james bond

J’ai joué à du méd-fan avec le système James Bond. Et j’en suis fier. En même temps, à l’époque, on trouvait des JDR au rayon livres des supermarchés… (eh ouais !)

Petite pause avant de reprendre la série d’articles « Les jeux de rôle, qu’est-ce que c’est ? ». J’ai envie de parler de FATE, et surtout de dire que FATE n’est pas qu’un système de JDR « générique ». En fait, il ne s’agit pas pour moi de son aspect le plus important. Ce qui me plaît dans FATE, c’est qu’il offre les outils nécessaires pour créer un univers complet en partant de l’essentiel : ce qui plaît aux joueurs.

Il y a toujours un moment, dans la vie d’un groupe de joueurs, où on a envie de « créer son propre univers ». Ce moment où on se sent bouillonner d’idées, d’aspirations narratives, qui ne trouveront leur place dans aucun monde connu, dans aucun univers de jeu de rôle existant.

Ce moment où on a tellement l’habitude de franchir les barrières grâce au JDR qu’on est prêt à se jeter dans le grand néant absolu et à créer quelque chose d’entièrement nouveau.

J’ai eu la chance, dès mes jeunes années de rôliste, de jouer très souvent en totale improvisation, et d’expérimenter exactement ce genre de chose. Un univers médiéval-fantastique entièrement créé par le MJ et les joueurs, à partir de rien ou presque (quelques illus piquées ici et là, un peu d’inspiration donjonetdragonesque, et même un petit soupçon du film Willow, qui a l’époque était un des seuls films de fantasy « à gros budget »).

Comment ça s’est passé ? De façon très simple, autour de trois idées :

1 – Nous avions une immense feuille de papier vierge ( je crois qu’elle mesurait un mètre sur deux environ) où j’avais dessiné quelques lieux : une ville, un château, une forêt, le tout avec des noms un peu méd-fan. Chaque fois qu’un lieu faisait son apparition dans une « aventure » (nous ne parlions pas de scénario, car nous n’utilisions jamais de scénar du commerce), nous le reportions sur la carte.

2 – Chaque joueur se créait un personnage joueur et définissait par la même occasion une bonne partie du background en créant son peuple d’origine, ses aventures, son passé.

3 – Nous alternions en tant que MJ (même si à la fin, j’ai énormément maîtrisé ce jeu qui nous a occupé TRES longtemps).

La grande carte vierge s’est remplie de noms, de sites, d’aventures… parfois de façon absolument ridicule : un jour, quelqu’un a eu la mauvaise idée d’écraser une mouche qui s’y était posée. La tache qui a subsisté est devenue « la Cité des mouches », laquelle a engendré quelques scénarios.

Ouais, comme vous dites : « il nous en fallait pas beaucoup. »

Le seul truc qui nous avait posé problème à l’époque était le système de jeu. Nous avons opté pour une version lourdement modifiée de celui de James Bond 007 (eh oui !), qui nous avait tapé dans l’œil grâce à son concept – novateur à l’époque – de « points d’héroïsme ». Avant James Bond, quand on foirait un jet de dés, c’était foutu. Après, il suffisait de dépenser un point d’héroïsme pour rattraper le coup. Ce n’était pas rien !

Quoi qu’il en soit, le système n’était bien entendu pas très adapté, mais ça ne nous a pas empêchés de jouer longtemps, très longtemps. Je me souviens d’un été épuisant où j’enchaînais les scénarios en totale impro à raison d’un par jour, quasiment. Vraiment épuisant, et ça n’a sans doute pas donné les meilleurs scénarios du monde.

Mais la carte se remplissait.

Et FATE, dans tout ça ?

feignasses

Si vous êtes vraiment une grosse feignasse, il y a FATE accelerated. Une version allégée de FATE, très bien aussi.

Aujourd’hui, si je devais tenter l’aventure à nouveau, je me tournerais vers FATE, qui est très exactement le système adapté à ce genre de campagne.

La création de personnages, dans FATE, n’est pas une simple répartition de points. D’ailleurs, des points et des nombres, dans FATE, il n’y en a pas beaucoup. On est très loin des systèmes où l’on optimise chaque personnage à coup de 1% en plus par-ci, 1% en moins par là. Ou de ceux qui présentent une très exhaustive liste d’armes dans des tableaux foisonnant de chiffres, d’avantages et de divers petits bidules techniques. Non que ces jeux soient mauvais : à vrai dire, ils répondent à un besoin très légitime de « modéliser la tactique » sous forme de nombres. Mais en ce qui me concerne, il ne s’agit pas de mes systèmes préférés.

La création de personnage, dans FATE, fait une place infime à la répartition de points : il s’agit simplement de prendre une compétence où le personnage est très fort (bonus de +4), deux compétences à +3, trois à +2 et quatre à +1. Fin de l’aspect technique.

Ce qui définit réellement un personnage de FATE, ce sont ses « Aspects » : des phrases percutantes du genre « Disciple du Suaire d’Ivoire », « Attirée par tout ce qui brille » ou « Magicien à louer ».

Chaque aspect va permettre au personnage de disposer d’un bonus à ses jets de dés dans certaines situations, mais le plus important, c’est que ces petites phrases créent le background.

S’il existe des « disciples du Suaire d’Ivoire », il existe une société secrète baptisée Suaire d’Ivoire. Et si celui qui en est issu est un assassin, eh bien cette société est composée d’assassins. Quels rapports entretiennent-ils avec le personnage ? Si ces rapports ne sont pas cordiaux, pourquoi ? Comment cela risque-t-il de se manifester ?

Voilà qui donne au MJ des cartouches pour sa campagne à venir : des idées de rebondissements, et surtout, un aperçu de ce que les joueurs attendent. Un joueur qui crée un personnage voleur a sans doute des envies de furtivité, d’infiltration, de vols audacieux…

Travail d’équipe

dice

Il faut des dés rigolos pour jouer à FATE. Mais on peut bricoler des dés normaux s’il le faut !

La création de personnages se fait de façon commune à FATE. Et pour cause : un des aspects de chaque personnage doit être en rapport avec un autre PJ, décrivant par exemple la façon dont ils se sont rencontrés ou les relations qu’ils entretiennent. Ce mécanisme est excellemment bien vu :

* D’une part il établit des rapports entre les personnages, une dynamique narrative. Un PJ donné en exemple (Cynere) a un Aspect intitulé : « Je protège les arrières de Zird » (Zird étant un autre PJ), par exemple.

* D’autre part il amène les joueurs à exploiter ces rapports, car utiliser un Aspect permet d’obtenir un bonus. Cynere pourra donc disposer d’un bonus à ses jets lorsqu’elle protégera Zird.

Ce mécanisme est bien plus intéressant qu’il n’en a l’air. Il ne se limite pas à « octroyer un bonus dans certaines situations ». Il soude le groupe de PJ et leur donne un moteur d’action à utiliser, un point de référence pour agir lors des scénarios. Il ne s’agit pas que d’un simple « élément de background ».

Peut-être avez-vous déjà créé un personnage très dense, avec toutes sortes de notes précises (sa marque de cigarettes préférée, son arbre généalogique complet, la liste de ses films favoris, les dix anecdotes marquantes de sa jeunesse, sa couleur de prédilection, quelques secrets croustillants, diverses choses qu’il ne veut en aucun cas révéler), pour vous rendre compte qu’au final, rien n’était exploitable dans une partie. Ce qui peut s’avérer décevant : vous avez fait tout ce travail pour rien.

L’intérêt des Aspects de FATE, et en particulier des aspects relationnels, consiste précisément à ne pas faire le « travail » pour rien. Synthétiser l’essence du personnage en cinq lignes relativement brèves, de façon à exploiter chacune des lignes en question. Cela ne signifie pas pour autant que les personnages manqueront de profondeur : la profondeur se manifestera en cours de partie.

gorille

Envie de jouer un gorille cybernétique qui fait du Kung-fu? Pour les univers vraiment barrés de la tête, il y a FATE.

En écrivant un background extrêmement détaillé pour votre perso, vous vous faites certainement très plaisir sur le moment, mais vous vous privez de la satisfaction de découvrir ces développements en cours de partie. Et une découverte qui a lieu en cours de partie est bien plus intéressante que celle que vous reportez sur une feuille, car elle a lieu avec un public, celui des autres joueurs. Oui, ce genre de développement vous permet de jouer les divas un instant, ce qui est une des grandes satisfactions du JDR !

Un paquet de graines narratives

Les règles de FATE sont conçues pour vous donner des « graines » narratives, et non les fruits qu’elles donneront en cours de partie. Si vous décrivez très précisément la secte du Suaire d’Ivoire avant le début de la partie, vous vous fermez déjà une porte : un élément de moins à explorer.

FATE n’est manifestement pas pour tout le monde. Il laisse une marge de manœuvre narrative aux joueurs dès leur création de personnage, et persistera sur cette voie durant les parties. J’ai lu un peu partout que le système FATE était « simple ». En réalité, sa mise en place est certes simple, mais subtile et délicate. Les joueurs les plus inventifs et les plus « sociaux » (ceux qui aiment créer en équipe et partager le pouvoir narratif, et ceux qui viennent à la table non seulement pour incarner un personnage, mais aussi pour profiter de l’interprétation des autres joueurs) en tireront toute la substantifique moelle, pour ainsi dire.

Le MJ, quant à lui, a tout intérêt à être souple dans sa façon de mener. On est manifestement face à un de ces représentants de la nouvelle génération des JDR, où l’improvisation est la clef.

toolkit

Un supplément vraiment très pratique et qui enrichit considérablement FATE.

Et pourtant, FATE met tout simplement des mécanismes sur cette façon de jouer que j’ai pratiquée il y a… eh bien vingt ans environ. Partez de quelques éléments qui vous plaisent, des références communes. Créez des personnages et les portions de l’univers qui vont autour. Ensuite, lancez-vous dans l’aventure et développez cet univers qui n’appartient qu’à vous.

Voilà qui me raccroche à mon envie d’univers pleins de « vide à remplir ». Si vous avez envie, vous aussi de créer non seulement des scénarios, mais aussi des univers entiers qui collent exactement aux envies de votre groupe de joueurs, tentez l’expérience FATE. Il ne s’agit pas que d’un système générique à la GURPS, mais bien d’un « moteur de création d’univers partagée ». Je ne peux donc que le recommander chaudement, d’autant que comme vous le savez peut-être, la VF est en route. Pour la modique somme de 8 euros, soit le premier palier, vous pouvez obtenir non seulement le livre de base en PDF (pour une version en dur, il faudra débourser plus, naturellement), mais aussi le « FATE system toolkit », le supplément de 180 pages qui, sans être indispensable, enrichira considérablement votre pratique du jeu : il contient en effet des règles de magie, des idées pour améliorer l’utilisation des Aspects et d’innombrables petits sous-systèmes destinés à gérer des situations et des univers particuliers (arts martiaux, cybernétique, combats de masse, superpouvoirs… et j’en passe !).