Index Card RPG (ICRPG), un jeu de rôle paru chez Runehammer et disponible sur Drivethrurpg.com 

 

EDIT 2e édition : la 2e édition revue et corrigée d’ICRPG (modifiée et affinée en fonction des retours des joueurs) est disponible sur DrivethruRPG, et il faut souligner que l’auteur a eu une excellente idée. Si vous avez investi dans le PDF de la 1re édition… vous avez droit à la mise à jour gratuite. To the author : Brandish Gilhelm, you rule, dude. 

Dans le cadre des aventures del descobridor de juego de rol, j’ai exploré les tréfonds de l’internet pour dénicher l’El Dorado rôlistique, Qui n’a jamais rêvé de ces mondes souterrains, de ces mers lointaines peuplées de légendes, ou d’une richesse soudaine qui se conquerrait au détour d’un chemin de la Cordillère des Andes ? Qui n’a jamais rêvé voir le soleil souverain guider ses pas au coeur du pays Inca vers la richesse et l’histoire des Mystérieuses Cités d’Or ?

Hein ?

Qui donc ? On ne l’a jamais su, mais c’était certainement pas un rôliste, çui-là.

Bref. Ces temps-ci (on va dire depuis deux ans), je m’intéresse très fort et en fronçant les sourcils aux systèmes de jeu de rôle simples mais efficaces. Les nombreux hacks d’Apocalypse World ont comblé l’essentiel de mes besoins, mais ça ne fait pas de mal d’aller chercher un peu ailleurs de temps en temps. En errant sur Drivethrurpg, je suis tombé sur ce petit jeu au nom étrange…

ICRPG, alias “Fiches Bristol, le jidéhaire”

ICRPG, c’est à dire “index card roleplaying game”, est un système de jeu doublé de trois univers (médiéval fantastique, SF et “weird western”) et qui présente à mes yeux d’énormes qualités. Je vais m’efforcer d’être super synthétique, comme le jeu lui-même, qui est tout simplement un bijou de mise en page et de densité : pas de blabla, que de l’utile (même si la médaille a son revers, comme je ne manquerai pas de le mentionner).

Du d20 à la D&D5

On a là un système classique avec 6 caracs (les caractéristiques “classiques” de D&D) représentées par des bonus, de +1 à… ben, +6 en fait, mais je dirais que +3 c’est déjà costaud… Le MJ donne une difficulté pour chaque tâche, on lance un d20 et on ajoute le bonus de carac’, hop, l’affaire est dans le sac : si on obtient plus que la difficulté, c’est réussi. Sauf que non.

Tentatives et efforts

Le système se double du concept d’effort. En réalité, certaines tâches nécessitent non seulement une réussite, mais un “effort”.

Dans la majorité des JDR, les adversaires que l’on affronte ont un certain nombre de points de vie, qu’il faut leur retirer progressivement pour les vaincre.

Dans ICRPG, toutes les tâches un tant soit peu complexes ou longues (déchiffrer un texte antique, escalader une montagne), se voient associer des “points de vie” (sous formes de coeurs : chaque coeur représente 10 points de vie, ça simplifie radicalement : tous les monstres ont d’ailleurs des coeurs, donc un nombre de PV multiples de 10). Pour escalader une montagne qui aurait “2 coeurs”, il faut donc obtenir 20 points d’effort. Par défaut, lorsqu’on effectue une tâche, on obtient une quantité d’effort égale au résultat de 1d4 (ce qui n’est pas forcément super clair, mais on capte vite). Si vous obtenez un 20 naturel, youpi, vous lancez un d12 en plus, c’est l’effort ultime.

Ce système rappelle énormément ce que l’on trouve, par exemple, dans le JDR Star Trek paru chez Modiphius (et à paraître incessamment sous peu en français chez Arkhane, avec un système traduit par votre serviteur) : des tâches longues qu’il faut accomplir progressivement, voire collectivement.

Rythme

Oui, c’est bien beau, mais dans ce cas-là, on fait douze tests de carac’ d’affilée jusqu’à ce qu’on ait obtenu les 20 points nécessaires à l’escalade de la montagne et c’est plié.

Sauf que non, évidemment.

Dans ICRPG, on joue dans le sens des aiguilles d’une montre, l’un après l’autre. Chaque joueur effectue une action, puis c’est au suivant, etc. On n’agit pas quand on veut, comme on veut : non, il faut attendre son tour. Et le MJ peut très bien dire : “Ok, dans 2 tours de table, l’avalanche se déclenche et vous serez engloutis.”

Cette idée de rythme est essentielle, d’autant que le temps peut être segmenté en tours de jeu (de 5 à 10 secondes), en heures ou en jours. Quelle que soit l’échelle, on joue toujours chacun son tour. Par conséquent, chacun doit gérer la façon dont il va utiliser son “tour de jeu”. Ce petit mécanisme qui n’a l’air de rien risque de modifier radicalement la donne… d’autant qu’il peut s’appliquer de façon un peu méta. J’esspique.

C’est la fin de soirée. Tout le monde est un peu fatigué, et on ne sait pas trop comment “terminer l’aventure”, mais le MJ se rend compte que c’est le moment d’arrêter. Plutôt que de dire : stop, c’est terminé et on compte les XP (ce qui n’arrivera pas, d’ailleurs parce que… non, je garde le meilleur pour la fin), il lance un dé. Le résultat est le nombre de tours qu’il reste à chacun pour faire des choses. C’est futé, ce truc, parce que vous savez, quand vous disposez de tout votre temps pour faire ce que vous voulez, vous avez tendance à glandouiller, à vous éparpiller. Dès que la ressource temps devient limitée, elle devient précieuse, on a envie de l’exploiter à fond. Soudain, la fin de partie devient plus palpitante.

Expérience façon Munchkin

Vous connaissez Munchkin ? Ce jeu de cartes hilarant et traduit avec un humour absolument génial ? (Euh oui, bon, c’est moi qui l’ai traduit… Je crâne pas, j’esspique.) Dans Munchkin, ce qui compte, c’est d’amasser des cartes Trésor qui vous donnent des bonus (une épée qui donne +1 au combat, une armure qui vous permet de fuir à tous les coups sans vous faire tuer, etc.). ICRPG fonctionne un peu comme ça : l’expérience, C’EST le butin.

Au lieu de gagner de l’XP en fin de partie, vous trouvez systématiquement du “loot” (butin) sur les créatures que vous affrontez : 1 élément de loot par coeur de vie du monstre au-delà du premier (ça m’a énormément fait penser à Munchkin où les monstres les plus dangereux donnent plus de butin). En outre, quand vous atteignez un “milestone”, un moment clef de votre carrière d’aventurier, vous débloquez une des capacités spéciales de votre classe. Des capacités très puissantes, chaque fois : on n’est pas là pour aller tuer des rats dans une cave, et les bonus obtenus sont parfois énormes.

Ce fameux loot est obtenu aléatoirement (sauf si le MJ décide d’attribuer un butin spécifique à telle ou telle partie d’une aventure) sur des tables bien fournies. On a là encore un mécanisme qui rappelle les jeux de plateau et qui stimule les joueurs : la possibilité d’obtenir des objets utiles et originaux devrait constituer une carotte après laquelle les joueurs n’ont pas fini de courir.

“Et bien plus encore…”

… comme on dit aux dos des anciennes boîtes de jeu Edge.

Je ne peux pas m’attarder sur toutes les petites règles qui rendent ICRPG vraiment fun (les règles de la mort des personnages, les voies présentées dans ICRPG World, la création de personnage en dix minutes…), mais il y en a beaucoup, et rien n’empêche d’en utiliser certaines dans d’autres jeux. Il s’agit à la fois d’un atout et d’un handicap : à la lecture des règles, on se rend compte que RIEN n’est obligatoire, que RIEN n’est fixé, qu’on a affaire à un vrai foutoir où tout est possible et envisageable.

Je mentirais en disant que ça ne me fait pas sautiller de joie en poussant des petits cris de chiot. C’est tout ce que j’aime dans un JDR : générosité, originalité, densité des infos. Cela s’accompagné des défauts correspondants : certaines règles ne sont pas limpides et vont nécessiter un arbitrage.

En fait, non : toutes les règles vont nécessiter un arbitrage. L’auteur d’ICRPG vous laisse les commandes, il vous fait confiance pour les gérer à votre convenance et à celle de vos joueurs. Les “aventures d’intro” sont d’ailleurs symptomatiques. En les lisant, je me suis dit : “mais qu’est-ce que c’est ? Comment on est censé jouer ça ? Comment fonctionne telle règle ?” Et puis j’ai pensé : “tiens, je ferais bien tel truc de telle façon.” Et c’est très exactement ce que l’auteur veut que vous fassiez… puisqu’il l’affirme juste après les mini-scénarios d’intro : c’est à vous d’interpréter les règles.

On se dit également que l’équilibre de jeu n’est pas la priorité de l’auteur et que sur le long terme, on risque d’avoir des persos particulièrement bourrins, voire injouables (ça, c’est à voir en pratique).

Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez également consulter la chaîne Youtube de Runehammer.

Mais les fiches bristol, alors ?

Pourquoi ce nom ? Pourquoi “le JDR sur fiches bristol” ? Parce que le jeu utilise des accessoires sous forme de fiches bristol. Le jeu de base (version PDF, que je recommande donc) comprend des planches de personnages et de monstres à imprimer sur bristol, puis à insérer sur des bases en plastique pour tenir lieu de figurines. Les dessins sont simples mais évocateurs (ça me rappelle le formidable travail du Grümph sur Dragon de Poche ou Oltréé). A ceci s’ajoutent des “packs” comprenant chacun 100 fiches qui représentent des décors ou des monstres.

Ces dessins, très simples, sont absolument géniaux : on n’est pas dans la sophistication picturale, mais dans le symbolique, l’évocateur. Si vous voulez voir à quoi ça ressemble, le kit de base d’ICRPG est gratuit et comprend quelques exemples (ainsi que l’essentiel des règles en anglais).

Les fiches permettent de matérialiser l’action comme des figurines, mais aussi narrativement : le groupe se sépare en deux ? Posez deux fiches qui représentent chacune un lieu, et mettez les figurines des joueurs dessus. Les joueurs ont le choix entre trois destinations ? Posez les trois fiches qui les représentent sur la table : elles permettront de garder visuellement à l’esprit cet aspect du scénario. C’est simplissime, mais TRES pratique (je le sais pour l’avoir pratiqué dans roll20 : le MJ pose des images sur l’écran partagé entre joueurs, ce qui permet de se rappeler les décors importants, les personnages, les monstres affrontés…).

Evidemment, les figurines en bristol peuvent servir à matérialiser l’action. Encore une fois, la simplicité prime, puisque les distances sont mesurées… à l’aide d’une banane.

Univers

Tout ceci est à la fois simple et enthousiasmant, d’autant que le jeu de base propose deux univers vraiment élémentaires mais tout à fait charmants : du méd-fan et de la SF de base. Dans le supplément ICRPG World, vous trouverez la description détaillée de ceux-ci, PLUS un univers Weird Western que je trouve tout à fait bien fichu.

Pas de description à rallonge : uniquement des lieux avec de brèves phrases de description, des effets mécaniques (chaque trajet dans cette région prend d12 jours en plus, …) et des idées de scénario. Rien de très complexe : c’est souvent “explorez les ruines de Tartaglouk-en-Grouchnok infestées de Blurks crachefeu”, mais ça suffit à lancer un petit scénario, le temps de développer quelque chose de plus complexe.

Et tout ça est expliqué grâce à une maquette formidable…

Mazette, la belle maquette

ICRPG est CLAIR. Pas de phrases à rallonge. Tout y est bref, et nombre de concepts de base sont tout simplement expliqués avec des illustrations, toujours dans ce style clair et fun. Certains aspects des règles (comme celui des distances) ne sont expliqués QUE par des dessins, ce qui économise en palabres et clarifie d’autant le jeu.

Le livre de base, malgré son côté bordélique, est une véritable leçon de maquette : qu’on aime ou qu’on n’aime pas, l’auteur va à l’essentiel, il ne tire pas à la ligne. L’explication des distances dans le jeu ? Une illustration (ci-contre) et c’est réglé.

Oui, ça fonctionne vraiment avec une banane.

Mais… c’est un jeu parfait, alors ?

Ah non, pas du tout. Il reste quelques bugs, par exemple des notions qui sont évoquées (celle d’INJURY) et qui ne sont jamais expliquées. Les scénarios restent élémentaires : n’imaginez pas qu’on va vous proposer des enquêtes complexes et des intrigues de cour en une phrase. On a là le matériau idéal pour une campagne en bac à sable, mais il va falloir un peu d’imagination.

D’ailleurs, l’auteur vous laisse vous débrouiller dans pas mal de situations : il vous fait confiance pour improviser certains aspects techniques (“un de vos PJ a vu sa famille massacrée par les hommes-singes ? Donnez-lui une épée qui inflige double dégâts à cette bio-forme.” Ah oui, on ne dit pas “race”, dans ICRPG. On dit “bioforme”. Eh ben moi, je kiffe.). Cela dit, il y a des vidéos sur Youtube, une communauté très active sur Google +, et le jeu marche manifestement très bien. En témoigne le livre de base, considérablement augmenté, dans sa version PDF, depuis la sortie.

En outre, il faut adhérer au style visuel : les illustrations ne sont pas réalistes, elles sont en noir et blanc (et rouge pour certaines)… mais je leur trouve une superbe personnalité. Dans ce domaine, c’est à chacun de voir selon ses goûts.

Le plus simple, pour savoir si le jeu vous convient, consiste à jeter un coup d’oeil au kit gratuit… mais je vais vous expliquer tout ça, au cas où vous seriez un peu perdu dans la gamme.

Comment l’acheter

ICRPG est disponible sur DrivethruRpg sur la page de son éditeur Runehammer.

Je vous recommande de télécharger en premier lieu le Quickstart du jeu, qui est extrêmement bien fourni et vous donnera déjà un aperçu précis des règle ainsi qu’un mini scénario. Il est gratuit et contient tout ce qu’il faut pour tester le jeu.

Ensuite, si vous souhaitez investir, un conseil, que vous achetiez la version papier ou pas, prenez le PDF : il contient notamment les planches de personnages et de monstres à imprimer. En outre, la version PDF s’est ENORMEMENT enrichie depuis la publication du jeu : de 120 pages, elle est passée à 192 avec des ajouts, des mises à jour, un scénario lovecraftien (qui s’accompagne de règles de santé mentale et d’une variante pour jouer façon Cthulhu), etc. La version papier ne prend apparemment pas ces changements en compte (cela dit, le bouquin avec le PDF coûte environ 15 euros, et le PDF tout seul environ 13 ; c’est vous qui voyez…).

Si vous voulez utiliser les fameuses “index cards”, c’est à dire les illustrations de lieux et de personnages, il existe 3 collections intitulées Index Card RPG Vol. 1, 2 et 3. Chacune se compose d’une centaine de cartes à imprimer, ainsi que d’une brève description pour chaque carte. C’est du matos “brut”, presque uniquement visuel, et tout ne vous servira pas. En outre, il s’agit de représentations très brutes, pas d’illustrations complexes. Les Vol. 1 et 2 sont consacrés au méd-fan (et le 2 est meilleur à mon avis), et le 3e à la SF. Au passage, rien de tout ça n’est indispensable. Ces volumes ne sont dispos qu’en PDF puisqu’il s’agit de documents à imprimer.

Si vous voulez avoir les univers de jeu et des options de création supplémentaires, je recommande vigoureusement ICRPG Worlds, qui regorge en outre d’idées de scénario. Pour un MJ débutant ou qui n’a pas envie de développer des intrigues trop complexes, cet ouvrage contient de quoi jouer longtemps, et dans trois univers.

Concluture de la phase lisage

Un gros gros coup de coeur pour ce jeu : un système simple mais doté de nombreuses petites règles astucieuses, un design que je qualifierais de magique tant il correspond à ce que j’ai envie de trouve dans un JDR, une présentation exceptionnelle, une quantité d’idées ahurissante et une communauté riche qui présage d’un beau développement pour la gamme…

On pourrait reprocher à ICRPG son aspect chaotique, ses règles façon “voilà le concept, maintenant démerdez-vous”, ses univers ébauchés… mais ce serait passer à côté de ce qui lui donne tout son caractère ludique. ICRPG est un jeu à trous, il y a des blancs partout dans les mondes qu’il propose…

Bref, c’est un vrai JDR. Là où les univers boursouflés se transforment en carcans, là où les règles complexes deviennent autant de contraintes, ICRPG permet de respirer, il laisse de la place aux joueurs et au MJ. On y trouve énormément de clichés, mais l’humour pince-sans-rire du texte permet de comprendre qu’il s’agit de références, de bases, voire d’hommages (l’ombre de Lovecraft plane sur nombre de scénarios). L’auteur a pris le parti de n’offrir qu’une structure, un squelette auquel il appartient aux joueurs de donner vie en l’étoffant, en y apportant leur touche personnelle.

ICRPG me fait penser aux Playmobils. A l’origine, ces jouets étaient conçus pour être extrêmement “génériques” : des symboles plus que des représentations réalistes, afin que les enfants puissent s’identifier plus facilement à ces petits bonshommes et projeter sur leurs traits caricaturaux leurs propres idées. Je retrouve aussi dans ce jeu la simplicité d’un autre système que j’aime beaucoup, celui de Barbarians of Lemuria.

Autant vous dire que je suis très impatient de passer à la phase 2, le jouage. Il ne reste plus qu’à savoir si, une fois à la table, les promesses du jeu sont tenues. A bientôt pour la seconde partie de ce Play after Reading en deux parties !