spéciaux craspecs. Dans la catégorie : certainement pas un chef d’oeuvre mais absolument jouissif, celui-là tient le pompon. C’est un vrai GRAND moment de fun et il faut absolument le voir avec des potes (ou avec votre épouse/époux si vous êtes sur la même longueur d’ondes ciné, et bon sang ce que je vous le souhaite, parce que c’est top !). Avec un scénario qui tient curieusement la route, des péripéties aussi crétines qu’hilarantes et surtout un acteur principal qui fait le show… Ca fait partie de mes recommandations impérieuses du mois

Brooklyn 45
Encore 44 de plus et on avait une série de flics rigolote, mais attention : Brooklyn 45 n’est pas (mais alors TROP PAS) une série de flics rigolote. Après la Seconde Guerre mondiale, des vétérans se réunissent pour participer à une séance de spiritisme qui va très très mal tourner.
Un huis-clos très réussi, minimaliste, qui pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses, mais qui fonctionne comme une pièce de théâtre un peu grand-guignolesque. C’est plein de tension, les dialogues sont vraiment bons, et comme dans tout bon huis-clos, on ne s’ennuie pas une seconde : il se passe toujours quelque chose. Saisissant scénario sur le trauma, le deuil, les rapports entre humains, bref : la vie. Si vous aimez les trucs qui vous grattent le cerveau, ça fonctionne exactement comme un épisode de Twilight Zone d’une heure et demie. On a beaucoup aimé.

Please don’t destroy the treasure of Foggy Mountain
Un film très très con avec des protagonistes furieusement cons… et au final c’est vraiment fun. Trois amis particulièrement abrutis se lancent à la recherche d’un trésor légendaire : un buste de Marie-Antoinette perdu dans les montagnes. Ca évoque toutes les comédies de potes jamais réalisées, il y a de GRANDS moments (l’aigle !), des personnages géniaux, des chansons débiles, une secte complètement secouée, Conan O’Brien et Gaten Matarazzo (Dustin de Stranger Things) dans son propre rôle. Une comédie bien fichue, qui ne m’a pas fait hennir de rire, mais que j’ai beaucoup aimée. Au point que je détesterais pas la revoir ! Et encore une fois : entre copains ou en couple, bon moment garanti.

Resurreccion (2015)
Je note l’année, vu qu’il y a huit milliards de films du même nom. Très très chelou, ce film qui se déroule en Argentine pendant une épidémie de vomito nero. Un jeune prêtre se rend dans la demeure familiale, où son frère, sa belle-soeur et sa nièce ont attrapé la maladie. Bon, on est dans un film 99% atmosphérique, et le dernier pour-cent, c’est un scénario mystico-nouillo-touchatoire plutôt perché, mais qui ne nuit pas trop au reste. Très bizarre, sombre, il se distingue tout de même par une photo vraiment réussie, qui exploite un décor vraiment bien foutu et des morts particulièrement dégueulasses. C’est sale et moche, mais… curieusement beau en même temps. Bref, si vous aimez ce genre de truc sur la foi confrontée à l’horreur, ça pourrait vous parler. Ici, c’était mitigé : j’ai aimé sans pour autant avoir envie de revoir, tandis que ma chère et tendre s’est endormie.

The Hole
Un film de Joe Dante plutôt méconnu/mésestimé, et filmé à l’origine en 3D. Pas le meilleur de sa filmographie, mais un bon scénario consacré à la peur et aux remords, le tout porté par un trio de jeunes acteurs vraiment efficaces. Dans la catégorie film de djeunns à l’ancienne, c’est vraiment une bonne pioche, avec un postulat de départ tout con : une famille emménage dans une maison, et dans la cave, il y a un trou apparemment sans fond, mais d’où le mal émane. Déjà vu auparavant, il supporte un deuxième visionnage grâce au charme du casting et à un scénario qui tient quand même plutôt bien la route.

A creature was stirring
Très TRES surprenant film porté par l’épatante Chrissy Metz (This is us). Une femme et sa fille sont isolées chez elles par le blizzard. La mère en question doit tout faire pour maintenir la température de sa fille dans une fourchette très précise sinon… eh ben sinon il se passe des trucs, mais on sait pas quoi. Sur ce interviennent deux jeunes gens qui s’introduisent dans la maison en mode home invaders.
Alors c’est un film très particulier. Parce qu’il est bourré d’idées de ouf, avec un monster design original, un fond intelligent (comme l’a fait remarquer mon épouse, on sent l’influence du Babadook), un scénario métaphorique très poussé, des acteurs qui tiennent bien la route… Mais tout ça est gâché par des dialogues indigents, voire catastrophiques, et une réalisation aux fraises (en partie dans le climax). Tout part en couilles tout le temps, et le message du film, qui devrait être limpide, est vraiment saccagé par la réalisation et le montage complètement foireux.
Et pourtant… eh ben je ne regrette pas de l’avoir vu. Si je reconstruis le film autrement dans ma tête, c’est vraiment un super film. Malheureusement, en l’état, il est confus, mal fichu et surtout diablement mal écrit… A vous de voir si ça vous suffit : si vous êtes rôliste comme moi, ça peut vous donner des idées, par exemple…

X
Le titre de film super court ! Donc X, de Ti West, c’est l’histoire d’une équipe de film de zboub qui va tourner dans une vieille maison toute craspec à côté d’un marigot infesté d’alligatorst louée en mode AirBnB du pauvre (ça se passe dans les seventies) par un couple de vieux tarés.
Alors le fantastique, et surtout l’horreur, c’est le mélange entre Eros et Thanatos, vous dit-on souvent : le sexe et la mort, quoi. Et là, bon ben on est dans l’expression de base du truc : il y a des boobs, des stouquettes (dont une de belle taille et qui pourrait servir de balancier à une horloge à l’ancienne) et des gens qui se font zigouiller. Le réal essaie de faire de l’épate de temps à autre : des fois ça marche (magnifique plan vu d’en haut de Mia Goth sur le point de se faire bouffer par un alligator), des fois ça marche moins (effets de montage où deux scènes se mêlent : ouais, c’est futé, mais ça nuit à la lisibilité – cela dit, les spectateurs plus jeunes apprécient peut-être le côté “montage interdit aux épileptiques”). Il y a un beau propos sur les rapports charnels et amoureux, un numéro d’équilibriste entre le “tellement creepy crevez-moi les yeux et qu’on en finisse” et le “awwwwww comme c’est touch… ah mais non dégueu !” (oui, donc l’équilibriste peut tout à fait tomber de son fil, ça arrive), et des personnages que j’ai beaucoup aimés dans la mesure où ils n’étaient vraiment pas superficiels et se font avoir justement parce qu’ils sont décents, et confrontés à l’indécence effroyable d’une autre génération.
Le tout s’achève sur une révélation vraiment bien amenée, et ça fonctionne de bout en bout, avec un côté ultra malaisant, super bien exploité. Perso, le côté un peu artsy-fartsy du film m’a parfois emmerdé (ces fameux effets de montage), mais comme il est raccord avec UN des persos, difficile de faire la fine bouche : c’est assumé et pas con, donc… Bref, sans que ce soit le film de l’année, j’ai bien aimé.
Et voilà ! Si je ne dois vous recommander qu’un seul de ces films, ce sera Birth/rebirth qui transcende complètement son petit budget pour aller appuyer partout là où ça fait mal, ou bien, si vous voulez vraiment vous marrer entre potes, Here for blood : si en plus vous êtes rôlistes, c’est calibré exprès pour vous et ça va vous donner des idées de personnages marrants !
Black Sword Hack – ak ak akak !!!
Hier j’ai poursuivi avec quelques joyeux compagnons une campagne de jeu de rôle telle que je n’en avais plus menée depuis des décennies. Vraiment. Tout ça grâce au Black Sword Hack, dispo ici chez les Merry Mushmen, et que je vous recommande vivement. 110 pages pour le jeu le plus dense et le plus complet que j’aie jamais vu et pratiqué.
Pour tout dire, le BSH (et zyva qu’on part dans les acronymes, ah bah ça commence bien !) est un des meilleurs jeux au monde à mes yeux, et il est au médfan (tendance sword and sorcery) ce qu’Unknown Armies est au jeu d’horreur : un gros pavé d’originalité (même si le livre est tout pitit) dans une mare classique.
Le BSH, c’est de l’OSR, c’est à dire une base de Dungeons & Dragons avec ses caracs habituelles et ses d20, associée à des mécanismes éprouvés dans d’autres jeux (le fameux avantage de D&D 5 par exemple) et à des choses réellement originales, dont le Doom Die en particulier : ce dé sert à la fois de bonus, de compteur d’énergie magique et de compas moral ou mystique, tout ça en un seul mécanisme d’une simplicité élémentaire.
Tout est rédigé clairement, de la manière la plus concise qui soit, et rien, absolument RIEN ne dépasse. Ces 110 pages sont 110 pages de jeu, des idées excellentes, des pistes, et jamais de destination précise (exception faite de deux scénarios complets qui dérogent à la règle traditionnelle qui veut que le scénario d’initiation inclus dans le livre de base soit toujours moisi : pas de bol, ceux-là sont très bons).
Le BSH comprend un système de combat ultra dynamique et excellent, plusieurs magies géniales, un bestiaire particulièrement bien foutu, des systèmes pour créer votre monde, votre ville, votre campagne. Tout est là.
Mais surtout, le BSH réussit à faire quelque chose que de nombreux jeux essaient constamment et ratent : vous donner de la liberté sans pour autant faire preuve de laxisme.
Je lis très souvent des jeux “pour game designer”. J’aime bien ça : le jeu vous donne une idée de ce qu’il peut être, vous ouvre des perspectives, vous propose un mécanisme… et puis là, au moment où vous arrivez par exemple à la liste des sortilèges ou des compétences, vous avez une petite phrase façon coïtus interruptus qui vous dit : “voici UN exemple de sort, à vous de créer les vôtres…”
Ce qui est bel et bon si tu as envie de dresser une liste de sorts, mais beaucoup moins sympa quand tu as envie de jouer ce soir, ou dans dix minutes, sans pour autant créer un corpus de sortilèges cohérents et intéressants. Même chose pour les compétences, je comprends et approuve vigoureusement les systèmes qui disent : “inventez vos compétences”, mais malheureusement, les idées de compétences vraiment fun ne viennent pas forcément TOUT DE SUITE, là, alors que vous êtes en train de créer votre perso et que vous avez envie de jouer, pas forcément de faire une “session zéro” (encore un concept que j’aime mais qui peut se révéler bien foireux) où rien ne se passe et où on se câline simplement entre joueuses en se disant :”regardez comment on va bien s’amuser la prochaine fois !”
Moi, je suis rôlistateur précoce, l’envie de jeu, ça part tout de suite, je veux jouer maintenant. Je veux. Jouer. Maintenant. Le BSH offre précisément ça. Les sortilèges, ils sont là. Les capacités spéciales aussi. Tout le squelette du jeu est là, à toi de l’enrober.
Et voilà la force du jeu selon moi : pas besoin d’ajouter des pattes à ce serpent-là, il est COMPLET. Tu peux ajouter des choses, et on te dit même comment faire, mais on te donne le paquetage de base. Tu fais ton PJ en dix minutes, et même s’il te semble encore un peu nu, il est déjà costaud, charnu, avec des accroches originales. Ca fonctionne.
Ton univers, ce sera à toi de le développer, mais tu peux déterminer l’essentiel : qui c’est les adversaires, la Loi ou le Chaos ? Check. Tire un D6 et on voit qui est le salaud qui dirige les forces du mal. Tire un autre dé 6 et tu sais à quoi ressemblent ses troupes (et c’est déjà original). Un D10, un D12 et tu sais aussi quel conflit agite le monde et comment il se manifeste.
Ensuite, à toi de jouer. Rajoute rien au système, il est là pour te faciliter la tâche. Toi, tu t’occupes du récit, du gras de l’histoire.

Les illus sont absolument somptueuses, et complètement raccord avec le thème d’un monde déchiré entre la Loi et le Chaos.
Si tu veux un peu de “flavour”, tu as une liste de noms typiques, ou même des citations formidables issues des ouvrages de Moorcock, Leiber, Howard…
Chaque fois, la règle ou le conseil prend une page, deux au plus, et tout est là. Tu n’as qu’une envie, mettre ça en pratique. Et c’est bien ce que j’ai fait.
Hier, on a terminé la “saison 1” de notre campagne BSH
Laborieusement, je me suis remis à maîtriser “sérieusement”. En mettant en pratique un tas de trucs, en expérimentant, et en essayant de faire le maximum pour qu’on s’amuse. Pour ça, le BSH a été le meilleur outil ever : un système complexe et dense sans être lourd, appris en cinq minutes, et qui permets de mobiliser les ressources mentales et créatives ailleurs.
On a donc joué d’abord en impro presque totale (avec un pitch vraiment tout con que j’aime bien : “vous êtes rejetés sur une plage, à côté de vous, un village d’adorateurs d’un monstre marin qui ont fait s’échouer votre bateau et qui sont déjà en train de boulotter ses occupants, qu’est-ce que vous faites ?”
Et à partir de là, impro. On ajoute au fur et à mesure les éléments définis dans la création de monde (le grand méchant, son armée). On voit ce qui se passe. Les PJ se développent. On prend des notes. Les joueurs ont régulièrement des fulgurances créatives et l’univers de jeu se bâtit. Et au bout d’un moment, on a un story-arc bien défini, avec une fin de cycle, et la perspective d’une campagne plus longue, qui mènera plus loin.
Hier, nous avons terminé ce premier cycle en ouvrant (j’espère !) des perspectives sympa, avec de gros beaux moments de roleplay et de jeu super fun, le tout s’achevant sur des images de héros fatigués mais qui entrevoient des choses qui n’existaient pas au début (et pour cause : totale impro). La carte du monde se dessine aussi peu à peu, par petites touches, et tout ça avance de façon vraiment satisfaisante.
J’ai tout de même été obligé de raccourcir un peu hier pour arriver à la fin, parce que comme j’en ai fait part à mes joueurs, je pourrais me contenter de les suivre et de regarder ce qu’ils font, ce qu’ils cherchent, ce qu’ils inventent pendant très longtemps : mais là, je voulais réellement aboutir a une manière de conclusion pour une toute première phase de la campagne. Et ça s’est terminé comme une saison de série télé, avec une belle scène de héros qui reprennent leur souffle, des promesses d’aventures que je vais évidemment m’efforcer de tenir (une ville inconnue ! une civilisation qui exploite les morts ! un anneau désignant l’héritier d’une dynastie prestigieuse ! un col de montagne à franchir !).
C’était une vraie immense satisfaction de conclure tout ceci, en particulier avec un scénario où nous avons fait un et un seul jet de dés.
La formidable souplesse du BSH me donne envie de continuer et d’aller jusqu’au bout de l’idée de récit qui s’est dégagée au fil des parties, et d’exploiter à fond toutes les possibilités du truc et de ce que nous avons bâti ensemble. Et surtout de savoir comment vont finir ces personnages joueurs auquel je me suis attaché comme rarement.
Bref, je vous recommande la Black Sword Hack : y a pas photo, il s’agit pour moi du meilleur système OSR, sachant qu’il n’est toutefois pas conçu pour de la “high fantasy”. Le trio de base, c’est Conan, Cugel (voire Fafhrd et le Souricier Gris) et Elric. Si ce genre de personnage vous botte, vous avez moyen de faire des choses formidables avec un jeu à trente balles (et n’oubliez pas de vous prendre le Chaos Scrier avec : 28 pages de scénars et d’idées bien plus intéressantes que ce qu’on trouve souvent dans des vieilles pavasses de 300 pages bien indigestes).
Et pour conclure, un gros coup de chapeau à Kobayashi, qui a réalisé là ce que je n’hésite pas à qualifier de chef-d’oeuvre : un des rares jeux que je considère comme parfaits. Merci !

Sandy Julien
Traducteur indépendant
Works in Progress
- Secret World Domination Project #1 44%