image-logo1    

Un jeu de rôle édité par Monkeyfun, en VO

 (Nota Beney : tout est de la faute de Jean-François Beney, qui ne se contente pas de ressusciter les jeux de rôle : il en trouve de déjà vivants et il me force à les lire, le pistolet sur la tempe…)

Starskyyyyyyyyy et Hutch

Tanananananana

Starskyyyyyyyy et Hutch !

 

J’ignore si c’est de cette série télé furibarde que je tiens mon amour immodéré pour les guitares funky et la musique de Lalo Schifrin, mais une chose est sûre : je ne loupais pas un épisode de Starsky et Hutch. Je me souviens encore d’une ou deux intrigues vraiment marquantes. Tout le reste est noyé dans le tourbillon flou des souvenirs d’enfance, où se mêlent des influences diverses et variées, de Goldorak à Super Jaimie en passant par le Fantôme de l’Espace et Capitaine Caverne. Ouais, en tant qu’enfant de la télé, mes racines culturelles, c’est plutôt Hanna Barbera, les anime (qu’on appelait simplement « dessins animé japonais ») et les séries de Glen A. Larson que les classiques littéraires. La passion des super-héros m’est venue en regardant le vieux dessin animé de Spider-Man (saviez-vous qu’on le devait en partie – du moins lors de la saison 2, plus psychédélique – à Ralph Bakshi, qui réalisa une très belle interprétation animée du Seigneur des Anneaux, ainsi qu’une excellente œuvre de Sword & Sorcery, Tygra, la Glace et le Feu ?). À l’époque, devant notre télé noir et blanc au rendu un peu verdâtre, je croyais dur comme fer que le costume de l’Araignée (Pierre Parker en VF !) était couleur pomme boueuse. Les premiers comics me firent un choc… Souvenirs !

Enfants de la télé, tous des bâtards !

Difficile à croire, aujourd’hui, que les programmes télé étaient en réalité le premier vecteur de la culture geek, mais c’est bien le cas. Encore dans sa période d’expérimentation, où il ne s’était pas encore figé dans le modèle que nous connaissons (et conspuons) aujourd’hui, le petit écran était bien cette lucarne magique qui s’ouvrait sur des cultures inconnues. C’est par son intermédiaire que nous découvrions les comics américains, mais aussi des séries japonaises qui fascinèrent une génération entière : San Ku Kai et sa version cheap (mais paradoxalement originale) de la Guerre des Étoiles, mais aussi des œuvres plus confidentielles, oubliées aujourd’hui, comme « La Légende des chevaliers aux 108 étoiles » (diffusée en 1977 : https://www.youtube.com/watch?v=q4_KqW7u0wI)

duke2

Et aussi, y avait des bouseux à la con qui faisaient des courses de voiture contre le shérif.

La télévision était le premier creuset d’une culture métissée, riche et parfois subversive, parce qu’elle commençait déjà à être incontrôlable…

Tu nous fais chier avec ta télé, papy !

Ouais, ben laissez-moi en venir au fait, les chiards. La télé n’était pas, tant s’en faut, une « boîte à rendre idiot » (elle ne l’est toujours pas, d’ailleurs, elle ne rend pas idiot : elle rend consommateur, ce qui n’est pas tout à fait synonyme, quoique…) : c’était une boîte à récits, à histoires. Elle nous a bombardés, nous autres enfants des années 70, voire 80, non pas de rayons gamma comme le professeur Bruce Banner, mais de rêves, d’intrigues et de délires visuels. Bonne chose, mauvaise chose, je n’en sais rien, mais nombre d’entre nous nourrissent une tendresse particulière pour ces « séries de notre enfance », celles par qui tout a commencé. Sans Les Rois Maudits, pas de Game of Thrones. Sans Goldorak, pas d’Akira (l’étincelle qui mit le feu aux poudres !). Sans Starsky et Hutch, pas de The Shield ou The Wire… Et sans doute, pas de COPS. Et là je ne parle plus de série télé, mais de JDR…

Smells like teen spirit of 77

Tout ça pour dire que le jeu de rôle Spirit of 77 sent bon les années télé… mais qu’il ne s’arrête pas là. Sous sa splendide couverture funky se cache un objet sciemment subversif, dont le credo tient en deux phrases : « To be played at maximum volume » (à jouer à fond les ballons) et « Stick it to the Man ! » (« Nique le Système ! », où « the Man » désigne le « système » dans son entier, mais plus précisément le président des Etats-Unis Richard Nixon). Les années 70 ne sont pas qu’une période de bouleversement culturel, il s’agit aussi de la période qui suit la guerre du Viêt Nam, laquelle va longtemps hanter (et nourrir) l’imaginaire collectif mondial (et pas seulement amerloque). Le traumatisme du Viêt Nam vient s’inviter dans les séries télé les plus « inoffensives », comme Magnum, et le stéréotype du « vétéran du Viêt Nam » imprégnera tout le panorama culturel US (et je ne parle même pas des exemples les plus frappants comme Rambo ou Voyage au bout de l’enfer : il est difficile de trouver une série des années 80 ne comprenant pas un de ces fameux vétérans).

bisou

La violence à la télé, dans une scène insoutenable de L’Homme qui valait 3 milliards.

Le jeu propose de jouer des archétypes des séries télé de l’époque, des « Dukes of Hazzard » (Shérif, fais-moi peur chez nous) aux flics de Starsky et Hutch (lesquels, je vous le rappelle, traînent dans les night-clubs chelous et règlent les affaires de façon un peu moins cavalière que l’inspecteur Harry, mais on n’est pas loin) en passant par l’homme qui valait trois milliards (ou six millions de dollars chez les Ricains) et les justicières façon Pam Grier dans Foxy Brown… Tous ont deux traits essentiels en commun : ce sont justement des personnages hors du commun, et ils vivent en marge de la société. On pourrait presque parler de beautiful losers, mais la lose est dans l’autre camp, celle du fameux « Man ».

moustache

Toi aussi, laisse-toi pousser une super moustache bionique.

Si j’ajoute que le thème glamrock et les maquillages à la Kiss ou David Bowie période Ziggy Stardust font partie du background (court mais incroyablement dense !) du jeu, ça fait trop ?

Dérapage contrôlé

Cet aspect profondément subversif n’apparaît pas au premier survol des règles : on a là un hack efficace du système Apocalypse World, avec une belle variété d’archétypes. Rappelons les principes du système : chaque action donne lieu à un jet de deux dés à six faces, auquel s’ajoute un modificateur de caractéristique variant entre -1 et 3 en général. 10 ou plus, c’est une réussite. 6 ou moins, c’est raté. 7 à 9 (et c’est là le plus fun), c’est réussi… mais cette réussite a un prix : vous passez la ligne d’arrivée en premier mais votre moteur rend l’âme, vous esquivez l’attaque adverse mais vous tombez dans un fossé, vous réussissez à convaincre votre interlocuteur mais en lui faisant une promesse très dangereuse… Chaque personnage dispose de « Coups » spéciaux (les « moves ») qui donnent des résultats particuliers dans certaines situations. Ces « coups » sont particulièrement savoureux, dans la mesure où chacun débouche sur des actions spectaculaires.

La spécificité du système de Spirit of 77 consiste à ne pas donner qu’un archétype de perso à chaque joueur. La création de personnage nécessite de choisir non pas un type de perso, mais un rôle (Justicier, Allumeuse, Limier…) ET un passé (Ancien sportif, Ex-taulard, Ancien flic, Vétéran…). On obtient ainsi une belle variété de personnages, d’autant que le supplément Wide World of 77 (franchement indispensable) ajoute des catégories délirantes, dont le Visiteur (vous jouez un personnage qui vient d’ailleurs…). Rôle et Passé ont chacun leurs Coups : les combinaisons ne sont pas simplement infinies, elles sont délicieuses.

Atlantide

Oui, on peut jouer l’Homme de l’Atlantide. Une série bien écolo et bien kitsch.

On a là un système efficace, où la technique est au service de la narration, car le système AW est vraiment technique : en fait, sa spécificité consiste à créer des mécanismes pour faire ce que le MJ est censé réussir « d’instinct ». On est loin de « l’art du conteur » de White Wolf, ces conseils flous et souvent tartignolles sur la façon de mener une partie. Dans Apocalypse World, le système réduit à des processus mécaniques la gestion de la partie, ce qui est paradoxalement libérateur. Vous êtes bloqué et ne savez pas quoi faire ? Lisez simplement votre liste des « coups du MJ » et jouez-en un. Vous voulez créer une intrigue ? Utilisez le système des « Fronts » (qui est malheureusement moins bien expliqué ici que dans les autres bouquins AW).

D’ailleurs, je ne sais pas si ça vient de moi ou si c’est la rédaction claire du jeu, mais Spirit of 77 me semble être le premier hack d’Apocalypse World lisible. Tout est simple, bien expliqué (sauf les Fronts, un peu moins détaillés), et surtout, expliqué dans l’ordre, bourrrrdel ! Ce n’est pas pour autant un jeu pour débutant, mais tout est limpide !

Le jeu est extrêmement riche : difficile de choisir son perso, son décor, ses PNJ tant il y a à faire, d’autant que le background ménage quelques perles (la mystérieuse Starveya, entre autres choses…) même s’il n’est qu’esquissé. Les chapitres au MJ sont, comme souvent dans les hacks d’AW, un cours d’improvisation rôlistique, émaillé d’idées de génie (« la musique du diable » dans le supplément Wide World of 77, qui est vraiment indispensable tant il contient d’idées excellentes).

Même si vous n’adhérez pas au système AW, c’est peut-être l’occasion de le découvrir sous un angle plus pédagogique…

Esprit, es-tu là ?

Pas de suspense : oui. Oui, carrément, cent fois, mille fois oui. Ce jeu donne immédiatement envie de rejouer de vieilles séries télé, ou plutôt d’en créer des dérivés, des parodies, de mixer des personnages…

Ce jeu donne tout simplement envie de recréer les Venture Bros.

Et là vous me dites : mais kégnecé, les Brosses de Devanture ?

Ha ha ha, petits ignorants !

jedis-ça

Le supplément Wide World of 77 et la couv’ du coffret Blouraie de la Saison 3 de Venture Bros… Je dis ça, je dis rien…

The Venture Bros est tout simplement la meilleure série de dessins animés de tous les temps. Elle raconte les mésaventures des deux fils du professeur Venture, un savant égoïste et pathétique qui était naguère « enfant star » aux côtés d’un père au succès écrasant. On y croise de multiples hommages à Bowie (dont un, absolument génial, à Space Oddity), des clones, des supervilains, des parodies complètement trash de comics et de dessins animés (l’équipe des 4 fantastiques en névrosés, le groupe de Scooby-Doo composé de serial killers…), des références geek à foison et une curieuse tendresse pour les personnages de losers. Le thème de la série, de l’aveu de ses créateurs, est l’échec. Et c’est une sacrée réussite.

Très difficile à trouver par cheu nous, la série n’a pas non plus de VF, ni de VOSTFR. Ouaip. Ça se mérite.

Cela dit, même si vous ne connaissez pas les Venture Bros, Spirit of 77 a de quoi vous faire redécouvrir toute la sous-culture des années 70 : je vous parle de courses de bagnoles délirantes, de Blaxploitation, de SF déjantée avec gorilles animatroniques et bases lunaires, de Tarantino, bon sang ! Tarantino simulator.

groupe

Les illus sont rares, en N&B, mais franchement réussies (et bien déjantées !).

Concluture

Ce jeu est un véritable coup de cœur ! Comme Americana d’Yno était la campagne d’Unknown Armies que j’attendais depuis des années, Spirit of 77 est le jeu génial mêlant délire et pointe de nostalgie, pop-culture et grand portnawak, cadillacs et dinosaures…

Ce qui m’a le plus étonné, c’est que le jeu est plutôt vendu comme un JDR très funky, axé sur les années 70 et les films de flics. La couverture donne cette idée un peu réductrice. Or, je crois qu’on peut faire beaucoup plus avec un tel jeu, et qu’il permet d’envisager des scénarios et des campagnes extrêmement variés… un peu comme les séries des années 70-80 en France.

Seul regret : les illustrations splendides ne sont pas assez nombreuses et la maquette, très semblable à celle d’AW, est bien trop sobre pour cet univers coloré et délirant.

Spirit-of-77-el-fantasmo-DEFINITIVE-FINAL-470x353

On peut jouer un catcheur aussi. Et savater du Yéti. Ou des dinosaures. Ou des bestioles bioniques.

Et n’oubliez pas : stick it to the Man !

P.S : il manque un épisode final à mon explication sur les JDR, mais je vous assure que ça vient !