Nous sommes en 1989…

Non, mais arrêtez, regardez pas le calendrier, je veux dire : je vais raconter un truc qui se passait en 1989 mais je fais comme si c’était maintenant, sortez pas la Delorean tout de suite, quoi.

Bon, je reprends.

Nous sommes en 1989, surtout moi (dans ma tête et dans cet article, donc – eh, c’est la dernière fois que j’explique, vous vous démerdez tout seuls, après). Je poursuis de brillantes études (arrêtez de rigoler, au fond, je vous vois) au lycée de Decize, qui vient de naître : des locaux tout neufs (enfin, surtout la deuxième année parce qu’ils ne sont pas terminés pendant la première) avec du matos neuf (et des tableaux vissés dans un centimètre de placo, qui se cassent un peu la gueule de temps à autre), des profs pas encore complètement usés (voire extraordinaires pour certains), et des ambitions assez démesurées pour chacun d’entre nous, fiers lycéens promis à un avenir radieux.

Je ne me doute pas encore que le “Don’t give up” que Kate Bush susurre à l’oreille de Pet’ Gab’ sur la télé du cours d’anglais de monsieur Protat (que je salue, parce que je lui suis redevable : il m’a permis de comprendre que oui, c’est possible de lire tout un roman en anglais, même si c’est Godbody de Theodore Sturgeon, qui est un petit peu coton pour débuter), que “Don’t give up”, donc, sera un peu prophétique : “we were taught to fight, taught to win, we never thought we could fail”.

1989 est une année formidable, passée parmi des gens formidables, et je parle aussi bien de mes petits camarades que de l’équipe éducative. C’est l’année de la batmania. Mais c’est aussi l’année des poètes disparus et de monsieur Keating… ou plutôt du capitaine.

C’est l’année du Cercle des poètes disparus.

Cette histoire si proche de nous, qui nous fouille dans le fond de la vie, avec ses personnages auxquels on peut tous s’identifier ou presque, du timide pathologique à l’artiste contrarié, fait écho pendant très très longtemps dans ma vie. C’est mon premier contact avec Robin Williams, qui va devenir une présence rassurante dans ma vie.

Ce film, je vais le voir et le revoir un nombre incalculable de fois… et toujours en VF. Allez savoir pourquoi (conditionnement, je pense), la VO ne me fait pas le même effet. Oh, je chiale toujours à la fin, hein, mais je ne sais pas, le doubleur de Robin Williams me manque.

Alors nous sommes en 1989, et quand on sort de la salle de ciné, les potes et moi, on a la gorge serrée. On a envie d’appeler Ô capitaine mon capitaine pour voir si ça ne le ferait pas apparaître par magie au détour d’un couloir du lycée. On a envie de monter sur les tables, sur toutes les tables, pour changer de point de vue, découvrir le monde d’une autre façon, le monde… et l’art, surtout. Le théâtre, la musique, la littérature, les poèmes.

Avec mes meilleurs potes, on sort la nuit dans les bois, on va se geler les miches en haut des vieux terrils miniers autour d’un feu de bois et on lit des poèmes… Et on se retrouve à chanter “Et je vis le Congo” en dansant comme des abrutis. On est ados, on a toute la vie devant nous. On aura bientôt le bac et plus rien ne sera jamais comme avant. Ou peut-être que si. On ne sait pas trop. On s’en fout. Notre seul privilège, à cet âge-là, c’est qu’on s’en fout, et bien malin qui pourra nous le retirer avant que l’heure des responsabilité ne nous tombe dessus.

Robin Williams et moi, c’est une grande histoire d’amour. C’est comme tous mes acteurs favoris : je me jette sur ses films, même les plus merdiques. Ca m’a fait le coup avec Whoopi Goldberg (encore une petite marrante qui vous fiche quand même la larme à l’oeil), avec Julia Roberts, avec Chris Pratt… Mais Robin Williams, c’était autre chose. Ce rire bienveillant qui ne se moque jamais que de soi ou des oppresseurs. Cet oeil brillant qui vous interpelle, parce qu’on se doute qu’il a vu des tas de saloperies (Bellushi, bordel !). Ces traits plastiques, et cette façon d’être à la fois détendu et à l’affût de la meilleure connerie à dire, à faire…

Ce clown triste, si triste, au bout du compte. Le jour où j’apprends la mort de Robin Williams, je me décompose littéralement. J’ai l’impression de perdre une sorte de figure paternelle, de modèle, je sais pas… Je me précipite sur Amazon pour acheter les films de lui que je n’ai pas vus. Pour grappiller des miettes ? Rendre hommage à cet immense bonhomme ? Je ne sais pas, mais poutrin que je suis triste. Pardon : morose. Non, citation du film mise à part, je suis bouleversé. Je viens de découvrir sa série télé où il joue le père de Sarah Michelle Gellar, The Crazy Ones, où je l’ai retrouvé après avoir laissé un peu de côté sa carrière. Je me dis que c’est le dernier truc cool que je verrai avec lui. Ca me remue. Encore aujourd’hui.

Je suis triste pour lui, triste parce que c’est un suicide et que ça me rappelle le Cercle des Poètes disparus. Je n’ai pas trop envie d’analyser tout ça, de cerner le pourquoi du comment, parce que cette tristesse ne m’a pas quitté. Imaginer que le mec le plus formidable au monde, celui qui m’a tant fait marrer, ait pu partir dans la souffrance, la tristesse et le noir. C’est simplement injuste et je n’ai pas envie de broder autour de ce sentiment-là. Le jour de sa mort, je suis déboussolé. Et je me souviens d’une de ses interviews, où il disait : “enterrez-moi le cul à l’air, ça fera un garage à vélos.” Et je vous jure, c’est plus fort que moi, je ris. Le jour  où j’apprends sa mort, où je me sens super mal, je ris. Comme s’il était là et qu’il s’était dit qu’il ne fallait pas me laisser dans cet état-là (oui, c’est égoïste et je vous emmerde). Comme si ce qu’il avait fait de bon, de bien, était plus important que le fait qu’il n’existe plus.

Le meilleur acteur du monde, c’est Robin Williams.

Meilleur brontosaure : Robin Williams n’a pas joué énormément de brontosaures, mais je vous garantis que c’est lui qui les joue le mieux, partout, toujours.