Attention, chute de noms : va certainement y avoir un name-dropping de ouf dans ce post, vous êtes préviendus, sortez pas sans vos paranames.

En janvier 2003 sort un des jeux français qui connaîtront la plus longue carrière : COPS, d’Asmodée-SIROZ, sous la houlette de Croc et de Geoffrey Picard. Le principe d’un jeu consacré à des flics me paraît extrêmement novateur, même si en réalité, il s’agit un peu d’un revival de Berlin XVIII (sur ce sujet, je ne me permettrai pas d’analyser davantage, car je ne connais pas suffisamment ce dernier).

Travaillant souvent pour Asmodée à l’époque, j’exprime mon admiration devant le livre de base, qui regorge d’excellentes idées : le jeu se passe dans un futur très proche, en Californie, et on y interprète des flics “ordinaires” mais dotés d’une mystique originale, qui va s’affiner au fil des suppléments d’une gamme qui ressemble à une caisse de TNT. Extrêmement dense à l’origine, elle explose et s’éparpille, pour partir parfois dans des directions complètement inédites, qui ne seront pas toujours du goût de tout le monde.

Geoff va me proposer d’écrire dans COPS à partir du troisième ouvrage de la gamme, et de vivre une expérience extraordinaire au sein d’une équipe de créatifs formidables : Benoît Attinost (Within), Jérôme Larré (Tenga, Guts… non, je déconne, Guts ça sortira en 2040), Charlotte Bousquet (cherchez dans Google j’ai pas le courage de faire une biblio tellement elle a écrit de trucs cool), Thomas Cheilan (INS/MV), Frédéric Frugier (COPS, et une palanquée de statuts et de posts hilarants sur facebook mais vous pouvez pas test), Olivier Noël (Berlin XVIII – AH ! J’vous l’avais bien dit ! – Olivier, c’est aussi le mag Ravage), Nicolas Benoist (COPS, mais surtout COPS et pas mal de COPS), Jean-François Beney (Raise Dead éditions, c’est lui ! Et c’est aussi un mec absolument génial), Stéphane Gantiez (des illus de ouf, Mythic Battles !), Aleksi Briclot (faites un tour sur google, vous serez pas déçus), Christophe Swal…

… et bien plus encore (comme on dit sur les boîtes des jeux Edge du début du siècle).

Au milieu de ces pointures, je me sens un peu paumé, d’autant que mes références en terme de fiction policière se limitent essentiellement à Starsky et Hutch, NYPD Blues et Witness. Mes petits camarades me parlent d’énigmatiques séries qui passent sur des chaînes auxquelles je n’ai pas accès (The Wire, The Shield…), évoquent des auteurs de polars que je ne connais pas. Je me sens un peu largué, et si vous ne savez pas ce qu’est le syndrome de l’imposteur, prenez votre Delorean, faites un bond de 15 ans en arrière et venez me demander, je vais vous montrer à quoi ça ressemble.

Geoff me confie des articles sur la mafia, et au bout de quelques semaines, je lui dis que je n’y arriverai pas, que mes idées sont aux antipodes de ce qui se fait dans le bouquin de base et que j’ai l’impression d’écrire hors-sujet depuis le début. Geoff me répond : “continue, tout le monde a cette impression-là. Si tu fais un truc très différent, tant mieux, et si c’est de la merde, je te le dirai.”

Certains joueurs se plaignent de mon traitement mystico-magique de la mafia irlandaise, comme je m’y attendais… mais curieusement, quelques-uns apprécient. Et Geoff me confie d’autres jobs sur la gamme. COPS va devenir un immense champ d’expérimentations rôlistique pour tout ce vivier de créatifs. La direction de la gamme reste plutôt vague, permettant à chacun de tenter de dépasser ses limites, au détriment de la cohésion, peut-être, mais en favorisant la variété.

COPS devient une gamme ultra-dense, sans doute impossible à jouer “by the book” tant elle se complexifie au fil des suppléments. Ceux-ci sont répartis en “saisons”, comme une série télé, et on assume complètement cet aspect en présentant l’évolution du background par l’intermédiaire de petites nouvelles intitulées “LAPD Blues”. Le livre de base a présenté tout le microcosme où évoluent les flics, avec une belle galerie de personnages : les faire évoluer (toujours en les prenant à contrepied en ce qui me concerne, histoire de surprendre les joueurs) constituera un des plus grands plaisirs de ma carrière d’écriteur jeuderôlier.

Je m’efforce de sortir un maximum des sentiers battus, quitte à frôler fréquemment le WTF, mais j’apprends aussi à écrire à peu près correctement, et surtout à produire des “instantanés de la vie des PNJ” pour nourrir l’imagination des lecteurs. Je ne suis pas peu fier de certaines méthodes, comme celle qui consiste à faire dire à certains flics célèbres du monde de COPS des choses comme : “machin et trucmuche ont bien assuré pendant l’enquête sur XXX.” J’écris vraiment “machin et trucmuche”, mais je donne les détails de l’affaire XXX, qui est bien évidemment un des scénarios du supplément précédent, pour donner aux joueurs l’impression d’être réellement inclus dans l’univers de jeu.

Car l’équipe d’origine a développé des idées extraordinaires : par exemple, la publication d’un petit journal interne (accessible par souscription) qui raconte la vie du commissariat et l’évolution du background. Asmodée met en place des événements qui permettent également aux joueurs de choisir certains éléments marquants.

Mais au bout de quatre ans, la gamme s’essouffle. L’équipe a beaucoup écrit (trop, diront certains), et il est temps de clore le récit. Asmodée pousse néanmoins jusqu’au bout et édite un dernier supplément, “Endgame”, qui clôt la majorité des intrigues dans une atmosphère douce-amère. Evidemment, comme le jeu s’est développé de façon organique, il reste tout de même beaucoup de mystères et d’éléments inexpliqués… mais la gamme aura eu un début et une fin.

En 2007, le JDR n’est plus vraiment le fer de lance des activités d’Asmodée (qui aura pourtant soutenu COPS jusqu’au bout, contre vents et marées, les derniers suppléments ne connaissant pas un succès énorme au-delà de la petite sphère des fans de la première heure) et le jeu, malgré un bref revival (une simple réédition un peu augmentée, chez Oriflam), ne connaîtra pas de réincarnation. Il aura cependant offert une longue expérience rôlistique de qualitay (enfin, j’espère…) et permis de belles rencontres et de formidables expériences. Tous les auteurs auront bénéficié d’une belle liberté sur cette gamme, qui nous a permis de développer des choses inédites dans un contexte de travail unique.