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Je travaille sur des jeux de rôle. Pas que métaphoriquement, hein, mon fauteuil est composé de vieux volumes rôlistiques entassés, couverts d’un revêtement en cuir de vieux rôliste mâché, c’est tout doux surtout à l’endroit où il y avait la barbe…

Où j’en étais, déjà ?

Ah oui : je traduis des jeux de rôle. J’effectue la traduction, ou parfois je la relis, je la corrige, je l’améliore (enfin, j’espère, sinon c’est vraiment pas de bol, mais disons que quand un traducteur traduit « when the shit hits the fan » par « quand la crotte heurtera le ventilo » – true story -, je n’ai pas trop de scrupules à amender sa prose).

Ce qui est vraiment bien, c’est que j’y joue aussi (aux jeux de rôle, suivez, un peu !), depuis des décennies (dont la coquetterie m’interdit de mentionner le nombre, hu hu hu). Par conséquent, on peut dire sans trop se tromper que je joins l’utile à l’agréable. Mais en réalité, mon travail n’est pas toujours agréable. Aller piocher pages 200-215 son arme à feu préférée dans « Space Marines du Cosmos contre les Gloumoutes Dégueulasses », c’est vraiment super fun, mais je vous garantis que traduire les quinze pages de tables chiffrées et de descriptions du genre « une arme à feu est un appareil mécanique destiné à projeter un petit bitonio métallique dans quelqu’un pour lui infliger une intoxication au plomb qu’on espère fulgurante », c’est vraiment pas folichon.

Ce qui est bien, en revanche, c’est de traduire des jeux comme Things from the Flood, actuellement en financement participatif ici, tu y vas, tu contribues, je te fais un bisou (qui fait scratch façon Velcro si tu as de la barbe, car moi aussi).

Tales from the Loop, zeu riteurne : ça sent comme l’esprit des ados

Things from the Flood est en quelque sorte le second volet d’une trilogie composé de deux ouvrages, donc pas une trilogie du tout. Une bilogie, au mieux, donc, voire un diptyque quand on sait causer comme des gens.

Tales (j’ai la flemme d’écrire from the Loop, c’est beaucoup trop long et ça me fatigue, et quand je fatigue je… rrrr…. Rrrrrr….. rrrrr….) vous proposait d’interpréter des enfants dans une uchronie basée sur les années 1980, et où existaient robots, technologies étranges et gigantesques transports à « magnétrine » (un principe basé sur le champ magnétique terrestre et permettant à de lourds appareils de voyager en suspension dans l’air, voyez si c’est pratique, avec ça on pourrait transporter des cargaisons d’un poids phénoménal, comme la connerie de Pascal Praud).
Le jeu s’appuyait sur la mode nostalgique des années 1980 et des œuvres de fiction contemporaines, et en particulier sur les films spielbergiens de l’époque (des Goonies à Monster Squad en passant par Short Circuit, Gremlins, etc.). Très bien tourné, pourvu d’un système simple et intelligent, Tales offrait un univers coloré où les personnages ne meurent jamais, mais qui présentait son lot de périls et de difficultés, le tout appuyé sur l’atmosphère extraordinaire des illustrations de Simon Stålenhag.

Things (from the Flood) reprend le principe de Tales, mais en le décalant d’une décennie : l’action se déroule désormais dans les années 1990. D’aucuns crieront donc qu’on les prend pour des vaches à lait et que le jeu n’est au mieux qu’une resucée du premier.

Et ils auront vraiment, mais VRAIMENT tort.

Things from the Flood emploie le même système que son prédécesseur (pour simplifier : on lance un certain nombre de dés à six faces, chaque 6 obtenu étant une réussite : ça peut sembler assez dur, mais les règles ménagent énormément d’effets particuliers permettant de relancer des dés, d’obtenir des réussites automatiques, etc.), mais lui apporte quelques différences qui, au bout du compte, changent radicalement la donne.

Dans Tales, on jouait des Enfants, et les Enfants, ça ne meurt pas dans les films d’action des années 1980. Ils sont pour ainsi dire revêtus d’une armure en scénarium, pas moyen de les zigouiller, ces petits salauds. Les Ados de Things, en revanche…

D’une façon très méta, les règles de Things permettent de retirer un personnage du jeu lorsqu’il a essuyé un trop grand nombre de traumatismes (des Séquelles). Chaque fois qu’un personnage subit une Séquelle après la première, il risque d’être « éliminé du jeu » : il meurt, il disparaît, ses parents déménagent et on ne le reverra plus… Cette élimination peut d’ailleurs être un peu retardée, pour qu’elle ne soit actée qu’à « la fin du film », juste avant que les crédits ne défilent. Le système simple et clair permet d’intégrer efficacement cette disparition dans la narration, et d’en faire un moment bouleversant s’il le faut.

Car les personnages de Things ne sont plus des gosses, mais des Ados, voire de vieux Ados (ils ont de 14 à 19 ans, tout de même) : on pense aux protagonistes de films un peu plus « tendus », comme l’excellent The Blob (que je vous recommande). Ils vont pouvoir se confronter à des menaces plus graves… et surtout, des thèmes nouveaux vont pouvoir s’inviter dans le récit…

Et c’est là que Things se démarque radicalement.

Le monde de Tales était un monde d’émerveillement, où tout était possible, où l’avenir était radieux, et où on allait sauver le monde sur un vélo de cross. Un excellent postulat pour un jeu capable de reproduire avec brio l’atmosphère des films d’Amblin et consorts.

Mais ça, c’était il y a dix ans. Le monde a changé. Les années 1990 sont celles de la crise. Une crise mondiale, qui répond à la métamorphose que subissent les personnages traversant une période difficile de leur vie. Le monde est en décrépitude. Les promesses des années 1980 ne se sont pas réalisées. Les robots sont devenus fous. La technologie déraille, les machines rouillent et sont abandonnées. Au squelette d’univers ébauché dans Tales s’ajoute une quantité de substance qui lui donne réellement vie. Un exemple ?

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Le vrai thème de Things from the Flood

Le « Flood » du titre, c’est une inondation qui provient des profondeurs du Loop, ce complexe scientifique souterrain où se déroulent des expériences dont on ne sait pas grand-chose. Un jour, des eaux noires remontent du complexe et inondent la région où se trouvent les joueurs (dans les îles du lac Mälar si on joue en Suède, dans le Nevada si on joue aux États-Unis, dans la Creuse si on trouve un moyen de caler un Loop français quelque part…).

Le gouvernement déclare l’état d’urgence, et toute la population de cette zone doit déménager temporairement. C’est un véritable exil. Des familles perdent leur domicile (et leur travail du même coup, le Loop étant le principal employeur de la région) et doivent émigrer dans la ville voisine. Là, elles vont être hébergée grâce à des solutions d’urgence, de façon temporaire… pendant cinq ans.

Pendant cinq ans, la zone inondée par les eaux du Loop deviendra zone interdite. Des choses étranges y rôdent. Des machines y fonctionnent toujours. Le gouvernement en protège encore une partie, de façon plus ou moins efficace. Mais nous sommes dans les années 1990, les années des raves sauvages, et à cœur vaillant (et surtout à cœur d’ado) rien d’impossible : beaucoup d’ados vont traîner dans la Zone d’Evacuation.

Cinq ans plus tard, le danger potentiel semble écarté, et les habitants de la région du Loop vont pouvoir regagner leurs foyers. Qu’y trouveront-ils ? Quels souvenirs abritent encore ces maisons abandonnées pendant cinq ans ? Les retrouveront-ils saccagées, ou intactes ? Qu’est-ce qui risque de s’y cacher ?

La situation pose énormément de questions, autant de pistes pour des scénarios palpitants, basés sur une forme de décadence mêlée de nostalgie.

Cet aspect doux-amer est bien entendu délibéré : il fait partie du jeu, il est profondément méta. Ces gens qui reviennent dans un domicile oublié, c’est nous, les joueurs d’un certain âge, qui revisitons les années de notre jeunesse, de notre enfance, avec un regard différent, une vision peut-être plus globale, des attentes nouvelles. Une envie de revoir le match enregistré, ou réellement de le rejouer ?

La porte est ouverte, peu importe ce que l’on cherche en franchissant le seuil. Mélancolique sans être sinistre, délirant sans être absurde, et extrêmement touchant dans sa description du passage à l’âge adulte et des émois de l’adolescence, Things from the Flood transforme à mes yeux l’essai de Tales from the Loop, en offrant une expérience nouvelle, enrichie d’une strate qui donne un sens profond au jeu.

Je travaille sur des jeux de rôle. Tous ne sont pas formidables, tous ne me plaisent pas forcément. Mais Things from the Flood fait partie de ceux que j’apprécie et pour lesquels j’ai une tendresse particulière, parce qu’ils ont réellement un sens et ne se limitent pas à une « simple » expérience ludique : ils parlent de nous, ils expriment quelque chose au sujet de la nature humaine.

Et à cet égard, Things from the Flood fait partie des meilleurs.