Good Omens

Eh ben. On l’a échappée belle.

Avec tout le respect que j’ai pour les séries britanniques, apprendre l’imminence de l’adaptation de Good Omens/De Bons présages de Terry Pratchett et Neil Gaiman m’avait un petit peu foutu la trouille. Parce qu’on dira ce qu’on voudra : techniquement (je parle d’effets spéciaux), c’est un peu la roulette russe, les séries britanniques. Et dès qu’il y a des effets spéciaux numériques en jeu, je dirais qu’on joue avec plusieurs balles dans le barillet.

Ça ne veut pas dire qu’une série ne vaut que par la qualité de ses effets spéciaux, tant s’en faut. Simplement que… que les CGI c’est le Mal, et que le Mal vieillit super mal (dans ce cas-là, il a déjà pris un sacré coup de vieux quand la série sort sur les écrans…).

Et puis on parle de Terry Pratchett… Si vous n’avez jamais lu Pratchett (ce que je vous recommande, même si ce n’est clairement pas pour tout le monde), il faut que vous sachiez que le bonhomme intégrait une quantité formidable de jeux de mots, d’effets de style amusants et autres plaisanteries dans son œuvre, et qu’il est particulièrement connu pour son utilisation systématique des notes de bas de page comme ressort comique.

Or, une note de bas de page, visuellement, ça n’existe pas.

Atteint par une forme précoce de la maladie d’Alzheimer, Pratchett émit le souhait de voir Neil Gaiman (son co-auteur sur Good Omens) rédiger l’adaptation télévisée du bouquin, un exercice auquel Gaiman se plia après la mort de Pratchett. Mais Gaiman a beau être un formidable scénariste de comics (lisez Sandman, vraiment), sa contribution à des séries n’est sans doute pas aussi remarquable (même si son taf sur Dr Who était tout à fait sympa).

Je ne vous cache donc pas que j’avais vraiment la trouille.

De bons présages

Parce que De bons présages est le livre qui m’a fait le plus rire. Vraiment. C’est celui-là et pas un autre. Je serais incapable de vous donner le titre de mon roman préféré (ou plutôt je vous en donnerais un différent si vous me posiez la question deux fois à un quart d’heure d’intervalle), je ne peux en aucun cas dire quel est mon chanteur ou mon groupe musical favori… mais si on me demande quel est le livre le plus drôle que j’aie lu, c’est De bons présages.

Et je vais vous dire à quel point j’ai adoré ce livre.

Je l’avais acheté un peu comme ça, au pif, en lisant le pitch en quatrième de couv’ et en apercevant des noms que je connaissais un peu : j’avais lu les premiers Sandman que le frère d’une copine – frère auquel je dois une grosse partie de ma culture comics puisqu’il me fit découvrir coup sur coup Watchmen, V pour Vendetta et Sandman – m’avait prêtés. J’avais également lu les premiers romans du Disque-Monde, qui étaient plutôt fun, mais qui ne m’avaient pas encore fait me tordre de rire (ça, ça allait arriver avec Trois Soeurcières). Et en me plongeant dans le bouquin : l’extase.

Vraiment. Le roman parfait, et surtout, hilarant. Les bouquins de Pratchett sont les seuls qui me fassent vraiment rire. Rire : ha ha. Les autres me font sourire, ou m’esclaffer intérieurement, mais aucun ne déclenche de vrais rires sonores. Et celui-là m’a procuré de véritables fous-rires. Cette qualité tenait également à la traduction époustouflante de Patrick Marcel, qui avait fait là un travail épatant et complètement transparent (dans le sens où on ne la “voit” pas et où elle retranscrit le style de l’auteur et son intention) : je m’en suis rendu compte il y a peu en lisant la VO pour la première fois et en découvrant le nom du démon (un choix que je trouve audacieux, les amateurs de vieux bouquins ésotériques de bazar à couverture rouge comprendront pourquoi ; pour les autres, croyez-moi sur parole). Au-delà des choix de termes, c’est un texte splendide, dont on retient forcément des répliques savoureuses, qui sonnent merveilleusement bien en français.

Quand j’ai lu le bouquin, je passais beaucoup de temps avec un de mes meilleurs amis, Fred, et nous partagions toutes nos lectures et nos découvertes culturelles. Arrivé aux derniers chapitres de De bons présages, je n’avais plus qu’une envie : lui faire découvrir ce bouquin. Mais j’avais aussi envie de le terminer.

Fred habitait à une petite vingtaine de minutes de chez moi, à pied.

En y allant pas trop vite, je pouvais faire monter ça à une demi-heure.

Je partis du principe que je lirais une page par minute.

Le trajet ne comportait que très peu d’obstacles de type réverbère contondant.

Dès qu’il ne me resta plus que trente pages, je pris le bouquin, et je partis chez Fred, en lisant sur le chemin.

L’expérience prouva qu’il est extrêmement difficile de lire en marchant, surtout quand on se bidonne en permanence. J’arrivai donc à destination avec quelques pages de retard, que je terminai sur le pas de la porte de chez Fred. Puis je lui passai le bouquin.

Et la série, alors ?

J’ai regardé les deux premiers épisodes hier, avec circonspection, et dans un état d’esprit particulier. Déjà, je sais qu’il est strictement impossible de retranscrire correctement du Pratchett à l’écran (les adaptations du Disque-Monde sont potables… mais on est TRES loin de ce que j’appellerais une vraie réussite, malgré des acteurs méritants : ces téléfilms ont valeur d’illustration, l’intrigue est plutôt sympa, tout le monde cabotine tranquillement, mais au final, eh bien… ce sont des œuvres de fans pour les fans et si on les prend pour elles-mêmes, elles ne valent pas un vrai bon film original… Je ne les renie pas, mais je ne les conseille pas pour découvrir Pratchett). Mais les bandes-annonces étaient plutôt sympas, bien rythmées, et David Tennant en Crowley/Rampa (sérieux : Crowley. Rampa, comme Lobsang Rampa. C’est pas fun, ça ? Bon, allez vous renseigner sur Rampa, vous allez voir, c’est rigolo), ça me titillait un peu. Je me suis donc dit : allez, au pire, c’est du type Disque-Monde et ce sera plaisant. Et ensuite je me relis le bouquin, ce sera cool.

Résultat des courses, le premier épisode est tout simplement génial. Une petite facilité (mais comment faire autrement ?) : il est narré. Yep, il y a une voix off. On lui pardonne, parce que c’est une voix que j’aime énormément, et parce qu’elle transmet en outre un gag vraiment sympa. Et puis, il n’y avait aucun moyen d’expliquer la scène du clin d’œil entre bonnes sœurs, et c’est un de mes moments préférés.

Côté effets spéciaux, c’est… ben c’est de la télé britannique. Les CGI sont un peu foireux quand on les voit, mais assez discrets le reste du temps. Les effets de maquillages sont plutôt sympas, en particulier les yeux de Crowley, qui arbore des lentilles à pupille fendue, pas originales pour deux sous, mais du meilleur effet.

Image associée

Les acteurs, David Tennant et Michael Sheen en tête, portent littéralement l’épisode sur leurs épaules. Beaucoup de dialogues entre ces deux-là dans le premier épisode, et c’est ce qui fait tout son charme : même si on voit qu’ils s’amusent beaucoup, ce n’est pas au détriment de leur jeu d’acteur et de la qualité de l’ensemble. Si on a lu le bouquin, c’est tout simplement hilarant (j’ai éclaté de rire à plusieurs reprises). Les seconds rôles comme John Hamm et Nick Offerman glissent largement plus dans le « too much », mais comme ils interviennent à dose homéopathique, ça ne gâche pas l’ensemble. Le montage est serré : à aucun moment on ne se dit « ok, ce gag a vraiment trop duré, il serait temps de passer à la suite. » Bref, c’est un vrai très bon moment, la série démarre sur les chapeaux de roues, avec quelques trouvailles visuelles réussies sans pour autant déployer d’énormes moyens (le look des démons et des anges).

Tout cela est bel et bon.

Et puis arrive le second épisode… Et là… Ben c’est bien moins bon. L’absence relative de Tennant et Sheen se fait sentir : les acteurs choisis pour incarner Newton Pulsifer et Anathème Bidule manquent carrément de charisme. La seconde, dont le background me semble avoir été modifié de façon pas très subtile, a bien moins de charme que dans le bouquin. Certes, elle est adorable et fait de gros efforts pour dégager de l’énergie, mais son jeu m’a semblé complètement à côté du personnage, justement parce que ces gros efforts sont tout à fait visibles (pour le coup, on est dans un registre qui me rappelle tout à fait les adaptations du Disque-Monde, où on a l’impression que les acteurs savent qu’ils jouent un personnage et ne s’en cachent pas vraiment). Bref, bof.

Pulsifer tient un poil mieux la route, et Shadwell, un peu moins crasseux et ignoble que son homologue littéraire, est curieusement attachant malgré tout.

Ça n’empêche, on commence, dans ce deuxième épisode, à détecter les moments où ce qui fonctionnait parfaitement sur la page a dû subir un gros lifting pour devenir un tant soit peu réaliste à l’écran.

Le gang des « Eux » fonctionne plutôt pas mal, mais là encore, le soufflé retombe dès qu’on compare au roman : la scène de torture inquisitoriale m’avait arraché des hennissements de rire, mais on passe complètement à côté dans sa version filmée (ce qui est tout à fait compréhensible : le rythme de la scène d’origine, et l’alternance entre narration et dialogues, est complètement impossible à retranscrire à mon avis). Les jeunes acteurs restent très bons, et Le Chien est impeccable (au passage, je me livre à un délit d’initié puisque j’ai eu l’occasion de lire Patrick Marcel qui en parlait sur FB : le nom français du Chien était « Toutou » à l’origine, ce qui était à se tordre de rire juste après une description de la bestiole indiquant qu’on voyait « brûler dans ses yeux les feux du pléistocène », mais le traducteur l’a changé – dans la dernière édition révisée- en « le Chien », sachant qu’un gosse de onze ans n’utiliserait pas ce genre de nom un peu neuneu pour baptiser son chien… Et il a raison… mais qu’est-ce que « je vais l’appeler… Toutou ! » m’avait fait rire !).

Quoi qu’il en soit, l’élan du premier épisode porte encore le second, même si cette énergie se dilue. Dès que Tennant et Sheen reparaissent à l’écran (avec des répliques excellentes et un jeu parfait, outrancier quand il le faut, subtil aux moments idéaux), c’est de nouveau l’extase.

Bref, jusqu’ici, Good Omens me donne l’impression d’une très belle adaptation d’une pièce classique avec deux premiers rôles qui éclipsent tous les autres. C’est une réussite, bien meilleure que ce que j’en attendais. Je ne manquerai pas d’ajouter un petit article pour vous dire si la fin est à la hauteur, mais vous pouvez déjà vous jeter dessus même si vous êtes comme moi des intégristes de Pratchett.

Et évidemment, il faut relire le bouquin. La VF est formidable (et une nouvelle version corrigée sort sous peu : je vous la recommande évidemment, et vous pouvez chiner la version d’origine parue chez J’ai Lu, avec « Toutou », pour deux ou trois euros chez Rakuten ou le vilain Amazon qui pue. De mon côté, j’ai déjà acheté le bouquin trois fois, dont une après un malencontreux incident impliquant un sac mal rangé, une boîte de thon au système d’ouverture « trigger happy » et quelques chocs violents et mal placés – Fun fact : vous aimez peut-être l’odeur des livres, mais je vous garantis que les pages macérées dans du jus de thon, c’est Mal). La VO est… ben elle est formidable aussi, et se lit même si vous n’avez pas un niveau d’anglais stratosphérique.

Et si l’humour vous a plu, si vous aussi vous avez henni, jetez-vous sur Le Grand Livre des Gnomes, puis sur les bouquins du Disque-Monde, sans oublier de faire un tour dans la biblio de Gaiman.