Illustration tirée de la couverture du jeu Alien de Free League, bientôt disponible en VF chez Arkhane Asylum

Ces temps-ci, confinement oblige, je fais un petit truc sympa. Tous les matins, je prends mon café en live sur facebook, de 8h15 à 8h30. C’est l’occasion de dire beaucoup de bêtises, de parler à des amis, de me dérouiller le cerveau.

Et puis la semaine dernière, je me suis dit : quitte à causer un quart d’heure par jour, pourquoi ne pas en faire une expérience ludique ? Et c’est ce que j’ai fait...

J’ai choisi un jeu qui me plaît, Alien de Free League (que j’ai traduit pour Arkhane Asylum, et qui ne tardera pas à sortir en VF). Je me suis dit : allez, j’improvise en live une petite partie et on voit ce que ça donne. Je fais un truc simple : “vous vous réveillez à bord d’un caisson d’hypersommeil, dans un vaisseau en proie au chaos… et infesté d’aliens.” Et on voit ce qui se passe…

J’improvise et on voit ce qui se passe

En réalité, ça ne se passe jamais comme ça. Improviser, ce n’est pas simplement un don : ça nécessite un certain nombre de facteurs pour donner lieu à une bonne partie. Bien sûr, on peut avoir de la chance, et dans ce cas-là, la partie se déroule parfaitement bien. On peut également manquer d’inspiration ou de chance, et faire ce que j’appelais dans mon adolescence un “foirio”, un scénario de JDR foiré. Avec l’âge, on se rend compte que la meilleure option consiste à mettre toutes les chances de son côté en préparant… mais en ne préparant que l’essentiel.

La règle des 80/20

Ce principe, c’est la “loi de Pareto”, qui veut que 80% des effets soient le produit de 20% des causes. Ce qui nous fait une belle jambe. Je vous l’explique de façon plus concrète ?

Parfois, et c’est particulièrement le cas en JDR, on consacre énormément d’efforts à préparer quelque chose, et une fois qu’on réalise la chose en question, on se rend compte qu’on a fait beaucoup d’efforts pour rien. Et on réalise même, dans certains cas, que ce sont des efforts minuscules qui ont le plus d’effet.
Un exemple ? Vous avez créé un PNJ extrêmement complexe, associé à des tas de quêtes annexes précises, bien chiffrées, et vos joueurs s’en désintéressent complètement, pour s’intéresser à un pauvre mendiant que vous avez eu le malheur de leur décrire à la volée comme quelqu’un de très intéressant.

Je ne vais pas vous faire un cours de marketing (c’est surtout à cela que s’applique le principe de Pareto), mais je vais vous dire ce que signifie, concrètement, la loi de Pareto pour moi.

Elle signifie que je passe 80% de mon temps à préparer des trucs qui serviront à peine.

Préparer efficacement

Pratiquer cette petite expérience était une façon, pour moi, de revoir mes priorités en tant que MJ. D’identifier les 20% d’efforts pertinents et les 80% d’efforts qui n’aboutissent qu’à 20% de résultats.

Je me suis donc donné pour objectif de “dégraisser” ma façon de jouer : retirer toute intrigue inutile, ne proposer que ce qui est ludiquement pertinent, évacuer tout le superflu. Le tout en sachant que l’utilisation 1) de Facebook, 2) en live, 3) avec une prétention d’interactivité, allait représenter un goulot d’étranglement. J’ai donc commencé à effectuer des choix.

Tout d’abord, un système de jeu solide et capable de faire survenir des événements imprévus de lui-même. Autant vous dire qu’avec des règles “traditionnelles”, ça ne va pas fonctionner du tout. Si je prends un excellent système, celui de Chaosium, j’ai très peu de chances qu’un jet de dés débouche sur quelque chose qui me surprenne. La seule exception… c’est le mécanisme de Santé Mentale et de Folie dans Cthulhu : il débouche sur des résultats imprévus.

Le système d’Alien fonctionne un peu de cette façon, en poussant la logique à l’extrême.

Le système idéal pour mon objectif

Dans Alien, on lance des d6 pour résoudre les actions. Chaque 6 obtenu est une réussite, et il suffit d’une réussite pour qu’une action soit effectuée avec succès. C’est la base.

Ensuite, chaque 6 supplémentaire peut donner lieu à des effets particuliers.

Mais le plus intéressant, c’est le Stress. Lorsque la tension monte, on reçoit des dés de Stress. Ils s’ajoutent à la réserve de dés habituelle : par conséquent, ils augmentent les chances de réussite. Mais la médaille a son revers. Si on obtient un 1 sur les dés de Stress, le personnage panique. On lance un d6, et on ajoute le résultat au nombre de dés de Stress dont on dispose déjà. On consulte ensuite une table : plus le total (d6 + stress actuel) est élevé, plus les résultats sont catastrophiques. Certains résultats, dès les premiers, augmentent encore le stress: c’est un cercle vicieux.

Le mécanisme est simple : plus on avance dans le scénario, plus on a de chances de réussir des actions insensées, mais plus on court le risque de paniquer et de faire n’importe quoi (certains résultats de la table sont vraiment néfastes).

Et le scénario ?

Le système me paraissait tout indiqué : très simple, mais capable de générer des péripéties, et forçant les joueurs à gérer une ressource : le stress.

Il me fallait un scénario. Le plus simple possible, que je puisse décrire en une phrase. J’ai donc opté pour ce qui risquait le plus de plaire à un public ayant envie de découvrir Alien : “Vous êtes dans un vaisseau infesté d’aliens et il faut sauver votre peau.”

Pas la peine d’aller chercher plus loin. C’est une situation de survie, donc forcément riche en tension, et elle se déroule dans un environnement restreint contenant une menace et une issue possible. C’est l’idéal pour un huis clos fonctionnel.

La carte et le territoire

Un bref examen des deux scénarios déjà parus pour Alien (le scénario d’initiation du livre de base, qui fonctionne comme une préquelle à Aliens, et “Le char des dieux”, un scénario absolument génial, qui exploite pleinement le potentiel du jeu) m’a permis de comprendre comment ils fonctionnaient : ce sont essentiellement des plans à parcourir (comme ceux d’un bon vieux donjon), associés à quelques événements qui viennent relever la sauce. Ce qui les rend efficace, c’est la participation des joueurs, qui disposent d’objectifs particuliers et parfois en opposition les uns avec les autres.

Ce dernier aspect était impossible à exploiter. Tout simplement parce que je partais du principe que nous n’aurions qu’UN personnage. Je raconterais son aventure, et les participants m’indiqueraient par messages (en commentaire sur facebook) ce qu’ils voulaient faire. Je renonçais donc à un énorme potentiel, mais c’était le prix du format utilisé.

Quand j’en suis arrivé à ce point de ma réflexion, j’ai compris que j’allais devoir adapter entièrement ma façon de gérer la partie au média utilisé. TOUT devait donc commencer par obéir aux contraintes du support.

Je suis arrivé à une conclusion simple :

  • Dans Alien, la carte EST le scénario. C’est un outil mécanique (on y déplace les personnages et les menaces), un instrument narratif (chaque pièce ou lieu est décrit et doit comporter des possibilités d’interaction, qu’il s’agisse d’obtenir des ressources et des informations ou de surmonter des difficultés) et un outil d’immersion visuelle.
  • Dans Alien, et surtout en Mode CInéma, on joue un scénario comme un film. Par conséquent, on ne DOIT PAS jouer l’introduction et la mise en place des personnages et du décor. Tout est instantané, comme dans un film : on a une entrée en scène qui doit tout expliquer de la problématique.
  • Il y a pourtant une chronologie, mais c’est celle de ce qui s’est passé AVANT l’arrivée des PJ. C’est la succession d’événements antérieurs qui définit le territoire que montre la carte et les possibilités narratives qu’il offre.

Personnage principal

Il fallait donc un personnage principal simple. J’ai opté pour une “pseudo-Ripley”, une femme déterminée, une héroïne. J’ai créé une fiche très simple et j’en ai retiré tout ce qui pouvait paraître trop complexe ou jargonnant : j’ai représenté ses attributs par des dés, et je ne lui ai affecté ni matériel ni talent. (Sur la fiche, l’illustration utilisée provient du livre de base du JDR Alien.)

La fiche de personnage, modifiée au fur et à mesure du scénario (notamment pour indiquer que Ferrey est une androïde, ce que les joueurs ignoraient jusqu’à la fin du jour 3.)

Pas de talent ? Ce genre de détail aurait été trop long à expliquer. Les attributs comme Esprit et Force tombent sous le sens, et les compétences aussi, a fortiori dès qu’on a fait un jet de dés. Je me suis dit que je pourrais très rapidement expliquer un jet de dés à l’écran, alors qu’il me faudrait longtemps pour exposer les mécanismes liés aux talents. Exit les talents.

Pas de matériel ? En l’absence de ressource, le personnage a immédiatement un but : s’équiper. Et ce but le force à explorer son environnement. C’est tout simple. En outre, pas besoin d’expliquer les dégâts, l’énergie, etc.

Il reste à faire de notre personnage quelqu’un d’intéressant. Il n’aura que très peu d’interactions avec d’autres personnages : inutile d’axer son interprétation sur des émotions ou des rapports complexes avec le reste de l’équipage, d’autant que ça ne fonctionnera pas avec le support utilisé. Il y a pourtant un effet très simple à utiliser : le personnage peut découvrir quelque chose sur lui-même au fil du scénario.

Le mieux, c’est de commencer avec un personnage à l’esprit brouillé, presque amnésique : comme il sort d’hypersommeil, ce ne sera pas compliqué.

Et pour l’effet choc, je choisis simplement d’en faire un androïde. Ce choix présente un énorme avantage : en cas de confrontation avec un Alien, un PJ isolé n’a presque aucune chance d’en réchapper. Si mon personnage se fait tuer dès le début, l’expérience sera de courte durée. Je décide donc qu’il s’agit d’un androïde : s’il se fait grièvement blesser, il découvrira sa nature et ce sera l’occasion d’un choc amusant pour les joueurs. Et s’il se fait complètement démonter ? Eh bien je décide de “mettre de côté” deux personnages de l’équipage (Jay 1 et Jay 2) : ils n’interviendront qu’en toute fin de scénario. Si le PJ principal est tué, je peux donc passer à eux. Et comme le PJ est un androïde, il pourra encore révéler des informations même réduit en pièces détachées.

Dernier détail… son nom !

Elle s’appellera Candice… ou plutôt Candy Ferrey. Pourquoi ? Parce qu’en VO, voir quelque chose en Ripley, c’est la même chose Candy Ferrey en VF 😉

Où ça se passe ?

Dans un vaisseau que je vais baptiser… le Bonito. Pourquoi ? C’est un navire qui apparaît dans un roman de Joseph Conrad, le romancier dont l’oeuvre a également donné son nom au Nostromo du premier Alien. Et du coup… le capitaine s’appellera Conrad.

Je vais piocher dans un scénario publié d’Alien un plan de vaisseau simple, que je vais bidouiller un peu. Je le découpe en deux parties : le niveau supérieur présentant peu de danger, tout d’abord. C’est là que Ferrey va évoluer en première partie de scénario : l’environnement est assez inoffensif et elle pourra s’y équiper sans se faire tuer aussitôt.

Le niveau inférieur est celui où se trouvent les capsules de sauvetage, et où rôdera un alien adulte.

Ne reste plus qu’à disposer des choses dans ce plan : des PNJ qui pourront “raconter l’histoire”, des ressources (armes, scaphandres, capsules de sauvetage) et des périls (l’alien, des facehuggers, des membres d’équipage infectés). Vous trouverez dans ce petit document mon scénario approximatif (que je retravaillerai certainement pour en faire un petit scénario un maître/un joueur pour Alien).

Play after préparing

Ne restait plus qu’à jouer. Je m’étais imposé un scénario sur cinq jours, à raison de 15 à 20 minutes chaque jour. J’ai tenu la semaine et ça s’est bien passé. Je vous raconte tout ça jour par jour ? Allez.

Mais avant tout, un détail important : il fallait que je prépare tout ça pour que ça “passe à l’écran”. C’est beaucoup plus compliqué que ça n’en a l’air.

Premièrement, j’ai créé une fiche de personnage très claire pour Ferrey, quelque chose qui passerait même dans une résolution pourrie. IL fallait que ça reste lisible.

Ensuite, j’ai préparé deux plans, très simples et clairs eux aussi.

Finalement, j’ai récupéré un visuel d’une salle d’hypersommeil issue d’Aliens afin de donner une “texture” visuelle au premier épisode.

Mais lorsqu’on joue en ligne, le plus important, c’est le son. Vraiment. Rien ne met aussi bien l’atmosphère qu’un fond sonore, en particulier pour un environnement de SF : tout le monde connaît le ronron émaillé de bips qu’on entend dans les vaisseaux spatiaux des séries télés et des films de SF. J’ai donc téléchargé des fonds sonores sur tabletop audio, mais je me suis dit que je pouvais aller plus loin. J’ai utilisé le SoundPad de tabletop audio, qui contient des sons directement associés à l’univers d’Alien.

Pour mettre tout ça à l’écran, je me suis servi du logiciel OBS, qui est très pratique. Je n’ai que la webcam de mon ordinateur portable, et j’avais besoin d’une seconde fenêtre pour faire les jets de dés. Pour ça, j’ai utilisé mon appareil photo relié à un logiciel qui le transformait en seconde webcam. Tout ça formait une installation un peu compliquée, d’autant que j’avais décidé de faire les jets de dés en direct avec de vrais dés.

Vue du studio 😀 Dans la boîte à dés, c’est bien un caca en mousse antistress couleur cosmos.

Je commençais à entrevoir la complexité de l’opération. Il allait me falloir gérer la narration (avec un minimum de sérieux), arbitrer les règles (en limitant au maximum les jets de dés : on ne lance les dés que quand c’est dramatique), gérer un minimum les visuels (faire apparaître la bonne image au bon moment) et gérer le son… Et surtout, ne pas oublier de trouver un “signal visuel” qui me permettrait d’avertir les spectateurs qu’ils avaient la possibilité de “jouer”, de faire agir le personnage.

Ce dernier détail, je l’ai résolu grâce à la participation de ma chère et tendre, Nathalie Aynié, qui m’a fait ce joli carton :


Lorsqu’il apparaissait à l’écran, c’était l’occasion pour les “joueurs” de se manifester, sur le principe de “Jacques a dit” : il fallait écrire “Maman”, puis une action à effectuer.

Ah oui… ça voulait dire aussi qu’en plus de tout le reste, il me fallait lire les messages qui défilaient à l’écran ! Je n’avais jamais été aussi multitâches !

Jour 1 (Voici la vidéo – la partie commence autour de 10 minutes, avant c’est juste moi qui délire – WARNING : ne vous attendez pas à un truc avec une qualité de prod pro, parce que je n’ai pas concentré un max d’efforts – genre 80%… – sur l’aspect technique : https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1583687538446963)

Sur mon tableau blanc, la fiche de Ferrey, les plans du vaisseau, des pions magnétiques représentant Ferrey, les PNJ et les menaces, et des notes pour m’y retrouver et ne rien oublier.

Le lundi, avant de lancer la première partie, j’étais particulièrement stressé. Il y avait tellement de choses (en particulier techniques) qui pouvaient foirer ! Heureusement, tout l’aspect matériel a tenu le coup, d’un bout à l’autre. Je n’ai commencé la partie qu’au bout de 10 minutes, mais ça a bien fonctionné. Je pense avoir atteint mon objectif grâce à divers éléments :

  • Rester sérieux : narration à la Pierre Bellemare, sérieux comme un pape, et premier degré à fond les ballons ! Je racontais une histoire angoissante, je n’étais pas là pour rigoler ! Ca m’a appris à faire abstraction de tous les gags que pouvaient balancer les gens dans les commentaires. Cela dit, j’ai une bonne expérience personnelle : j’ai déjà donné des cours d’excel à cinq personnes dans une salle de 40 m2 où se déroulait simultanément une partie de Half Life en LAN. Arriver à faire abstraction du bruit ambiant, ça ne me gêne pas, même si ça bouffe de l’énergie.
  • Utiliser les visuels : les visuels sont indispensables. Je m’en suis vite rendu compte : afficher les plans de vaisseau et l’unique photo que j’avais prévue donnait des éléments d’immersion. Note pour le lendemain : trouver des visuels pour le reste du vaisseau…
  • L’atmosphère sonore : le son provoque l’immersion immédiate. Je me suis servi de 30 s de musique originale du film Alien, suivies du fond sonore Nostromo de Tabletop Audio. A titre personnel, ce fond sonore me transportait immédiatement dans l’univers de jeu. J’espère (et je pense) qu’il a fonctionné aussi pour ceux qui regardaient et/ou écoutaient. Les quelques bruits utilisés (bruit de facehugger se carapatant) ont bien fonctionné aussi.

Jour 2 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1584620771686973/)

Le 2e jour, tout a continué à fonctionner. J’ai mis en place d’autres visuels, et j’ai continué exactement comme au premier jour.

Et je me suis rendu compte que ça ne pouvait pas durer. Si je continuais comme ça, je me limiterais à meubler, sans prendre de risques, sans avancer réellement. Le scénario pouvait fonctionner, mais il fallait que j’ajoute de la tension. Changement de direction, donc : je devais prévoir pour le jour 3 quelque chose d’un peu plus palpitant qu’une balade dans des couloirs.

Comment introduire la tension ? En ajoutant un nouvel élément stressant : le vaisseau a pris la route du soleil du système. En outre, on introduit le mécanisme du stress. Mais il faut faire monter la mayonnaise…

La solution ? Comme toujours : baston !

Jour 3 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1585492681599782/)

J’ai fait intervenir un affrontement. Il fallait qu’il soit dynamique, tendu, qu’il se règle en 2 ou 3 jets de dés maximum. Affrontement contre un facehugger : les “joueurs” l’ignoraient, mais ils ne couraient aucun risque. En effet, un facehugger s’est déjà attaqué à Ferrey dans son caisson avant le début du scénario… sans succès ! Je pouvais donc laisser les joueurs agir comme ils le souhaitaient. Résultat : le capitaine Conrad, un peu énervé contre Ferrey et qui a eu la mauvaise idée de braquer son arme sur elle, y est passé aussi ! On allait vers le bain de sang.

Parfait.

Et puis, le cliffhanger m’était offert sur un plateau : il suffisait que je termine ce 3e épisode par la révélation que Ferrey était un androïde pour laisser planer un chouette suspense !

Et le lendemain ? Deux choses : donner des réponses (qui est Ferrey, que s’est-il passé à bord) et entamer la dernière ligne droite pour finir en beauté à l’épisode 5.

Jour 4 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1586347914847592/)

J’ai expliqué la nature d’androïde de Ferrey et une partie de ce qui s’était passé. Nouvelle interaction avec un autre PNJ, le docteur Rodgers (qui s’appelait Roberts dans mon scénario, mais j’ai bafouillé et oublié son nom pendant la partie !). Mais la tension ne montait pas beaucoup. Il fallait continuer en courbe ascendante, pas “laisser la pâte reposer”.

J’ai résolu ce manque de tension en donnant… des chiffres ! “Dans 15 minutes, le Bonito sera vaporisé en approchant du soleil”.

2e élément : il me fallait faire participer les joueurs. Je leur ai demandé de me dire quelle routine de programmation particulière animait le cerveau d’androïde de Ferrey. Ainsi, je les laissais s’imposer eux-mêmes une contrainte pour la suite, pour compenser l’énorme avantage que leur conférait leur nature d’androïde. Ca a plus ou moins marché, puisque le choix était “Ferrey se comporte comme une humaine”, ce que le récit avait plus ou moins déjà acté jusqu’ici. Mais ce qui n’était qu’un élément de récit se muait désormais en réelle contrainte : ça me suffisait.

3e élément : il faut se sauver ET sauver un dernier membre d’équipage qui avait survécu (j’ai sorti de ma manche un des fameux membres d’équipage “joker”).

Jour 5 (https://www.facebook.com/Sendoshi/videos/1587198188095898/)

Le plus difficile ! Comment clore en 20 minutes une intrigue, aussi simple soit-elle ? Eh bien je n’y suis pas arrivé. Il m’a fallu plus d’une demi-heure au bout du compte !

Mais malgré tout, j’ai conclu ce récit avec l’aide des joueurs. La veille, j’ai beaucoup réfléchi. Je voulais introduire le mécanisme de l’épuisement des ressources. L’idéal était de forcer Ferrey à utiliser un scaphandre spatial. Or, Ferrey, une androïde, n’a pas besoin de respirer dans l’espace.

J’avais très envie d’une scène de sortie dans l’espace… mais puisqu’il ne restait plus que 15 minutes, c’était impossible (ça aurait nécessité beaucoup trop d’actions et d’explications. La solution ? Faire effectuer la sortie par un AUTRE personnage que Ferrey, et exploiter le mécanisme des ressources sans que ça l’impacte directement. De toute façon, étant un androïde, elle ne respire pas !)

J’ai donc biaisé. Puisque la tension se focalise sur le membre d’équipage à sauver, c’est lui qui est dehors, en scaphandre, avec une réserve d’air limitée. Ferrey est quant à elle soumise à un double compte à rebours : 15 minutes avant la fusion du vaisseau, plus cette limite d’oxygène pour le membre d’équipage (appelé Jay 2).

En fin de scénario, on passe en mode “ouvert” : l’idéal est de laisser les joueurs proposer une stratégie et de s’y tenir. Les phases précédentes ont permis trois choses :

  • Etablir les ressources disponibles : deux armes, l’ordinateur Maman, les capacités d’androïde de Ferrey.
  • Poser des contraintes : les réussites et les échecs aux dés ont établi des choses (des PNJ sont morts, des fonctions de l’ordinateur de bord sont actives ou pas).
  • Poser des objectifs : agir en humaine, sauver sa peau, sauver Jay 2.

Puisqu’on a toutes les données de l’équation, il ne reste plus qu’à laisser les joueurs agir. Ce que j’ai fait.

Je m’en suis tenu strictement aux jets de dés. Un plan très audacieux a été échafaudé, et comme les joueurs disposaient d’énormes chances de succès (et que Ferrey était “sacrifiable”), j’ai ajouté une règle maison pour l’ultime jet de dés : s’ils obtenaient plus de 1 que de 6, une catastrophe se produirait. Tension artificielle, mais fin spectaculaire et amusante.

Fin de scénario très compliquée à gérer : l’action étant rapide, ça ne se prête pas du tout à une installation aussi complexe que ce que j’avais (il me fallait passer d’une fenêtre à l’autre, d’une caméra à l’autre, tout en consultant les messages sur facebook, et sans lâcher la douzaine de dés autrement que dans la boîte…). Dès que je sentais un petit “blanc” dans l’action, j’annonçais que le compte à rebours continuait (les 15 minutes fatidiques) ou je faisais faire un jet de ressource à l’astronaute en balade. En situation “sur table”, j’aurais géré tout cela de façon plus carrée, en faisant le décompte des minutes une par une, mais je ne pouvais pas me permettre de déborder davantage : le temps prévu a quasiment été doublé !

Et finalement… ça s’est bien passé !

Il faut CONCLURE le scénario, et pour ce faire, un simple “vous survivez” ne suffit pas. Comme je ne pouvais pas utiliser la technique des règles d’Alien (le survivant lit le dernier message du journal de bord), j’ai opté pour autre chose : un PNJ lâche une dernière réplique un peu fun, et… rideau !

Conclusage

Ouf ! Quelle épopée ! environ 2 h de jeu en tout, mais énormément de fun, issu de beaucoup d’efforts et d’une belle convivialité au final. Une majorité de ce que j’avais prévu avait fonctionné, j’ai été forcé de modifier à la volée ce qui ne marchait pas (en ayant chaque fois une journée de réflexion) et j’ai vécu une belle expérience, qui m’a catapulté hors de ma zone de confort.

Cette petite partie m’a appris énormément, surtout en terme de rythme et de tension : devoir injecter des événements à la fois marquants et suffisamment simples pour passer la barrière de la technique (et le lag de 17 secondes, que j’ai expliqué façon méta en cours de partie) s’est révélé extrêmement difficile mais enthousiasmant. Plus que jamais, je me rends compte qu’il faut savoir s’adapter aux contraintes du média employé, ne pas chercher à les dépasser, mais plutôt trouver le moyen de les exploiter, souvent avec humilité.

Résultat… pour moi, 100% positif ! Pendant une semaine, tous les matins, nous avons vécu une aventure unique, ou rien n’était joué d’avance, où tout pouvait arriver, et où chacun a pu participer, contribuer à l’énergie du récit !

Est-ce que je recommencerai ? Peut-être. Je vais tout de même me reposer pendant une bonne semaine en y réfléchissant (d’autant que je poursuis ma campagne Mutant Year Zero la semaine prochaine, et que je joue une campagne au format très particulier – 20 minutes par jour, un peu comme cette expérience – sur cinq jours !). Mais l’envie est là, et j’aurai sans doute envie de retrouver ce plaisir de jeu et ce challenge, peut-être même pour proposer un univers inédit. On verra bien !

Pour finir, un grand merci à Michael Croitoriu qui m’a soutenu et qui m’a donné des tas d’idées pour ce scénario avant d’y participer lui-même (et de bien belle manière !), à Nathalie Aynié qui m’a également encouragé et qui m’a fourni l’excellent et hilarant carton “Maman”, à Ben Diebling qui a été là et dont l’enthousiasme m’a fait très plaisir, à Mahyar Shakeri qui a assisté d’un oeil bienveillant à cette expérience et qui a eu la gentillesse de m’en féliciter, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont participé, ne serait-ce que par leur présence, même une seule fois, à cette expérience en live !

En bonus, je vous donne ici mes notes de scénario à télécharger :