Si vous avez lu le précédent épisode, vous savez que tel le félon moyen, j’ai laissé l’honorable lectorat de ce blog sur un suspense palpitant, mais presque. Si vous n’avez pas envie de lire le reste, je vous résume : j’ai fait la liste des huit jeux qui m’ont vraiment marqué et je me refuse à en rajouter artificiellement d’autres, mais je me dis qu’il y a encore moyen de parler des jeux de rôle et de leur influence.

Un collègue et néanmoins ami me demandait sur facebook, ce repaire d’infâmes malandrins, si je comptais faire une liste des jeux que j’ai détestés. C’est une excellente question. Je ne déteste aucun jeu de rôle. Il y a certes des jeux bien merdiques, mais de là à leur vouer le genre d’émotion que je réserve, disons, à… mince, j’allais écrire Eric Zemmour mais je me rends compte que ce gars-là m’indiffère et qu’il ne mérite guère plus que la virgule marron qu’il laissera sur le papier chiottes de l’histoire du XXIe siècle.

Où j’en étais ? Ah oui, les jeux que je déteste. Il n’y en a pas, du moins aucun dont j’aie connaissance.

En revanche, il existe une autre catégorie de jeux à explorer dans un article : les jeux super connus qui m’en touchent une sans remuer l’autre. Plus précisément : les jeux qui auraient dû m’influencer, mais en fait, ça m’est passé au-dessus de la tête. Ce ne sont pas de mauvais jeux, loin de là. En fait, ce sont même des jeux excellents, que l’on pourrait qualifier de “grands classiques”. Simplement, pour des tas de raisons, ils ne m’ont pas énormément marqué (ou moins que d’autres). Attention, ça va peut-être vous piquer les yeux, mais ce que je veux démontrer, c’est qu’on peut très bien apprécier des trucs un peu mal fichus (l’Oeil Noir 1re édition n’est pas vraiment un truc ahurissant d’élégance) parce qu’ils sont tout simplement arrivés au bon moment, et passer à côté de choses bien plus abouties, mais qui ne nous touchent pas pour des tas de raisons légitimes.

D&D – Je suis passé à côté de D&D parce que le jeu n’était pas facilement accessible quand j’étais ado. Je veux dire : physiquement accessible. Si je l’avais trouvé chez Carrefour (comme James Bond !), je me serais sans doute jeté dessus. Pas de chance pour D&D, pour moi c’était L’Oeil Noir avant tout. Ce qui ne m’a pas empêché de tenter la 3e édition (qui ne m’a pas fait un effet phénoménal, désolé : c’était… ben c’était bien, quoi), la 4e (que je trouvais assez marrante mais… pas dans ma période méd-fan, donc je me suis contenté de participer à sa traduction sans trop y toucher), et finalement la 5e… Là, on peut causer. Un jeu de rôle cohérent, bien fichu, simple à jouer, avec beaucoup de campagnes sympa et une très bonne boîte d’initiation (j’ignore ce que ça donnera en VF, mais en VO tout cela était bel et bon).

J’ai eu la chance de jouer une très agréable mini-campagne et de découvrir le jeu grâce à un groupe extrêmement sympa. Je recommande vigoureusement D&D5 à ceux qui veulent un système méd-fan robuste. Ah, et je vais faire hurler les puristes, mais je trouve que cette édition rend toutes les précédentes obsolètes. La nostalgie, c’est mignon, mais quand on a une Ferrari, pas la peine de rouler en char à boeufs. Et je vous dis ça alors que je conserve la boîte rouge en photo dans cet article, simplement parce que c’est symbolique. Et je suis également fan de “rétro-clones”. Bon, bref, on en reparlera un jour, là, on a encore plein de jeux géniaux à mépriser d’un air hautain !

L’Appel de Cthulhu – Je ne suis pas fan du système Chaosium d’origine, parce que je n’aime pas du tout le d100 (comme certains détestent le d20). C’est purement subjectif… Peut-être que ça tient aux premières fiches de Cthulhu où on avait 15% en Armes à feu et où on n’arrivait pas à dégommer une vache dans un couloir. L’univers de Lovecraft est très intéressant d’un point de vue littéraire, mais j’avoue qu’il ne me parle vraiment pas en tant que MJ. En tant que joueur, c’est autre chose, et j’ai eu le plaisir d’y jouer quelques scénarios très chouettes avec mon ancien groupe du Donjon de Decetia et un excellent MJ. Mais bon, je n’ai jamais trop accroché à ce jeu, même si j’ai acquis la formidable boîte de la V7, qui, malgré son prix, est un rêve de rôliste complétiste avec son matériel pléthorique. Disons toutefois que quitte à jouer un perso qui perd la boule, je préfère que ça se passe façon Unknown Armies, où l’humour fait partie des passages obligés.

Ca ne m’empêche pas d’avoir investi dans certains suppléments de la gamme publiée chez Sans Détour : les ouvrages consacrés à la criminalistique, à la folie et au background des années folles sont absolument géniaux. En revanche, grosse déception sur Achtung Cthulhu : le côté Pulp est noyé dans un texte poussif, on a l’impression de se fader un manuel d’histoire-géo mal foutu, et la VF est pénible à lire, ce qui n’arrange rien. Si vous voulez voir comment on réécrit la Seconde Guerre mondiale de façon fun, lisez le formidable jeu Godlike (ça se trouve en PDF et ça joue dans une tout autre catégorie – cela dit, faut aimer les superhéros). Même chose pour Cthulhu 1890, une somme historique extrêmement indigeste : son caractère exhaustif ne remplace malheureusement pas un bon esprit de synthèse. Là, on a un texte assez bien rédigé, cela dit, mais il y manque un angle, une porte d’entrée exploitable, une vraie accroche ludique. Curieusement, Cthulhu 1890 m’a complètement dissuadé de jouer dans le cadre qu’il présente. Si vous voulez un truc vivant, lisez plutôt “London, the Biography” de Peter Ackroyd (maintenant, si vous voulez savoir où trouver une boutique de confiserie à Londres en 1890, il y a probablement son adresse, le poids en livres du commerçant et la couleur de ses draps de lit dans les bouquins de Sans Dét’).

INS/MV – Encore un univers qui ne me parle pas énormément en tant que joueur. Voilà un truc très sympa à lire (et j’ai même écrit une toute pitite nouvelle dans la dernière version), mais qui ne m’a jamais accroché à fond. J’ai joué quelques parties, lu pas mal de choses (dont un des suppléments que j’aime beaucoup, Les Petites Apocalypses d’Olivier Fanton si je ne dis pas de bêtises), et j’ai même beaucoup aimé la 4e édition (il me semble en avoir écrit une critique dans Backstab à l’époque) mais je n’ai jamais eu envie de m’investir dans l’univers du jeu. Je préférais déjà les trucs de superhéros purs et durs. Mais je ne vois pas trop comment je jouerais une longue campagne dans INS/MV vu que je ne m’attache pas du tout aux personnages que je crée. A côté de ça, j’admire l’élégance du système de jeu, ce truc très épuré qui ne fait pas dans le superflu et qui proposait un jeu “asymétrique” à une époque où tout le monde ne jurait que par “l’équilibre de jeu”. Mais c’est clair : ce n’est pas pour moi, du tout, encore moins aujourd’hui où j’ai peu de temps pour jouer.

Le Monde des Ténèbres – Quand Vampire est sorti, ça a été une vraie révolution. Manque de bol, le développement de la gamme concordait avec une période où j’ai très peu joué. J’ai fait un peu de Loup-Garou et surtout de Changelin (mon jeu préféré de la gamme), mais sans réellement explorer tout ce que le Monde des Ténèbres avait à offrir. Et quand, des années après, je me suis dit que ça valait peut-être le coup… eh bien, l’univers était devenu bien trop compliqué pour m’attirer. Le Monde des Ténèbres est l’exemple même du mauvais ratio investissement/bénéfice pour moi. Je reconnais l’énorme potentiel du jeu, et je ne désespère pas de me plonger dans Mage parce que ça m’a l’air très bien… mais j’espère un truc simple, concis. Une sorte d’épisode pilote (un kit d’initiation ? Moi j’aime les kits d’initiation. Je vous l’avais pas dit ? Mais si, je vous l’avais dit). Ou une vraie campagne.

Warhammer – Warhammer est ma grande déception rôlistique. J’ai toujours la première édition française et la 2e (les livres de base uniquement). La première édition a nourri mon premier jeu “maison” méd-fan… mais je n’ai jamais pu y jouer réellement. J’ai fait quelques parties (dont j’ai un souvenir diffus), mais jamais avec le bon MJ (moi y compris). Je veux aimer Warhammer. J’ai adoré le scénario “La Tempête approche” pour la 3e édition. Même les couvertures kitsch de la 4e me plaisent. Le Bestiaire de la 2e édition est le meilleur bestiaire méd-fan de tous les temps, point barre. La campagne de l’Ennemi Intérieur version 3e édition (disponible brièvement en téléchargement gratuit sur le site Edge si je ne m’abuse… enfin j’espère, parce qu’on a beaucoup bossé dessus pour ne jamais la voir sortir en dur…) était vraiment très sympa. Le premier livre de base était tout ce que j’espère d’un livre base : complet, riche, beau, épais. Mais voilà, ça n’a pas marché, je n’ai jamais accroché. Quant à W40K, là, c’est tout de suite non : l’univers ne me parle absolument pas (ce qui m’a rendu d’autant plus difficile de défendre la gamme VF jusqu’au bout, malgré des ventes anorexiques).

Paranoïa – Jamais essayé, et le côté coups de poignard dans le dos est rédhibitoire pour moi. Dommage, il y a peu d’univers SF bien fichus et qui ne font pas dans le…

…Cyberpunk – Y a des gens qui n’aiment pas le méd-fan, moi je n’aime pas le cyberpunk. Curieusement, je suis à la fois technophile et complètement imperméable au culte de la technologie. Du coup… ça freine considérablement mes ardeurs cyberpunkesques. Les seules versions qui m’attirent sont celles de Simulacre (que je n’ai plus) et le Nanochrome autoédité chez Lulu.

Shadowrun – J’avais acheté la 1re édition en VO et j’avais beaucoup aimé le background… mais je n’ai jamais compris quoi en faire. L’univers me semblait trop complexe, et encore une fois, il arrivait à une période où j’avais autre chose à faire (étudier l’histoire avec une molle conviction, par exemple). Encore un jeu où j’aurais voulu trouver un bon MJ… et aujourd’hui, c’est vraiment trop tard, le charme de l’univers ne fonctionne plus du tout pour moi. Il est trop ancré dans les années 90 pour résonner aujourd’hui. C’est le problème que j’ai avec beaucoup d’univers d’anticipation : ce qu’ils anticipaient est aujourd’hui déjà du passé (en termes sociétaux, hein : évidemment, on n’a pas des elfes et des orques qui se baladent dans les rues, à part à l’Assemblée Nationale pour la seconde catégorie).

Runequest – J’ai deux souvenirs de Runequest. Les deux parties auxquelles j’ai participé (ou presque). La première, c’était une création de persos catastrophique. Les jets de dés nous ont créé un lanceur de sorts musclé comme Schwarzenegger et un barbare souffreteux. Nous ne sommes jamais allés au-delà de cette session de création de persos. Deuxième souvenir, celui de ma première partie avec un MJ… euh… avec un MJ. Nous avons créé des persos en suivant les foutues règles à la lettre, et quand je dis à la lettre, je veux dire : “en lisant scrupuleusement le foutu manuel.” Il y avait, je crois, deux marchands dans le groupe. Chacun avait donc “une petite boîte ouvragée de très belle facture”. Je pense qu’il s’agissait de la même boîte, au détail microscopique près, en tout cas c’est ce que semblait sous-entendre le MJ qui lisait soigneusement la liste d’équipement sur un ton que je qualifierais à la fois de sentencieux et d’appliqué. Je précise que je jouais avec des gens qui avaient un immense sens de l’humour et que même si cette partie tient plus de la torture que du loisir, je me suis marré tout du long.

Le scénario, c’était “la peau de dragonnet” (je crois que c’est un draconewt en VO, non ? Enfin bref…). Et je m’en souviens comme si c’était hier. C’était une trahison rôlistique, mais aussi une partie complètement hilarante. Parce qu’il y avait un truc.

C’était une de mes premières parties avec un autre groupe que mon groupe de joueurs habituel (et avec un rôliste qui allait devenir un de mes meilleurs amis, un type exceptionnel, comme on n’en rencontre qu’une fois dans sa vie). Le groupe en question jouait très souvent des scénarios parus dans le magazine Casus Belli. Et un des joueurs, malgré l’interdiction formelle en vigueur au sein de l’équipe, lisait soigneusement les scénarios à l’avance (il s’était trahi sur certains détails). Evidemment, cette attitude sabotait un peu les scénarios en question et avait fini par agacer les autres joueurs. Cette fois, c’était lui le MJ.

Et bien sûr, les joueurs avaient lu “La peau de dragonnet” à l’avance. L’accroche était simple : “un marchand vous propose d’escorter une caravane” (qui transporte ladite peau, mais ça on n’est pas censé le savoir, et ça va foutre un peu la merde… enfin, ça foutrait la merde si on n’était pas déjà dedans jusqu’au cuir chevelu…).

Dès le début, j’étais stupéfait : les joueurs faisaient tout pour refuser la mission. Tout. Ils se comportaient comme de vrais psychopathes (tous les PNJ du scénario ont fini trucidés, leurs maisons incendiées, etc.). Le MJ se décomposait. Et je ne comprenais pas. Mais qu’est-ce qui se passait ? A la fin, je n’en pouvais plus, j’ai laissé mon personnage se suicider (je crois que le MJ m’a fait faire un jet d’attaque avec les dégâts et tout et tout), et j’ai fini par l’auto-sacrifier dans le temple de son dieu. Tout a foiré, c’était le chaos total, le ratage thermonucléaire global.

Le MJ, plutôt vénère au début, a dû finir par comprendre et, de guerre lasse, il a laissé les joueurs finir de saccager son scénar. Il s’est un peu calmé par la suite, question anticipation de scénario.

Je vous avoue qu’on a quand même bien ri (surtout quand les autres m’ont expliqué pourquoi ça c’était barré en sucette à ce point). Je crois qu’il ne nous en fallait pas beaucoup, en ce temps-là. Quelques dés, des potes, une ambiance. Parfois ça merdait tellement qu’on appelait ça un “foirio” (un scénario foireux). Parfois, on improvisait des trucs extraordinaires… dont il ne reste aucune trace. Parfois on tentait des récits audacieux… et on se ratait lamentablement. Mais bon sang, on se marrait bien. Un nouveau Runequest vient de sortir, et j’ai envie de voir à quoi ressemble cet univers… mais pas question d’accepter de convoyer des peaux de dragonnets, cette fois.

Conclusance

“Merci pour ce voyage en Nostalgie”, c’était très bien. J’ai un peu raconté ma vie, et mon loisir préféré. Je vous ai expliqué pourquoi mes goûts étaient les meilleurs au monde, et pourquoi tous les autres ont tort. Ou alors je vous ai montré pourquoi j’ai apprécié certains jeux plutôt que d’autres : un mélange d’affinités personnelles, de hasard et de rencontres humaines. Il y a des jeux marquants qui ne m’ont pas marqué, parce qu’ils ne sont pas arrivés au bon moment, ou avec les bonnes personnes. Et d’autres jeux anecdotiques (je pense à toi, Batman) qui m’ont mené à d’autres choses passionnantes.

J’espère que vous en avez profité autant que moi. Peut-être que vous êtes aussi un quadra passionné de JDR et qui a vécu la grande époque des pionniers, avec ses jeux laids, pénibles, mal écrits, chiants et géniaux. Peut-être que vous êtes un.e débutant.e dans le JDR et que vous aviez juste envie de comprendre pourquoi tout le monde vous rebat les oreilles avec L5A. Ce que je peux vous dire, c’est que la nostalgie, c’est bien joli, mais rien ne vaut le moment présent. Au lieu de lire des conneries sur internet, vous feriez mieux de travailler à l’élaboration des vôtres (de conneries).

Play dirty, play fair, but play !