Vous avez acheté (ou volé, parce que vous êtes un petit salopiot) un jeu et vous voulez le faire découvrir à vos joyeux compagnons de la forêt de Sherwood, parce que vous êtes tombé amoureux du système, du background ou des illustrations.

J’ai lu (et testé) des tas de produits d’initiation et celui-ci est le meilleur.

Vous réunissez un groupe de joueu.rs.ses, vous êtes chaud volcan, ça va être la meilleure campagne de jidéhaire de toute votre vie.

Mais voilà, il va vous falloir présenter le jeu à vos ami.e.s. Et pour tout dire, il va falloir les convaincre. En fait, vous devez les convaincre de deux choses : que le jeu est bon et que vous êtes capables de lui rendre justice.

 

Vous trouverez ici quelques idées personnelles concernant l’initiation à un jeu particulier (attention : même si je parle de certains très bon produits d’initiation au JDR en général, il s’agit bien d’initier à un jeu spécifique, pas d’initier à la pratique du JDR : je considère en gros que vous avez affaire à des gens qui savent déjà ce qu’est un JDR).

N’utilisez pas le scénario du livre de base

Non, sérieusement. Les gens qui écrivent ces scénarios sont des êtres malfaisants et nuisibles, qui ne pensent qu’à vous gâcher le plaisir. Ils s’ingénient à proposer des intrigues qui n’ont strictement rien à voir avec l’atmosphère du jeu, à inclure des profils de PNJ complètement à côté de la plaque, voire à esquiver avec brio tout ce qui distingue le jeu de la concurrence.

Jean-Kevin Farthead, auteur de scénarios d’initiation. Tout est dit.

Bref, en général, c’est de la merde. Je vous parle là de tout ce que j’ai lu récemment, et en particulier de la gamme Star Wars de FFG et de Degenesis. Pour Star Wars, tournez-vous vers le Kit d’Initiation du jeu Aux Confins de l’Empire (avec sa suite gratuite sur le site de l’éditeur) : c’est le meilleur scénario d’initiation pour le jeu, tous produits confondus dans cette gamme multiple.

Une seule exception : le scénario de la 2e édition du Livre des Cinq Anneaux en français, parce que c’est moi qui l’ai écrit. Cela dit, je crois bien qu’il était naze quand même, donc euh… ben c’est plutôt vous qui voyez, finalement.

Revenons à nos moutons. Le problème des scénarios d’initiation, c’est qu’ils sont censés vous présenter le jeu de façon pédagogique, mais qu’ils sont généralement mal pensés. Rien ne vous empêche de les lire et de les adapter, et en outre, je n’ai pas la prétention d’avoir lu tous les scénarios du commerce : il en existe peut-être de très bons pour certains jeux dont j’ignore jusqu’à l’existence. Cela dit, l’expérience prouve que les bon scénarios d’initiation sont rares.

Bricolez votre scénario maison

Il ne vous reste plus qu’à vous sortir les phalanges du rectum et à mettre la main à la pâte (après avoir lavé la main en question). Mon conseil : ne vous cassez pas trop la nénette sur ce coup-là. Ce que je veux dire, c’est que le premier contact avec l’univers de jeu ne sera peut-être pas immédiatement probant pour vos joueurs. Cette première expérience aura trois objectifs.

Objectif 1 – Présenter le background

Le terrain de derrière, comme on dit quand on n’a pas envie de se faire chier à trouver un équivalent en français, c’est 90% du jeu. Cela dit, certains univers sont compliqués (oui, je parle de toi, Degenesis) et nécessitent un temps d’adaptation. D’autant que cet univers, c’est vous qui allez en quelque sorte l’incarner : même si vos joueurs le connaissent pour l’avoir pratiqué ailleurs, ça vaut la peine de leur montrer comment il “fonctionne” lorsque vous êtes aux commandes.

Cela dit, expliquer un univers, en réalité, c’est très compliqué. Et il faut bien l’avouer, la plupart des univers de JDR sont assez vigoureusement chiants. Je me rappelle avec une émotion mêlée de pulsions meurtrières toutes les fois où des MJ très concernés m’ont expliqué en long, en large et en travers des univers pénibles et complexes en dressant la liste de tous les foutus événements historiques sur deux millions d’années pour finir par : “mais bon, ça c’est le passé, aujourd’hui, tout a changé et vos personnages s’en foutent un peu.” La virginité de mon casier judiciaire témoigne de l’infinie patience dont je pouvais faire preuve à l’époque.

Anec-note : je me rappelle cette fois où un MJ nous a raconté l’univers d’un GN toute une soirée. Au bout de dix minutes, j’avais complètement décroché, ces histoires de monarques qui se foutaient sur la gueule pour mourir comme des cons quelques années plus tard suite à des intrigues de cour à la gomme avaient eu raison de ma résistance. Malheureusement, je voyais mes petits camarades opiner du chef de temps à autre, et émettre des “ah !” et des “eh oui, évidemment” de temps à autre quand le MJ annonçait un développement historique un tant soit peu palpitant. Le lendemain matin, le MJ regagne ses pénates et nous bavardons entre joueurs. Je leur dis : “oh là là, vous avez du courage, les gars, j’ai rien compris à cette histoire, moi.” Et ces salopards qui me répondent : “ah mais nous non plus, comme tu hochais la tête de temps en temps, on croyait que tu suivais avec attention.” Moralité : quand quelqu’un vous raconte un background vraiment chiant, eh ben… En fait, je sais pas trop, c’est difficile de dire “oh mais arrête, Jean-Hèmmeji, c’est vraiment moisi ton machin” sans paraître manquer un tant soit peu de tact.

Anec-note 2: la première fois que j’ai exposé le background de L5A, je pense que j’étais aussi intéressant que le mec dont je parle dans l’anec-note 1. Je bats rétroactivement ma coulpe.

Euh, alors, comment qu’y faut faire ? Je dirais qu’en gros, il y a quatre choses à évoquer.

  • Petit nain : c’est quoi, cet univers ? “Ca se passe dans l’univers de Star Wars, juste après A New Hope” (solution de facilité quand tout le monde a vu l’oeuvre dont le jeu est tiré.) “Ca se passe dans une sorte de Japon médiéval fantastique, avec des samouraïs honorables et des créatures étranges.” “Ca se passe de nos jours, et les vampires existent ; ils vivent dans une société codifiée divisée en clans qui intriguent les uns contre les autres.” Normalement, ça doit tenir en une phrase.
  • Petit dieu : c’est qui, nos personnages ? “Vous jouez des contrebandiers qui vivent à la lisière de l’espace connu et en marge de la société.” “Vous êtes ces gens étranges qui connaissent les rouages de l’underground occulte. Vous savez qu’on ne peut pas lutter contre le système, mais qu’on peut devenir le grain de sable qui le fait péter.”
  • Petit pois : qu’est-ce qui est important, au juste, dans ce jeu ? “L’honneur. L’honneur avant tout, en toute situation. Même si votre personnage le voit sous un angle particulier, c’est l’honneur qui définit sa façon d’agir.” “L’aventure et l’émerveillement. Vos personnages sont des gosses qui ne peuvent pas mourir, alors vous pouvez vraiment tenter des choses étonnantes, prendre les risques que prendraient des gamins inconscients pour ce qu’ils estiment important. Ah, pis y a les émotions, aussi.” “La mère-patrie et la lutte contre le patriarcat. Vous êtes des aviatrices soviétiques nées pour voler et abattre l’ennemi de la nation, mais vous subissez le joug d’une hiérarchie rétrograde. Malgré tout, vous êtes des héroïnes et vous triompherez. Reste à savoir à quel prix.”
  • Petit crade : qu’est-ce qu’on fait, dans ce jeu (ou dans cette campagne pour ce jeu) ? “Vous êtes des Rebelles et vous faites tout pour faire tomber l’infâme Empire Galactique.” “Vous êtes des héros grecs et vous luttez contre les monstres et les forces maléfiques qui déferlent sur la terre, tout en sauvant la veuve et l’orpheline.” “Vous êtes des preux chevaliers et vous affrontez les forces du mal.” Donnez un objectif. Si vous commencez par “Vous allez vous battre contre…”, vos joueurs sauront que le combat aura une importance. Et surtout, en désignant leurs adversaires (même s’il peut s’agir de simples concepts : les aviatrices de Night Witches se battent autant contre le patriarcat que contre les nazis), vous leur expliquez les enjeux de la partie.

L’essentiel, c’est ceci : vos joueurs doivent savoir où ils sont (pour avoir une idée des contraintes que représentent le décor dans lequel ils évoluent), qui ils sont (pour s’intéresser à leurs personnages), quel est le thème du jeu (pour savoir sur quels aspects insister dans la création de personnage et durant la partie) et surtout, surtout, quel est leur objectif (il est toujours plus facile de s’intéresser à un jeu où on sait contre qui on se bat). Si vous jouez un jeu “à secrets”, donnez envie de découvrir les secrets en question. Et même, balancez-en quelques-uns. Sérieusement. Vous n’êtes pas obligé de faire la rétention d’information pour rendre un univers intéressant (ce qui me donne envie d’écrire un article “La rétention d’information dans le JDR et le cinéma ouzbek”).

Et là vous me dites : c’est carrément bateau, ton truc, Sandy. Je vais vous révéler un secret. J’ai lu il y a deux semaines un prototype de JDR très sérieux, avec volonté d’éditer. Il n’expliquait clairement aucun de ces quatre points. Il présentait son univers dans une indigeste nouvelle, ne donnait aucune idée de ce que les PJ pouvaient bien faire, diluait ses informations dans des litres de prose gluante… Ne faites pas ça. Soyez clair, concis. Ne gardez rien pour vous. Synthétisez. Vulgarisez : “ça ressemble au Japon médiéval, avec des monstres zarbi” est une description tout à fait légitime de l’univers de L5A.

Il ne s’agit pas de “poser une atmosphère” ni de “raconter l’univers” : posez ces quatre informations brut de décoffrage devant vos joueurs. Pas de fioriture, juste l’info. Si vous devez tricher un peu pour que l’info soit concise, faites-le. Par exemple, si vous dites : “dans L5A, on joue des samouraïs qui luttent contre les monstres maléfiques de l’Outremonde, lesquels cherchent à pervertir la société et à détruire la civilisation”, c’est réducteur, mais au moins c’est clair. Vous expliquerez les intrigues et l’étiquette plus tard.

Oui, c’est super bateau. Mais il faut que vous compreniez que vos amis sont venus à la table pour jouer à un JDR, pas pour vous écouter faire un exposé sur un univers alternatif. Plus vite vous aurez posé les bases, mieux ce sera. Je vous recommande de lire la gamme de JDR “Sombre” de Johann Scipion, qui donne des conseils formidables pour exposer rapidement les bases d’un JDR. D’ailleurs, je vous conseille cette gamme tout court, même si le thème ne vous parle pas trop : c’est une brillante démonstration en matière de game design et de pédagogie.

Alors c’est tout simple…

Objectif 2 – Présenter le système de jeu

Le kit d’initiation le plus pédagogique que j’aie jamais lu est celui du jeu Aux Confins de l’Empire. Il propose une aventure brève, mais découpée intelligemment : on apprend d’abord à faire et à interpréter les jets de dés, puis on apprend les symboles critiques des jets de dés, puis on fait un combat avec un minimum de règles, puis on apprend les règles plus complexes.

Chaque règle est présentée dans une scène. Il y a de quoi jouer une grosse soirée, mais une fois que vous avez lu le scénario de base, vous savez jouer au jeu (évitez de commencer par le gros bouquin de 460 pages, c’est un tue-l’amour). Toutes les autres règles, c’est du blabla, des exceptions, des cas particuliers.

Le mieux, pour présenter un système de jeu, c’est de faire la liste des mécanismes importants dans votre jeu, et d’y consacrer une petite scène dans votre scénario d’initiation. Ouaip, c’est un tutorial.

  • Chaque joueur devrait faire un jet de dé standard (ou utiliser le mécanisme standard de résolution des actions). Que votre jeu utilise les pourcentages, qu’il nécessite de calculer une marge de réussite, qu’il utilise des dés spéciaux ou autres mécanismes, autant que chacun puisse voir ce que ça donne. Pour ça, une petite scène “gratuite” : mettez en place une situation toute simple et sans enjeu vraiment complexe (il faut empêcher un PNJ de se faire renverser par une voiture, se cacher brièvement pour échapper à la vigilance de quelqu’un que vous n’avez pas envie de voir, etc.). Ne vous contentez pas d’expliquer comment on jouerait cette scène, jouez-la réellement. Jusqu’au bout.
  • Le mécanisme essentiel de votre jeu doit être testé. Un petit combat dans D&D, une scène traumatisante dans Unknown Armies, un duel dans L5A (faites un duel au boken, ou personne ne sera blessé gravement), etc. Cette petite scène ne doit avoir aucune conséquence néfaste : pas de blessure qui perdure, pas de handicap résultant d’un éventuel mauvais choix, etc. Une fois la scène terminée, on fait table rase de ce qui s’est passé. Au pire, vous pouvez même dire : bon, ce n’était qu’un coup pour rien.
  • Si vos joueurs ont fait un choix un peu dangereux dans leur fiche, mettez en scène une situation qui le fait intervenir. Jean-Joueur, par exemple, choisit de n’accorder aucun point en esquive à son personnage. Marie-Hèmmeji, qui est justement MJ ce soir, met en scène une petite baston où le perso de Jean-Joueur pourra réaliser que ne pas esquiver les coups, ça fait un peu mal. C’est particulièrement important dans les systèmes les plus abstraits : un joueur qui décide de mettre -2 à un attribut dans un PBTA, par exemple, ne mesure peut-être pas la portée du handicap qu’il s’inflige, mais il réalisera son erreur si vous lui mettez le nez dedans avant la vraie partie. De la même façon, un joueur qui s’imagine que mettre un seul point dans une compétence dans Star Wars de FFG suffit à faire de lui un spécialiste se fourvoie : détrompez-le, et au pire, conseillez-le sur la façon de mieux articuler sa fiche.
  • Et puis merde, soyez généreux : faites carrément un petit début d’aventure, une scène toute simple, où les personnages surmontent un défi élémentaire. Et surtout, surtout, n’oubliez pas de leur donner directement quelques XP, suffisamment pour qu’ils puissent améliorer leurs persos tout de suite. Ca ne coûte pas grand-chose, et ça permet de leur montrer, concrètement, après quoi ils courent : les XP sont souvent la carotte, pour les joueurs, alors servez-vous-en. Parce que vous l’avez peut-être remarqué : quand on joue pour la première fois à un jeu (de rôle, vidéo, de plateau…), on s’y intéresse toujours plus quand on voit qu’on gagne, qu’on est doué pour ça. De nombreux développeurs de jeux vidéo l’ont compris et “trichent” dans les tutoriels ou les premiers niveaux des jeux, afin que les joueurs bénéficient d’un petit avantage. C’est de bonne guerre : ça va dans le sens de la satisfaction du public (sauf si vos joueurs cherchent la difficulté, mais il y a des jeux très bien pour ça aussi, comme Dungeon Crawl Classic).

Lorsque vous lisez votre JDR, faites une liste des points que vous trouvez importants, qu’il s’agisse de l’univers de jeu ou des règles elles-mêmes. Faites-vous une checklist. Et pendant votre premier scénario, cochez les cases : résolution des actions : check, baston : check, guérison des points de vie : check, création d’un avantage narratif au combat : check…

Encore une fois, c’est bateau tout plein. Dommage que les trois quarts des scénars d’initiation ne comportent pas ces passages obligés et se contentent de balancer un déroulement lambda en imaginant que le MJ aura déjà tout fait, tout intégré, et qu’il sera capable de le prédigérer pour ses joueurs…

Conclusance et objectif 3 : une obligation, autoriser la modification de la fiche

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : après une première partie avec un jeu que vos joueurs ne connaissent pas, vous êtes obligé de les autoriser à modifier leur fiche. Je ne plaisante pas : considérez que c’est obligatoire.

Votre guerrier a décidé de se mettre -2 en Constitution et il ne s’est pas rendu compte que ça influait sur son total de points de vie de façon dramatique.

Votre slicer a éparpillé ses XP dans diverses compétences et se rend compte qu’il aurait mieux fait de mettre un maximum de points en Informatique s’il veut vraiment jouer son rôle au sein de votre équipe de vauriens.

Un de vos joueurs comprend qu’il a choisi des talents qui fond double emploi.

Vos joueurs ne comprennent tout simplement pas bien les statistiques et une fois qu’ils lancent les dés, ils ont l’impression que “le système joue contre eux”.

Etc.

Pourquoi est-ce indispensable ? Parce que vos amis doivent pouvoir jouer ce qui leur plaît, pas des personnages inadaptés d’une part à leurs attentes, d’autre part à votre campagne, et de troisième part (parce que fuck la syntaxe) aux exigences du système, qu’ils apprennent peu à peu à maîtriser.

Je vais même aller un peu plus loin, et vous proposer le conseil que je tiens de mon pote Mike : laissez les joueurs modifier leur fiche sur les trois ou quatre premières parties. Ca ne vous coûte rien du tout. Vous verrez que la plupart du temps, en réalité, ils ne changeront pas grand-chose. Et s’ils veulent optimiser, pourquoi pas. Cela dit, s’ils renoncent à un talent pour en prendre un autre, par exemple, ne les laissez pas passer de l’un à l’autre à chaque partie : une fois qu’ils ont expérimenté une configuration, ils la gardent ou ils y renoncent, mais il ne s’agit pas de créer des PJ à géométrie variable.

Dernier conseil : soyez indulgent avec vous-même. Certains jeux sont trop complexes pour être appréhendés entièrement dès la première partie. Si vous avez loupé un point de règle important, faites-le savoir aux joueurs et rectifiez le tir, en particulier si votre ignorance en la matière a porté préjudice à leurs personnages.