Je sais pas vous, mais moi, les listes de 10 trucs, ça me fascine. Comment le mec (ou la nana) arrive à se dire : oh, dans ma vie, j’ai eu l’honneur et l’avantage d’essayer exactement 37 recettes à base d’oeufs durs, mais il y en a clairement dix, pas une de plus, qui ont vraiment affecté mon Kung-Food. Et là, bim : “Les dix façons d’accommoder les oeufs durs qui vont mettre Poudlard dans ton assiette”. Quand on lit le machin, on se dit : bon, et la onzième, genre ? Si c’était LA recette dont j’avais envie, en fait, dont j’avais BESOIN ? Où qu’elle est ?

Bon, sauf que personne n’a besoin de onze recettes pour les oeufs durs, même déjà trois c’est limite (et c’est pas la peine de venir raconter vos recettes toutes moisies en commentaires, non mais des fois…), mais vous avez compris le message.

Quand j’ai entamé cette série de posts, je me disais que je n’aurais aucun mal à arriver à 10 jeux, et qu’il allait falloir écrémer, en fait. Je me suis donc fixé quelques règles élémentaires : je ne parlerais que de jeux qui avaient réellement changé ma façon de jouer ou d’envisager le JDR dans son ensemble, ceux qui avaient eu un effet réel sur moi, un effet durable.

L’Oeil Noir a été mon premier JDR : difficile de trouver changement plus radical.

James Bond m’a montré qu’on pouvait tromper le hasard grâce aux points d’héroïsme et m’a appris à créer mes propres règles foireuses.

Batman et DC Heroes ont été ma plus longue histoire d’amour rôlistique et proposaient le système le plus cohérent et élégant à mes yeux.

Unknown Armies m’a ouvert un univers contemporain fantastique complètement inédit, et surtout, surtout, m’a montré que l’humour et la perception de l’absurdité avaient un sens profond, tout en me permettant de comprendre qu’un simple jeu de rôle peut altérer la façon dont on voit le monde et même la vie.

L5A m’a appris que l’authenticité historique est une illusion et qu’on peut écrire un soap opera dans n’importe quel contexte. C’est également ce jeu qui a initié ma carrière de traducteur.

COPS m’a appris à écrire un soap opera dans n’importe quel contexte et m’a permis de prendre conscience du fait qu’on ne sait pas écrire de façon innée. On apprend, toujours sur le tas, toujours sans filet.

Apocalypse World m’a montré que l’écriture n’était pas la seule activité prétendument liée au seul talent et que l’on pouvait apprendre à mieux pratiquer grâce à une méthode et à une analyse. Je me suis rendu compte en le lisant qu’on pouvait créer des systèmes reproduisant les méthodes de création littéraire pour en faire des méthodes de semi-improvisation à la table.

Star Wars m’a permis de comprendre qu’on pouvait encore faire du très bon avec du très classique en optant pour un angle inédit (les vauriens et leur vie dans la Bordure), avec des méthodes audacieuses (le système de dés original), mais à condition de respecter tous les codes du matériau d’origine (Star Wars reste Star Wars).

Chacun de ces jeux m’a énormément influencé, et fait désormais partie de mon ADN rôlistique : tout ce que je fais dans ce domaine (et dans d’autres) en conserve des traces. Pour moi, ce ne sont pas simplement des jeux “importants”, ce sont les jeux sans lesquels je ne serais pas moi-même : chacun d’entre eux a contribué à façonner et à altérer mon identité rôlistique… et mon identité tout court. Aucun autre que ces huit-là ne m’a formé davantage. En rajouter deux autres (ou en retirer un de la liste) serait totalement artificiel. J’ai beaucoup réfléchi : c’était une évidence quand j’ai rédigé une liste préparatoire, c’est devenu une certitude argumentée au fil de la rédaction des posts précédents.

Bien sûr, ça ne veut pas dire pour autant que je n’ai pas été marqué par d’autres jeux. Par exemple, le jeu Bimbo m’a épaté par la cohérence entre son propos et sa réalisation. Bimbo est une formidable réussite, et un travail d’analyse pertinent. Mais avec le recul, Bimbo n’a pas changé entièrement ma façon de voir les choses : ce jeu a fait partie d’un processus de prise de conscience de certains faits (notamment la nécessité de développer des systèmes mécaniques qui reproduisent non pas la réalité, mais les codes de certaines fictions), mais il ne l’a ni déclenché ni achevé. Ca n’en reste pas moins un excellent jeu, sur lequel je recommande à tout game designer de se pencher.

Je dois donc citer les jeux que je considère comme les plus aboutis dans leur domaine et qui, comme Bimbo, sont importants pour moi (et importants tout court, à mon avis).

D’abord Fiasco de Jason Morningstar (des fois, je voudrais bien m’appeler Sandy Strange ou Lysander Awesome, mais voilà, y a des gens qui s’appellent Morningstar. Ma seule consolation, c’est d’avoir travaillé sur la gamme Warhammer avec des gens dont le nom de famille est Marteau, Hammer et Taillefer). Qui n’est pas conçu entièrement comme un jeu de rôle. Dans Fiasco, il n’y a pas de maître de jeu, pas d’intrigue prédéfinie (juste un “cadre”, c’est à dire, en gros, une liste d’éléments disponibles pour développer la fiction), pas de “règles de résolution des actions”. Si je devais absolument réaliser une liste de 10 éléments, Fiasco y figurerait sans doute. Très artificiellement, donc, mais il faut bien reconnaître qu’il y aurait sa place. Je n’ai pas suffisamment joué à Fiasco pour qu’il déborde sur le reste de mon activité rôlistique (fort réduite aujourd’hui par manque de temps), mais le jeu est tout simplement parfait. Pas besoin d’être rôliste pour y jouer, d’autant qu’il se prête à des expérimentations variées, de par sa forme spécifique (chaque partie est un “one-shot”). La forme, justement, est aussi un des points forts du jeu : pas de blabla, une maquette élégante, des illustrations formidables dans le style de l’affiche du film Autopsie d’un meurtre… Fiasco fait partie des jeux qu’il faut avoir pratiqués au moins une fois, mais qui nécessite des partenaires efficaces et motivés : seule une implication totale permet d’en tirer le maximum.

Ensuite, Tenga, qui n’est pas qu’un sex-toy. Ce jeu formidable est le fruit du travail de Jérôme “Brand” Larré, qui est un game designer formidable, et un enfoiré quand il est maître de jeu (on n’a pas idée de créer des dieux fragiles au point de se faire bouffer par des dragons, moi je dis… private joke, wink wink, tu peux pas test). Tenga est un jeu simple et élégant, plein de mécanismes inédits et d’idées excellentes, dont la lecture suscite un véritable bouillonnement d’imagination. Toutefois, je n’ai pas eu l’occasion de le tester, et au moment où je l’ai lu, j’étais déjà en overdose de Japon médiéval à cause de L5A. Ce jeu a également marqué le début d’une belle amitié, ce qui ajoute encore à sa valeur à mes yeux.

Illustration pompée sur internet comme un salaud, parce que je n’ai pas pu remettre la main sur mon exemplaire du jeu ce matin…

Sombre de Johan Scipion est le meilleur jeu de rôle d’horreur que j’aie jamais lu, et c’est également une leçon de gamedesign unique en son genre. Régulièrement, je passe en mode Caton l’Ancien chez Edge en martelant “Sombro Publicanda est” (“Il faut éditer Sombre dans une belle collection avec une maquette de ouf’ et des illus de dingue, allez, faites pas vos crevards, les gars, c’est un truc qui marcherait”), mais ça ne marche pas vraiment et c’est dommage. Sombre est publié sous forme de fascicules qui coûtent une bouchée de pain (il y en a 8 plus les hors série à l’heure où je vous parle), et vous ne trouverez sans doute jamais un meilleur rapport qualité-prix dans aucune gamme de jidéhaire. Il faut aimer les codes des films d’horreur pour jouer sereinement à Sombre, mais si vous n’y êtes pas allergique, vous n’avez absolument aucune excuse pertinente pour passer à côté. C’est simple, élégant, et surtout… poutrin que c’est bien écrit ! Johan écrit dans un style toujours limpide et dense, une qualité que je n’ai retrouvé que dans Unknown Armies 3e édition à ce jour. Sombre est presque parfait. Si je devais lui trouver des défauts, ce serait la sobriété de sa maquette, peut-être (encore qu’elle le rende parfaitement lisible et exploitable, mais un peu de vavoomboomshakalaka visuel pourrait encore l’améliorer), et l’absence d’illustrations en dehors des couv. A côté de ça, c’est un sans faute absolu.  S’il ne fait pas partie de la liste, c’est simplement parce que je n’y ai pas suffisamment joué, mais il prouve que simplicité ne signifie pas (tant s’en faut !) simplisme, et accorde autant d’intérêt à la façon de jouer qu’aux mécanismes de jeu. C’est une vraie leçon de maîtrise, à laquelle il n’existe aucun équivalent sous ce format.

Barbarians of Lemuria, alias BoL (comme dans “c’est pas de…”, mais à l’inverse, en fait). Une expérience éditoriale comme il n’en existe que très peu : traduire et étoffer un “petit” jeu de Sword & Sorcery à la Conan, y ajouter des illustrations absolument époustouflantes (du talentueux Emmanuel Roudier, qui prouve en outre qu’on peut tout à fait réaliser des visuels “à la Conan” en évitant le sexisme mais en mettant quand même des roploplos et des bistouquettes par-ci par-là), saupoudrer ça d’une quantité conséquente de petits scénars… Et on a un jeu au rapport qualité-prix presque sans équivalent (Sombre excepté), idéal pour ceux qui aiment les systèmes simples mais ayant de la personnalité. Et comme en plus il y a du Vincent Basset dedans, c’est encore mieux (Vincent, tu peux m’envoyer mon chèque quand tu veux). Sérieusement, si vous voulez un jeu un peu “méd-fan” pour des parties fun, sans avoir à vous fader des tonnes de règles, avec un univers riche mais pas chiant… ben vous savez ce qu’il vous reste à faire. Barbarians of Lemuria (ou Lemurians of Barbaria) ne m’a pas retourné le cerveau. Il ne fait que des choses simples, mais il les fait à la perfection. Rien ne dépasse. Tout est bon, là-dedans, tout est 100% fun, mais un fun maîtrisé et abouti. Si je venais de commencer le JDR, je ne voudrais plus jouer qu’à des choses aussi simples et belles.

Voilà, j’avais quand même envie de parler de ces quatre-là, parce que ce sont mes chouchous, ceux que j’aime d’amour mais qui  n’ont pas leur place dans la catégorie “plus rien ne sera jamais comme avant”. Et voilà, les 10 jeux, c’est fini, on est allé jusqu’à 8, c’est déjà pas mal, et je pense que je vais entamer “les 800 films que je surkiffe” en m’arrêtant à 34 environ, et puis…

Ah mais attendez voir, j’avais quand même promis 10 jours de posts, et là je vois déjà qu’il y en a, au fond, qui aiguisent les torches et allument les fourches…

Alors qu’en fait, j’ai une petite idée. Un dernier article à écrire. Un article pertinent, en plus. Ouais, on va faire comme ça. Bon, qu’est-ce que vous diriez si je vous parlais de…

Ah merde, plus le temps. On en parle demain !